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Visite du lycée Descartes de Tours en présence d’Abdou Diouf

Monsieur le Président,

Madame le Recteur de l’Académie d’Orléans-Tours,

Monsieur l’Inspecteur d’Académie d’Indre-et-Loire,

Monsieur le Proviseur du Lycée Descartes,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

C’est un très grand plaisir et un grand honneur pour moi d’être présent parmi vous
aujourd’hui pour cette journée placée sous le signe de la francophonie, de la diversité et de
l’ouverture à l’autre. La ville de Tours, grande ville universitaire, et le prestigieux lycée
Descartes, qui a traversé deux siècles d’histoire et s’ouvre aujourd’hui plus que jamais à la
modernité, ont la chance d’accueillir une personnalité lumineuse, M. le Président Abdou
Diouf, Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, emblème de la
mobilisation de tous les francophones au service de la diversité linguistique qui est l’un des
aspects les plus vivants, les plus dynamiques, de la diversité culturelle.

Si ces murs, qui auront deux cents ans l’an prochain, pouvaient parler, ils nous raconteraient
les premiers pas dans l’enseignement de celui qui allait devenir l’illustre poète, homme
politique, la grande voix de l’universel, dont nous célébrons cette année le centenaire, au
titre des commémorations nationales soutenues par le ministère de la Culture et de la
Communication.

Mais, Léopold Sédar Senghor fut d’abord professeur. Après l’hypokhâgne et la khâgne à
Louis-le-Grand, où il fut notamment le condisciple de Georges Pompidou, dont il devint l’ami,
après la Sorbonne, où il fut le premier Africain agrégé de l’Université, c’est en effet ici, au
Lycée Descartes qu’il commença sa carrière. Il découvre notre belle ville de Tours à la
rentrée scolaire de 1935. Nommé professeur de lettres au lycée René-Descartes, il enseigne
aux classes de sixième le français et les langues classiques – latin et grec, jusqu’en 1938.

Et M. le Directeur des archives départementales d’Indre-et-Loire a récemment retrouvé,
parmi les documents dont il a la garde, un brouillon de l’évaluation par le proviseur de
l’époque, que je ne résiste pas au plaisir de vous lire :
1935 : « M. Senghor
a l'inexpérience d'un débutant, mais montre beaucoup de bonne volonté. Les élèves se sont
habitués à sa couleur" !

Décembre 36 : « A profité de l'expérience acquise l'année dernière. En grand progrès" !

Décembre 37 : « Est devenu un très bon professeur, apprécié des familles, réussissant très
bien" !

Pendant que l’administration de l’éducation nationale enregistrait ses progrès, le professeur
qui était avant tout homme de lettres, ne cessait de fréquenter la librairie Tridon, aujourd’hui
disparue, rue Nationale, où il se nourrit de langue et de culture françaises, avec lesquelles il
entretient une relation passionnée.

Léopold Sédar Senghor habite alors boulevard Heurteloup, où il se consacre à l’écriture : les
premiers poèmes qui constitueront le recueil Hosties noires, publié en 1948, ont été écrits à
Tours.

Tout au long de sa vie, et aujourd’hui encore, Léopold Sédar Senghor incarne le dialogue
entre les cultures et les langues. Dans un hommage publié au lendemain de sa disparition,
Erik Orsenna l’a ainsi décrit :
« Un grammairien, c’est-à-dire un gourmand de règles sous le désordre du monde.
Un poète, c’est-à-dire un chasseur d’échos secrets.
Un démocrate, c’est-à-dire un respectueux de la dignité humaine »

Léopold Sédar Senghor est passé avec aisance d’une culture à une autre, conservant intact
son amour pour son « Royaume d’enfance », cette terre de l’Afrique où il est né, au sud de
Dakar, tout en s’interrogeant sur la possibilité d’une « civilisation de l’universel », par
métissage, qui demeure à la fois une référence et un projet pour notre temps. Visionnaire,
chantre de cette négritude qu’il inventée, avec Aimé Césaire, qui fut également son
condisciple à la Sorbonne, et que j’ai eu la chance immense de rencontrer le 23 septembre
dernier, lors de ma visite à Fort-de-France, pionnier de la Francophonie, il a compris très tôt
le rôle capital de la diversité culturelle et linguistique, la richesse de la polyphonie des
identités et des expressions. Il fut un précurseur. Il nous a ouvert le chemin.

Ce message, la communauté internationale le mettra en oeuvre, grâce notamment à la
Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
adoptée à la quasi unanimité à l’Unesco en octobre 2005 et activement soutenue, Monsieur
le Secrétaire général, par votre propre action, par la mobilisation de la Francophonie.

Amoureux du français, « Soleil qui brille hors de l’hexagone », suivant ses mots, Léopold
Sédar Senghor a rêvé que cette langue rassemble tous les peuples des cinq continents qui
la parlent, en « symbiose des énergies dormantes ».

Cette réalité de la force politique des francophones, Monsieur le Secrétaire général de
l’Organisation internationale de la Francophonie, vous l’incarnez brillamment, avec
l’impulsion et l’énergie que vous transmettez aux responsables politiques, mais aussi
économiques, culturels, diplomatiques, des 68 Etats réunis autour de vous.

A l’heure de célébrer le centième anniversaire de la naissance de celui qui fut le père de la
Francophonie, et dont vous avez été le plus proche collaborateur, conseiller, ministre puis
Premier ministre, avant de lui succéder à la présidence de la République du Sénégal, je suis
très heureux que nous célébrions ensemble, dans ce lycée haut en symbole, les couleurs
des littératures, des cultures, mais aussi des valeurs, des convictions et des projets des pays
qui ont notre langue en partage. Et nul autre que vous, Monsieur le Président, ne pouvait les
porter de façon plus éminente, comme les a portées, en son temps, le professeur qui fit ses
premières classes dans ce lycée.

Qu’est-ce que la Francophonie ? Quels en sont ses enjeux, à l’heure de la mondialisation ?

Que représente-t-elle pour vous, qui êtes étudiants aujourd’hui, et qui en serez, demain, je le
souhaite, à votre tour, les ambassadeurs et les relais ?

« Fille de la liberté et soeur de l’indépendance », ainsi que la qualifiait Léopold Sédar
Senghor, qui appelait de ses voeux, dès 1948, la création d’un « Commonwealth à la
française », l’organisation internationale de la Francophonie réunit soixante-huit Etats
membres ou associés, en une véritable communauté culturelle, qui puise dans les liens de
l’histoire, de la langue et de la littérature la force d’une amitié indéfectible.

La Francophonie, c’est cette communauté à la fois unie et extraordinairement diverse, qui
apporte une réponse brillante au défi du siècle qui s’annonce : établir un dialogue constructif,
fécond, entre des identités et des cultures différentes, dans le respect de chacune d’elles.

La Francophonie, c’est la croyance profonde en l’égale dignité, en l’égal intérêt, en l’égale
richesse des cultures du monde.

La Francophonie, c’est l’amour d’une langue, le français, la foi en les valeurs de tolérance,
d’humanisme et de respect qu’elle véhicule.

La Francophonie, c’est enfin un hymne à la curiosité, à l’ouverture d’esprit, qui sont les
maîtres mots des filières d’excellence que vous avez choisies. Sortez des sentiers battus,
abandonnez-vous au plaisir de la découverte de nouveaux auteurs, de nouvelles cultures, de
nouvelles écritures, laissez-vous surprendre et charmer par les infinies variations de notre
langue, dans tous les pays !

Car une langue, c’est avant tout quelque chose qui vit, qui vibre, que les auteurs nourrissent
et renouvellent en permanence, chahutent parfois, réinventent souvent.

Et la plus belle façon
de penser et d’exprimer cette diversité que nous appelons de nos voeux ne vient-elle pas
d’une « torsion » de notre langue, d’un néologisme formidable que Jean Bernabé, Patrick
Chamoiseau, et Raphaël Confiant, trois grandes figures de la littérature martiniquaise, ont
fait surgir dans leur Eloge de la créolité : la diversalité, métissage entre la diversité et
l’universalité ?

La diversalité contre l’uniformité. La « diversalité » contre l’ignorance. La « diversalité » pour
le dialogue des cultures du monde.

Ce qui fait la force et la grandeur de notre langue, à travers le monde, c’est cette rencontre
avec la culture de l’Autre, c’est cette ouverture, c’est cet échange, c’est cet engagement.

Avant de vous céder la parole, Monsieur le Président, je tiens à vous remercier très
chaleureusement, à titre personnel et en notre nom à tous, de porter cette parole, cette force
et cette sagesse de la Francophonie jusqu’au coeur de notre ville.

Je vous remercie.

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