Rubrique ‘Discours 2006’

Examen du projet de loi modernisation de la diffusion audiovisuelle et télévision du futur au Sénat

20 novembre 2006

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

En examinant le projet de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre au nom
du gouvernement, vous préparez dès aujourd’hui la télévision du futur.
Par ce texte, le gouvernement vous invite une nouvelle fois à faire en sorte
que le développement des nouvelles technologies concerne l’ensemble de
la société française, à permettre un progrès pour chacun de nos
concitoyens, pour chaque téléspectateur, dans la clarté, la transparence,
avec une méthode pour y parvenir, dans le souci constant de l’égalité.

Organisant le basculement de la télévision analogique vers la télévision
numérique sur l’ensemble de notre territoire, le présent projet de loi
consolide le succès de la télévision numérique terrestre auprès de nos
concitoyens et consacre l’entrée de la France dans l’audiovisuel du XXIe
siècle, en fixant le cadre du développement de la télévision mobile
personnelle et de la télévision en haute définition.

Le projet de « voir à distance » – « télévision » au sens étymologique – qui
fait partie de notre quotidien, et qui occupe désormais nos concitoyens plus
de trois heures par jour, a longtemps fait rêver les hommes. [Dès le IIe
siècle, Lucien de Samosate imagine dans son Histoire véritable – ainsi
traduite par Pierre Grimal – « un très grand miroir (…) disposé au-dessus
d’un puits, qui n’est pas fort profond. Si quelqu’un descend dans ce puits, il
entend tout ce qui est dit chez nous, sur la terre, et si l’on regarde dans le
miroir, on voit toutes les cités, toutes les nations, exactement comme si l’on
était au milieu d’elles.»]

Constatant que « la journée est scandée par
l’émission d’actualités du matin et l’émission du soir », dans son dernier
ouvrage – posthume – L’Homme précaire et la littérature, André Malraux,
mort il y a trente ans – presque jour pour jour, le 23 novembre – prophétisait
que « la télévision contraint l’homme à l’imaginaire ». Dès l’origine, et au fur
à mesure qu’elle s’est installée dans nos vies, dans notre environnement
familier, en accompagnant et en épousant les évolutions techniques et
celles de nos modes de vie, les enjeux culturels, économiques, industriels,
politiques et techniques de cette invention formidable n’ont cessé d’être
liés, ce qui a conduit le législateur à intervenir pour fixer les lignes
juridiques, encadrer et tracer les perspectives de son développement.

Le texte que je vous soumets aujourd’hui est l’acte fondateur d’un
nouveau développement, qui est à la fois technologique, lié à l’essor des
techniques numériques, mais aussi politique, au sens le plus large de ce
terme, comme l’a bien vu votre commission des affaires culturelles dès
la première phrase de son rapport, puisqu’il concerne chacun de nos
concitoyens, auquel il s’agit d’apporter de nouveaux avantages,
industriels, comme le souligne votre commission des affaires
économiques, sociaux et culturels, puisqu’il s’agit, ne nous y trompons
pas, non seulement d’industries culturelles, mais surtout de diversité
culturelle, de création, et c’est essentiel pour la vie quotidienne des
Français, comme pour la place de notre pays dans le monde. Un monde
où la France, selon le voeu du Président de la République, que le
gouvernement s’emploie à mettre en oeuvre, et qui est également, je le
sais, cher à votre Haute Assemblée, doit être à la pointe, non seulement
des techniques numériques, mais aussi des contenus pour lesquels
notre patrimoine, notre créativité, nos atouts et nos talents culturels
seront déterminants.

Garantir cet acquis à tous les Français, en leur ouvrant l’accès à la
télévision numérique, permettre à la France de mener à terme cette
nouvelle révolution industrielle qu’est la révolution numérique, et
renforcer son rôle dans la diversité culturelle, tels sont bien les trois
objectifs fondamentaux de ce projet de loi.

Je sais, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
que votre Haute Assemblée, éclairée par les travaux remarquables des
deux commissions que vous avez saisies, au fond et pour avis, en est
pleinement consciente. Et je tiens d’emblée à rendre hommage au rôle
pionnier que le Sénat a joué dans ce domaine. C’est sans aucun doute
ici que l’on a débattu le plus tôt et de la façon la plus prospective et la
plus approfondie des enjeux législatifs de la télévision numérique
terrestre, et je n’oublie pas le débat pionnier, véritablement précurseur
de celui que nous ouvrons aujourd’hui, sur la loi du 9 juillet 2004,
puisque ce fut, à cette même tribune, ma première intervention
parlementaire comme ministre de la culture et de la communication. Je
tiens à souligner, Monsieur le Président, Cher Jacques Valade, le rôle
éminent, que je n’hésite pas à qualifier de visionnaire, joué à cet égard
par votre commission des affaires culturelles.

A l’heure où la société française entre dans l’ère numérique, le présent
projet de loi propose, pour réussir cette modernisation, qui touche
chacun de nos concitoyens, de créer le cadre juridique pour assurer le
basculement complet de l’analogique au numérique, au plus tard le 30
novembre 2011, et fixer les conditions du développement de la
télévision en haute définition et de la télévision mobile personnelle.

Ce projet s’inscrit, je l’ai dit, dans le cadre de l’ambition fixée par le
Président de la République de faire de la France l’un des pays les plus
avancés dans le domaine du numérique, au bénéfice de l’ensemble de
nos concitoyens. Il s’inscrit aussi dans une série de rendez-vous tenus,
qui étaient autant de défis technologiques et culturels : le lancement de
la télévision numérique terrestre, la numérisation des archives de
l’Institut National de l’Audiovisuel et leur mise à disposition du plus grand
nombre par Internet, et dans quelques jours, le lancement de France 24, pour ne citer que ceux auxquels le Sénat accorde, je le sais, une très
grande importance.

Aucun ordre juridique n’échappe à l’évolution profonde et rapide du
paysage audiovisuel.

L’ordre international, tout d’abord, où vous pouvez compter sur moi et
sur le gouvernement pour préserver et développer les avancées
obtenues, en particulier sur la promotion de la diversité culturelle, grâce
à l’adoption, il y a un an à l’UNESCO, de la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Vous savez le rôle joué par la France dans l'élaboration de cette
convention. Son adhésion à la convention a été autorisée par une loi du
5 juillet 2006. Et je suis heureux et fier de vous annoncer que nous
déposerons prochainement, conjointement avec la Communauté
européenne et les Etats de l’Union européenne, les instruments de
ratification permettant l’entrée en vigueur effective de cette convention
internationale fondatrice.

Dans l’ordre européen, communautaire, je serai particulièrement attentif
à préserver les acquis de ce texte fondamental. Au moment où la
directive « Télévision sans frontières » fait l’objet d’une révision, j’ai eu
l’occasion de débattre de cette question avec mes collègues des 24
autres États membres lundi dernier à Bruxelles. Nous nous sommes mis
d’accord, et chacun ici connaît le rôle joué par la France pour y arriver,
sur un texte de compromis, qui étend le champ de la future directive à
l’ensemble des services de médias audiovisuels, c'est-à-dire non
seulement la télévision, comme c’est le cas de l’actuelle directive – « les
services linéaires » pour reprendre le terme utilisé à Bruxelles – mais
aussi les services audiovisuels à la demande, qualifiés de « services
non linéaires », comme par exemple la vidéo à la demande.

A mes yeux, cette extension du champ d’application est fondamentale,
en particulier parce que le texte adopté au Conseil lundi dernier contient
des mesures spécifiques en faveur de la promotion de la diversité
culturelle sur les services non linéaires. C’est une approche juste et
équitable qui a été choisie, pour l’ensemble des services de vidéo à la
demande.

J’ai fait allusion, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, au rôle
essentiel que vous avez joué, et en particulier votre Commission des
affaires culturelles, en contribuant de manière décisive dès 2000 à la
réussite de la télévision numérique terrestre. En 2004, lors de la
dernière modification de la loi audiovisuelle vous avez été des
précurseurs, pour poser dans la loi le principe de l’arrêt de la diffusion
analogique.

Le Président de la République l’a annoncé en début d’année : il est
nécessaire que tous les Français aient accès à la TNT gratuite le plus
tôt possible . La diffusion par satellite des chaînes gratuites de la TNT,
complémentaire de la diffusion numérique hertzienne terrestre,
permettra la réception de ces chaînes sur l’ensemble du territoire et, en particulier dans les zones où la couverture hertzienne n’est pas possible.

Notre pays sera ainsi pour arrêter sa diffusion analogique et basculer en
totalité dans l’ère numérique à compter de novembre 2011. Cette
démarche française s’inscrit pleinement dans la démarche européenne
d’extinction de l’analogique, pour laquelle les dates retenues par nos
partenaires de l’Union européenne, comme vous le montrez dans vos
rapports, se situent entre 2007 et 2012. Nos principaux partenaires et
voisins ont enclenché cette démarche.

C’est pourquoi le Premier ministre, après un échange approfondi avec
les deux assemblées, a déclaré l’urgence, afin que cette nouvelle loi
audiovisuelle puisse entrer en vigueur dès les toutes premières
semaines de 2007. Cela permettra d’offrir aux Français dès l’été 2007 la
télévision en haute définition et la télévision en mobilité.

Votre président et votre rapporteur la qualifient d’urgence technologique.

Je reprends bien volontiers cette qualification à mon compte : urgence
technologique au profit des français qui recevront plus vite et mieux plus
de chaînes de télévision, chez eux comme en mobilité ; urgence
technologique au service de la création et de la diversité culturelle.

Le succès spectaculaire de la TNT a été rendu possible par des
décisions courageuses du Gouvernement et du CSA. Il témoigne
combien les Français sont en attente forte des programmes et des
services permis par ces nouvelles technologies audiovisuelles.

En vingt mois, plus de cinq millions de foyers se sont déjà équipés d’un
terminal de réception de la télévision numérique terrestre, ils seront six
millions à la fin de l’année. La numérisation de la télévision est
également massive sur le câble, le satellite et l’Adsl. Ainsi aujourd’hui
c'est près de 45% des foyers français qui disposent d'au moins un
moyen de réception de la télévision numérique.

Les Français ne comprendraient pas qu’on ne leur permette pas de
bénéficier d’une offre gratuite trois fois plus riche que celle dont ils
disposent actuellement. Une telle entreprise implique bien sûr dès à
présent une information très large des téléspectateurs : l’extinction de la
diffusion analogique constitue une échéance importante pour la France
et à laquelle chacun de nos concitoyens doit être associé. Le passage
de l’analogique au tout numérique justifie un accompagnement
pédagogique des Français : la réussite de ce basculement dépend de
leur implication. La campagne nationale de communication que vous
proposez et à laquelle je sais le Président de votre commission des
affaires culturelles est très attaché répond parfaitement à cet objectif.
Ce projet de loi apporte en effet des améliorations concrètes pour nos
concitoyens, pour rendre la TNT accessible à tous et améliorer la
couverture du territoire.

Je pense ici, parce qu’elles sont chères à plusieurs d’entre vous, et aux
membres de l’association nationale des élus de la montagne en
particulier, aux zones de montagne, qui sont trop souvent les laissées-pour-
compte de l’innovation technologique. Grâce au projet et à un
amendement proposé par votre Commission des affaires culturelles et
par votre Commission des affaires économiques, les habitants des zones de montagne pourront recevoir l’offre gratuite de 18 chaînes par
satellite à partir de la première partie de l’année 2007.

Les pratiques télévisuelles de nos concitoyens ont profondément et
rapidement évolué ; le cadre législatif doit, lui aussi, évoluer, je sais ce
constat très largement, pour ne pas dire unanimement partagé dans cet
hémicycle.

Le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à
la télévision du futur a pour objectif de permettre d’offrir à tous nos
concitoyens une télévision numérique de qualité.

– Il permet d’améliorer très significativement la couverture du territoire
par la télévision numérique, par le satellite ou par la voie hertzienne
terrestre, afin que la TNT soit véritablement la télévision numérique pour
tous ; la TNT, je le rappelle, c’est trois fois plus de chaînes gratuites
pour les téléspectateurs.

– Il permet d’apporter aux Français de nouveaux services innovants en
haute définition et en télévision mobile personnelle.

– La haute définition apporte un progrès qualitatif sans précédent depuis
l'arrivée de la télévision en couleur ; elle met particulièrement en valeur
les grands événements sportifs et les programmes les plus ambitieux,
qu’il s’agisse de la création audiovisuelle ou cinématographique; elle est
déjà une réalité, puisqu’elle existe sur le câble et le satellite. Grâce à ce
projet de loi, elle sera disponible pour tous les Français.

– La télévision mobile personnelle répond à un mode de consommation
nomade constaté dans l'ensemble de la société, à l'image des services
issus de la téléphonie mobile de troisième génération, des baladeurs
numériques et du podcasting ou balladodiffusion, car je suis aussi, et le
Sénat ne l’oublie certainement pas, le ministre de la langue française.

Sans attendre, j’ai lancé, le 10 novembre dernier, avec mon collègue M.
François LOOS, ministre délégué à l’industrie une consultation sur les
normes des services de télévision mobile personnelle. Le CSA pourra
ainsi engager dès la promulgation de la loi le processus de sélection des
chaînes en haute définition et en mobilité afin qu’elles puissent être
offertes aux Français avant la fin de l’été 2007.

Quant au service public audiovisuel, certaines des dispositions qui vous
sont présentées dans ce projet de loi, s’agissant notamment de la haute
définition et de la télévision mobile, ne lui sont par nature pas
applicables. En effet, à la différence des chaînes privées qui se voient
attribuer leurs autorisations par le CSA à l’issue d’un appel aux
candidatures, c’est au Gouvernement qu’il revient de fixer, après
discussions avec les entreprises concernées, le nombre et la nature des
chaînes du service public et de préempter les fréquences nécessaires.

Je souhaite cependant, pour éclairer notre débat, vous faire part dès
aujourd’hui de mes orientations.

L’amélioration de l’offre télévisuelle numérique proposée aux Français,
et je suis sensible à la remarquable synthèse présentée dans le rapport
de votre commission des affaires culturelles de travaux et d’études récents sur ce sujet, implique une action déterminée du service public,
qui doit jouer un rôle moteur. L’action volontariste du service public
audiovisuel en faveur des nouvelles technologies fait d’ailleurs partie
intégrante des missions qui lui ont été confiées.

Je m’engage donc, au nom du Gouvernement, à ce que le service public
participe prioritairement à l’avènement du « tout numérique ». Par
l’attention qu’il porte et les missions qui sont les siennes en matière de
programmes, d’information, de culture, de création, d’accès aux savoirs,
de diversité, de proximité, il dispose d’atouts qui lui permettront de
développer sa stratégie numérique en faveur du plus grand nombre de
téléspectateurs.

Le développement des nouvelles technologies et l’extension de la
couverture de la TNT constitueront, à côté d’un engagement renforcé de
contribution à la création et de la nécessaire modernisation de la gestion
de ces entreprises, un axe stratégique fort que l’État assignera à France
Télévisions et à Arte dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens
qui sont en cours de discussions. Le projet de loi de finances pour 2007
en prévoit déjà le financement pour l’an prochain.

Je suis par ailleurs d’ores et déjà en mesure de vous indiquer que le
Gouvernement préemptera un des deux ou trois canaux qui seront
disponibles l’an prochain pour la diffusion de chaînes gratuites en haute
définition sur la TNT et que cette préemption sera portée à deux canaux
dès qu’il sera possible de diffuser quatre chaînes gratuites en haute
définition. Les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et
d’Arte préciseront les chaînes concernées.

Dans le même esprit, le service public sera l’un des acteurs de la
télévision mobile personnelle. A cet égard, le projet de loi garantit la
reprise des chaînes de service public par l’ensemble des futurs
distributeurs de la télévision mobile personnelle.

Votre commission des affaires économiques propose que l’ensemble
des chaînes hertziennes analogiques, publiques et privées, étendent la
couverture du territoire de la TNT jusqu’ 95 % de la population. Le
Gouvernement, qui soutient l’adoption de votre amendement, prendra
les dispositions nécessaires pour que les chaînes du service public
atteignent rapidement cet objectif.

J’en viens plus précisément à l’ensemble du dispositif qui vous est
soumis. Ce texte organise, en premier lieu, l’extinction de l’analogique et
le basculement vers le numérique (1). Il fixe, ensuite, le cadre législatif
du développement de la télévision en haute définition et de la télévision
mobile personnelle dans notre pays(2).

1. L’ Extinction de la diffusion analogique

1.1. Le basculement complet vers la télévision numérique et l’extinction
de la diffusion analogique sont sans doute la mutation la plus importante
que le secteur audiovisuel ait jamais connue. D’ores et déjà, le nombre
de chaînes gratuites accessibles a été multiplié par trois, passant de six à dix-huit, en dix-huit mois, jamais telle explosion de l’offre télévisuelle
n’avait lieu auparavant dans notre pays.

Malgré la multiplication ces dernières années de bouquets de chaînes
sur le câble, le satellite, l’ADSL ou l’UMTS, 70 % des Français reçoivent
encore la télévision par voie hertzienne terrestre. Nos compatriotes ont
donc naturellement plébiscité la télévision numérique terrestre.

Je me réjouis que cette évolution soit ainsi bénéfique pour tous :

– Pour les Français bien sûr, car elle apporte à tous une offre de
programmes démultipliée et de qualité ;

– Pour les opérateurs ensuite, car elle diminuera leur coût de diffusion de
manière considérable et leur permettra de proposer de nouveaux
services au public et d’accroître leurs investissements dans le
financement de programmes ambitieux ;

– Pour la création enfin. Les nouvelles chaînes contribuent en effet à la
production cinématographique et audiovisuelle ; les économies des
coûts de diffusion des chaînes dites « historiques » augmenteront
naturellement leur contribution actuelle au secteur de la création.

Cette évolution est le fruit de la volonté du Président de la République et
elle est conforme à nos engagements internationaux et européens : en
décembre 2005, les gouvernements des 25 États membres de l’Union
européenne ont arrêté l’année 2012 comme date cible pour l'extinction
de la diffusion analogique dans l'ensemble des États membres de
l'Union européenne. Au-delà, depuis l’accord intervenu en juin dernier
dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications, évoqué
dans les rapports de vos commissions, la diffusion analogique
hertzienne terrestre sera interdite dans toute l’Europe après 2015. Le
basculement complet de l’analogique au numérique est d’ailleurs déjà
effectif en Finlande et pour partie en Allemagne. Il aura lieu en 2011 en
Espagne et en 2012 au Royaume-Uni et en Italie.

1.2. L’extinction de la diffusion analogique vient accélérer de manière
positive la mutation du secteur audiovisuel. En effet, le projet de loi que
je vous soumets apporte d’importantes garanties à nos concitoyens, j’y
reviendrai :
Le texte proposé par le gouvernement prévoit, dans le cadre des
orientations fixées par le président de la République, que l’extinction de
la diffusion analogique s’effectuera conformément aux orientations
générales fixées dans un schéma national d’arrêt de la diffusion
analogique et de basculement vers le numérique qui sera défini par le
Premier ministre. Ce choix est un choix réfléchi : il appartient à l’Etat de
définir ce schéma global et le rôle de chacun des acteurs au sein de ce
schéma ainsi que les moyens budgétaires nécessaires :

– Le dispositif d’extinction est conçu pour intervenir progressivement par
zone géographique. Il commencera dès le 31 mars 2008, dans le cadre
du schéma national d’extinction de l’analogique, défini par le Premier
ministre après une large consultation publique associant le Conseil
supérieur de l’Audiovisuel. C’est dans ce cadre, j’y insiste, que le Conseil procèdera à cette opération en tenant compte en particulier de
l’équipement des foyers et de la disponibilité de la télévision numérique
dans chaque zone. L’arrêt de l’analogique doit être conçu comme une
grande opération nationale, impliquant la coordination de nombreux
acteurs et la mise en place de moyens budgétaires importants. C’est
donc bien au gouvernement de le déterminer.

– J’ai entendu, Monsieur le Rapporteur, votre volonté que je partage, et
qui témoigne autant de votre science que de votre sagesse, que ce
projet s’illustre d’une réalisation à la fois rapide et réaliste d’une
extinction de l’analogique. Comme vous le soulignez dans votre rapport
écrit, il reste des incertitudes à lever, pour clarifier et simplifier le
processus d’extinction de l’analogique. C’est la raison pour laquelle,
ayant compris les remarques et les propositions de la commission des
affaires culturelles, le gouvernement vous proposera de modifier le
texte, pour prévoir désormais une articulation et une harmonisation des
compétences de chacun des acteurs de cette extinction dans un but
d’efficacité accrue. Ainsi, le calendrier sera précisé et la procédure
simplifiée.

– [Le schéma national comprendra un calendrier d’arrêt de la diffusion
analogique et de basculement vers le numérique, soumis et approuvé,
après avis du Conseil supérieur de l’Audiovisuel, par le Premier
ministre.]

– Pour les téléspectateurs les plus démunis, un fonds d’aide est créé
pour garantir la continuité de la réception. J’ai en effet souhaité que
l’État garantisse que cette évolution bénéficiera à tous les Français,
sans exception ;

– Très rapidement après l’entrée en vigueur de la loi, les chaînes
gratuites, dont la diffusion analogique est éteinte, devront mettre leur
programmes gratuitement par satellite à la disposition de l’ensemble des
Français. Qu’il n’y ait pas de malentendu sur ce point ! Cette obligation
illustre la volonté du gouvernement de mettre les chaînes gratuites de la
TNT à la disposition de tous les français et, plus particulièrement de
ceux qui vivent dans des zones où la diffusion hertzienne est difficile
voire impossible. Cette diffusion satellitaire est donc complémentaire de
la diffusion numérique hertzienne terrestre. Elle ne s’y substitue pas. Le
gouvernement ne se trompe pas de priorité. La Commission des affaires
culturelles et la commission des affaires économiques proposent
d’étendre ce bouquet à l’ensemble des chaînes gratuites de la TNT,
initiative à laquelle je me rallie bien volontiers. Le Gouvernement
souhaite que toutes les chaînes gratuites de la TNT soient disponibles
très rapidement sur au moins une offre satellite gratuite.

Très concrètement, l’extinction de la diffusion analogique est un projet
opérationnel complexe. La création d’un groupement d’intérêt public
associant les chaînes de télévision concernées par cette extinction et
l’État permettra d’assurer la nécessaire coordination opérationnelle de
cette action très lourde.

Contrairement au groupement d’intérêt économique, le groupement
d’intérêt public n’a pas d’objet lucratif, comme vous le savez. Il est sans doute la forme la plus appropriée pour mener à bien cette mission de
service public dans le cadre d’un partenariat performant.

Gérant le fonds d’aide créé au profit des téléspectateurs les plus
démunis, il devra dans le même temps régler les questions très
concrètes que cette mutation posera à nos concitoyens : information
dans chaque ville ou village, traitement des problèmes techniques les
plus divers, distribution de l’aide qui passera, notamment, par la mise à
disposition d’adaptateurs.

Enfin, la large consultation publique à laquelle j’ai procédé pour
l’élaboration de ce projet a montré les attentes fortes de l’ensemble des
professionnels pour qu’une attention particulière soit portée au devenir
des fréquences libérées par l’extinction de la diffusion analogique. La
libération de ces fréquences doit servir certes le développement des
services à haut débit sur le territoire mais doit aussi servir, et vous le
savez, j’y serai particulièrement attentif, la diversité culturelle et la
création. Chacun des acteurs des programmes audiovisuels doit y avoir
sa juste part. Je pense plus particulièrement aux chaînes distribuées sur
le câble et le satellite. Je pense aussi au développement des acteurs les
plus récents. C’est la raison pour laquelle le projet de loi dote la France
d’un instrument lui permettant d’adopter une stratégie nationale pour
l’utilisation de ce que j’appelle pour ma part le « gain » numérique, afin
de déterminer les usages les plus appropriés à la nouvelle utilisation de
ce que je qualifierais volontiers, avec votre commission des affaires
économiques, d’actif stratégique.

Votre Commission des affaires économiques a souhaité associer le
Parlement à la question essentielle de l’affectation de ce « gain », de ce
bien commun. Je ne peux que me rallier à cette aspiration légitime. Il
faudra que nous déterminions ensemble les formes les plus adaptées à
cette consultation des assemblées. Je compte bien sûr sur notre débat,
et sur la sagesse du Sénat, pour nous permettre d’en déterminer les
modalités.

1.3. Dans le même temps, le projet de loi permet de consolider l’offre
actuelle de la TNT. Il permet ainsi d’étendre la couverture de la
télévision numérique terrestre. Les chaînes de télévision nationales ne
se sont aujourd’hui engagées auprès du CSA qu’à couvrir 85 % de la
population métropolitaine. Ce seuil n’est pas suffisant.

C’est la raison pour laquelle :

* les éditeurs de la TNT sont fortement incités à étendre leur
couverture : ils pourront bénéficier d’une prorogation de leur
autorisation, dans la limite de cinq ans, en fonction de l’étendue des
engagements complémentaires de couverture ;

* pour les zones géographiques où l’extrême rareté de la ressource
freine le déploiement de la TNT – et notamment dans les zones
frontalières – le CSA est doté des moyens de faire cesser
ponctuellement la diffusion analogique d’un service de télévision pour
permettre la diffusion de la TNT.

Les chaînes analogiques de télévision sont à la fois incitées à cette
migration, mais voient également compensée l’extinction prématurée de
leur diffusion analogique. C’est une nécessité juridique que le Conseil
d’État a rappelée au Gouvernement. L’hypothèse d’une compensation
financière ayant été écartée par ce dernier, le projet de loi prévoit
plusieurs dispositifs :

– Les termes actuels des autorisations délivrées à Canal +, TF1 et M6
(fin 2010 et début 2012) sont prorogées de cinq ans, à une double
condition toutefois : d’une part, TF1 et M6 devront diffuser gratuitement
leurs programmes par satellite et, d’autre part, ces trois opérateurs
devront adhérer au groupement d’intérêt public créé pour assurer la
mise en oeuvre opérationnelle de l’extinction, et en demeurer membres.

– A l’extinction complète de leur diffusion analogique, ces éditeurs
pourront bénéficier d’un droit à diffusion d’un canal que je qualifierai de
« compensatoire », sur le modèle du mécanisme mis en place en 2000.

A la différence de la loi de 2000, qui a autorisé TF1, M6 et Canal+ à
avoir deux autorisations supplémentaires par groupe, une pour leur
chaîne analogique et une pour leur nouvelle chaîne numérique, sans
aucune contrepartie, le bénéficie du canal compensatoire proposé par le
Gouvernement est la contrepartie juridique nécessaire de l’interruption
anticipée des autorisations analogiques de ces trois opérateurs, ainsi
que du non renouvellement de ces autorisations.

Le canal compensatoire est également un choix politique, que j’assume,
puisqu’à côté du service public, la création audiovisuelle et
cinématographique est aujourd’hui intégralement financée par TF1, M6
et Canal+ qui ont investi en 2005 plus de 485 millions d’euros alors que
les nouveaux entrants de la télévision numérique terrestre consacrent
dans leur ensemble moins de 16 millions d’euros au financement de la
production française.

Ce canal compensatoire ne sera en outre susceptible d’être disponible
et attribué par le CSA qu’à la fin de la diffusion effective de l’analogique.
La Commission des affaires culturelles propose ici que ces nouveaux
services soient soumis à une contribution renforcée en matière de
production et de diffusion d’oeuvres audiovisuelles et
cinématographiques. Je suis particulièrement favorable à cette
disposition, très attendue du secteur de la création.

– Naturellement, les chaînes locales ne sont pas oubliées. Je n’ai pas
oublié le débat que nous avons tenu, il y a quelques mois, dans cet
hémicycle, sur le développement des télévisions de proximité, ni vos
travaux importants sur ce sujet qui tient naturellement à coeur à
l’Assemblée chargée par notre Constitution de représenter les
collectivités territoriales de notre République. Vous le savez, le
Gouvernement est attaché à leur développement rapide en TNT. Ainsi,
j’ai donné mon accord au CSA, dès le 19 janvier dernier, pour la mise en
oeuvre d’une solution permettant de lancer, sur l’ensemble du territoire,
des télévisions locales en numérique. Cette solution consiste en la
recomposition du multiplexe du service public pour qu’il accueille les
chaînes locales ainsi que les décrochages régionaux de France 3
chaque fois que nécessaire et France Ô en Ile de France. Je viens d’ailleurs de demander au CSA de mettre en oeuvre ce schéma pour
France 3, France Ô et France 4 dans le cadre des compétences
dévolues au Gouvernement pour la préemption des fréquences du
service public. Celui-ci est donc en mesure de finaliser sans plus
attendre cette recomposition qui permettra aux Français de recevoir
l’ensemble de l’offre de la télévision numérique de terre. Je souhaite que
les Français bénéficient de cette offre élargie dès le printemps prochain.

Le projet de loi prévoit pour sa part que le terme des autorisations de
diffusion numérique des services locaux sera aligné sur celui de leur
autorisation initiale analogique sans jamais pouvoir être antérieur au 31
mars 2015, c’est-à-dire au dixième anniversaire du lancement de la
TNT. En outre, les éditeurs de télévision locaux pourront demander au
CSA d’être simultanément diffusés en mode numérique dans leur zone
de diffusion à tout moment, c’est-à-dire sans avoir besoin d’attendre que
le CSA lance une procédure d’appel aux candidatures dans leur zone.

1.4. Je veux rappeler les actions aujourd’hui entreprises pour l’outremer.
Si en métropole la TNT est un succès, elle est encore absente
chez nos compatriotes ultramarins. Il est donc nécessaire de réfléchir
rapidement à la manière dont la télévision numérique sera déployée
dans l’ensemble de ces territoires.

C’est pourquoi, le Ministre de l’Outre-mer et moi-même avons confié à
M. Jean-Michel HUBERT, vice-président du Comité stratégique pour le
numérique, une mission d’évaluation, d’analyse et de propositions sur
les modalités de déploiement et de développement de la télévision
numérique dans les départements et territoires d’outre-mer.

Concernant plus particulièrement l’Île de la Réunion, les réflexions
avancent en collaboration avec le CSA qui a lancé, le 16 mai dernier,
une consultation publique sur le lancement d'appels aux candidatures
pour l’édition de services de télévision et de radios numériques.

C’est dans ce cadre que j’arrêterai, en concertation, bien sûr, avec
France Télévisions, la stratégie de diffusion outre-mer des chaînes de
service public.

La couverture numérique de notre territoire et de notre population
participe de l’aménagement et du développement culturel de notre
territoire. Pour être ministre, je n’en suis pas moins élu local, et je suis
très sensible à votre préoccupation que la loi qui résultera de nos
travaux bénéficie à l’ensemble de nos compatriotes.

2. La télévision haute définition
et la télévision mobile personnelle

Le projet de loi crée les conditions du lancement et du succès de la
télévision du futur en adaptant les procédures d’autorisation des
services de télévision.

2.1 Pour la télévision haute définition, l’enjeu est simple : il s’agit
d’améliorer la qualité visuelle des programmes et, partant, l’attractivité
des programmes et le confort des téléspectateurs.
Le projet de loi permet aux chaînes de télévision tout à la fois de diffuser
des nouveaux services et de rediffuser en haute définition, en tout ou
partie, des services existants.

Les critères d’autorisation sont ensuite adaptés aux particularités de la
haute définition : le CSA devra tenir compte des engagements en
volume et en genre pris par le candidat en matière de production et de
diffusion en haute définition et notamment en oeuvres audiovisuelles et
cinématographiques, françaises et européennes. Le succès de la haute
définition dépend en effet très largement des programmes, lesquels
impliquent un effort de création important de la part des producteurs et
des diffuseurs. Il apparaît légitime de faire du soutien à la création un
critère de sélection des chaînes par le CSA.

2.2. Pour la télévision mobile personnelle, le succès de ces nouveaux
services passe par la mise en place d’une infrastructure particulière
adaptée à une consommation nomade et personnelle.

Le Gouvernement vous propose donc que le CSA prenne en compte,
parmi les critères de sélection des chaînes, outre ceux traditionnels de
la télévision numérique, des critères spécifiques tenant à la couverture
du territoire et à la qualité de la réception des services.

Je me félicite aussi de la proposition de la commission des affaires
culturelles, Monsieur le Rapporteur, tendant à ce que le CSA prenne en
compte, lors des appels à candidatures des services de la télévision
mobile personnelle, les engagements des candidats en matière de
programmes et en particulier en volume et en genre d’oeuvres
audiovisuelles et cinématographiques, à l’instar du régime prévu par le
projet de loi pour la haute définition.

Le projet de loi prévoit également que le CSA favorise la reprise des
chaînes actuelles de la télévision numérique terrestre, compte tenu de
leur économie encore fragile et dans un souci de continuité des
services. Je sais que ce critère fait l’objet de discussions : pourquoi
favoriser les chaînes de la TNT plutôt que celles du câble et du
satellite ? Pourquoi ne pas privilégier de nouveaux formats audiovisuels
plus adaptés à la mobilité ?

Monsieur le Rapporteur, Messieurs les Rapporteurs pour avis, vous
proposez au nom de vos deux commissions d’ailleurs, de supprimer ce
critère.

Le Gouvernement pourra se rallier à vos amendements sur cet article,
en vous proposant un sous-amendement, permettant également de tenir
compte de la spécificité des chaînes de la TNT. Ainsi, nous pourrions
parvenir à une position d’équilibre, tant vis-à-vis de l’offre numérique
hertzienne terrestre, qu’à l’égard de celle du câble et du satellite.

Dans ce domaine au coeur de l’innovation, où les usages et les modèles
doivent être inventés, l’intention du Gouvernement est de ne pas figer le modèle de la télévision numérique personnelle. A cet égard, je souhaite
rappeler que le projet de loi introduit des innovations majeures pour
permettre la prise en compte des inconnues pesant sur ce nouveau
mode de diffusion : le CSA pourra en particulier autoriser des
modifications substantielles de la programmation mais également de
l’économie gratuite ou payante de ces services, dès lors que ces
modifications auront pour but de répondre aux attentes du public.

Dans ce même esprit, le projet de loi prévoit, lors des appels à
candidatures de la télévision numérique personnelle la réservation,
après consultation publique, de la ressource radioélectrique à d’autres
services que ceux de télévision, tels la radio ou les services de données
diffusées, répondant ainsi aux demandes de nombreux opérateurs
formulées lors de l’élaboration de ce texte.

Oui, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
l’Etat sera au rendez-vous de la haute définition et de la télévision
mobile. Je souhaite ainsi que le CSA organise, dès à présent, une
consultation publique sur les projets en haute définition et de télévision
numérique personnelle, afin que, dès la promulgation de la loi, des
appels à candidatures puissent être lancés.

2.3. La technologie doit être au service de la création et de l’innovation.
N’inversons pas l’ordre des termes !

La diffusion de ces nouveaux services doit bénéficier au secteur de la
création : seuls des contenus forts, attractifs et diversifiés permettront le
succès de ces nouveaux services auprès du public.

Dans le présent texte, les éditeurs de services de télévision en haute
définition et en télévision mobile personnelle seront soumis à une
majoration de leur contribution au compte de soutien aux industries des
programmes. Cette majoration permettra d’adapter le mécanisme de
soutien, afin d’accélérer le basculement de la production vers la haute
définition et de stimuler la production d’oeuvres adaptées à la télévision
mobile.

A l’heure où les modèles économiques se transforment, je suis
convaincu de la nécessité de moderniser les modalités de contribution
de la télévision payante au compte de soutien.

Comme le sait votre commission des affaires culturelles, j’ai demandé
au Centre national de cinématographie et à la Direction du
développement des médias de mener des consultations approfondies à
cet effet auprès de l’ensemble des acteurs concernés. Cette
concertation se poursuit et je souhaite qu’elle s’accélère, afin de
disposer avant la fin de l’année d’une proposition recevant l’assentiment
d’une large majorité des acteurs.

Cette réforme doit être utile et au service de la création et de la diversité
culturelle : je pense à l’aide à la circulation des oeuvres, au soutien à la
production de programmes en haute définition ou pour la télévision
mobile, à la mutation nécessaire des salles de cinéma vers le
numérique. Ceux qui produisent les oeuvres comme ceux qui les distribuent ont besoin de cette vitalité de la création cinématographique
et audiovisuelle.

Je suis déjà en mesure de vous indiquer que cette concertation est
encadrée par deux principes :

– la neutralité technologique : les modalités de contribution au CNC
devront en effet être indépendantes de la technologie utilisée pour
distribuer les chaînes ;

– l’équité : il s’agit d’abord d’asseoir la taxe de façon plus équitable entre
les différents acteurs de la télévision payante.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
le texte que je vous soumets vise non seulement à concrétiser la
« promesse » numérique, selon la belle expression employée par votre
Rapporteur au fond dans son rapport écrit. Il vise aussi à prévenir tout
risque de « fracture » numérique, qu’elle soit économique, sociale,
culturelle, ou territoriale. Je sais combien votre Haute Assemblée est
sensible à cette préoccupation du gouvernement et je compte sur notre
débat, sur nos travaux, sur votre vote, pour nous permettre de tenir cet
engagement. Il y va non seulement de la diversité culturelle, ô combien
essentielle dans le monde d’aujourd’hui, mais aussi de notre cohésion
sociale et de la place de la France au sein de la société de l’information,
dans l’ère numérique où nous vivons désormais.

Conférence de presse sur le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur

17 novembre 2006

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui à quelques jours du
débat sur le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion
audiovisuelle et à la télévision du futur.

La société française entre dans l’ère numérique. Ce texte est un élément
fondamental pour cette réussite car il est un élément clef d’une
modernisation qui touche chacun de nos concitoyens. Il crée en effet le
cadre juridique pour assurer le basculement complet de l’analogique au
numérique au plus tard le 30 novembre 2011 et fixe les conditions du
développement de la télévision en haute définition et de la télévision mobile
personnelle.

Ce projet s’inscrit dans le cadre de l’ambition fixée par le Président de la
République de faire de la France l’un des pays les plus avancés dans le
domaine du numérique, au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens. Il
s’inscrit dans une série de rendez-vous tenus, qui étaient autant de défis
technologiques : le lancement de la télévision numérique terrestre, la
numérisation des archives de l’INA et leur accès auprès du plus grand
nombre par internet, et dans quelques jours le lancement de France 24,
pour ne citer que ceux-là.

Je tiens à souligner combien il est important que la loi soit votée début
2007. En effet, la France avait déjà trop de retard par rapport à ses voisins
européens en matière d’offres de programmes : elle est le seul grand pays
européen où plus de 80 % des téléspectateurs ne regardent encore que six
chaînes. Or le succès spectaculaire de la télévision numérique terrestre,
facilité par les choix qui ont été faits par le Gouvernement, témoigne que le
public est en attente forte d’une offre gratuite beaucoup plus riche. Si la loi
et le calendrier volontaire qu’elle fixe n’étaient pas adoptés au début de l’an
prochain, la conséquence serait de retarder sans doute encore de plusieurs
années la mutation de notre paysage audiovisuel. Les Français ne
comprendraient pas qu’on ne leur permette pas de bénéficier d’une offre
gratuite trois fois plus riche que celle dont ils disposent actuellement. Ce
projet de loi apporte des améliorations concrètes pour nos concitoyens,
pour rendre la TNT accessible à tous et améliorer la couverture du
territoire.

Je pense en particulier aux zones de montagne, qui sont trop souvent les
laissés-pour-compte de l’innovation technologique lorsqu’elle est liée à un
maillage territorial. Grâce au projet et à un amendement proposé par les
Commissions des affaires culturelles et des affaires économiques, les
habitants des zones de montagne pourront recevoir l’offre gratuite de
18 chaînes par satellite à partir de la première partie de l’année 2007.

Le projet de loi prévoit également des dispositions pour améliorer la
couverture terrestre du territoire, au-delà des 115 sites initialement prévus
par le CSA, en contrepartie d’une prolongation des autorisations des
chaînes de la TNT. Il permettra enfin au CSA de basculer au numérique de
façon anticipée certains émetteurs dans les zones où les fréquences sont
rares, afin de permettre notamment la couverture des zones frontalières. Si
la loi n’était pas votée en février prochain, la couverture de notre territoire
serait retardée et on courrait le risque de laisser s’installer une fracture
numérique.

L’urgence qui a été déclarée pour le projet de loi est donc avant tout une
urgence pour la société française, pour les téléspectateurs, et pour
l’industrie culturelle. L’urgence est également technologique, car la
modernisation de l’audiovisuel doit permettre d’optimiser l’utilisation des
fréquences pour de nouveaux services, en particulier la télévision du futur
que nous rendons possible avec ce projet de loi.

Je tiens à rappeler que le projet de loi a été précédé d’une large
consultation, lancée le 27 avril dernier, en ce qui concerne la télévision en
haute définition et la télévision mobile. Cette consultation a permis de
recueillir l’avis de tous les professionnels sur le cadre législatif applicable à
la télévision du futur. Le projet de loi tient compte des équilibres et des
consensus qui sont apparus lors de la consultation. Ce texte est un texte
d’équilibre entre les différents acteurs, il ne doit léser personne. C’est un
mouvement positif auquel toutes les chaînes doivent participer avec leurs
spécificités : chaînes de la TNT ou chaînes indépendantes. Chacun a
intérêt au dividende numérique et y aura sa part.

Par ailleurs, saisi par le Premier ministre d’un ensemble de questions sur
les modalités d’extinction de la diffusion analogique par voie hertzienne
terrestre, le Conseil d’Etat a rendu, lors de sa séance du 23 mai 2006, un
avis considérant que seul le législateur peut autoriser et organiser
l’extinction anticipée des services de diffusion par voie analogique.

Je rappellerai que deux principes fondamentaux fondent le projet de loi :
Premièrement le basculement inéluctable de l’analogique vers le numérique
ne peut avoir lieu que si pour chacun des Français les conditions, c’est-àdire
tant la couverture que l’équipement, sont réunies pour qu’il reçoive la
télévision numérique. J’ai toujours affirmé qu’il s’agissait pour moi d’une
priorité et je me félicite que la commission des affaires culturelles et la
commission des affaires économiques proposent de renforcer encore les
dispositifs prévus par le projet de loi. Je tiens à redire que la couverture
satellitaire constituera un complément indispensable et nécessaire pour
garantir que 100 % de la population métropolitaine reçoive la télévision
numérique en 2011.

Le calendrier de novembre 2011 est volontaire et il est réaliste.

L’engouement des Français pour la TNT est fort. La date prévue par la loi
s’imposera naturellement. Pour les plus démunis, ceux qui n’ont pas les
moyens de s’équiper, un fonds d’aide sera créé. Une campagne
d’information sur la fin de l’analogique sera prévue. C’est un amendement
de la commission des affaires culturelles. J’y souscris pleinement.

Le calendrier français s’inscrit dans un calendrier européen commun. Le
basculement complet de l’analogique au numérique aura ainsi lieu en 2011
en Espagne et en 2012 au Royaume-Uni.

Deuxième principe, la télévision numérique terrestre, la télévision en haute
définition et la télévision mobile personnelle doivent participer au
développement de la création audiovisuelle et cinématographique.

C’est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit une majoration de la taxe
acquittée par les chaînes de télévision et assise sur leurs recettes
publicitaires. La majoration de cette taxe affectée au compte de soutien à
l’industrie des programmes (COSIP), permettra notamment d’aider la
production audiovisuelle pour la télévision haute définition et la télévision
mobile.

Je tiens par ailleurs à tordre le cou aux rumeurs : il n’est pas question dès le
débat au Sénat de procéder à une réforme du COSIP qui prendrait en
compte les distributeurs ADSL. J’ai toujours dit ma volonté que l’innovation
technologique ne soit pas une menace pour la création mais permette au
contraire son développement en contribuant à son financement. Je crois
cependant en la matière à une réforme ambitieuse, respectueuse de la
neutralité technologique, issue d’un processus de concertation en cours, et
non pas à une demie-solution votée à la va-vite.

Je partage avec la commission des affaires culturelles la volonté de
renforcer les obligations de production en matière d’oeuvres audiovisuelles
et cinématographiques pour les canaux dit supplémentaires qui seront
attribués aux chaînes analogiques nationales. Ces chaînes sont
compensatoires : elles compensent le préjudice lié à l’extinction progressive
de l’analogique à partir de 2008. Ce sont des chaînes qui sont susceptibles
d’être diffusées à partir de décembre 2011, et plus certainement en 2012, à
condition de remplir un certain nombre de critères dont les engagements
supplémentaires dans le domaine de la production audiovisuelle et
cinématographique. Ce sont donc des chaînes qui bénéficieront aux
producteurs audiovisuels et cinématographiques. Et ces chaînes
compensatoires, ces chaînes « 2012 », ces chaînes pour la création, seront
surtout des chaînes supplémentaires pour les téléspectateurs qui auront
donc une offre gratuite non pas seulement de 18 mais d’une vingtaine de
chaînes.

Enfin, nous devons nous attacher à une neutralité en ce qui concerne les
technologies. En effet, les technologies dans ce domaine évoluent très
rapidement, ainsi que leurs coûts et donc les modèles économiques qui en
découlent. Je pense en particulier aux choix technologiques qui ont pu
évoluer en 2004 par la simple modification d’un arrêté, avec le choix de la
norme Mpeg-2 pour la TNT gratuite et Mpeg-4 pour le payant, permettant,
grâce aux gains de compression, d’envisager plus concrètement la diffusion
en haute définition. Nous devons également veiller à la neutralité, tant dans
le choix des technologies utilisées pour la couverture du territoire, qu’il
s’agisse du hertzien ou du satellite, que dans le dispositif de soutien à
l’équipement des ménages les plus fragiles.

Nous ne savons pas encore si la télévision mobile personnelle, qui sera
accessible à la fois par des téléphones et par des supports dédiés comme
le montre l’exemple de la Corée, se développera sur un modèle payant ou
sur un modèle gratuit. Il ne faut figer aucun modèle économique. Pour
autant il me paraît légitime de tenir compte sur la télévision mobile
personnelle des chaînes gratuites de la télévision numérique déjà
autorisées.

Un mot pour finir à propos de ce qu’on appelle le « dividende numérique »,
et qu’il faudrait appeler peut-être le « gain numérique ». Le passage au numérique permettra une amélioration de la réception de la télévision pour
l’ensemble de la population métropolitaine, tant sur le plan de la qualité de
l’image et du son que de la diversité de l’offre de chaînes. Ce passage au
numérique permettra de gagner des fréquences, qui sont une ressource
limitée : il y a un « gain numérique ». Le principe qui a été retenu est de ne
pas préempter l’ensemble du gain numérique, et de laisser ouvert à ce
stade la ré-affectation des fréquences libérées.

Enfin, il est clair, qu’à mes yeux, la télévision publique ne sera pas, et bien
au contraire le laissé pour compte de ces évolutions technologiques : oui la
télévision publique aura sa juste place en haute définition ou sur la
télévision mobile personnelle. Oui la télévision publique sera exemplaire et
motrice en ce qui concerne la couverture du territoire en numérique hertzien
terrestre.

Le projet de loi que je vais défendre dans quelques jours est fondamental.

C’est la télévision numérique pour tous les Français. C’est la perspective
d’un développement de l’activité et de l’emploi dans le secteur audiovisuel
français. C’est enfin de nouvelles ressources pour la création audiovisuelle
et cinématographique.

Je vous remercie.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur à Dorette Karaiossifoglou

16 novembre 2006

Chère Dorette Karaiossifoglou,

C’est un très grand plaisir, et un honneur, pour moi, de vous recevoir
aujourd’hui. La France honore en vous une femme de culture, de
conviction, et de passion.

Une passion pour l’Europe, tout d’abord, que vous avez sillonnée pour
vos études supérieures, à Genève, puis à Londres, et enfin à Athènes,
berceau de la civilisation européenne, où vivaient vos parents.

Une passion pour les arts, ensuite, si grande que vous l’avez
transmise à vos enfants, Nonica Galinéa étant aujourd’hui une grande
actrice de théâtre en Grèce, et Alexandre Panayotopoulos un
compositeur réputé, dont l’épouse, Vana Xénou, grande artiste
picturale, a récemment exposé ses oeuvres à Paris.

Une passion pour la France, enfin, que vous avez partagée avec votre
mari, Stratis Andreadis, avec lequel vous avez formé un couple
mythique, et dont vous poursuivez aujourd’hui l’oeuvre généreuse.

Financier, économiste, armateur, banquier, Stratis Andreadis a en
effet joué pendant des décennies un rôle de tout premier plan dans le
développement de l’activité économique, mais aussi de la vie
culturelle de son pays natal, la Grèce.

Grand humaniste, grand amateur d’art, et grand mécène, votre époux
vous a légué son amour pour les arts français et le rayonnement de
notre culture, amour grandi pendant les années qu’il passa dans notre
pays, et notamment à l’Ecole des Sciences Politiques et à la Faculté
de Droit de Paris, amour que la France lui rendit en l’élevant au rang
de membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques.

A travers l’Association des Amis de Stratis Andreadis, que vous
présidez, vous avez souhaité concrétiser cet attachement, en
finançant la création d’une nouvelle Médiathèque à l’Ecole Nationale
Supérieure des Beaux Arts, et d’un fonds spécial destiné aux
étudiants en art.

Cet apport substantiel est arrivé à un moment essentiel dans la vie de
la Bibliothèque de l’Ecole, emblématique de notre excellence
artistique, permettant son indispensable modernisation, dans le
respect de son cadre historique. Votre aide, essentielle, a permis de
réunir un fonds d’ouvrages d’art exceptionnel, qui place l’Ecole
nationale des Beaux-Arts au tout premier rang des écoles françaises
et européennes.

Soucieuse de parfaire votre oeuvre, d’offrir les moyens à la Médiathèque
de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de s’étendre davantage,
et de faciliter l’accès des étudiants aux technologies les plus modernes de
l’information et de la communication, vous venez de faire, toujours à
travers l’Association des Amis de Stratis Andreadis, un nouveau don à
l’École. Il permettra d’aménager l’aile Nord du premier étage du Palais
des Études, contiguë à la Salle des Études, qui porte le nom de Stratis
Andreadis.

Je suis très heureux d’honorer aujourd’hui une femme au destin
exceptionnel, un véritable personnage de roman, dont l’élégance, le
raffinement, la curiosité, l’érudition, n’ont d’égales que la générosité. Je
salue une grande dame, une référence, un modèle de féminité, de
générosité, d’ouverture et de bonté.

Dorette Karaiossifoglou, au nom du Président de la République, et en
vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous remettons les
insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur.

Examen et du vote du budget de la mission Culture pour 2007 à l’Assemblée nationale

15 novembre 2006

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs les Députés,

Tout d’abord, je tiens à vous remercier, Messieurs les Rapporteurs
spéciaux, Monsieur le Rapporteur pour avis, pour votre travail et pour vos
observations, qui font honneur, non seulement à l’esprit de la Loi
organique, mais aussi à l’exercice du rôle législatif et de contrôle qui sont
au coeur des missions du Parlement. Tout en ayant pris bonne note de vos
remarques sur lesquelles je reviendrai dans un instant, je tiens à vous
remercier, Monsieur le Rapporteur spécial, d’avoir jugé au nom de la
Commission des finances, que le projet de budget pour 2007 que je vous
présente pour la Mission ministérielle Culture est « globalement
satisfaisant ».

Monsieur le Rapporteur pour avis, je vous remercie d’avoir pris acte de la
reconquête des marges de manoeuvres dont témoigne le projet de budget
qui vous est soumis, et j’y vois un signe d’attachement de la
Représentation nationale à l’action de l’Etat dans ce domaine essentiel.

Je
tiens également à vous féliciter pour votre analyse, aussi juste que subtile
et détaillée, de l’action internationale du ministère de la Culture. Et je
reprendrais volontiers à mon compte l’objectif que vous lui assignez :
« répondre à un désir de France ». Cette définition me paraît aussi valoir,
au fond, pour l’action menée par le ministère de la Culture et de la
Communication, non seulement au-delà de nos frontières, pour assurer le
rayonnement culturel international de la France, mais aussi, au sein même
de notre pays, de nos territoires, pour réussir l’alliance, que je crois
féconde, du patrimoine et de la création, dans les domaines, nombreux et
divers, de ses interventions.

Il y a en effet, au coeur de nos missions, ce sentiment largement partagé
dans le monde, et souvent prouvé au cours de l’histoire – une histoire en
marche – ce sentiment exprimé par André Malraux que « la France n’est
jamais aussi grande que lorsqu’elle l’est pour les autres ». Et le ministre
d’Etat du Général de Gaulle, auquel Monsieur le Président de l’Assemblée
nationale a rendu hier un très bel hommage et auquel je rendrai hommage
à mon tour, rue de Valois, la semaine prochaine, le 23 novembre, à
l’occasion du trentième anniversaire de sa mort, ajoutait qu’il y a, au coeur
de la culture, cette très belle mission de « faire prendre conscience aux
hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux ».

Avant de répondre en détail aux observations des rapporteurs, puis aux
questions précises des orateurs, je tenais à revenir ici, pour le dernier
budget de cette législature, à cette ambition fondatrice, non pas pour
dresser un bilan, mais pour tracer les perspectives et le contexte d’une
action que j’ai, avec votre concours, Mesdames et Messieurs les Députés
de la majorité, tenu à inscrire pour ma part toute entière, dans le cadre du
décret qui a fixé, le 24 juillet 1959, les objectifs de l’action du ministère de
la culture : « … rendre accessible les oeuvres capitales de l’humanité, et
d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer
la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et favoriser la création
des oeuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent…».

Oui, cette ambition demeure toujours actuelle, plus que jamais, et forme
l’horizon de notre politique, que les budgets traduisent en actes concrets.

Le budget que je vous présente est à la mesure de cette ambition, dans le
cadre – favorisé par la LOLF, sous votre contrôle – d’un Etat moderne, d’un
Etat qui s’engage, pour mener à bien ses missions, avec le souci constant
de l’efficacité et de la bonne gestion, du service rendu à nos concitoyens,
et des contraintes pesant sur nos finances publiques.

C’est dans ce cadre que l’appréciation de votre Rapporteur spécial, sur le
caractère « globalement satisfaisant » de ce budget, prend tout son sens.

Les moyens du ministère de la culture progressent, vous l’avez dit, et je
tiens à le souligner, car peu de ministères peuvent en dire autant, à
périmètre constant, de 7,8 %, avec les nouvelles taxes affectées. C’est un
effort considérable, jamais atteint en termes de progression et de niveau
(3,2 milliards d’euros). Et c’est un effort pérenne, qui s’inscrit dans la
continuité des deux précédents budgets que je vous ai présentés et que
vous avez adoptés.

Je le dis sincèrement, chaleureusement et solennellement à celles et ceux
d’entre vous qui les ont votés et qui je l’espère, voteront celui-ci : vous
pouvez en être fiers.

Depuis 2002, le budget de la culture n’a cessé d’augmenter et cette
augmentation s’est accélérée depuis 2004. Alors, je tiens à la rappeler,
fût-ce à ceux que cette vérité pourrait déranger : entre 1997 et 2002, les
moyens de la culture ont progressé de 300 millions ; entre 2002 et 2007,
et en vérité entre 2004 et 2007, ils ont progressé de près de 600 millions
d’euros ! C’est dire si le slogan, le fantasme, l’antienne du prétendu
désengagement de l’Etat, que j’entends parfois agiter, ici ou là, ne se
traduit ni dans les chiffres ni dans l’action !

Parce que ce ministère est un ministère qui engage et qui prépare l’avenir.

C’est pourquoi c’est un ministère qui investit : 20 % de nos crédits sont
consacrés à l’investissement, et vous avez justement noté que cette
année, les dépenses de fonctionnement de l’administration sont
stabilisées.

Pour préciser l’évolution du périmètre de ce budget, j’ajoute aussitôt que
le transfert de la Dotation générale de décentralisation, qui est une
simplification logique, fait sortir 179 M€ du périmètre de la mission culture,
pour les rattacher directement, à la mission soutien aux collectivités
locales du ministère de l’intérieur, ce qui minore artificiellement le budget
du ministère. La hausse que je vous annonce est une hausse réelle,
calculée à périmètre constant.

J’ajoute que sont prises en compte deux nouvelles ressources fiscales : le
produit de la taxe affectée au centre des monuments nationaux (140 M€)
et l’augmentation de la redevance qui finance le Centre national du livre
(14 M€).

Ces deux nouvelles sources de financement, n’en déplaise à certains
esprits chagrins, viennent bien accroître les ressources du ministère de la
Culture en 2007.

Ce ministère, vous le savez, et le succès populaire des Journées
européennes du patrimoine en apporte chaque année une nouvelle
confirmation, se bat pour faire de l’extraordinaire richesse de notre
patrimoine, un atout essentiel de l’attractivité de notre pays.

Aussi, ma première priorité, ce sont les monuments historiques, et je sais
que vous y serez sensibles.

L’an passé, au-delà des crédits budgétaires, stricto sensu, une partie des
recettes de privatisation avait été consacrée aux grands chantiers
patrimoniaux. Cette année, c’est une nouvelle mesure pérenne que j’ai
obtenue, afin que l’Etat reste le garant d’une politique nationale forte en
faveur des monuments historiques. Il contribue ainsi à hauteur de 320
millions d’euros au financement de quelque 4000 chantiers partout en
France.

Le Premier ministre a annoncé à Amiens, le 14 septembre dernier, les
décisions nouvelles qui permettront, entre la fin de cette année et le début
de l’an prochain, de mettre 140 millions d’euros supplémentaires à
disposition des chantiers de restauration.

Les chantiers des collectivités territoriales et des propriétaires privés
bénéficieront pleinement de cet abondement, grâce aux redéploiements
qu’il permettra.

Cette mesure s’accompagne, comme vous l’avez relevé, d’une réforme du
Centre des monuments nationaux, qui va se voir confier la maîtrise
d’ouvrage sur les édifices qui lui sont remis en dotation et sur d’autres
monuments appartenant à l’Etat.

Ces moyens nouveaux permettront notamment d’affecter :

– 10,7 M€ à Versailles pour son schéma directeur ;

– 89,3 M€ à l’EMOC qui ont permis de solder notamment les travaux de
la Cinémathèque, des Arts déco, de l’Orangerie qui ont ouvert en
2006, ou encore de poursuivre les travaux pour le Palais de Chaillot
ou le MUCEM notamment.

L’annonce, l’an dernier, du déblocage de 100 M€, issus des recettes de
privatisations, a été immédiatement suivie d’effet, avant la fin de la gestion
2005.

En 2006, les chantiers en régions ont bénéficié en cours de gestion des
24 M€ de dégel ainsi que d’une dizaine de millions de reports de crédits.

Pour les monuments appartenant à l’Etat, ces crédits ont permis la
relance de 103 chantiers. Je tiens à préciser, car je suis comme vous tous
convaincu du rôle majeur du patrimoine en matière d’équilibre et
d’aménagement du territoire, que 94 opérations concernées par cette
relance sans précédent se situent en régions, contre 9 en Ile-de-France.

Et ce sont les chantiers de monuments historiques en régions qui font
clairement l’objet de la priorité 2007.

En 2007, ce sera un total de 140 millions qui seront débloqués au titre du
plan de relance annoncé par le Premier ministre, qui recouvrent 70
millions d'euros du produit de la taxe versée au Centre des monuments
nationaux (CMN) pour les deux années 2006 et 2007.

La loi de finances rectificative qui vous sera prochainement soumise
permettra leur mobilisation.

L’engagement très fort de l’Etat, est complété, de façon non négligeable,
par le succès de la politique de mécénat et en particulier des fondations
dans le domaine du patrimoine.

On veille dans ce cadre, à la bonne répartition sur le territoire des fruits de
ce mécénat.

Pour répondre précisément à une préoccupation de la commission des
finances, il n’existe pas encore d’outil statistique permettant de chiffrer
l'impact des mesures d'incitation fiscale concernant le patrimoine. Mais je
rappelle que les dépenses fiscales relatives au patrimoine ont été
chiffrées comme suit dans le « bleu » budgétaire :

– déduction des charges foncières afférentes aux monuments historiques,
10M€ ;

– déduction des dépenses exposées dans les secteurs sauvegardés et les
zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager
(dispositif Malraux), 50M€.

Il apparaît que l’effet de levier de telles mesures en faveur du patrimoine,
non seulement sur le tourisme, mais aussi sur l’économie, l’emploi,
l’attractivité et le rayonnement de nos villes, de nos départements et de
nos régions, sur l’ensemble de nos territoires, est considérable.

Vous avez soulevé la question de la maîtrise d’ouvrage de l’Etat, je
rappelle que l’ordonnance du 8 septembre 2005 relative aux monuments
historiques et aux espaces protégés, affirme maintenant formellement que
le propriétaire est maître d'ouvrage des travaux sur son monument et que
sous certaines conditions, l'Etat peut l'assister pour l’aider à assurer cette
maîtrise d'ouvrage. Le décret d’application de cette réforme de l’Etat,
réforme de simplification et de modernisation, est en cours d’élaboration.

Dans la majorité des DRAC, le nombre d'opérations en maîtrise d'ouvrage
de l’Etat sur les monuments ne lui appartenant pas a été
considérablement réduit et ne représente plus qu'un pourcentage
marginal de leur programmation de travaux en titre V. L'année 2007 sera
consacrée à réduire encore cette proportion et à mettre en place
l'assistance à maîtrise d'ouvrage prévue par l'ordonnance.

Quant à l’application de la LOLF au ministère de la Culture et de la
Communication, il est vrai qu’à l’examen du bilan de cette première année
de mise en oeuvre de la réforme budgétaire et comptable tous les
ministères ont encore des progrès à accomplir dans ce domaine, dans un
contexte difficile :

– notre ministère a choisi de manière volontariste des périmètres de
programme qui ne sont pas en phase avec l’organisation
administrative dans le souci de respecter l’esprit de la réforme, mais cette difficulté a été surmontée grâce à l’existence d’un collège
auprès de chaque responsable de programme permettant un pilotage
cohérent des politiques publiques tout en préservant la spécificité des
métiers de chacun ;

– en février 2006, après validation des responsables de programme,
une charte de gestion a été adoptée et vise à définir le rôle des
acteurs lors de la préparation du budget comme en gestion. Les
procédures qu’elle contient ont permis de préparer le PLF 2007 avec
une vision cohérente des programmes, validée par leurs
responsables.

Dernier point, les crédits relatifs aux personnels des services
déconcentrés sont effectivement rattachés au programme Transmission
des savoirs et démocratisation de la Culture. Ce choix a été validé par le
Comité interministériel d’audit des programmes en 2005 pour des motifs
de bonne gestion, puis invalidé par le même organisme en 2006 pour des
motifs de lisibilité ! Cette décision est-elle contraire à l’esprit de la LOLF ?

Non, puisque l’analyse des coûts permet une ré-affectation complète des
personnels dans les actions des programmes auxquels ils concourent.

Je voudrais répondre à une question souvent entendue et hier encore en
Commission des finances sur l’équilibre Paris-Province de nos
interventions.

Entre 2002 et 2007, la part des investissements de l’Etat en régions s’est
maintenue à un niveau légèrement supérieur à 50 % par rapport aux
investissements en Île-de-France, ce qui traduit la priorité accordée par le
ministère à l’aménagement culturel du territoire.

C’est ce gouvernement, et j’en suis fier, vous pouvez en être fiers, qui a
décidé et lancé les chantiers du Louvre à Lens et du Centre Pompidou à
Metz.

2007 est une année emblématique pour de grands projets régionaux,
comme le MUCEM à Marseille. 15 M€ d’autorisation d’engagement et 6
M€ de crédits de paiement seront consacrés en 2007 à ce projet.

De nombreux projets d’équipements artistiques sont en cours dans le
domaine du spectacle vivant, qui est mon autre grande priorité. A cet effet,
24 M€ sont prévus en 2007, qui concernent l’auditorium de Bordeaux,
l’auditorium d’Aix-en-Provence, la restauration du Théâtre national de
Bretagne, ou encore le Centre dramatique national de Montluçon.

La politique que je mène en faveur de la diversité culturelle, de la
création et de l’emploi, se traduit également dans le budget du cinéma.

Dans le secteur dynamique et créateur d’emplois de la production, et
de la création cinématographique et audiovisuelle, notre politique de
relocalisation des tournages, d’incitation et d’encouragement à
l’emploi, porte ses fruits, notamment grâce aux mesures de crédit
d’impôt, élargies à l’audiovisuel, mais aussi à l’addition des énergies,
aux partenariats, qui donnent, dans ces domaines en particulier, un
fort effet de levier aux actions de l’Etat.

Depuis l’introduction du crédit d’impôt, le nombre de semaines de
tournages en France a augmenté de 20%. L’efficacité de la mesure de
crédit d’impôt que vous avez votée, Mesdames et Messieurs les
Députés de la majorité, a permis de faire passer le nombre de
semaines de tournages en France des films français de 880 en 2003 à
un millier cette année. Et puisque votre commission de affaires
culturelles a décidé de porter, cette année, son regard sur l’action
culturelle internationale de la France, je tiens, Monsieur le Rapporteur
pour avis à vous féliciter pour la qualité de votre analyse.

Vous pouvez
être fiers, Mesdames Messieurs les Députés, de la bonne santé du
cinéma français, qui pour la première fois de son histoire, connaît plus
de spectateurs dans les autres pays du monde, qu’en France. C’est
dire combien la promotion de la diversité culturelle est une réponse
aux risques d’uniformisation et combien la culture est un atout de taille
pour notre pays dans la mondialisation actuelle, où la qualité et la
visibilité internationale de la création française est unanimement
reconnue, au moment même où la diversité culturelle entre dans le
droit international, et où, ce dont je ne suis pas peu fier, l’Union
Européenne a validé notre système d’aide au cinéma, ce qui est
d’abord la reconnaissance des talents et du travail des créateurs, des
artistes et des techniciens français.

C’est dans cette perspective que doit s’apprécier la progression de 2%
des crédits destinés au cinéma et à l’audiovisuel au sein du projet de
budget du Centre national de la cinématographie pour 2007.

Vous pouvez être fiers, Mesdames et Messieurs les Députés de la
majorité, des ouvertures de nouveaux lieux culturels, répartis sur
l’ensemble de notre territoire, permises par les budgets que vous avez
votés, ainsi, par exemple, dans les domaines de la musique et de la
danse :

– le Centre chorégraphique national d'Aix-en-Provence, en octobre 2006,
avec une participation de l’Etat de 2,7 M€ soit 45% ;

– le Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, en juin 2006,
avec un investissement de l’Etat de 1 220 000 € ;

– la Salle Pleyel, en septembre 2006. (Prise à Bail dans le cadre d'un
partenariat public/privé. Travaux pris en charge par le propriétaire : 27 M€/
Loyer Etat 1,5 M€ sur 50 ans ; Subvention de fonctionnement 5 M€ en
2007.)

– l’Opéra Comique : transformation en établissement public et ouverture
d'une importante campagne de travaux (+ de 40 M€) ;

– l’Extension des travaux de Radio France et la modernisation de
l'auditorium Olivier Messiaen (900 places) ;

– l’Ouverture du Centre national du costume de scène à Moulins
(théâtre/musique/danse). Avec une participation de l’Etat de 18M€, soit la
totalité de la réhabilitation ;

– Et je mentionnerai enfin l’ouverture du Centre national de la danse, en
juin 2004 à Pantin.

Vous pouvez être fiers, Mesdames et Messieurs les Députés de la
majorité, que les budgets que vous avez votés, aient permis l’ouverture de
nouveaux lieux emblématiques de la richesse de notre patrimoine, partout
en France.

Je mentionne :

– la réouverture au public du Grand Palais, entièrement restauré, après
10 ans de fermeture et de travaux et rendu à sa vocation culturelle et
artistique ;

– l’ouverture de la Cinémathèque française dans ses nouveaux locaux,
au 51 rue de Bercy ;

– la réouverture cette année du musée Granet d’Aix-en Provence,
après un chantier de près de dix ans ;

– l’inauguration cette année du musée national de l’Orangerie, après
six ans de travaux ;

– l’ouverture du musée du Quai Branly, institution sans équivalent sur
les arts et les civilisations du monde entier, illustration éclatante de la
force du dialogue des cultures;

– la réouverture du musée des Arts décoratifs, dans l’aile du Louvre.

J’ajoute au titre de ce projet de budget 2007, dans le domaine des
musées, le musée Fabre de Montpellier, le musée de Sarran ou le Musée
de l’Evéché de Limoges qui font partie des grands projets en cours.

Dans le domaine des arts plastiques, les travaux sont lancés pour la Cité
du design à Saint Etienne et l’investissement sur les FRAC de deuxième
génération se poursuit ( FRAC Auvergne, Bretagne, Franche Comté,
Picardie, PACA…).

Je tiens à préciser que l’estimation du coût de fonctionnement des
structures en cours de création est une préoccupation constante du
ministère.

Quelques exemples récents illustrent cette préoccupation :

– La cité de l’architecture et du patrimoine, que j’aurai le plaisir
d’inaugurer au printemps prochain, et où je vous invite à visiter le
pavillon d’About, d’ores et déjà ouvert ;

– Le Grand Palais, pour lequel une mission de préfiguration étudie
actuellement toutes les hypothèses de financement avant le
lancement des travaux d’aménagement intérieur indispensables ;

– La cité nationale de l’histoire de l’immigration, autre magnifique
exemple de la contribution de la culture et de la mémoire, à la
cohésion sociale.

Pour répondre à vos préoccupations sur certaines baisses de certaines
actions, il s’agit principalement de changements de périmètre.

Ainsi, les crédits de l’action « architecture » sont corrigés d’un transfert de
7 M€ au profit de l’action patrimoine monumental, ce qui explique leur diminution apparente. Le nouveau périmètre ne reflète donc, en aucune
manière, une baisse des crédits consacrés à la politique en matière
d’architecture, bien au contraire, puisque l’augmentation de l’action
« architecture », après corrections des divers effets de périmètre, s’élève
à 1%.

De même l'action « patrimoine cinématographique » est corrigée d’un
transfert de 2,5 M€ en AE (CP) au titre du regroupement des crédits du
CNC sur le programme Transmission des savoirs. La même raison
explique la baisse apparente des crédits de « l'action industries
culturelles», car 7,8 M€ gérés par le CNC sur cette action passent sur le
programme Transmission.

A périmètre constant, l’action « industries culturelles » est en
reconduction. C’est un domaine essentiel de mon action.

Les crédits de l’action éducation artistique sont en hausse de 500 000 €
hors masse salariale, soit une hausse de 1,7 % destinée à la poursuite du
plan de relance de l’éducation artistique. La baisse apparente ne
concerne que les crédits de personnel en raison du recalibrage des
programmes de la mission.

Si les crédits destinés aux politiques territoriales apparaissent en baisse,
c’est parce que les crédits de la DGD Corse ( 9,7 M€) sont transférés au
ministère de l’intérieur.

J’en viens, à l’occasion de ce budget, à l’emploi, qui est depuis 2004 au
coeur de ma politique culturelle, en particulier la question de l’emploi dans
le spectacle, à laquelle je me suis attelé dès le premier jour de ma prise
de fonctions.

Le gouvernement a pris acte de l'intention des confédérations
d'employeurs et de plusieurs confédérations de salariés de signer le
protocole d'accord relatif au dispositif spécifique d'assurance chômage
des artistes et des techniciens.

Ce texte, qui sera examiné dans le cadre de la demande d'agrément de
l'Etat, représente un résultat positif, d’abord parce qu’il est issu des
négociations entre les partenaires sociaux, mais surtout parce qu’il tourne
la page de la crise ouverte en 2003, dans la mesure où il est cohérent
avec une politique de l’emploi dans le spectacle – dont il constitue un des
éléments, mais qu’il ne structure plus à lui tout seul, comme naguère – et
où il corrige les plus graves défauts du protocole de 2003.

L’ensemble des travaux conduits dans le cadre de la politique d’emploi,
les expertises confiées à Jean-Paul Guillot, les travaux de la mission
d’information de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée
nationale et le rapport de la commission des affaires culturelles du Sénat,
les propositions émanant de différentes organisations, et en particulier du
Comité de suivi, ont éclairé les négociations entre les confédérations
comme les décisions du gouvernement, en vue de parvenir à un système
pérenne, articulant la solidarité interprofessionnelle et la solidarité
nationale.

Le nouveau système est constitué du projet de protocole du 18 avril 2006,
négocié par les partenaires sociaux, et du Fonds de professionnalisation
et de solidarité, mis en place et financé par l’Etat. Même s’il ne reprend
pas toutes les propositions qui avaient été émises, il est cohérent avec la
politique de l’emploi dans le spectacle et il assure une protection sociale
et professionnelle pour les artistes et les techniciens, à un niveau
qu’aucun autre système n’avait atteint auparavant.

Non, contrairement à ce que vous prétendez, Monsieur Bloche, il ne sape
pas, la solidarité interprofessionnelle : il la conforte, concrètement !

En effet, il garantit, par la décision des confédérations, le maintien du
régime spécifique d'assurance chômage des artistes et techniciens au
sein de la solidarité interprofessionnelle.

Il prend en compte le rythme d’activité et la saisonnalité spécifiques au
secteur du spectacle, qui permettent aux artistes et aux techniciens de
retrouver, pour la recherche de leurs droits, la période de référence
annuelle, qui correspond au rythme de l’immense majorité d’entre eux,
même si c’est au terme d’un mécanisme peut-être un peu complexe.

Il maintient un niveau d’indemnisation élevé, de 51 € en moyenne par jour
pour les artistes et de 60 € pour les techniciens (quand ce niveau est, en
moyenne, je le rappelle, dans le régime général, de 33 €).

Il maintient un seuil de 507 heures sur 12 mois tout au long de l'année
2007 soit pendant un an après la conclusion des premières conventions
collectives.

Il permet la déclaration, à l’intérieur des 507 heures, de 120 heures
maximum de formation dispensée par les artistes et les techniciens, pour
encourager le développement de l’enseignement artistique et pour
permettre aux artistes et aux techniciens de transmettre leur savoir et leur
expérience.

Il encourage à déclarer toutes les heures travaillées, et, avec la nouvelle
formule de calcul de l’allocation et l’abandon du salaire journalier de
référence, il prévoit des montants d’indemnisation proportionnels à la fois
à la rémunération et à la durée du travail effectué et déclaré. Il incite à
choisir des contrats plus longs. Ainsi, un artiste ou un technicien aura
toujours intérêt à choisir de travailler et à déclarer tout son travail, plutôt
que d’être indemnisé par l’assurance chômage. Ce n’était le cas ni dans le
système de 2003 – ni dans les systèmes qui l’ont précédé, Mesdames et
Messieurs les Députés de l’opposition !

Il prend en compte les congés de maternité, les congés de maladie dont le
traitement est remboursé à 100 % par l’Assurance Maladie ou ceux dont
la durée dépasse trois mois, les congés liés aux accidents du travail ; il
garantit le maintien de leurs allocations jusqu’à l’âge de la retraite pour les
artistes et techniciens qui ont dépassé 60 ans et demi.

Il prévoit enfin, c’était une revendication très ancienne qui n’avait jamais
été satisfaite, une allocation de fin de droits de 30 euros par jour lorsque
les artistes et techniciens arrivent au terme de leurs droits à indemnisation
et qu’ils ne peuvent pas bénéficier de l’allocation spécifique de solidarité
parce que leurs pratiques d’emploi spécifiques ne leur permettent pas d’en remplir les conditions. La durée de cette allocation, d’un montant de
30 € par jour, est modulable en fonction de l’ancienneté : 2 mois pour
ceux qui ont moins de 5 ans d’ancienneté, 3 mois, qui peuvent être versés
jusqu’à 2 fois pour ceux qui ont entre 5 et 10 ans d’ancienneté, 6 mois, qui
peuvent être versés jusqu’à 3 fois pour ceux qui ont plus de 10 ans
d’ancienneté.

Ainsi, un artiste ou un technicien pourra bénéficier de cette allocation de
fin de droits jusqu’à 6 fois dans son parcours – et le versement de cette
allocation sera accompagné d’un soutien professionnel adapté à la
situation et aux aspirations de chacun d’entre eux.

Pour toutes ces raisons, je pense qu’une page est définitivement tournée
et que nous engageons enfin la politique ambitieuse nécessaire pour
l'emploi dans le spectacle.

La culture, dans le monde d’aujourd’hui, est un capital d’avenir, et c’est
pourquoi le budget que je vous présente traduit un engagement fort de
l’Etat, que j’ai tenu à remplacer dans le cadre d’ensemble d’une politique
dédiée à l’emploi culturel, à la diversité culturelle, au patrimoine, à la
création.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, en vous
présentant ce budget, j’ai, en effet, d’abord voulu traduire la conviction qui
est la mienne, que la politique culturelle, au-delà même de la place sans
cesse croissante que les activités liées à la culture et la communication
tiennent dans la vie quotidienne de nos concitoyens, est l’une des clés de
l’avenir.

Et puisque l’Assemblée nationale a rendu hommage hier à la
grande voix d’André Malraux, qui s’est tue il y a bientôt trente ans, je tiens
enfin à vous dire combien l’ambition du fondateur de ce ministère
demeure intacte et continue à inspirer mon action : oui, à l’ère numérique,
la mission « de rendre accessibles les oeuvres capitales de l'humanité, et
d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français,
d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser
la création des oeuvres d'art et de l'esprit qui l'enrichissent » demeure plus
que jamais actuelle, nécessaire, urgente. Faire en sorte que chacun
dispose des moyens de construire son propre « Musée imaginaire »,
d’ouvrir sa propre « Maison de la Culture », pour créer et partager ses
rêves et ses projets, pour puiser dans ses racines la force d’inventer des
voies nouvelles, c’est une mission certes difficile, mais exaltante. C’est
une passion exigeante, mais féconde. Je n’en connais pas de plus belles.

Je remercie toutes celles et tous ceux qui partagent cette conviction et cet
engagement et qui, en adoptant ce budget, nous donneront les moyens
de les mener à bien.

Remise des insignes de chevalier de la Légion d'honneur à Yves Bourgade

14 novembre 2006

Cher Yves Bourgade,

Je suis très heureux de vous accueillir rue de Valois, pour honorer en vous une figure
éminente de l’univers des médias, un grand homme de culture, un journaliste réputé et un
grand critique dramatique et musical.

Né à Nouméa, c’est à Paris, à la Sorbonne, que vous suivez vos études de Lettres, avant
d’entrer à l’Agence France Presse (AFP), où vous entamez la brillante carrière à laquelle
vous destinaient votre plume brillante et votre insatiable appétit de culture. D’archiviste, vous
devenez pigiste régulier dans la section « Culture », puis le premier responsable de la
rubrique dédiée à la vie musicale et lyrique, créée dans le sillage du plan du renouveau
musical en France, lancé par Marcel Landowski.

Vous intégrez parallèlement la rédaction de l’AFP, en qualité de journaliste rédacteur,
d’abord au service Outre-mer, puis à celui des Informations générales.

En 1980, vous prenez en charge pour l'AFP les trois rubriques de musique classique, de
danse et de théâtre, fonctions que vous avez assumées, avec le talent que l’on connaît,
depuis un quart de siècle. Véritable mémoire vivante du spectacle vivant français, vous avez
accompagné, diffusé, et promu inlassablement notre vie culturelle dans vos innombrables
dépêches.

Vous avez fourni aux journalistes, et à leurs lecteurs, une matière précieuse, une chronique
foisonnante, au jour le jour, de l’actualité culturelle, alternant « avant-papiers », « papiers
généraux », « papiers d’angle », « comptes rendus », « reportages », en virtuose de
l’écriture journalistique. Vous avez suivi les représentations, brossé des portraits d’artistes,
interrogé des personnalités, dressé l’actualité des festivals, de la présentation du programme
au « compte rendu de mi-parcours », et au bilan. Le Festival d’Avignon, d’Aix, la Salle Pleyel,
la réhabilitation du Chevalier de Saint-Georges ou encore la création d’un opéra en langue
corse à Marseille, mais aussi toutes les mesures mises en place par ce ministère en faveur
du spectacle vivant : vous avez embrassé, de vos dépêches, un quart de siècle de culture, et
de vie artistique.

A l’heure où vous prenez une retraite de l’Agence France Presse amplement méritée, je
tiens à saluer la fidélité, la constance et l’intelligence de votre travail. Vous êtes, cher Yves
Bourgade, l’honneur de la presse française. Vous avez également exercé votre talent en
qualité de correspondant du Journal de Genève. De 1971 à 1988, vous y avez donné des
nouvelles de la vie culturelle de notre pays, avant de vous lancer, dès ses débuts, dans la
belle aventure du Figaroscope, dont vous assurez les critiques de musique classique.

Au début des années quatre-vingts, au titre de vos activités à l'AFP, vous êtes élu au comité
du Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale, devenu récemment le
Syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse, où vous siégez
toujours à l’heure actuelle. Vous en avez été élu par deux fois vice-président, et président,
pour quatre mandats, à la tête de la défense de l’activité de critique musical dans la presse
écrite et audiovisuelle.

Depuis janvier 2002, et après en avoir été membre, vous présidez, en tant que représentant
du Syndicat professionnel de la critique, la commission d'attribution de la carte nationale de
critique de théâtre, de musique et de cinéma, au sein de la Fédération nationale de la presse
française.

Je salue le rôle de tout premier plan que vous jouez dans la diffusion du spectacle vivant, un
rôle de passeur, de relais essentiel pour les artistes et leurs oeuvres, mais aussi pour la
défense de la noble profession de critique, dont Baudelaire disait qu’elle est « faite à un point
de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d'horizons. »

Votre oeuvre, car c’en
est une, nous en fournit une très belle et très vivace illustration.

Yves Bourgade, au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous
sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur.

Réponse à la question de Michel Françaix, député de l'Oise, lors de la séance de questions d’actualité à Assemblée Nationale

14 novembre 2006

Le gouvernement, Dominique de Villepin l’a rappelé il y a quelques jours, est un ardent
défenseur du pluralisme de la presse écrite et donc de la diversité de ses titres. La
préservation du pluralisme, au coeur de l’action que j’entends mener pour la presse de ce
pays, commande que tout soit mis en oeuvre pour la continuation de son activité. Depuis
2004, le budget des aides directes à la presse écrite a augmenté de plus de 30%. C’est un
effort sans précédent.

S’agissant de Libération, l’État ne méconnaît pas dans ce dossier son rôle de gardien du
pluralisme et met tout en oeuvre pour l’assumer.

Mon cabinet et mes plus proches collaborateurs ont reçu à plusieurs reprises les
responsables du journal et je suis moi-même totalement mobilisé.

Quel rôle peut jouer l’Etat pour être efficace ? Il doit accompagner un projet. Ce projet, c’est
le projet d’un journal, de l’équipe des journalistes qui le portent avec la passion et le
professionnalisme qu’on leur connaît.

Oui, ce gouvernement a pris des dispositions pour aider La presse écrite quotidienne
d’information politique et générale. Je teins à rappeler que ceux qui ici ont voté les derniers
budgets ont permis que, hors aide à la distribution, les aides directes versées à Libération
augmentent entre 2004 et 2005 de 26 %.

Votre Assemblée a adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2007 deux
dispositions fiscales tout à fait essentielles pour le renforcement des fonds propres des
entreprises de presse et donc pour le pluralisme. Ces mesures ont été proposées grâce à
l’engagement personnel du Premier Ministre.

Ainsi, le dispositif spécifique de provision pour investissements des entreprises de presse
(dit « du 39 bis »), qui venait à échéance à la fin de l’année, sera prorogé jusqu’en 2010 et
adapté pour mieux répondre aux besoins des entreprises puisqu’il sera étendu à la prise de
participation dans d’autres entreprises de presse ou des entreprises intervenant dans la
chaîne de fabrication ou de distribution de la presse.

Par ailleurs, un nouveau mécanisme de réduction de l’impôt sur les sociétés, pour les
entreprises entrant dans le capital des entreprises de presse éditant des publications
d’information politique et générale, sera mis en place.

Je vous annonce que cette mesure entre immédiatement en application. Elle permettra aux
actionnaires du journal de bénéficier de cette réduction d’impôt de 25 % sur le montant de
leur souscription en numéraire.

Enfin, le gouvernement examine comment inclure dans le champ du mécénat les
contributions, via des fondations ou des associations, de particuliers ou d’entreprises au
soutien des journaux d’opinion. Je poursuis avec mon collègue Jean-François COPE les
discussions sur la détermination des modalités opérationnelles de ce dispositif.

La situation du titre est tendue, certes, mais je ne veux pas m’associer au choeur des
Cassandre. Je souhaite que la solution qui sera retenue préserve à la fois la qualité du projet
éditorial et la viabilité du projet industriel. La clé de la réussite d’un titre réside en effet dans
l’alchimie subtile qui doit s’établir entre ces deux piliers.

Je pense aux équipes qui font chaque jour ce journal. Je pense à ses journalistes, à ses
techniciens, à ses administratifs et à ses commerciaux. Je sais les trésors d’enthousiasme et
de talent qui les animent. Et j’ai confiance dans la capacité du titre à reconquérir l’avenir.

Remise des insignes de chevalier dans l'Ordre national du mérite à Jean-Noël Pancrazi

14 novembre 2006

Cher Jean-Noël Pancrazi,

C’est une joie pour moi de vous accueillir, entouré de vos proches amis, confrères,
collègues, membres du jury Renaudot, et de personnalités du monde qui est le vôtre, celui
du livre, de l’édition, dans cette maison qui est aussi la vôtre, puisque j’ai le plaisir, et la fierté
de vous compter au nombre des collaborateurs de ce ministère, auquel vous prêtez votre
plume et votre talent, au sein de la direction du livre et de la lecture.

D’ascendance catalane et corse – et qui mieux que vous a su célébrer l’âpre beauté de cette
île que nous sommes nombreux à aimer, en contrepoint des superbes photographies de
Raymond Depardon ? – vous êtes né, non loin de l’autre rive de la Méditerranée, en Algérie,
dans le Constantinois, à Sétif. Vous portez, dans votre regard, dans votre voix, dans votre
sourire, la chaleur et la lumière du Sud. Comme tant de nos compatriotes, vous avez vécu le
déracinement déchirant du retour obligé en métropole, en 1962. Comme l’auteur de
L’Etranger, vous gardez le souvenir indélébile de vos racines, qui puisent leurs sources dans
les richesses humaines et culturelles de cette terre de lumière, mais aussi, comme une
fêlure intime, la trace secrète de la blessure qu’a représentée sa perte.

Vous poursuivez, à Perpignan, des études classiques qui vous mènent bientôt dans notre
capitale, où vous passez avec succès, en 1972, l’agrégation de Lettres modernes. Nommé
professeur de collège, vous dispensez également des cours de littérature comparée à
l’Université de Paris-Sorbonne, où vous a fait entrer votre maître Pierre Brunel. C’est pour
répondre à son invite que vous publiez votre premier ouvrage deux ans plus tard, aux
éditions Hatier, un essai universitaire sur Mallarmé, auquel vous souhaitez consacrer une
thèse.

Vous y renoncez cependant, et décidez de donner un autre cours à votre vie, en la vouant,
car c’est une véritable vocation, non pas à l’analyse, ou à l’histoire, mais à la création
littéraire. Et vous continuerez d’enseigner de longues années encore dans différents
collèges, avant de partir en disponibilité durant six ans, pour devenir conseiller littéraire chez
Calmann-Lévy et chez Fayard.

Après avoir été détaché auprès de ce ministère en 1998, au sein de la délégation au
développement et à l’action territoriale, vous rejoignez, en 2001, la direction du livre et de la
lecture, où vous suivez les dossiers intéressant la vie littéraire. En 2004, vous intégrez le
corps des conservateurs de bibliothèques, vous inscrivant dans une belle et brillante
tradition, à la suite, notamment, de Georges Bataille, Anatole France, Leconte de Lisle,
Charles Nodier, et tant d’autres noms illustres de notre littérature, au nombre des écrivains
bibliothécaires.

Depuis 1985, vous collaborez au Monde des livres, et en 1999, vous devenez membre du
jury du prestigieux Prix Renaudot. Esprit curieux, ouvert, pénétrant, sans cesse en éveil,
vous aimez par dessus tout aller à la rencontre de vos lecteurs, où qu’ils soient, dans le
monde entier, comme tout récemment encore, dans le cadre d’un cycle de conférences
prononcées en Chine.

Mais s’il ne fallait retenir qu’une date de votre parcours, ce serait 1979, celle de la publication
de votre premier roman, au Seuil, intitulé La Mémoire brûlée. Date importante pour nous, vos
lecteurs, car depuis lors, vous bâtissez une oeuvre de tout premier plan dans le domaine de
la fiction. Dussent votre extrême modestie et votre constante discrétion en souffrir, cher
Jean-Noël Pancrazi, je tiens à saluer en vous l’héritier d’une double tradition de notre histoire
littéraire.

La première relève de la peinture du coeur humain, ou des passions, au sens où
l’entendaient les moralistes du Grand Siècle, leurs élans, leurs intermittences, leurs ravages
aussi. Dans vos romans et vos récits, où souvent narrateur et auteur semblent se confondre,
vous excellez à disséquer les nuances les plus subtiles des sentiments amoureux, des
attachements qui se nouent et se jouent au fil des vies entrecroisées.

C’est en effet l’amour dans toutes ses manifestations, et toutes ses ambiguïtés, qui me
paraît constituer un fil conducteur majeur de votre oeuvre ; filial, dans Renée Camps et Long
séjour ; amical, dans Tout est passé si vite ; passionnel et charnel, dans Les Quartiers
d’hiver et votre dernier opus, Les dollars des sables.

Pour autant, cette exploration minutieuse des passions humaines, loin de constituer une
analyse éthérée, sèche et abstraite, s’ancre davantage dans la réalité la plus concrète de la
société contemporaine : ainsi de votre évocation de la violence qui règne en République
dominicaine, violence qui rejaillit, symboliquement, sur les relations complexes et
ambivalentes, et pourtant abouties et réelles, qui se nouent entre le narrateur occidental et
ses amours caribéennes. Avec Les dollars des sables, vous élargissez votre univers
romanesque, jusqu’alors marqué par l’intimisme et l’introspection, à une approche
empathique des êtres et des choses de ce monde, que j’oserais qualifier du beau nom
d’humanisme.

Cette transfiguration de la réalité, qui nous aide à la mieux comprendre, et au fond à tenter
de mieux nous connaître, vous y parvenez grâce au patient et constant travail, au labeur de
l’écriture. Car vous appartenez, cher Jean-Noël Pancrazi, à cette lignée ininterrompue
depuis Malherbe et Boileau, des artisans, patients et subtils, des serviteurs dévoués de la
langue française, qui, au-delà de l’Art poétique, vingt fois sur le métier remettent leur
ouvrage, le polissent sans cesse, et le repolissent, pour donner, selon la célèbre formule
mallarméenne, « un sens plus pur aux mots de la tribu ».

Comme vous l’avez déclaré, vous cherchez à « trouver les mots, l’expression exacte pour ne
pas trahir, créer une sorte de pli. De pli qui nous oblige à réfléchir », exact pendant à cette
affirmation d’un autre de vos auteurs de prédilection, Gustave Flaubert : « à force de
chercher, je trouve l’expression juste, qui était la seule et qui est, en même temps,
l’harmonieuse ».

Ce souci de la « belle ouvrage » vous conduit d’ailleurs à privilégier l’ampleur de la phrase,
quitte à réhabiliter et à favoriser la génération spontanée des points-virgules, qui la scandent,
à l’orner de métaphores, et à recourir sans hésitation à l’emploi de l’imparfait du subjonctif,
lui aussi injustement voué à la désuétude. C’est également ce travail sur la langue qui vous
permet sans doute de surpasser aisément la crainte de l’assèchement de la plume, qui
parfois succède à l’obtention de nombreuses et prestigieuses distinctions, parmi lesquelles je
retiendrai le Médicis, le grand prix de l’Académie française et celui que vous ont décerné les
lecteurs de France-Inter.

Loin d’une confiance aveugle dans le jaillissement dionysiaque de l’inspiration, vous vous
inscrivez au contraire dans cette continuité des grands orfèvres de notre langue et de notre
littérature, de ceux qui sculptent, liment, cisèlent – selon le voeu de Théophile Gautier – dans
cette grande tradition artistique et apollinienne de l’écriture, qui fait au créateur privilégier la
musicalité, la justesse et la précision de l’expression, veine créatrice qui culmine avec
Flaubert et Mallarmé au risque de l’inachèvement du Livre.

Par votre oeuvre, vous nous prouvez que cette quête du Beau et du Vrai, que vous nous
faites partager, grâce à cette écriture cathartique visant à l’ordonnancement du monde, et
donc à la compréhension et à l’apaisement qu’elle procure, ne s’interrompent pas avec Le
vierge, le vivace et le bel aujourd’hui.

Cher Jean-Noël Pancrazi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs
qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier dans l’ordre national du Mérite.

Visite du lycée Descartes de Tours en présence d’Abdou Diouf

10 novembre 2006

Monsieur le Président,

Madame le Recteur de l’Académie d’Orléans-Tours,

Monsieur l’Inspecteur d’Académie d’Indre-et-Loire,

Monsieur le Proviseur du Lycée Descartes,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

C’est un très grand plaisir et un grand honneur pour moi d’être présent parmi vous
aujourd’hui pour cette journée placée sous le signe de la francophonie, de la diversité et de
l’ouverture à l’autre. La ville de Tours, grande ville universitaire, et le prestigieux lycée
Descartes, qui a traversé deux siècles d’histoire et s’ouvre aujourd’hui plus que jamais à la
modernité, ont la chance d’accueillir une personnalité lumineuse, M. le Président Abdou
Diouf, Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, emblème de la
mobilisation de tous les francophones au service de la diversité linguistique qui est l’un des
aspects les plus vivants, les plus dynamiques, de la diversité culturelle.

Si ces murs, qui auront deux cents ans l’an prochain, pouvaient parler, ils nous raconteraient
les premiers pas dans l’enseignement de celui qui allait devenir l’illustre poète, homme
politique, la grande voix de l’universel, dont nous célébrons cette année le centenaire, au
titre des commémorations nationales soutenues par le ministère de la Culture et de la
Communication.

Mais, Léopold Sédar Senghor fut d’abord professeur. Après l’hypokhâgne et la khâgne à
Louis-le-Grand, où il fut notamment le condisciple de Georges Pompidou, dont il devint l’ami,
après la Sorbonne, où il fut le premier Africain agrégé de l’Université, c’est en effet ici, au
Lycée Descartes qu’il commença sa carrière. Il découvre notre belle ville de Tours à la
rentrée scolaire de 1935. Nommé professeur de lettres au lycée René-Descartes, il enseigne
aux classes de sixième le français et les langues classiques – latin et grec, jusqu’en 1938.

Et M. le Directeur des archives départementales d’Indre-et-Loire a récemment retrouvé,
parmi les documents dont il a la garde, un brouillon de l’évaluation par le proviseur de
l’époque, que je ne résiste pas au plaisir de vous lire :
1935 : « M. Senghor
a l'inexpérience d'un débutant, mais montre beaucoup de bonne volonté. Les élèves se sont
habitués à sa couleur" !

Décembre 36 : « A profité de l'expérience acquise l'année dernière. En grand progrès" !

Décembre 37 : « Est devenu un très bon professeur, apprécié des familles, réussissant très
bien" !

Pendant que l’administration de l’éducation nationale enregistrait ses progrès, le professeur
qui était avant tout homme de lettres, ne cessait de fréquenter la librairie Tridon, aujourd’hui
disparue, rue Nationale, où il se nourrit de langue et de culture françaises, avec lesquelles il
entretient une relation passionnée.

Léopold Sédar Senghor habite alors boulevard Heurteloup, où il se consacre à l’écriture : les
premiers poèmes qui constitueront le recueil Hosties noires, publié en 1948, ont été écrits à
Tours.

Tout au long de sa vie, et aujourd’hui encore, Léopold Sédar Senghor incarne le dialogue
entre les cultures et les langues. Dans un hommage publié au lendemain de sa disparition,
Erik Orsenna l’a ainsi décrit :
« Un grammairien, c’est-à-dire un gourmand de règles sous le désordre du monde.
Un poète, c’est-à-dire un chasseur d’échos secrets.
Un démocrate, c’est-à-dire un respectueux de la dignité humaine »

Léopold Sédar Senghor est passé avec aisance d’une culture à une autre, conservant intact
son amour pour son « Royaume d’enfance », cette terre de l’Afrique où il est né, au sud de
Dakar, tout en s’interrogeant sur la possibilité d’une « civilisation de l’universel », par
métissage, qui demeure à la fois une référence et un projet pour notre temps. Visionnaire,
chantre de cette négritude qu’il inventée, avec Aimé Césaire, qui fut également son
condisciple à la Sorbonne, et que j’ai eu la chance immense de rencontrer le 23 septembre
dernier, lors de ma visite à Fort-de-France, pionnier de la Francophonie, il a compris très tôt
le rôle capital de la diversité culturelle et linguistique, la richesse de la polyphonie des
identités et des expressions. Il fut un précurseur. Il nous a ouvert le chemin.

Ce message, la communauté internationale le mettra en oeuvre, grâce notamment à la
Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
adoptée à la quasi unanimité à l’Unesco en octobre 2005 et activement soutenue, Monsieur
le Secrétaire général, par votre propre action, par la mobilisation de la Francophonie.

Amoureux du français, « Soleil qui brille hors de l’hexagone », suivant ses mots, Léopold
Sédar Senghor a rêvé que cette langue rassemble tous les peuples des cinq continents qui
la parlent, en « symbiose des énergies dormantes ».

Cette réalité de la force politique des francophones, Monsieur le Secrétaire général de
l’Organisation internationale de la Francophonie, vous l’incarnez brillamment, avec
l’impulsion et l’énergie que vous transmettez aux responsables politiques, mais aussi
économiques, culturels, diplomatiques, des 68 Etats réunis autour de vous.

A l’heure de célébrer le centième anniversaire de la naissance de celui qui fut le père de la
Francophonie, et dont vous avez été le plus proche collaborateur, conseiller, ministre puis
Premier ministre, avant de lui succéder à la présidence de la République du Sénégal, je suis
très heureux que nous célébrions ensemble, dans ce lycée haut en symbole, les couleurs
des littératures, des cultures, mais aussi des valeurs, des convictions et des projets des pays
qui ont notre langue en partage. Et nul autre que vous, Monsieur le Président, ne pouvait les
porter de façon plus éminente, comme les a portées, en son temps, le professeur qui fit ses
premières classes dans ce lycée.

Qu’est-ce que la Francophonie ? Quels en sont ses enjeux, à l’heure de la mondialisation ?

Que représente-t-elle pour vous, qui êtes étudiants aujourd’hui, et qui en serez, demain, je le
souhaite, à votre tour, les ambassadeurs et les relais ?

« Fille de la liberté et soeur de l’indépendance », ainsi que la qualifiait Léopold Sédar
Senghor, qui appelait de ses voeux, dès 1948, la création d’un « Commonwealth à la
française », l’organisation internationale de la Francophonie réunit soixante-huit Etats
membres ou associés, en une véritable communauté culturelle, qui puise dans les liens de
l’histoire, de la langue et de la littérature la force d’une amitié indéfectible.

La Francophonie, c’est cette communauté à la fois unie et extraordinairement diverse, qui
apporte une réponse brillante au défi du siècle qui s’annonce : établir un dialogue constructif,
fécond, entre des identités et des cultures différentes, dans le respect de chacune d’elles.

La Francophonie, c’est la croyance profonde en l’égale dignité, en l’égal intérêt, en l’égale
richesse des cultures du monde.

La Francophonie, c’est l’amour d’une langue, le français, la foi en les valeurs de tolérance,
d’humanisme et de respect qu’elle véhicule.

La Francophonie, c’est enfin un hymne à la curiosité, à l’ouverture d’esprit, qui sont les
maîtres mots des filières d’excellence que vous avez choisies. Sortez des sentiers battus,
abandonnez-vous au plaisir de la découverte de nouveaux auteurs, de nouvelles cultures, de
nouvelles écritures, laissez-vous surprendre et charmer par les infinies variations de notre
langue, dans tous les pays !

Car une langue, c’est avant tout quelque chose qui vit, qui vibre, que les auteurs nourrissent
et renouvellent en permanence, chahutent parfois, réinventent souvent.

Et la plus belle façon
de penser et d’exprimer cette diversité que nous appelons de nos voeux ne vient-elle pas
d’une « torsion » de notre langue, d’un néologisme formidable que Jean Bernabé, Patrick
Chamoiseau, et Raphaël Confiant, trois grandes figures de la littérature martiniquaise, ont
fait surgir dans leur Eloge de la créolité : la diversalité, métissage entre la diversité et
l’universalité ?

La diversalité contre l’uniformité. La « diversalité » contre l’ignorance. La « diversalité » pour
le dialogue des cultures du monde.

Ce qui fait la force et la grandeur de notre langue, à travers le monde, c’est cette rencontre
avec la culture de l’Autre, c’est cette ouverture, c’est cet échange, c’est cet engagement.

Avant de vous céder la parole, Monsieur le Président, je tiens à vous remercier très
chaleureusement, à titre personnel et en notre nom à tous, de porter cette parole, cette force
et cette sagesse de la Francophonie jusqu’au coeur de notre ville.

Je vous remercie.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres à Jean-Michel Othoniel

9 novembre 2006

Cher Jean-Michel Othoniel,

Je suis très heureux de vous recevoir rue de Valois, à deux pas de la
place Colette et de cette station de métro que vous avez revisitée de
votre palette baroque inimitable, de ce Kiosque des noctambules qui
porte haut, aujourd’hui, au coeur de Paris, les couleurs, les formes et
la poésie de votre art.

Un art aux expressions multiples – sculpture, dessin, photographie,
écriture, danse et vidéo – nourri de vos mythologies personnelles, un
art qui a trouvé un terreau privilégié à l’Ecole nationale supérieure
d’art de Cergy Pontoise, puis, comme de nombreux autres talents de
votre génération, à la Fondation Cartier, qui vous a offert un soutien
indéfectible, depuis vos débuts. Et vos débuts sont précoces, et déjà
expérimentaux, puisque vous vous passionnez très tôt pour des
matériaux rares dans le monde de la sculpture, comme la cire, le
phosphore et le plomb, avec une prédilection pour le soufre.

Mais c’est votre rencontre avec le verre qui sera véritablement
déterminante pour votre oeuvre. Lors d’un voyage dans les îles
Eoliennes, vous tombez en arrêt devant l’obsidienne, précieuse roche
noire dont vous admirez la profondeur et la beauté. Pendant trois ans,
vous tenterez de la reproduire artificiellement, au Centre international
de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva), à Marseille.

Votre oeuvre d’alchimiste achevée, grâce à Saint-Gobain Recherches,
vous faites de cet équivalent de l’obsidienne le matériau de trois
sculptures miroirs.

C'est également au Cirva que vous découvrez le verre soufflé, matière
ludique et vivante, reine des métamorphoses et des possibles, que
vous intégrez dans votre oeuvre à partir de 1993. Vous rencontrez le
maître verrier Oscar Zanetti à Murano, et vous réalisez à Venise, mais
également au Cirva, des perles creuses et colorées, vaste trésor que
vous sèmerez dans plusieurs capitales européennes de l’art, en leur
offrant des sculptures féeriques. Lauréat de la Villa Médicis, à Rome,
en 1996, vous suspendez des colliers de verre dans ses jardins, puis
aux arbres de la Collection Peggy Guggenheim de Venise, et enfin à
l’Alhambra et au Generalife de Grenade.

« J’adore que les gens n’aient pas que de l’utilitaire, affirmez-vous,
mais aussi du beau, des choses sur lesquelles réfléchir. Le rôle
politique de l’artiste, c’est de sublimer la ville ! » Avec le Kiosque des
noctambules, vous bercez de votre poésie enchanteresse le quotidien
des Parisiens.

Je tiens à saluer l’alliance, que vous avez toujours prônée et prouvée, de
la création avec les métiers d’art. Par la force de votre talent, et de votre
créativité, c’est tout un secteur de l’artisanat d’art, et au-delà, de
l’économie et du rayonnement de notre pays, que vous entraînez, que
vous contribuez à faire vivre et à renouveler. C’est l’attractivité même de
la France, et son dynamisme, que vous stimulez, en vous appuyant sur la
virtuosité technique, et l’excellence des savoir-faire de nos artisans, dans
le domaine du verre, mais aussi de la haute couture. Vous avez en effet
produit des pièces textiles, et notamment Glory Holes ou encore I believe
in fairies, pièces que le public a pu découvrir lors de l'itinérance de
« Métissages », exposition consacrée aux rencontres entre artistes et
artisans d'art travaillant le textile, à l’initiative du ministère de la Culture et
de la Communication.

Après la réalisation d’un CD-Rom joliment intitulé Une ombre dans ta
fenêtre, en 1999, avec le concours de plusieurs institutions publiques et
privées parmi lesquelles la Délégation aux arts plastiques, le Fresnoy et la
Caisse des Dépôts et consignations, après plusieurs expositions
marquantes, et notamment, en 2003, au Musée d’Art Moderne de Saint
Étienne, votre ville natale, vous vous consacrez à un grand projet, préparé
depuis longtemps, avec la Fondation Cartier, Crystal Palace.

Ce palais baroque, véritable décor de conte de fées, est à nouveau le fruit
d’une collaboration étroite et féconde avec des artisans qualifiés dans le
verre, de l’atelier Salviati de Murano, et du Cirva, mais également dans le
textile, la broderie, la passementerie et le feutre. « Le verre est tellement
complexe, avez-vous dit, il y a tant de techniques et de mondes différents
à découvrir, que je prends toujours beaucoup de plaisir à l’utiliser.

L’échange avec le verrier lors du soufflage est pour moi primordial. Son
geste est toujours d’une grande tendresse. »

Colliers de verre, lit à baldaquin, bocaux lumineux, univers aux couleurs et
aux transparences diluées, comme les aquarelles préparatoires
également exposées, votre Palais a littéralement ravi les visiteurs,
emportés dans ce monde à la fois sensuel, tendre et onirique.

C’est ce même univers de conte de fées que vous avez offert à la Ville de
Rochefort-sur-Mer, en exauçant le voeu de Pierre Loti, qui y était né, de
mettre en scène son Petit théâtre de Peau d’Âne. Aux petites
marionnettes de pâte à sel, d’allumettes, de noyaux de cerises et de
chiffons bricolées par le grand écrivain quand il était enfant, d’après le
conte de Charles Perrault, vous avez façonné un écrin de perles de verre
multicolores, de broderies et de dentelles délicates. Exposé au théâtre de
la Coupe d'Or, à Rochefort-sur-Mer, de décembre 2004 à janvier 2005, le
Petit Théâtre de Peau d'Ane a été présenté au Théâtre du Châtelet, à
Paris, l’année dernière.

En véritable orfèvre, vous avez paré les musées et les villes de vos joyaux
de verre. Vous avez également offert, à mes côtés, à Madame Claude
Pompidou un somptueux collier, qu’elle porte très souvent, symbole de
votre amitié et de votre admiration pour les nobles causes que sa
Fondation soutient. Lorsque cette Fondation a fait appel à des artistes,
pour la création de Miroirs présentés à la Fiac, et dont les bénéfices ont
servi à financer la construction, à Nice, d'une nouvelle maison qui
accueillera des malades atteints de la maladie d'Alzheimer, vous avez
répondu présent, et je tiens à saluer, aujourd’hui, votre grande et belle
générosité.

Quel écrin plus emblématique un magicien du verre pouvait-il rêver pour
ses oeuvres, que la prestigieuse voûte cristalline du Grand Palais ? Sa
verrière a offert un écho magnifique aux couleurs, à la rêverie et à la
transparence de votre Barque des larmes, exposée cette année lors de
l’exposition La Force de l’art, dédiée à la création contemporaine.

Je rends hommage à un très grand artiste français, à la renommée
internationale, qui a su s’appuyer sur la richesse des savoir-faire de nos
artisans d’art pour donner forme et corps aux infinies variations et
métamorphoses nées de son imagination.

Je tiens à vous dédier ces vers d’Apollinaire, vibrant appel à tous ceux qui
« combattent aux frontières de l’illimité et de l’avenir » :

« Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité. »

Jean-Michel Othoniel, en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous
vous faisons chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur à Hervé Télémaque

9 novembre 2006

Cher Hervé Télémaque,

Je suis très heureux de vous recevoir aujourd’hui au ministère de la
Culture et de la Communication. Vous êtes un immense artiste, qui a
su puiser dans la force de ses racines, dans la richesse des amitiés
qu’il a nouées, et des continents qu’il a traversés et aimés, la
puissance d’une écriture artistique unique.

C’est à Port-au-Prince, où vous êtes né, que vous passez vos vingt
premières années, avant de vous envoler pour New York. Cette
première période de votre vie, dans cette île aux mille visages,
marquera profondément votre oeuvre. Une oeuvre magique, qui
transforme et éclaire notre regard sur le monde, les choses et les
hommes.

A New York, vous entrez à l’Art Student’s League, où vous étudiez
avec Julian Levi. Pendant ce séjour aux Etats-Unis, vous vous
imprégnez de l’expressionnisme abstrait, et vous vous nourrissez
également du surréalisme tel qu’il a été réinterprété par les artistes
américains comme Arshile Gorky.

Mais c’est avec le Pop Art que vous trouvez véritablement votre voie.
Dès 1959, votre peinture Sirène marque votre originalité. Faisant
référence aux sirènes des bateaux que vous entendiez depuis votre
chambre de Brooklyn Heights, elle ancre votre peinture dans la réalité,
bien que largement revisitée par votre talent et votre imagination, et la
détourne de l’abstraction.

Vous vous installez à Paris en 1961, et vous fréquentez les
Surréalistes, mais sans adhérer formellement à leurs préceptes et à
leur groupe. Atypique, hors norme, vous entendez bien inventer votre
propre vocabulaire plastique, votre propre univers artistique. Un
univers très tôt foisonnant, composite, depuis votre travail pictural
jusqu’à vos recherches, dès 1963, sur les objets du quotidien, poids,
cors de chasse, canne d’aveugle, chaussures de tennis, sousvêtements,
tentes de camping, dont vous faites le matériau privilégié
de vos sculptures.

Vous vous démarquez également de l’abstraction lyrique ou
géométrique, comme des formalistes pop très présents à Paris. Vous
participez en 1964 à l’aventure de la Figuration narrative, aux côtés
d’artistes tels que Peter Klasen, Jacques Monory, Bernard Rancillac,
Oyvind Fahlström, que le critique Gérard Gassiot-Talabot réunit dans
l’exposition intitulée « Mythologies quotidiennes », au Musée d’art
moderne de la ville de Paris.

En 1964 également, vous abandonnez « la subjectivité de la peinture à
l’huile » pour la peinture acrylique et vous avez recours à la série, dont
vous dites qu’elle naît, chez vous, « d’une insatisfaction, de l’espoir d’un
enrichissement, d’un ajustement final ». Mais, en 1968, vous abandonnez
totalement, et provisoirement, la peinture pour vous consacrer
exclusivement aux « objets inventés », vos « sculptures maigres », que
vous percevez comme « le sommet de votre travail, épiphanie en quelque
sorte de la forme ».

Bois, toile, cannes, tissus, métal, craie, vous pliez, brisez, tordez et
assemblez les objets et les matériaux, pour mieux vous moquer de
l’ailleurs et de l’évasion poétiques exaltés par Baudelaire, comme du
discours sur la peinture engagée et politique. Virtuose des associations
inédites et surprenantes, vous êtes un véritable alchimiste des matières et
des formes, parsemant votre oeuvre d’objets, d’animaux, et de mots qui
narrent, à chaque fois, des histoires différentes, étranges et imprévues.
Alchimie que l’on retrouve, dans les années quatre-vingt dix, lorsque vous
mélangez des pigments de couleurs et du marc de café pour faire surgir
des couleurs lourdes, puissantes et uniques.

Unique, tel est le mot qui qualifie sans doute le mieux votre oeuvre. Libre,
aussi, de tout embrigadement, de tout dogme, libre de s’enrichir
d’influences sans s’y enfermer, libre de poursuivre des recherches
incessantes sur la forme et la matière, libre d’interpréter le quotidien, et
d’en faire surgir des métaphores inattendues, libre de passer d’un format
à un autre, d’une série à une autre, d’une technique à une autre, et
d’explorer sans cesses les infinies possibilités de votre imagination, de
votre art et de votre talent.

Vous avez emprunté à la publicité, aux médias, à la bande dessinée leur
vocabulaire graphique, pour mieux les détourner. Vous avez érigé le
papier calque en matériau d’art à part entière, sculpté des bas-reliefs à la
scie-sauteuse, et fait des « maisons rurales » et des ânes de merveilleux
objet d’étude. Vous avez puisé votre inspiration aussi bien chez les
dessinateurs satiriques, comme Plantu et Poncho, auxquels vous avez
rendu hommage, que de vos fréquents voyages en Afrique, dont vous
avez tiré une superbe Série, Trottoirs d’Afrique, en 2000.

Le musée de la Poste vous a consacré, l’année dernière, une exposition
intitulée « Hervé Télémaque, du coq à l’âne », rendant hommage à votre
inspiration sans borne, à votre génie créateur qui ne semble connaître
aucune limite, et qui invite le spectateur à inventer son propre parcours
artistique, culturel, spirituel.

Aimé Césaire, que j’ai eu la chance immense de rencontrer le 23
septembre dernier, lors de ma visite à Fort-de-France, a écrit : « L’homme
de culture doit être un inventeur d’âmes ». Vous en êtes l’une des plus
belles illustrations.

Hervé Télémaque, au nom du Président de la République et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion
d’honneur.