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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres à Jean-Michel Othoniel

Cher Jean-Michel Othoniel,

Je suis très heureux de vous recevoir rue de Valois, à deux pas de la
place Colette et de cette station de métro que vous avez revisitée de
votre palette baroque inimitable, de ce Kiosque des noctambules qui
porte haut, aujourd’hui, au coeur de Paris, les couleurs, les formes et
la poésie de votre art.

Un art aux expressions multiples – sculpture, dessin, photographie,
écriture, danse et vidéo – nourri de vos mythologies personnelles, un
art qui a trouvé un terreau privilégié à l’Ecole nationale supérieure
d’art de Cergy Pontoise, puis, comme de nombreux autres talents de
votre génération, à la Fondation Cartier, qui vous a offert un soutien
indéfectible, depuis vos débuts. Et vos débuts sont précoces, et déjà
expérimentaux, puisque vous vous passionnez très tôt pour des
matériaux rares dans le monde de la sculpture, comme la cire, le
phosphore et le plomb, avec une prédilection pour le soufre.

Mais c’est votre rencontre avec le verre qui sera véritablement
déterminante pour votre oeuvre. Lors d’un voyage dans les îles
Eoliennes, vous tombez en arrêt devant l’obsidienne, précieuse roche
noire dont vous admirez la profondeur et la beauté. Pendant trois ans,
vous tenterez de la reproduire artificiellement, au Centre international
de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva), à Marseille.

Votre oeuvre d’alchimiste achevée, grâce à Saint-Gobain Recherches,
vous faites de cet équivalent de l’obsidienne le matériau de trois
sculptures miroirs.

C'est également au Cirva que vous découvrez le verre soufflé, matière
ludique et vivante, reine des métamorphoses et des possibles, que
vous intégrez dans votre oeuvre à partir de 1993. Vous rencontrez le
maître verrier Oscar Zanetti à Murano, et vous réalisez à Venise, mais
également au Cirva, des perles creuses et colorées, vaste trésor que
vous sèmerez dans plusieurs capitales européennes de l’art, en leur
offrant des sculptures féeriques. Lauréat de la Villa Médicis, à Rome,
en 1996, vous suspendez des colliers de verre dans ses jardins, puis
aux arbres de la Collection Peggy Guggenheim de Venise, et enfin à
l’Alhambra et au Generalife de Grenade.

« J’adore que les gens n’aient pas que de l’utilitaire, affirmez-vous,
mais aussi du beau, des choses sur lesquelles réfléchir. Le rôle
politique de l’artiste, c’est de sublimer la ville ! » Avec le Kiosque des
noctambules, vous bercez de votre poésie enchanteresse le quotidien
des Parisiens.

Je tiens à saluer l’alliance, que vous avez toujours prônée et prouvée, de
la création avec les métiers d’art. Par la force de votre talent, et de votre
créativité, c’est tout un secteur de l’artisanat d’art, et au-delà, de
l’économie et du rayonnement de notre pays, que vous entraînez, que
vous contribuez à faire vivre et à renouveler. C’est l’attractivité même de
la France, et son dynamisme, que vous stimulez, en vous appuyant sur la
virtuosité technique, et l’excellence des savoir-faire de nos artisans, dans
le domaine du verre, mais aussi de la haute couture. Vous avez en effet
produit des pièces textiles, et notamment Glory Holes ou encore I believe
in fairies, pièces que le public a pu découvrir lors de l'itinérance de
« Métissages », exposition consacrée aux rencontres entre artistes et
artisans d'art travaillant le textile, à l’initiative du ministère de la Culture et
de la Communication.

Après la réalisation d’un CD-Rom joliment intitulé Une ombre dans ta
fenêtre, en 1999, avec le concours de plusieurs institutions publiques et
privées parmi lesquelles la Délégation aux arts plastiques, le Fresnoy et la
Caisse des Dépôts et consignations, après plusieurs expositions
marquantes, et notamment, en 2003, au Musée d’Art Moderne de Saint
Étienne, votre ville natale, vous vous consacrez à un grand projet, préparé
depuis longtemps, avec la Fondation Cartier, Crystal Palace.

Ce palais baroque, véritable décor de conte de fées, est à nouveau le fruit
d’une collaboration étroite et féconde avec des artisans qualifiés dans le
verre, de l’atelier Salviati de Murano, et du Cirva, mais également dans le
textile, la broderie, la passementerie et le feutre. « Le verre est tellement
complexe, avez-vous dit, il y a tant de techniques et de mondes différents
à découvrir, que je prends toujours beaucoup de plaisir à l’utiliser.

L’échange avec le verrier lors du soufflage est pour moi primordial. Son
geste est toujours d’une grande tendresse. »

Colliers de verre, lit à baldaquin, bocaux lumineux, univers aux couleurs et
aux transparences diluées, comme les aquarelles préparatoires
également exposées, votre Palais a littéralement ravi les visiteurs,
emportés dans ce monde à la fois sensuel, tendre et onirique.

C’est ce même univers de conte de fées que vous avez offert à la Ville de
Rochefort-sur-Mer, en exauçant le voeu de Pierre Loti, qui y était né, de
mettre en scène son Petit théâtre de Peau d’Âne. Aux petites
marionnettes de pâte à sel, d’allumettes, de noyaux de cerises et de
chiffons bricolées par le grand écrivain quand il était enfant, d’après le
conte de Charles Perrault, vous avez façonné un écrin de perles de verre
multicolores, de broderies et de dentelles délicates. Exposé au théâtre de
la Coupe d'Or, à Rochefort-sur-Mer, de décembre 2004 à janvier 2005, le
Petit Théâtre de Peau d'Ane a été présenté au Théâtre du Châtelet, à
Paris, l’année dernière.

En véritable orfèvre, vous avez paré les musées et les villes de vos joyaux
de verre. Vous avez également offert, à mes côtés, à Madame Claude
Pompidou un somptueux collier, qu’elle porte très souvent, symbole de
votre amitié et de votre admiration pour les nobles causes que sa
Fondation soutient. Lorsque cette Fondation a fait appel à des artistes,
pour la création de Miroirs présentés à la Fiac, et dont les bénéfices ont
servi à financer la construction, à Nice, d'une nouvelle maison qui
accueillera des malades atteints de la maladie d'Alzheimer, vous avez
répondu présent, et je tiens à saluer, aujourd’hui, votre grande et belle
générosité.

Quel écrin plus emblématique un magicien du verre pouvait-il rêver pour
ses oeuvres, que la prestigieuse voûte cristalline du Grand Palais ? Sa
verrière a offert un écho magnifique aux couleurs, à la rêverie et à la
transparence de votre Barque des larmes, exposée cette année lors de
l’exposition La Force de l’art, dédiée à la création contemporaine.

Je rends hommage à un très grand artiste français, à la renommée
internationale, qui a su s’appuyer sur la richesse des savoir-faire de nos
artisans d’art pour donner forme et corps aux infinies variations et
métamorphoses nées de son imagination.

Je tiens à vous dédier ces vers d’Apollinaire, vibrant appel à tous ceux qui
« combattent aux frontières de l’illimité et de l’avenir » :

« Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité. »

Jean-Michel Othoniel, en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous
vous faisons chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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