Archives de 2006

Visite à l’école nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne

30 novembre 2006

Monsieur le Directeur,

Madame la Présidente du conseil d’administration,

Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs les étudiants,

Je suis très heureux d’être présent parmi vous aujourd’hui. Je tiens à
remercier votre directeur, Martin Chenot, de son accueil et de l’organisation
de cette rencontre.

Quelle meilleure entrée en matière pour débattre de l’architecture, qu’une
visite de chantier ? Je me félicite de l’avancement du projet de
restructuration et d’extension de votre école, auquel je suis particulièrement
attaché. Non seulement parce qu’il offrira, à vous-mêmes comme à vos
enseignants et au personnel administratif de l’établissement, des conditions
de travail dignes de notre ambition collective pour l’enseignement de
l’architecture en France, mais aussi parce qu’il témoigne de mon souci de
traiter équitablement les besoins des écoles nationales supérieures
d’architecture sur tout le territoire, en régions comme à Paris, quelle que soit
la taille de l’établissement.

C’est une priorité, tant nos espaces et nos territoires évoluent, tant le visage
de nos villes se transforme, tant le besoin d’architecture est grand. Et cette
priorité n’est pas neuve. Vous le savez, l’enseignement de l’architecture fut
longtemps réservé aux Beaux-Arts. Et dès 1903, le rapport d’une
commission de réflexion, retrouvé par le comité d’histoire du ministère,
souligne : « Les architectes des départements se plaignent vivement et non
sans raison que les travaux les plus délicats de l’architecture, qu’il s’agisse
de création ou de conservation, soient souvent confiés à des mains
inhabiles […].

En plaçant l’enseignement de l’architecture à la portée des
jeunes gens qui ne peuvent venir le chercher à Paris, on doit espérer que
cette situation anormale disparaîtra peu à peu, et telle est la considération
d’intérêt public qui fait à l’Etat un devoir de s’intéresser à la création d’écoles
régionales d’architecture ». C'était il y a plus de cent ans. Aujourd’hui la
France est dotée d’un réseau d’excellence, de vingt écoles nationales
d’architecture, sous la tutelle du ministère de la Culture et de la
Communication, et il nous appartient de leur donner les moyens de
répondre aux exigences du XXIe siècle.

Après l’école de Lille, inaugurée en décembre dernier, et celles de
Montpellier, de Grenoble et de Versailles, l’école de Saint-Etienne fait
aujourd’hui partie des écoles qui bénéficient d’un grand programme
immobilier, auquel j’ai choisi de consacrer un budget important et prioritaire,
d’environ 35 millions d’euros chaque année.

Je forme donc le voeu que vous trouviez, dès la prochaine rentrée, dans
cette école rénovée, des conditions de travail répondant légitimement à vos
besoins.

Car vos études sont passionnantes, mais aussi exigeantes et
difficiles, tout comme les métiers auxquels elles préparent. Des
sciences humaines aux domaines techniques et scientifiques, les
disciplines que vous allez aborder tout au long de votre parcours
sont d’une extraordinaire diversité. Rares sont les formations qui
conjuguent un appétit culturel de haut niveau, une culture
scientifique, technique et artistique approfondie, et l'apprentissage
d'un savoir-faire professionnel précis. Votre formation est, par
nature, ouverte sur la cité, sur la société qui vous entoure et que
vous avez aussi vocation à imaginer, à construire, à façonner.

Et vous avez la chance, ici, à Saint-Etienne, de bénéficier d’un
environnement propice à votre travail, l’épanouissement de vos
talents, de votre imagination, de vos compétences. Dans la capitale
du design, près de Firminy et du très bel ensemble conçu par Le
Corbusier, au coeur des problématiques de reconversion des friches
industrielles, à deux pas des musées et des cinémas de la ville, et
non loin des écoles de Grenoble et de Lyon, avec lesquelles vous
nouez des liens solides, dans le cadre du Pôle de compétence de
formation continue, votre école jouit d’un environnement exceptionnel,
propre à éveiller vos regards, à stimuler vos esprits, à préparer vos
projets.

Avant de répondre à vos questions, et de débattre librement avec
vous, je tiens à vous rappeler mon engagement dans la réforme des
études d’architecture, dans le cadre du LMD qui structure
désormais le cursus de votre enseignement. Je suis parfaitement
conscient des inquiétudes qui ont pu naître de ces modifications
importantes.

Le ministre de l’architecture que je suis a porté cette réforme, au
nom de l’Etat, par conviction que le temps était venu d’assurer la
pleine reconnaissance de l’enseignement de l’architecture au sein
de l’enseignement supérieur européen, et de favoriser l’activité et la
mobilité des architectes français, dans des conditions de
concurrence équitable.

La réforme vous permet de vous insérer pleinement dans l'Europe.

Et je tiens à saluer les coopérations et les possibilités d'échanges
qui vous sont offertes par votre école, en Allemagne, en Belgique,
en Espagne, en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Pologne, et bien
sûr, également, hors des frontières de l’Europe. Vous êtes
maintenant au coeur d'un véritable réseau d'écoles et d'universités
réunies autour d'un même projet cohérent et stimulant, d'une
grande ambition : construire l'Europe de demain et faire rayonner
l'architecture française et européenne dans le monde entier.

J’ai demandé au Directeur chargé de l’architecture de poursuivre le
dialogue avec le conseil national de l’ordre des architectes, et une
réunion s’est récemment tenue au ministère en présence du président du conseil national et de présidents d’ordre régionaux.

Elle a permis de confirmer la nécessité d’une action partagée pour
la formation à l’exercice de la maîtrise d’oeuvre en son nom propre
de l’architecte diplômé d’Etat et de préciser les coopérations qui
pouvaient se nouer entre les différents partenaires.

De la même manière, la Direction de l’architecture et du patrimoine
du ministère de la Culture et de la Communication a approfondi ses
contacts avec le ministère du Travail et l’organisme collecteur des
fonds de formation de la branche (l’OPCA-PL), pour déterminer les
modalités de mise en oeuvre de l’une des options possibles de la
mise en situation professionnelle, le contrat de professionnalisation.

Un dernier mot encore, pour vous dire que la réforme de
l’enseignement de l’architecture, fondamentale à l’avenir de
l’exercice diversifié de la profession d’architecte, est l’un des
éléments de la transformation globale des écoles nationales
supérieures d’architecture.

J’ai engagé en effet la réforme du statut des établissements pour
permettre leur transformation en EPSCP (établissement public à
caractère scientifique, culturel et professionnel), proche du statut de
droit commun des autres établissements d’enseignement supérieur
en France. Celle-ci sera achevée dès le début de l’année prochaine.

Parce qu’il n’y a pas d’enseignement supérieur sans recherche, ces
deux évolutions profondes doivent également s’envisager dans la
perspective d’une modification du statut des enseignants des écoles
pour les rapprocher d’un statut d’enseignant-chercheur.

Les modalités de ce nouveau statut devront faire l’objet à partir de
2007 d’une réflexion approfondie, pour laquelle je souhaite
l’investissement de tous les représentants des écoles, au sein des
différentes instances de consultation nationales.

Le développement de la recherche et des enseignements dans
votre école fera de vous des architectes généralistes, au sens le
plus complet et le plus noble du terme : riches d'une culture
humaniste et universitaire, préparés à l'insertion dans les métiers de
la maîtrise d'oeuvre architecturale et urbaine, mais aussi dans toute
la diversité des métiers qui reflètent les attentes de notre société.

Une société qu’il vous appartient de construire.

Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos
questions et échanger avec vous.

Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’Honneur à Francis Boespflug, à l’Hôtel de la Marine

29 novembre 2006

Cher Francis Boespflug,

Grâce à l’amitié de nos amis amiraux, et plus particulièrement de l’Amiral
Oudot de Dainville, Chef d’État-Major de la Marine – que je remercie de
son accueil – de l’Amiral Pierrick Blairon et de l’Amiral Alain Dumontet c’est
dans ce cadre prestigieux, et hautement symbolique, que j’ai le plaisir de
vous distinguer aujourd’hui. L’Hôtel de la Marine jouit en effet d’une vue
exceptionnelle sur une place qui a, bien souvent, vous le savez, servi de
décor au septième art. Carl Lamac en a fait le titre même de l’un de ses
films, Jacques Becker le premier plan de son chassé-croisé amoureux,
Rendez-vous de juillet, Godard l’a magistralement filmée dans L’Eloge de
l’amour, et Eric Rohmer lui a fait revivre la Révolution de 1789, dans son
film L’Anglaise et le Duc.

Quel plus beau décor pouvions-nous rêver pour rendre hommage à l’un
des plus grands défenseurs du cinéma français, à un passionné de la
première heure, à un véritable passeur de culture, qui n’a jamais cessé, au
long de sa brillante carrière, son combat pour la qualité et la diversité, pour
l’éducation à l’image, et pour la reconnaissance du talent, et du génie des
cinéastes ?

J’ajoute que la marine participe activement au rayonnement de la culture
française : par les musées de la marine, qui permettent de faire partager
l’aventure maritime au plus grand nombre à Paris, Brest, Lorient ou Toulon,
votre ville d’élection, cher Francis Boespflug ; par les écrivains de marine
qui depuis 2003 sont une vingtaine à tremper leur plume dans l’eau de
mer ; mais aussi par les peintres de la marine corps prestigieux, créé en
1830, qui comporte aussi des photographes et des sculpteurs, et qui sait,
demain, pourquoi pas, des cinéastes ?

C’est à Strasbourg, où vous êtes né, que débute cette grande aventure
cinématographique. Vous animez tout d’abord un haut lieu de découverte
et de transmission, un ciné-club, où vous éveillez les jeunes générations
aux merveilles de notre patrimoine, et à cette diversité culturelle à laquelle
nous sommes tous tellement attachés. Vous les emmenez à l’ancien
Palace, rebaptisé le Club, où vous faites la connaissance de celle qui
deviendra votre épouse, et votre meilleure complice, Fabienne Vonier.

Vous leur faites découvrir Rocco et ses frères, de Luchino Visconti, Les
Sept samouraïs, d’Akira Kurosawa, ou encore Affreux, sales et méchants,
d’Ettore Scola.

Vos premières armes, vous les faites ainsi dans l’exploitation, aux côtés
également de Louis Malle, et de Michel Seydoux, qui défendent avec
vous le cinéma d’art et essai, la découverte des films étrangers en
version originale, l’exigence et l’audace dans la sélection des oeuvres.

Cette très belle expérience de transmission et de partage vous ouvre les
portes du Ministère de l’Education Nationale, où vous devenez conseiller
technique et pédagogique pour le cinéma. En 1981, vous rejoignez le
ministère de la Culture, en tant que chargé de mission pour la création
de l’Agence pour le Développement Régional du cinéma, une agence
dont nous saluons aujourd’hui l’oeuvre essentielle, en faveur de la
diffusion du septième art sur l’ensemble du territoire, mais aussi du
soutien à la pluralité des salles et à la diversité des oeuvres comme de
leurs publics.

Vous poursuivez ensuite votre carrière chez UGC, et, en tant que
Directeur de la région Rhône-Alpes, vous assumez la gestion, la
programmation et l’animation de quelque 60 salles de cinéma.

En 1986, vous entrez chez MK2, où vous dirigez les acquisitions, les
investissements et la programmation. Vous vous rapprochez des enjeux
de la production et de la distribution, pendant trois années
passionnantes, auprès de Marin Karmitz. Des années constellées de
magnifiques succès, parmi lesquels Au revoir les enfants de Louis Malle,
La vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatiliez, Bagdad Café de
Percy Adlon, ou encore Chambre avec vue, de James Ivory. Cette
grande aventure, vous l’avez aussi vécue aux côtés de Claude Chabrol,
avec quelques très beaux succès en salles.

Fort de ces expériences très diverses, vous décidez de créer, avec votre
épouse, et en vous associant notamment avec Louis et Vincent Malle, et
Michel Seydoux, la société Pyramide, qui s’installe très vite dans le
paysage cinématographique français comme l’une des entreprises les
plus solides et les plus représentatives de la passion française pour la
diversité, pour la découverte et pour la qualité. Vous soutenez le cinéma
le plus exigeant, avec notamment Milou en mai de Louis Malle, J’ai
engagé un tueur d’Aki Kaurismaki, et Retour à Howards End de James
Ivory. Depuis, Pyramide a développé son activité, en particulier dans la
production, grâce au talent de Fabienne Vonier, à qui j’adresse à cette
occasion un chaleureux message d’amitié.

Nicolas Seydoux vous entraîne ensuite dans la programmation des
salles Gaumont pendant cinq ans. UGC, MK2, Gaumont. Que vous
restait-il encore à conquérir ?

Vous voilà en 1997 patron de Warner Bros. France. Cela fait donc
maintenant près de dix ans que vous présidez aux destinées de cette
grande entreprise américaine en France. Aux côtés, bien sûr, des films
produits par Warner, comme Le Prestige, de Christopher Nolan, en ce
moment dans les salles, ou Mémoires de nos pères, de Clint Eastwood,
mais aussi aux côtés de la production française, à laquelle vous croyez
et que vous avez toujours soutenue.

Cette volonté d’accompagner, au sein d’une major américaine, le
cinéma français, vous l’avez clairement manifestée, dès le début, à Richard Fox, qui vous a soutenu. Vous ranimez la filiale Productions et
Editions Cinématographiques Françaises, à qui l’on devait La Nuit
américaine, de François Truffaut, pour coproduire La classe de neige,
de Claude Miller.

S’ensuit une longue liste de succès, parmi lesquels Les Âmes grises,
d’Yves Angelo, Chouchou, de Merzak Allouache, Les Bronzés 3, de
Patrice Leconte, mais aussi, bien sûr, Un long dimanche de fiançailles,
de Jean-Pierre Jeunet, qui a connu l’immense succès que l’on sait.

Cette épopée exceptionnelle s’est poursuivie avec le succès du film
dans le monde entier, et en particulier aux États-Unis, mais aussi en
vidéo. Elle est le fruit de votre constante exigence et de votre grand
professionnalisme.

Votre parcours exemplaire est de nature à faire rêver de nombreux
professionnels du cinéma et à susciter bien des vocations, tant il est
riche d’aventures et de succès. Tant est constante, également, votre
volonté de défendre le cinéma de notre pays. C’est à cet engagement
sans faille que la France rend hommage aujourd’hui.

Francis Boespflug, au nom du Président de la République, et en vertu
des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier de la
Légion d’Honneur.

Inauguration de l’église Saint-Pierre à Firminy

29 novembre 2006

Monsieur le Sénateur-Maire de Saint-Etienne, Président de Saint-Etienne Métropole,
cher Michel Thiollière,

Monsieur le Député-Maire de Firminy, cher Dino Cinieri,

Madame la Vice-Présidente du Conseil régional de Rhône-Alpes, chère Bernadette
Laclais,

Monsieur le Conseiller général chargé de la culture, cher André Cellier,

Monsieur le Préfet,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être le ministre des créateurs et des architectes.

Inaugurer
aujourd’hui à vos côtés cette église, qui se dresse fièrement au coeur de Firminy,
plus de cinquante ans après son inscription dans le plan d’urbanisme de Firminy
Vert, et plus de trente ans après le lancement du chantier, c’est apporter, tous
ensemble, le point d’orgue à la symphonie architecturale orchestrée par Le
Corbusier, dès 1958.

Depuis l’unité d’habitation jusqu’au stade, qui portent aujourd’hui son nom, depuis la
maison de la culture jusqu’à cette église, où que notre regard se porte, nous
percevons l’empreinte géniale, le style unique, la grande liberté de cet artiste
visionnaire, qui voulait faire de Firminy, selon ses propres mots, un haut lieu des
corps et des esprits.

Ce moment, et ce lieu, revêtent pour moi une signification très particulière. J’ai tenu,
vous le savez, à marquer, jeudi dernier, la commémoration du trentenaire de la
disparition d’André Malraux. Par ses écrits, par son engagement dans la Résistance,
puis auprès du Général de Gaulle, par la création du ministère des Affaires
culturelles, par son amitié, également, avec Le Corbusier, il fut un véritable
précurseur. Il ne sépara jamais, à juste titre, la connaissance, la préservation, la
restauration des monuments historiques, son combat pour les « secteurs
sauvegardés », du développement et du soutien de la création la plus
contemporaine.

La création des « maisons de la culture » reste, encore aujourd’hui,
son grand oeuvre, et une source d’inspiration quotidienne. Parce qu’elles préfigurent,
au fond, nos grands musées d’art contemporain, nos scènes nationales, parce
qu’elles annoncent – la Maison de la culture de Firminy en est un très bel exemple –
ces lieux pluridisciplinaires et transdisciplinaires, qui diffusent, partout, les arts et la
création, et, enfin, parce qu’elles sont le coeur indispensable et déterminant de la
Cité, elles sont la plus belle illustration de cette conviction que « l’Etat n’est pas fait
pour diriger l’art, mais pour le servir ».

Oui, l’architecture est au coeur de la culture, elle est au coeur de la cité, au coeur de
la ville, et d’un projet pour la ville.

Dans l’émouvant hommage qu’André Malraux rendit à Le Corbusier, le 1er
septembre 1965, dans la Cour carrée du Louvre, et que je veux vous citer
aujourd’hui, il le décrivait ainsi : « Ce qui le peint, c'est : "La maison doit être l'écrin
de la vie". La machine à bonheur. Il a toujours rêvé de villes, et les projets de ses
"cités radieuses" sont des tours surgies d'immenses jardins. Cet agnostique a
construit l'église et le couvent les plus saisissants du siècle. Il disait, à la fin de sa
vie : "J'ai travaillé pour ce dont les hommes d'aujourd'hui ont le plus besoin : le
silence et la paix". »

Ce silence, et cette paix, nous les retrouvons aujourd’hui dans cette église
enfin achevée. Le Corbusier n’a pas seulement changé l’architecture. Il a
changé notre vision de l’architecture. Il a changé notre vision de la cité, notre
vision du monde, notre vision de la ville et de la vie.

Achever, et inaugurer aujourd’hui son oeuvre nous rappelle, à tous, la dette
immense que nous avons envers ces génies visionnaires, qui ont
profondément modifié le visage de nos territoires, et insufflé la culture et la
beauté dans toutes nos régions. Cet exemple parmi tant d’autres montre à
quel point l’ambition initiale du créateur des Maisons de la culture, sa vision
de la démocratisation culturelle, est atteinte, et même bien au-delà. Il ne s’agit
plus, comme le disait Malraux, en inaugurant les maisons de la culture, que
« ce qui se passe d’essentiel à Paris » se passe « en même temps » dans les
régions.

Il s’agit bien aujourd’hui que ce qui se passe d’abord dans nos régions, ce qui
se passe ici, à Firminy, à Saint-Etienne, en termes de création artistique et de
diffusion culturelle, puisse aussi se passer à Paris, puis en Europe et dans le
monde.

Je tiens à remercier chaleureusement, pour leur enthousiasme et leur
dynamisme, l’association Le Corbusier pour l’église de Firminy Vert, et son
Président, Dominique Claudius-Petit, à l’origine du projet, qui s’inscrit
pleinement dans la volonté et l’héritage de l’action de son père Eugène
Claudius-Petit, en poursuivant le Sillon qu’il a tracé ici, comme Maire, pendant
dix-huit ans, comme ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, et
comme parlementaire. Oui, aujourd’hui, nous nous souvenons de Claudius
« la conscience, l’entreprenant, l’engagé, le fraternel, l’écoutant », celui qui
s’est battu sans compter depuis 1940 pour ouvrir deux chantiers que nous
continuons amener à bien l’aménagement du territoire et la construction de
l’Union européenne.

Je tiens à remercier aussi, la Fondation Le Corbusier,
légataire universel de l’oeuvre de l’architecte, et son Président Jean-Pierre
Duport. Je salue également l’engagement, l’action déterminée, et la passion
constante du Député-Maire de Firminy, Dino Cinieri. La qualité et la
détermination de la politique conduite par la Ville de Firminy, mais aussi par
Saint-Etienne Métropole, en faveur de la préservation, de la restauration et –
fait rare – de l’achèvement de ce prestigieux héritage architectural, ont été
décisives pour mener à bien cette vaste et noble entreprise. Je me félicite de
l’engagement de l’Etat à vos côtés, depuis de si nombreuses années.

C’est
grâce à cette fructueuse addition des énergies que le legs de Le Corbusier
connaît aujourd’hui une véritable renaissance et prend tout son sens.
Cet héritage qui est aussi un projet. Il sera ce que vous en ferez. Je sais
qu’une concertation se tiendra très prochainement, entre la Mairie et
l’association Le Corbusier pour l’église de Firminy, au sujet de l’usage de ce
lieu, dans le respect de la laïcité républicaine qui n’est pas la négation de la
religion mais le respect mutuel. Je ne doute pas qu’elle fera naître des
projets, et ouvrira des perspectives et des horizons à la hauteur de ce lieu
d’exception.

Peu de villes concentrent un tel patrimoine, témoin de l’excellence de
l’architecture moderne en France. Nous devons mobiliser tous nos efforts
pour le protéger, le faire vivre, et mieux en partager toute la richesse, toute la
diversité, tout le potentiel, toute l’énergie.

Je constate qu’une démarche collective, émanant de plusieurs villes de
France et du monde entier, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en
Argentine et en Inde, toutes possédant un riche patrimoine Le Corbusier, a
été entreprise afin de demander le classement au patrimoine mondial de
l’UNESCO.

Le dossier « L’oeuvre de Le Corbusier dans le monde » vient d’être examiné,
mercredi 22 novembre, au ministère de la Culture et de la Communication par
le Comité national des biens français du patrimoine mondial, qui a reconnu sa
très grande qualité. Il appartient à présent à la France de décider du dossier
qui sera proposé, au nom de notre pays, à l’inscription sur la liste universelle
du patrimoine mondial auprès de l’UNESCO, au début de l’année 2007. Et
l’arbitrage à rendre sera d’autant plus difficile, d’autant plus délicat, que la
qualité de votre dossier est exceptionnelle.

Vous pouvez être fiers aujourd’hui de mettre en lumière l’oeuvre magnifique
que nous a léguée cet architecte majeur du XXe siècle, et les grands projets
que vous avez conçus pour animer, au XXIe siècle cet écrin rénové d’un
souffle nouveau.

Ces monuments emblématiques sont en effet les témoins de notre histoire,
Malraux disait « les jalons successifs et fraternels de l’immense rêve éveillé
que poursuit la France depuis mille ans ». Ils tiendront leurs promesses s’ils
offrent aussi de nouvelles chances, de nouveaux chemins d’accès à la culture
pour tous et d’ouverture sur le monde pour chacun.

Je vous remercie.

Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Etienne Daho

28 novembre 2006

Cher Etienne Daho,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui rue de
Valois, à l’heure où nous fêtons les vingt ans d’un album culte, Pop Satori,
qui vous a véritablement révélé au grand public, et a donné le coup d’envoi
d’une « Dahomanie » dont nous pouvons tous témoigner aujourd’hui. Je
sais que votre concert exceptionnel à l’Olympia pour le festival des
Inrockuptibles a rencontré un très grand succès et je regrette de n’avoir pu
venir vous écouter.

Votre voix claire et douce, votre personnalité lumineuse, mystérieuse,
captivent les Français, qui ont tous fredonné avec vous, dès 1986, Epaule
Tattoo et Duel au Soleil, et vous ont sacré chef de file de la mouvance pop
française dès les années quatre-vingts.

Cet immense succès est le fruit de votre passion de toujours et de votre
engagement sans faille pour la musique. Il est l’expression de cet univers
unique, que vous avez su créer et partager avec nos concitoyens, un
univers qui a exprimé, reflété l’âme même d’une époque, la nôtre, en
créant, en revisitant, mélangeant, fusionnant, pour faire surgir votre son
reconnaissable entre mille, le « son Daho ». Il est issu à la fois de l’héritage
rock des Velvet Underground, de Lou Reed et de Nico, de la mouvance
punk, des rythmes entraînants des Beach Boys, et des tubes des artistes
légendaires de la Motown, le tout battant au rythme des premières
pulsations de la musique électronique.

Votre univers, vous en avez dessiné les premiers contours, dès votre
enfance, sous le soleil d’Oran, l’oreille collée à un jukebox Wurlitzer. Puis,
dès la fin des années soixante-dix, à Rennes, capitale musicale, creuset du
rock français, qui voit s’épanouir des talents tels que Franck Darcel, mais
aussi Jacno et Elli Medeiros, vos premiers compagnons de routes, présents
parmi nous ce soir, et que je tiens à saluer. C’est au Festival Les
Transmusicales que vous avez découvert la scène avec votre groupe
« Entre les deux fils dénudés de la dynamo ».

Au début des années quatre-vingts, vous vous envolez pour Paris, et pour
vos premiers succès nationaux, avec vos deux premiers albums
Mythomane, et La Notte la Notte, qui remportent un grand succès critique,
et attirent vos premiers fidèles.

Avec Tombé pour la France, vous donnez le ton. Exigeants, éclectiques,
ouverts, votre style et vos inspirations revendiquées, brandies, battent
au rythme de notre temps, offrent un nouveau souffle à la chanson
française et touchent le coeur d’un public très large. Votre duo avec
Françoise Hardy, – qui nous fait l’honneur d’être parmi nous ce soir, et à
laquelle je tiens à témoigner toute mon admiration – Et si je m’en vais
avant toi, la ballade en hommage à l’égérie warholienne, La Ballade
d’Eddie S., la reprise de Gainsbourg, Chez les yé-yé, et celle de Syd
Barrett, Arnold Layne, composent un tableau fascinant, disparate, un
instantané de toutes les influences de cette période particulièrement
effervescente et électrique.

De ces métissages féconds naît en 1986 une « illumination », votre
album Pop Satori, qui vous propulse au rang de véritable icône de la
pop. Vous emportez tout le public dans ce « flash », brillamment décrit
par Jack Kerouac dans Satori à Paris, et que vous avez vécu en
découvrant les nuits, les fêtes, les lumières de Paris, de Londres, de
Rome ou d’Ibiza, que vous avez éclairées, exprimées, mieux que
personne, mais aussi réinventées et renouvelées, en chansons, en
images, en musique, dans le coeur de chacun d’entre nous.

Vous avez en effet réussi à transformer la « Dahomanie » frénétique,
intimidante, en vraie complicité avec nous tous, votre public fidèle et
passionné, qui plébiscite chacun de vos albums. Si l’album Pour nos
vies martiennes, enregistré à Londres en 1988, est disque d’or le jour de
sa sortie, Paris, ailleurs, trois ans plus tard, l’est avant même sa sortie.

La magnifique chanson Saudade résonne encore dans toutes nos têtes.
Vous avez conquis l’Outre-Manche, avec votre album Reserection, où
vous avez partagé l’affiche de la légendaire émission Top of the Pops,
avec, notamment, Oasis, et David Bowie. Vous avez également séduit
l’Espagne, où la reprise par Luz Casal de Duel au soleil, Un nuevo dia
brillara, a remporté récemment un immense succès.

Que vous mêliez, comme dans l’album Eden, en 1996, les rythmes et
les sons groove, jungle, pop et bossa nova ; que vous livriez un album
plus épuré, plus sobre, plus intime, avec Corps et armes, en 2000 ; que
vous retrouviez les tonalités rock de vos débuts, avec Réévolution, en
2003 ; que vous montiez sur scène, pour interpréter Le condamné à
mort de Jean Genet , aux côtés d’acteurs et d’actrices aussi illustres que
Rufus, et Jeanne Moreau ; que vous chantiez aux côtés de Jane Birkin,
pour la chanson La Grippe, ou encore, très récemment, avec Dani, pour
la sublime chanson Comme un boomerang, écrite par Serge
Gainsbourg, c’est toujours la même rencontre avec le public. C’est
toujours la même ferveur, que vous savez retrouver, provoquer, en
étonnant sans cesse, en portant toujours plus loin, toujours plus haut
votre exigence artistique et esthétique, en ouvrant toujours de nouvelles
portes dans cet univers si singulier qui est le vôtre, dans cette bulle où
vous avez su nous faire entrer, pour nous faire partager votre oxygène,
votre talent.

Vous nous avez embarqués, à vos côtés, pour un Week end à Rome,
« en bagnole de fortune, variette mélo à la radio », vous nous avez fait
danser « pieds nus sous la lune, sans foi ni toit ni fortune », vous avez
poussé pour nous les portes de « ce night club où le jazz est prisé », pour découvrir l’Epaule tattoo, vous nous avez fait vivre les Heures
hindoues, vous nous avez plongés dans Le Grand Sommeil, pour nous
faire marcher, funambules, « au bord des toits, des océans »,
hypnotisés par votre voix, entraînés par vos rythmes, charmés par la
poésie de vos mots.

Votre insatiable curiosité musicale, vos multiples inspirations, votre vraie
liberté, votre sensibilité, votre sincérité, votre générosité authentiques
font de vous l’un de nos plus grands artistes et l’un de ceux qui ont
conquis durablement le coeur des Français.

Avant de prononcer la formule rituelle qui doit clore cet hommage, au
nom de la France, je veux, en mon nom personnel, vous dédier ces
quelques vers, que vous reconnaîtrez – ils sont de Paul Eluard :

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
(…)

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
(…)

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.

Etienne Daho, au nom de la République, nous vous faisons Officier dans
l’Ordre des Arts et des Lettres.

Remise officielle de la Châsse limousine de l’Adoration des mages acquise par l’Etat pour le musée national du Moyen-Age – Thermes et hôtel de Cluny, grâce à CNP Assurances

28 novembre 2006

Monsieur le Ministre, cher Edmond Alphandéry,

Monsieur le Président du Directoire de CNP Assurances, cher Gilles
Benoist,

Monsieur le Président de l’Association pour le Rayonnement du Musée
national du Moyen Âge, cher Christian Giacomotto,

Madame la Directrice, chère Elisabeth Taburet-Delahaye,

Madame la Directrice des Musées de France, chère Francine Mariani-
Ducray,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être présent parmi vous aujourd’hui pour ce moment
d'une rare émotion : la présentation d'une oeuvre majeure qui rejoint les
collections du Musée national du Moyen Âge, cette châsse consacrée à
l’Adoration des Mages, exceptionnelle par son iconographie et la qualité de
sa réalisation.

Ce prestigieux reliquaire a appartenu au célèbre collectionneur viennois du
XIXe siècle, Frédéric Spitzer, avant de passer entre les mains d’amateurs
installés à Berlin, Bâle et New York. Après ces tribulations, la châsse a
réapparu sur le marché de l’art parisien en 2004, ce qui a permis à l’Etat de
l’acquérir, grâce au mécénat de CNP Assurances. Reconnue « bien
d’intérêt patrimonial », l’oeuvre a bénéficié des dispositions légales en
faveur du mécénat.

Madame Taburet-Delahaye ne me contredira pas, je pense, si je dis que
cette châsse présente toutes les caractéristiques des meilleures
réalisations de l’émaillerie limousine au tournant des XIIe et XIIIe siècles.

Elle en est, assurément, l’un des plus beaux exemplaires. Elle est, en effet,
exceptionnelle par la profondeur et l’étendue de la gamme colorée, par le
mouvement alerte et convaincant de la narration, comme par le soin
apporté à la réalisation de la gravure et des têtes appliquées en demi-relief,
typiques de l’oeuvre de Limoges des années 1200.

Cette oeuvre n’est pas seulement l’une des plus belles, elle est aussi l’une
des plus anciennes parmi les châsses consacrées à l’Adoration des mages,
comme l’a confirmé l’analyse du Laboratoire de la Direction des musées de
France. Parmi les exemplaires les plus proches connus de nos jours, on
peut citer la châsse acquise par le British Museum en 1955 ou celle que
conservait l’église de Linard (dans la Creuse), aujourd’hui au Walters Art
Museum de Baltimore.

Les musées français ne conservaient jusqu’ici aucune châsse limousine
consacrée au thème de l’Adoration des mages. Cette oeuvre fera donc
date dans l’histoire des acquisitions de ce musée qui conserve, avec le
Louvre, l’une des plus belles collections de pièces de « l’oeuvre de
Limoges », selon l’expression utilisée au Moyen Âge pour désigner la
fabrication, dans cette ville, du XIIe au XIVe siècles, d’objets de cuivre
émaillé champlevé. Elle trouve désormais sa place dans cette riche
collection aux côtés, notamment, de l’Adoration des mages provenant
de l’autel majeur de Grandmont et de la grande châsse illustrant
plusieurs épisodes de l’Enfance du Christ.

Je le disais, cette acquisition est le fruit de la générosité de CNP
Assurances. Par la loi du 1er août 2003 relative au mécénat et aux
fondations, le rôle essentiel des entreprises dans cette grande cause
d’intérêt général qu’est la protection de notre patrimoine est pleinement
reconnu. Cette loi a également complété la notion de trésor national, par
celle de « bien culturel » dont l’acquisition présente un « intérêt
patrimonial majeur ».

Notre patrimoine national rassemble et doit continuer à rassembler tous
les jours davantage les efforts de toutes les composantes de notre
société, qu’il s’agisse des collectivités publiques, des entreprises
privées, ou des initiatives individuelles.

Je suis donc très heureux, ce soir, de pouvoir rendre un hommage
particulier à la générosité de CNP Assurances. Son implication dans
cette opération majeure est d’autant plus remarquable qu’elle est tout à
fait exceptionnelle, puisque le mécénat de cette société est
traditionnellement tourné vers la solidarité.

Spécialisée dans le domaine de la santé, la Fondation CNP Assurances
soutient en effet depuis longtemps la lutte contre la douleur. La
Fondation CNP Assurances intervient également dans les domaines de
la promotion de l’éthique et de l’amélioration de la qualité des services
aux personnes, et elle exerce par ailleurs ces engagements dans une
logique de développement durable.

Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Monsieur Gilles Benoist,
Président du Directoire de CNP, et je le remercie d’avoir contribué à
enrichir et à embellir les collections du musée national du Moyen Âge.
Je voudrais également saluer Monsieur Edmond Alphandéry, Président
du Conseil de surveillance, qui nous fait le plaisir d’être parmi nous
aujourd’hui.

Je tiens à les remercier tout particulièrement pour ce geste exceptionnel,
en faveur de l’acquisition de cette oeuvre majeure du patrimoine
français.

Je souhaite enfin témoigner toute ma reconnaissance à Monsieur
Christian Giacomotto, président de l’Association pour le rayonnement du
musée national du Moyen Âge (ARMMA), et rappeler que son
intervention s’est révélée déterminante pour l’acquisition de cette oeuvre.

L’ARMMA est aujourd’hui l’une des sociétés d’amis de musées les plus
dynamiques. Je tiens à féliciter, Monsieur le Président, pour le rôle actif
que vous jouez dans l’animation de l’association et le soutien à la
politique d’acquisition et de restauration de ce musée, comme pour vos
initiatives destinées à accroître le rayonnement de l’établissement.

Nous devons ainsi à l’ARMMA de nombreux enrichissements majeurs,
parmi lesquels, et pour ne rappeler que les plus récents, un manuscrit
enluminé d’un livre d’Heures attribué à Hugueniot de Langres, une
magnifique statuette en bois de noyer polychrome représentant un jeune
évêque, un groupe sculpté normand de L’Annonciation, une
remarquable représentation provenant d’Allemagne du Sud du Christ
des Rameaux. Toutes ces oeuvres étaient présentées dans l’exposition
qui vient tout juste de s’achever, en hommage à Viviane Huchard, qui
rassemblait les plus belles acquisitions de la période où elle dirigea ce
musée.

Notre grand musée national du Moyen Âge, Hôtel et Thermes de Cluny
poursuit aujourd'hui, sous la direction dynamique d'Elizabeth Taburet-
Delahaye, que je tiens à saluer, cette politique complète
d'enrichissement des collections publiques, de production scientifique de
haut niveau et de développement de liens très proches avec les publics.

Je vous remercie.

Cérémonie de remise des diplômes aux Maîtres d’art 2006

27 novembre 2006

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’accueillir aujourd’hui la nouvelle promotion des onze
maîtres d’art, qui compte cette année deux femmes, ce qui est assez rare
pour être souligné.

Que de chemin parcouru depuis 1994 et les premières nominations des
maîtres d’art par le ministre de la Culture, inspirées par les Trésors
nationaux vivants du Japon ! Oui, nos maîtres d’art sont bien nos Trésors
nationaux vivants, dont la richesse et la rareté résident dans leurs mains
mêmes, ces mains qui détiennent des savoir-faire d’excellence, une
habileté exceptionnelle et, pour reprendre la belle expression de Liliane
Bettencourt, qui oeuvre pour leur promotion, une « intelligence »
extraordinaire. Comme les Trésors nationaux japonais, nos maîtres d’art
sont investis d’une mission : veiller à la transmission de cet héritage
inestimable, au renouvellement, à la réinvention permanente de leurs
techniques.

Je tiens à ce que ce système de transmission « à la française », qui a su
conserver toute son originalité, soit mis à l’honneur, même si certains
grands savoir-faire ne sont pas encore représentés, tels que l’horlogerie ou
la lustrerie. Je souhaite à ce sujet confier une mission au Conseil des
métiers d’art, dont je salue chaleureusement les 19 nouveaux membres qui
nous ont rejoints.

J’aimerais que nous réfléchissions à de nouveaux critères
de sélection des maîtres d’art, afin de mieux prendre en compte la grande
richesse et la belle diversité des savoir-faire français, qui compte
notamment de grands restaurateurs d’oeuvres d’art, de hauts représentants
de la gastronomie, des arts de la table et de la mode.

Je suis très attentif à la préservation de ces métiers d’exception, des
métiers qui portent haut, dans le monde entier, la beauté, la qualité et
l’excellence qui ont fait, et continuent de faire le prestige des arts et du
savoir-vivre français. Je crois en leur valeur, précieuse, essentielle, parce
que je crois profondément à l’amour du travail bien fait, à la patience, à
l’exception et à l’unique, dans un siècle qui tend à l’uniformité et au
zapping, dans un monde qui privilégie le jetable et l’industriel. Vous avez
en ce sens une responsabilité immense, celle de transmettre ce goût du
rare et de l’effort pour y parvenir, cet amour du geste et de ce temps long
qui est celui de la véritable création.

Qu’est-ce que l’art, si ce n’est, comme
le disait Georges Duby, une « […] habilité dans la mise en oeuvre des
pratiques par quoi l’homme assure sa prise sur le monde » ? Et qu’est-ce
qu’un maître, si ce n’est celui qui ouvre les regards sur ce monde et
enseigne cette habileté ?

Oui, les métiers d’art sont l’une de nos plus grandes richesses, et il nous
appartient de les transmettre, de les préserver, et de porter la lumière
sur ces maîtres qui sont de véritables créateurs, et dont les oeuvres
rayonnent en France comme à l’étranger. Nous devons soutenir tous les
professionnels qui relèvent des défis dans leurs entreprises, qui
s’intéressent à la recherche, expérimentent des nouveaux matériaux ou
de nouvelles technologies, pour trouver des applications novatrices.

C’est pourquoi je me félicite que soient nommés quatre chefs d’atelier
d’entreprises du luxe membres du Comité Colbert, qui regroupe 70
entreprises françaises prestigieuses. Je tiens à saluer chaleureusement
l’engagement des personnes qui font le renom de ces grandes maisons.
Les entreprises du luxe sont de véritables ambassadrices pour
l’ensemble des maîtres d’art qui constituent une « compagnie »
prestigieuse, mais qui doit sortir de la confidentialité. Elles sont aussi
des entreprises au coeur de la cité, soucieuses de former des jeunes
talents pour pérenniser leurs techniques, pour faire vivre leurs ateliers
exceptionnels.

Cette année, les quatre chefs d’atelier de maisons prestigieuses ne
percevront pas d’allocation, mais choisiront chacun un élève pour lui
transmettre leur savoir, leur expérience, afin qu’il devienne, à son tour,
hautement qualifié.

Ce système de transmission à taille humaine des savoir-faire, dont je
souhaite conserver la dimension « sur mesure », qui le rend unique, doit
pouvoir se développer. J’ai demandé à mes services, non seulement
d’augmenter le nombre des dispositifs de transmission des savoir-faire
en région, mais aussi de se rapprocher du ministère de l’Education
nationale afin de poursuivre notre collaboration. Identifier nos formations
respectives et les passerelles entre les deux ministères, et donner ainsi
des perspectives d’avenir aux jeunes en fin de Troisième, telles sont les
priorités que nous nous sommes fixés. Les certificats d’aptitude
professionnelle (CAP) sont également une chance, insuffisamment
connue, pour les jeunes de se qualifier et de découvrir des métiers
passionnants.

Dans les cinq ans à venir, le nombre de départs à la retraite des
formateurs sera conséquent, et nous devons nous donner les moyens
d’assurer la relève. Il faut, ne l’oublions pas, dix ans de formation pour
obtenir la qualification d’excellence que réclament les entreprises du
luxe, comme les antiquaires, les décorateurs, les collectionneurs ou
encore les ateliers dont le ministère de la Culture et de la
Communication a la charge.

Je tiens donc à insister sur le caractère impératif de la formation et de la
transmission, et j’invite les maîtres d’art à jouer leur rôle de pédagogue.

Je souhaite que les écoles d’art les accueillent afin de mieux faire
connaître ces métiers qui offrent de grandes satisfactions.

Dans cette perspective, j’ai annoncé, lors de la remise du « Prix pour
l’intelligence de la main » de la Fondation Bettencourt-Schueller, qu’une
campagne d’information, à destination des jeunes, serait orchestrée par les trois ministères concernés : l’Education nationale, l’Artisanat et, bien
sûr, la Culture et la Communication.

Je profite de cette cérémonie pour rappeler que le ministère de la
Culture et de la Communication dispose d’ateliers intégrés, dont les
techniciens d’art sont aussi l’âme de nos établissement les plus
prestigieux, et notamment de nos grands musées nationaux, de la
Bibliothèque nationale, du Mobilier national et des Savonneries, et de la
Manufacture nationale de Sèvres. Toutes les directions de mon
ministère sont mobilisées pour assurer l’avenir de ces métiers, pour les
pérenniser et leur proposer des débouchés sous forme de commandes,
de restaurations ou d’ acquisitions.

Je vous invite à poursuivre, vous aussi, votre quête de la beauté en
sachant qu’elle n’est pas acquise pour toujours, mais qu’elle est,
particulièrement dans vos métiers, un pari sur l’avenir.

En présence du président d’honneur, M. Etienne Vatelot, luthier, et du
vice-président du conseil des métiers d’art, je vais demander à chacun
des nouveaux maîtres d’art, à l’appel de son nom, de bien vouloir me
rejoindre sur l’estrade :
Yves Benoît, avec vous nous plongeons dans l’univers feutré du textile,
et du velours d’Amiens. Gaufreur, imprimeur et façonneur de velours,
vous êtes aussi un chercheur infatigable qui redécouvre, à partir
d’archives, des techniques et des outils oubliés, que vos créations
exclusives et votre sens de l’innovation font renaître et ne cessent de
réinventer.

Christopher Clarke, vous êtes un véritable homme-orchestre, non
seulement parce que, facteur d’instruments anciens à clavier, vous avez
déjà créé 33 instruments neufs, et restauré 50 instruments historiques,
mais aussi parce que votre art nécessite des compétences aussi bien en
ébénisterie qu’en mécanique, en maîtrise du son qu’en accordage, ou
encore en travail des métaux, même précieux, de l’ivoire, de l’os, du
bois, des peaux et des étoffes.

Bernard Dejonghe, votre virtuosité s’exerce sur ces matières nées de la
fusion, que sont le verre et la céramique. Vous en tirez des formes
pures, primitives, qui touchent comme aux sources de l’homme et de
l’art, aux « racines du monde », pour reprendre votre expression.

Gérard Desquand, ce sont les racines des familles que vous gravez sur
du métal précieux, puisque vous êtes l’un des rares spécialistes
héraldistes en France. Par votre geste, précis, minutieux, vous scellez
tout le souvenir, la mémoire, l’attachement à l’histoire, la fierté, aussi,
d’une famille.

Isabelle Emmerique, vous avez fait de la laque, matière exigeante et
délicate, votre mode d’expression privilégié. Vous en avez renouvelé la
technique et la perception, pour nous livrer des oeuvres légères et libres,
qui en dégagent toute la sensualité.

Pietro Seminelli, vous êtes un orfèvre du pli, qui ouvre ou referme,
cache ou dévoile les espaces, comme il cache ou dévoile le « tissu de l’âme », et celui du monde, selon Leibniz. Panneaux coulissants,
paravents, rideaux, vos plissés sont des oeuvres uniques, dynamiques,
des symphonies de transparence et de lumière dont vous êtes le chef
d’orchestre inspiré.

René Tazé, vous avez accueilli, dans votre atelier, des artistes aussi
prestigieux que Gérard Titus Carmel et Zao Wou Ki, qui ont trouvé en
vous un imprimeur taille doucier de très grand talent, attentif à leurs
attentes, et qui partage leur sensibilité.

J’accueille maintenant les quatre chefs d’ateliers de l’industrie du luxe.
Jean-Marie Delhoume, vous modelez cette matière vivante et exigeante
qu’est le cuir, pour confectionner des bagages, des sacs et de la petite
maroquinerie destinés aux défilés de prêt-à-porter de la grande maison
Louis Vuitton, mais aussi pour des projets en collaboration avec les plus
grands designers. César, Philippe Starck, Christian Liaigre, ont déjà
trouvé en vous le partenaire essentiel à la réalisation des formes surgies
de leur imagination.

Martine Houdet, la tulle, la soie, l’organza, le satin, le tweed n’ont aucun
secret pour vous. Vous êtes de ces mains qui ne sont « petites » que
par le nom que le temps leur a donné. Chez Chanel, à partir des plus
belles matières, et des croquis du génial Karl Lagerfeld, vous créez des
objets de rêve, auxquels brodiers, plumassiers ou fleuristes apportent
les dernières touches.

Arnaud Philippe, vous domptez les peaux de crocodile, de buffle ou de
porc, pour leur faire épouser les formes les plus diverses, des sacs au
gainage de moto, de la mallette de violon à l’étui à guitare, autant
d’objets emblématiques des savoir-faire ancestraux comme de la
créativité de la maison Hermès.

Serge Vaneson, vous ciselez le cristal de Baccarat pour réaliser des
oeuvres extraordinaires, féeriques, des oeuvres prestigieuses ou
mythiques, que vous faites renaître parfois, à partir d’archives. Les
artistes font également très souvent appel à vos talents exceptionnels.

A tous, je souhaite redire notre reconnaissance et notre admiration, et
rappeler que la France peut s’enorgueillir de vos talents.

Dîner patrimoine culinaire et gastronomique à l’Institut européen d’histoire et des culture de l’alimentation, Université François Rabelais de Tours

24 novembre 2006

Cher Jean Bardet,

Monsieur le Maire, cher Jean Germain,

Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’industrie de l’Indreet-
Loire, cher Roger Mahoudeau,

Monsieur le Président de l’Université François Rabelais, cher Michel
Lussault,

Monsieur le Président de l’Université Paris-Sorbonne, cher Jean-Robert Pitte,

Messieurs les Présidents,

Messieurs les Professseurs,

Monsieur le Directeur de l’Institut européen d’histoire et des cultures de
l’alimentation, cher Francis Chevrier,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

C’est un véritable plaisir que d’être présent à votre table ce soir, et je vous
remercie de m’y avoir convié.

Merci à vous, cher Jean Bardet, qui êtes un maître, d’avoir réuni des
cuisiniers aussi talentueux que Michel Troisgros, Olivier Roellinger, Stéphane
Raimbault, Alain Senderens, Patrick Jeffroy, Stéphane Carrade, et Sang-
Hoon Degeimbre.

Votre assemblée illustre à merveille cette passion – que, nous comprenons
d’autant mieux que nous la partageons – pour la gastronomie française, dont
vous avez, cher Jean-Robert Pitte, brillamment dressé l’histoire et la
géographie, dans l’ouvrage éponyme.

Mon plaisir d’être parmi vous ce soir mêle les joies du palais et celles de
l’esprit, puisque la gastronomie fait, bien sûr, partie de la culture, et, plus
sûrement encore, de la culture française. Elle est un art que nous envient
tous les pays, une haute expression de notre culture et de notre art de vivre.

Et quelle plus belle ville pouvions-nous rêver pour célébrer l’art culinaire que
Tours, et l’Université qui porte le nom de ce grand amoureux de notre
patrimoine culinaire que fut François Rabelais ?

« Car je suis né et ai été
nourri jeune au jardin de France : c'est Touraine », écrit ce chantre
incomparable de la gastronomie française.

La culture, les cultures de l’alimentation, sont aussi anciennes et riches
d’enseignements que l’histoire des hommes.

Les goûts, les saveurs, les coutumes alimentaires font partie intégrante du
quotidien des hommes et de l’identité des peuples. Ils forgent nos
représentations, nos modes de vie, ils font aussi notre fierté. A ce titre ils sont
de formidables sujets d’études, et je suis ravi que le Forum organisé par
votre Institut offre l’occasion à nos plus éminents spécialistes de dresser une
sociologie de notre table, dans l’esprit de Brillat-Savarin, lorsqu’il écrit dans
son fameux traité relevé, savoureux, et haut en couleurs, La Physiologie du
goût : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es » .

Le fameux adage tiré de cet ouvrage publié en 1825 n’a rien perdu de
sa force, et vibre même d’une ardente actualité, à l’heure de la
mondialisation, qui fait peser sur nous le risque d’un affadissement
général, d’une uniformisation de nos alimentations, d’une banalisation.

Mais le thème retenu cette année pour le Forum attire notre attention
également sur le rôle essentiel qu’ont eu, et que continuent à avoir « les
échanges, les influences et les convergences » des cuisines du monde.

A cet égard, nos cuisines sont sans doute l’une des plus belles
illustrations d’une mondialisation faite d’apports, d’inspirations,
d’échanges, dans le respect des traditions et des identités de chaque
culture. Et si ces dialogues ne sont pas neufs – nombre d’aliments
traditionnels, à l’instar de nos pommes de terre, nous viennent d’outre-océan
– ils n’ont jamais été aussi féconds qu’aujourd’hui, en ce siècle
qui a fait de l’ouverture à l’autre et de la diversité des exigences,
toujours renouvelées.

Je tiens donc à féliciter chaleureusement l’Université François Rabelais
et l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation, son
Directeur, Francis Chevrier et l’ensemble de votre équipe. Par vos
actions, par vos recherches, vous donnez à l’art culinaire la place qui est
la sienne, au coeur de notre patrimoine, de notre identité, de notre
culture et de notre savoir-vivre.

Vous avez attiré récemment mon attention sur le projet de candidature
de la gastronomie française au patrimoine mondial immatériel de
l’UNESCO. Cette idée me paraît excellente et elle s’inscrit en effet
pleinement dans l’esprit de la convention de l’UNESCO pour la
sauvegarde de ce patrimoine. Mes services, et plus particulièrement la
direction de l’architecture et du patrimoine, et la délégation au
développement et aux affaires internationales, sont à votre disposition
pour vous aider à constituer le dossier argumentaire qui appuiera votre
projet, et pour vous assister dans toutes les démarches que vous
entreprendrez pour porter cette candidature.

Je suis certain que les échanges qui ont eu lieu et qui se poursuivent
lors de ce Forum contribueront à mettre en lumière la place essentielle
qu’occupent la culture et l’art culinaires au sein de notre patrimoine et de
nos créations.

Je vous remercie.

30ème anniversaire de la mort de Malraux. Hommage de Renaud Donnedieu de Vabres

23 novembre 2006

Entendre sa voix, sa voix grave et ample, son souffle profond, son timbre si particulier, sa parole forte et libre vibrer, encore aujourd’hui, et défier le temps :
 « En face de l’inconnu certains de nos rêves n’ont pas moins de signification que nos souvenirs… »
« Les grands rêves poussent les hommes aux grandes actions ».
« L’importance que j’ai donné au caractère métaphysique de la mort, m’a fait croire obsédé par le trépas. Autant croire que les biologistes voués à l’étude de la naissance cherchent des places de nourrices. La mort ne se confond pas avec mon trépas. »
« Peu importe que l’on n’approuve pas mes réponses, du moment que l’on ne peut ignorer mes questions… »
« Il faut réveiller les gens…bouleverser leur façon d’identifier les choses. Il faudrait créer des images inacceptables que les gens écument. Les forcer à comprendre qu’ils vivent dans un drôle de monde. Un monde pas rassurant. Un monde pas comme ils croient… »

Trente ans après, la voix porte, le mythe est vivant, dans l’unité de la pensée et de l’action d’un homme, qui apparaît devant nous, avec la mobilité de son visage, la vivacité de son œil qui cligne, la profondeur de son regard, dardé vers le ciel, une cigarette qui ne s’éteint jamais, tombe en cendres sur son stylo, avant de s’élever à nouveau en volutes, en spirales successives, au rythme des gestes incessants de ses grandes mains fines, d’où émerge un doigt pointé vers son interlocuteur, qui revient vers son visage, la pensée effervescente, les citations qui fusent, le verbe éblouissant, le sourire énigmatique et complice, l’attention constamment en éveil …

Rendre aujourd’hui un hommage particulier à André Malraux, prend un sens  tout à fait spécial pour moi. Parce qu’il était de ces hommes qui nous marquent à jamais comme ils marquent les siècles, par leur esprit, par leur œuvre, par leur courage, par leur audace, par leur génie. Par la trace de son écriture, la profondeur de son œuvre littéraire, par l’engagement et le courage qui furent le sien tout au long de sa vie, contre le colonialisme, le fascisme, le nazisme, et toutes les formes d’injustice, de torture des corps et des consciences, mais aussi, bien sûr, par son action, auprès du général de Gaulle, à la tête du ministère des Affaires culturelles, dont nous lui devons la création. Une action qui continue à nous inspirer aujourd’hui, parce qu’elle fut l’expression d’un amour réel pour le patrimoine et pour les créateurs, d’une passion sans borne pour les arts, d’une quête permanente de l’esprit, de visions fulgurantes des actions à mener pour encourager et célébrer, partout où elles se trouvent, les manifestations du beau, du talent et du génie. Mais aussi pour stimuler les rencontres, provoquer les chocs, prolonger les ouvertures, fussent-elles insolites, inédites, ou dérangeantes.

En ce sens, nous savons aujourd’hui qu’André Malraux fut un précurseur. Il montra la voie, il ouvrit le chemin de tous ceux qui lui succédèrent au ministère, devenu celui de la Culture et de la Communication. Et pas seulement parce que son ambition visionnaire, conjuguée aux fondations qu’il a posées, et à l’édifice qu’il a construit, auguraient du développement des politiques culturelles à venir, sur l’ensemble de notre territoire. Son engagement constant et quotidien en faveur de la connaissance, de la préservation et de la restauration des monuments historiques ; l’invention de l’Inventaire, mais aussi son attention à la création contemporaine. Son combat pour les « secteurs sauvegardés », qui permit de sauver, parmi tant d’autres cœurs historiques de nos villes, le quartier du Marais, à Paris ; mais aussi la création des « maisons de la culture », qui sont, au fond, la préfiguration de nos grands musées d’art contemporain, de nos scènes nationales, et surtout de ces lieux pluridisciplinaires et transdisciplinaires, qui diffusent, partout, les arts et la création ; enfin, ce qui est moins connu, son enthousiasme pour le mécénat ; bref, sa conviction que « l’Etat n’est pas fait pour diriger l’art mais pour le servir », et les grands chantiers qu’il a ouverts, continuent, en revêtant des formes nouvelles, à éclairer ce que nous faisons aujourd’hui.

Oui, André Malraux a posé des jalons essentiels, mais, au-delà, si j’ai tenu à marquer cette commémoration, c’est parce qu’à mes yeux son œuvre, sa pensée, son action, sont à l’origine d’un tournant fondamental, fondateur même : à la source de sa politique culturelle, qu’il a imaginée, qu’il a inventée, et qu’il a nourrie bien longtemps avant de devenir ministre, réside une idée, une intuition, je dirais même une foi profonde, lumineuse, une conviction intime : c’est que l’art est une dimension fondamentale de l’homme, de l’humain, une manifestation même de son essence, par définition universelle. Comme le souligne magistralement Henri Godard dans son introduction à la très belle édition récente des Ecrits sur l’art dans la Pléiade : « Au terme de son parcours, Malraux a dégagé les raisons les plus profondes du privilège que nous accordons tous, plus ou moins consciemment, à l’art dans notre civilisation. Nous reconnaissons en lui, non moins que dans le rire, dans le langage, ou dans le soin que nous prenons de nos morts, une part essentielle de l’humanité qui nous lie à l’espèce, depuis son origine et sur toute l’étendue de la terre. »

Cette croyance profonde dans le caractère humain, universel, des arts et de la culture, n’a rien d’anodin. Elle irradiera véritablement l’action et l’œuvre d’André Malraux, et elle aura des conséquences majeures, au premier rang desquels l’entrée de la culture dans la sphère politique, dans l’intérêt général, dans la Cité. « La politique et la culture telles qu’il les conçoit, écrit Janine Mossuz-Lavau, naissent de la même source ». Face à la violence du monde, aux intégrismes et aux fanatismes, la culture est une offre de réconciliation pour le respect de l’autre qu’elle génère.

La deuxième conséquence, qui déterminera plus d’un demi-siècle de politique culturelle, et qui possède aujourd’hui une brûlante actualité, c’est que l’art, essence de l’homme, doit être, par définition, accessible à tous les hommes. C’est le sens de cette remarque de Maurice Blanchot, que Henri Godard a placée en exergue de son introduction : « Que l’art et tout l’art soit livré à chacun, à tout instant, c’est l’événement considérable que Malraux nous a rendu perceptible et d’où il a tiré, pour la création artistique, une vue et une exigence nouvelles. »

Oui, c’est un événement considérable, parce qu’il augure de soixante ans d’efforts pour faire surgir la culture dans tous les foyers, dans tous les cœurs, dans tous les esprits, et nous connaissons tous la définition, si belle et si féconde, si efficace aussi, qui résume à elle seule cette vaste ambition, et la première mission, fondatrice, et toujours actuelle, du ministère des Affaires culturelles : « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. » Oui, l’art est un droit, une conquête, une liberté, pour tous, et l’Etat doit veiller à la protection de ce droit, au respect de cette conquête, à la liberté des artistes, et dans cette conjoncture parfois brûlante et intégriste, le rappeler est une nécessité.

Je tiens à souligner une dernière conséquence, qui aura également une portée retentissante, et dont nous ne cessons de nous inspirer, à l’aube de ce nouveau siècle dont l’impératif est la diversité culturelle : si l’art est universel, s’il est l’expression de l’humanité en l’homme, alors nous devons nous ouvrir aux expressions de toutes les civilisations, parce qu’elles expriment chacune des points de vue sur l’univers, parce qu’elles opposent à leur compréhension comme à leur incompréhension de ce qui les entourent des formes proprement humaines, et libres, des formes qui, pour certaines d’entre elles, résistent au temps, résonnent de la même force à travers les siècles, et, selon sa très belle formule, se métamorphosent en anti-destin. Parce que, écrit-il aussi, « Notre art me paraît une rectification du monde, un moyen d’échapper à la condition d’homme. »

Notre combat victorieux à l’UNESCO, c’est le sien.

Si André Malraux a exalté l’universalité de l’homme et de l’expression artistique, il a eu également la prescience de la dimension culturelle, voire spirituelle, de la mondialisation, la conscience du fondement culturel du projet européen, et l’intuition de la valeur, de la force et de la pérennité culturelles de la nation. Parmi les documents exceptionnels que nous présentons aujourd’hui au public rue de Valois, il y a un manuscrit, d’où j’extrais cette phrase, qui est une maxime, à l’approche du cinquantenaire du Traité de Rome, que nous célèbrerons en mars prochain : « l’Europe ne sera pas si elle n’est conscience et volonté »

Dans son très bel Appel aux intellectuels, lancé depuis la salle Pleyel, en 1948, et qui est devenu la postface des Conquérants, il s’adresse à « la première génération d’héritiers de la terre entière ». Mieux vaut le citer, plutôt que de le paraphraser : « D’âge en âge, des civilisations successives, qui s’adressent à des éléments successifs de l’homme, se superposent ; elles ne se rejoignent profondément que dans leurs héritiers. » Mais celui qui prit conscience, avant tant d’autres, des dangers de l’idéalisme communiste, comme des menaces des impérialismes et des hégémonies, distingua l’internationalisme de l’universalité, le libéralisme de la liberté, et le nationalisme de la nation. Ce texte, pour moi l’un de ses plus émouvants, si extraordinairement moderne, clame, avec des accents prophétiques, l’amour de l’art et de la nation, l’amour de l’homme et de la liberté. « Quand la France a-t-elle été grande ? demande-t-il, Quand elle n’était pas retranchée sur la France. Elle est universaliste. » Il aimait dire que « la France n’a jamais été aussi grande que lorsqu’elle l’était pour les autres », et que la culture a précisément pour objet, pour mission, pour promesse, de « faire prendre conscience aux hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux. »

Par sa foi en l’homme, par sa foi en l’art, André Malraux nous a rendus responsables des œuvres de toute l’humanité, une responsabilité qu’il a revendiquée pour préserver les temples d’Abou Simbel menacés par la construction du barrage d’Assouan, posant ainsi la première pierre de ce qui deviendra le patrimoine de l’humanité, classé par l’Unesco. Il affirme, le premier, que « […] la première civilisation mondiale revendique publiquement l’art mondial comme son indivisible héritage ».

André Malraux a donné sa signification la plus forte à la notion même de patrimoine, celle de l’âme d’un pays, d’une civilisation.  Avec lui, la culture n’est pas un supplément d’âme. Elle est l’âme même. Elle est la vie, au-delà même de la mort. Les châteaux, les cathédrales, les monuments, les musées, mais aussi les perspectives les plus familières, comme il l’a si brillamment proféré, en défendant la loi qui porte aujourd’hui son nom, depuis la tribune de l’Assemblée nationale, surplombant Clio et sa tablette, et la Renommée et sa trompette, devant les députés éberlués, sont devenus « les jalons successifs et fraternels de l’immense rêve éveillé que poursuit la France depuis mille ans. »

L’architecture participe également de cette vision, et c’est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. C’est un sujet peu étudié, mais c’est un sujet essentiel à défricher, et je remercie le Comité d’histoire, je vous remercie toutes et tous, d’y consacrer cette journée.

Je laisse bien évidemment le soin aux chercheurs de mettre en lumière cette facette méconnue de l’action d’André Malraux, et je serai très attentif à leurs interventions. Je voudrais simplement souligner, en tant que ministre de la Culture et de la communication, combien son héritage est précieux. Certes, Eric Lengereau a montré que le ministère des Affaires culturelles était parfois tenu isolé de la mobilisation du gouvernement français face à l’urbanisation croissante de l’après-guerre, et à la modification des paysages ruraux et urbains. André Malraux considérait l’architecture avant tout comme un art, avant d’être un élément déterminant de l’amélioration du cadre de vie des citoyens et de l’aménagement du territoire.

Mais, encore une fois, à la tête du ministère des Affaires culturelles, il fut à l’origine de tant de mesures phares, de gestes fondateurs, d’impulsions fondamentales qui rapprochèrent sensiblement l’art de bâtir de l’urbanisme et du cadre de vie, en préfigurant la mission et la portée qui sont les siennes aujourd’hui. La grande loi de 1962, sur les « secteurs sauvegardés », fut une avancée décisive en ce sens, en élargissant la protection des monuments historiques à leur environnement, aux immeubles qui forment autour d’eux des ensembles homogènes. Aux chefs-d’œuvre, on ajouta les « vieilles pierres », à l’enthousiasme propre au sublime on ajouta l’affection, l’attachement, la sensibilité naissante pour notre patrimoine national, dans sa diversité, que le tourisme, le développement des échanges, et la démocratisation de la culture se hâtèrent d’amplifier, et d’apporter au rayonnement et à l’attractivité de notre pays.

Avant de céder la parole aux spécialistes, permettez-moi de vous lire quelques lignes, tirées de ce qui est, à mes yeux, l’un des plus beaux discours de cet orateur hors pair qu’était André Malraux. Il a été prononcé le premier septembre 1965, en hommage à Le Corbusier, qui venait de disparaître, ce génie de l’architecture qui fut aussi son ami.

« Sa phrase fameuse: « Une maison est une machine à habiter » ne le peint pas du tout. Ce qui le peint, cest : « La maison doit être lécrin de la vie ». La machine à bonheur. Il a toujours rêvé de villes, et les projets de ses « cités radieuses » sont des tours surgies dimmenses jardins. Cet agnostique a construit léglise et le couvent les plus saisissants du siècle. Il disait, à la fin de sa vie: « Jai travaillé pour ce dont les hommes daujourdhui ont le plus besoin: le silence et la paix ». […] Cette noblesse parfois involontaire saccommodait fort bien de théories souvent prophétiques et presque toujours agressives, dune logique enragée, qui font partie des ferments du siècle. Toute théorie est condamnée au chef-dœuvre ou à loubli. Mais celles-là ont apporté aux architectes la grandiose responsabilité qui est aujourdhui la leur, la conquête des suggestions de la terre par lesprit. Le Corbusier a changé larchitecture – et larchitecte. Cest pourquoi il fut lun des premiers inspirateurs de ce temps. »

Ne pourrait-on pas, aujourd’hui, en dire autant d’André Malraux pour la culture, car lui aussi, fut notre inspirateur, et je vous remercie de vous en souvenir particulièrement aujourd’hui. Je sais que certains parmi vous ont été les témoins et les acteurs de sa vie, de son œuvre, de son action.

Pour Malraux, l’homme ne pouvait qu’être incarné dans le temps ; l’art fondé sur un dialogue entre les hommes et les œuvres ; l’architecture sur un dialogue entre les hommes et les pierres ; un dialogue qui dessine, par la culture, par la politique, le chemin, l’élévation, l’âme même de l’humanité à travers les siècles. Il ne séparait pas l’éthique de l’esthétique. La politique, de la vie. Pour moi, au-delà d’une morale humaniste de l’action, il nous a légué sa vision de la condition humaine. Celle d’un homme toujours porté, au-delà de ses propres limites, à se dépasser, à transformer son destin individuel en volonté collective. Cela demeure pour moi, non seulement un guide dans l’action, mais une véritable exigence, et pour nous tous, sans doute, une espérance.

Hommage à André Malraux – 30e anniversaire de sa disparition – Ouverture de la Journée d’Etude

23 novembre 2006

Entendre sa voix, sa voix grave et ample, son souffle profond, son timbre si particulier, sa
parole forte et libre vibrer, encore aujourd’hui, et défier le temps :

« En face de l’inconnu certains de nos rêves n’ont pas moins de signification que nos
souvenirs… »

« Les grands rêves poussent les hommes aux grandes actions ».

« L’importance que j’ai donné au caractère métaphysique de la mort, m’a fait croire obsédé
par le trépas. Autant croire que les biologistes voués à l’étude de la naissance cherchent des
places de nourrices. La mort ne se confond pas avec mon trépas. »

« Peu importe que l’on n’approuve pas mes réponses, du moment que l’on ne peut ignorer
mes questions… »

« Il faut réveiller les gens…bouleverser leur façon d’identifier les choses. Il faudrait créer des
images inacceptables que les gens écument. Les forcer à comprendre qu’ils vivent dans un
drôle de monde. Un monde pas rassurant. Un monde pas comme ils croient… »

Trente ans après, la voix porte, le mythe est vivant, dans l’unité de la pensée et de l’action
d’un homme, qui apparaît devant nous, avec la mobilité de son visage, la vivacité de son oeil
qui cligne, la profondeur de son regard, dardé vers le ciel, une cigarette qui ne s’éteint
jamais, tombe en cendres sur son stylo, avant de s’élever à nouveau en volutes, en spirales
successives, au rythmes des gestes incessants de ses grandes mains fines, d’où émerge un
doigt pointé vers son interlocuteur, qui revient vers son visage, la pensée effervescente, les
citations qui fusent, le verbe éblouissant, le sourire énigmatique et complice, l’attention
constamment en éveil …

Rendre aujourd’hui un hommage particulier à André Malraux, prend un sens tout à fait
spécial pour moi. Parce qu’il était de ces hommes qui nous marquent à jamais comme ils
marquent les siècles, par leur esprit, par leur oeuvre, par leur courage, par leur audace, par
leur génie. Par la trace de son écriture, la profondeur de son oeuvre littéraire, par
l’engagement et le courage qui furent le sien tout au long de sa vie, contre le colonialisme, le
fascisme, le nazisme, et toutes les formes d’injustice, de torture des corps et des
consciences, mais aussi, bien sûr, par son action, auprès du général de Gaulle, à la tête du
ministère des Affaires culturelles, dont nous lui devons la création. Une action qui continue à
nous inspirer aujourd’hui, parce qu’elle fut l’expression d’un amour réel pour le patrimoine et
pour les créateurs, d’une passion sans borne pour les arts, d’une quête permanente de
l’esprit, de visions fulgurantes des actions à mener pour encourager et célébrer, partout où
elles se trouvent, les manifestations du beau, du talent et du génie.

Mais aussi pour stimuler
les rencontres, provoquer les chocs, prolonger les ouvertures, fussent-elles insolites,
inédites, ou dérangeantes.

En ce sens, nous savons aujourd’hui qu’André Malraux fut un précurseur. Il montra la voie, il
ouvrit le chemin de tous ceux qui lui succédèrent au ministère, devenu celui de la Culture et
de la Communication. Et pas seulement parce que son ambition visionnaire, conjuguée aux
fondations qu’il a posées, et à l’édifice qu’il a construit, auguraient du développement des
politiques culturelles à venir, sur l’ensemble de notre territoire. Son engagement constant et
quotidien en faveur de la connaissance, de la préservation et de la restauration des
monuments historiques ; l’invention de l’Inventaire, mais aussi son attention à la création
contemporaine.

Son combat pour les « secteurs sauvegardés », qui permit de sauver, parmi
tant d’autres coeurs historiques de nos villes, le quartier du Marais, à Paris ; mais aussi la
création des « maisons de la culture », qui sont, au fond, la préfiguration de nos grands
musées d’art contemporain, de nos scènes nationales, et surtout de ces lieux
pluridisciplinaires et transdisciplinaires, qui diffusent, partout, les arts et la création ; enfin, ce
qui est moins connu, son enthousiasme pour le mécénat ; bref, sa conviction que « l’Etat
n’est pas fait pour diriger l’art mais pour le servir », et les grands chantiers qu’il a ouverts,
continuent, en revêtant des formes nouvelles, à éclairer ce que nous faisons aujourd’hui.

Oui, André Malraux a posé des jalons essentiels, mais, au-delà, si j’ai tenu à marquer cette
commémoration, c’est parce qu’à mes yeux son oeuvre, sa pensée, son action, sont à
l’origine d’un tournant fondamental, fondateur même : à la source de sa politique culturelle,
qu’il a imaginée, qu’il a inventée, et qu’il a nourrie bien longtemps avant de devenir ministre,
réside une idée, une intuition, je dirais même une foi profonde, lumineuse, une conviction
intime : c’est que l’art est une dimension fondamentale de l’homme, de l’humain, une
manifestation même de son essence, par définition universelle. Comme le souligne
magistralement Henri Godard dans son introduction à la très belle édition récente des Ecrits
sur l’art dans la Pléiade : « Au terme de son parcours, Malraux a dégagé les raisons les plus
profondes du privilège que nous accordons tous, plus ou moins consciemment, à l’art dans
notre civilisation. Nous reconnaissons en lui, non moins que dans le rire, dans le langage, ou
dans le soin que nous prenons de nos morts, une part essentielle de l’humanité qui nous lie
à l’espèce, depuis son origine et sur toute l’étendue de la terre. »

Cette croyance profonde dans le caractère humain, universel, des arts et de la culture, n’a
rien d’anodin. Elle irradiera véritablement l’action et l’oeuvre d’André Malraux, et elle aura
des conséquences majeures, au premier rang desquels l’entrée de la culture dans la sphère
politique, dans l’intérêt général, dans la Cité. « La politique et la culture telles qu’il les
conçoit, écrit Janine Mossuz-Lavau, naissent de la même source » face à la violence du
monde, aux intégrismes et aux fanatismes, la culture est une offre de réconciliation pour le
respect de l’autre qu’elle génère.

La deuxième conséquence, qui déterminera plus d’un demi-siècle de politique culturelle, et
qui possède aujourd’hui une brûlante actualité, c’est que l’art, essence de l’homme, doit être,
par définition, accessible à tous les hommes. C’est le sens de cette remarque de Maurice
Blanchot, que Henri Godard a placée en exergue de son introduction :

« Que l’art et tout l’art
soit livré à chacun, à tout instant, c’est l’événement considérable que Malraux nous a rendu
perceptible et d’où il a tiré, pour la création artistique, une vue et une exigence nouvelles. »

Oui, c’est un événement considérable, parce qu’il augure de soixante ans d’efforts pour faire
surgir la culture dans tous les foyers, dans tous les coeurs, dans tous les esprits, et nous
connaissons tous la définition, si belle et si féconde, si efficace aussi, qui résume à elle seule
cette vaste ambition, et la première mission, fondatrice, et toujours actuelle, du ministère des
Affaires culturelles :

« rendre accessibles les oeuvres capitales de l’humanité, et d’abord de
la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience à
notre patrimoine culturel et favoriser la création des oeuvres de l’art et de l’esprit qui
l’enrichissent. »

Oui, l’art est un droit, une conquête, une liberté, pour tous, et l’Etat doit
veiller à la protection de ce droit, au respect de cette conquête.

Je tiens à souligner une dernière conséquence, qui aura également une portée retentissante,
et dont nous ne cessons de nous inspirer, à l’aube de ce nouveau siècle dont l’impératif est
la diversité culturelle : si l’art est universel, s’il est l’expression de l’humanité en l’homme,
alors nous devons nous ouvrir aux expressions de toutes les civilisations, parce qu’elles
expriment chacune des points de vue sur l’univers, parce qu’elles opposent à leur
compréhension comme à leur incompréhension de ce qui les entourent des formes
proprement humaines, et libres, des formes qui, pour certaines d’entre elles, résistent au
temps, résonnent de la même force à travers les siècles, et, selon sa très belle formule, se
métamorphosent en anti-destin. Parce que, écrit-il aussi, « Notre art me paraît une
rectification du monde, un moyen d’échapper à la condition d’homme. »

Si André Malraux a exalté l’universalité de l’homme et de l’expression artistique, il a eu
également la prescience de la dimension culturelle, voire spirituelle, de la mondialisation, la
conscience du fondement culturel du projet européen, et l’intuition de la valeur, de la force et
de la pérennité culturelles de la nation. Dans son très bel Appel aux intellectuels, lancé
depuis la salle Pleyel, en 1948, et qui est devenu la postface des Conquérants, il s’adresse à
« la première génération d’héritiers de la terre entière ». Mieux vaut le citer, plutôt que de le
paraphraser :

« D’âge en âge, des civilisations successives, qui s’adressent à des éléments
successifs de l’homme, se superposent ; elles ne se rejoignent profondément que dans leurs
héritiers. »

Mais celui qui prit conscience, avant tant d’autres, des dangers de l’idéalisme
communiste, comme des menaces des impérialismes et des hégémonies, distingua
l’internationalisme de l’universalité, le libéralisme de la liberté, et le nationalisme de la nation.

Ce texte, pour moi l’un de ses plus émouvants, si extraordinairement moderne, clame, avec
des accents prophétiques, l’amour de l’art et de la nation, l’amour de l’homme et de la liberté.

« Quand la France a-t-elle été grande ? demande-t-il, Quand elle n’était pas retranchée sur
la France. Elle est universaliste. » Il aimait dire que « la France n’a jamais été aussi grande
que lorsqu’elle l’était pour les autres », et que la culture a précisément pour objet, pour
mission, pour promesse, de « faire prendre conscience aux hommes de la grandeur qu’ils
ignorent en eux. »

Par sa foi en l’homme, par sa foi en l’art, André Malraux nous a rendus responsables des
oeuvres de toute l’humanité, une responsabilité qu’il a revendiquée pour préserver les
temples d’Abou Simbel menacés par la construction du barrage d’Assouan, posant ainsi la
première pierre de ce qui deviendra le patrimoine de l’humanité, classé par l’Unesco. Il
affirme, le premier, que « […] la première civilisation mondiale revendique publiquement l’art
mondial comme son indivisible héritage ».

André Malraux a donné sa signification la plus forte à la notion même de patrimoine, celle de
l’âme d’un pays, d’une civilisation. Avec lui, la culture n’est pas un supplément d’âme. Elle
est l’âme même. Elle est la vie, au-delà même de la mort. Les châteaux, les cathédrales, les
monuments, les musées, mais aussi les perspectives les plus familières, comme il l’a si
brillamment proféré, en défendant la loi qui porte aujourd’hui son nom, depuis la tribune de
l’Assemblée nationale, surplombant Clio et sa tablette, et la Renommée et sa trompette,
devant les députés éberlués, sont devenus « les jalons successifs et fraternels de l’immense
rêve éveillé que poursuit la France depuis mille ans. »

L’architecture participe également de cette vision, et c’est le sujet qui nous intéresse
aujourd’hui. C’est un sujet peu étudié, mais c’est un sujet essentiel à défricher, et je remercie
le Comité d’histoire, je vous remercie toutes et tous, d’y consacrer cette journée.

Je laisse bien évidemment le soin aux chercheurs de mettre en lumière cette facette
méconnue de l’action d’André Malraux, et je serai très attentif à leurs interventions. Je
voudrais simplement souligner, en tant que ministre de la Culture et de la communication,
combien son héritage est précieux. Certes, Eric Lengereau a montré que le ministère des
Affaires culturelles était parfois tenu isolé de la mobilisation du gouvernement français face à
l’urbanisation croissante de l’après-guerre, et à la modification des paysages ruraux et
urbains. André Malraux considérait l’architecture avant tout comme un art, avant d’être un
élément déterminant de l’amélioration du cadre de vie des citoyens et de l’aménagement du
territoire.

Mais, encore une fois, à la tête du ministère des Affaires culturelles, il fut à l’origine de tant
de mesures phares, de gestes fondateurs, d’impulsions fondamentales qui rapprochèrent
sensiblement l’art de bâtir de l’urbanisme et du cadre de vie, en préfigurant la mission et la
portée qui sont les siennes aujourd’hui. La grande loi de 1962, sur les « secteurs
sauvegardés », fut une avancée décisive en ce sens, en élargissant la protection des
monuments historiques à leur environnement, aux immeubles qui forment autour d’eux des
ensembles homogènes. Aux chefs-d’oeuvre, on ajouta les « vieilles pierres », à
l’enthousiasme propre au sublime on ajouta l’affection, l’attachement, la sensibilité naissante
pour notre patrimoine national, dans sa diversité, que le tourisme, le développement des
échanges, et la démocratisation de la culture se hâtèrent d’amplifier, et d’apporter au
rayonnement et à l’attractivité de notre pays.

Avant de céder la parole aux spécialistes, permettez-moi de vous lire quelques lignes, tirées
de ce qui est, à mes yeux, l’un des plus beaux discours de cet orateur hors pair qu’était
André Malraux. Il a été prononcé le premier septembre 1965, en hommage à Le Corbusier,
qui venait de disparaître, ce génie de l’architecture qui fut aussi son ami.

« Sa phrase fameuse: « Une maison est une machine à habiter » ne le peint pas du tout. Ce
qui le peint, c'est : « La maison doit être l'écrin de la vie ». La machine à bonheur. Il a
toujours rêvé de villes, et les projets de ses « cités radieuses » sont des tours surgies
d'immenses jardins. Cet agnostique a construit l'église et le couvent les plus saisissants du
siècle. Il disait, à la fin de sa vie:

« J'ai travaillé pour ce dont les hommes d'aujourd'hui ont le
plus besoin: le silence et la paix ». […] Cette noblesse parfois involontaire s'accommodait
fort bien de théories souvent prophétiques et presque toujours agressives, d'une logique
enragée, qui font partie des ferments du siècle. Toute théorie est condamnée au chefd'oeuvre
ou à l'oubli. Mais celles-là ont apporté aux architectes la grandiose responsabilité
qui est aujourd'hui la leur, la conquête des suggestions de la terre par l'esprit. Le Corbusier a
changé l'architecture – et l'architecte. C'est pourquoi il fut l'un des premiers inspirateurs de ce
temps. »

Ne pourrait-on pas, aujourd’hui, en dire autant d’André Malraux pour la culture, car lui aussi,
fut notre inspirateur, et je vous remercie de vous en souvenir particulièrement aujourd’hui. Je
sais que certains parmi vous ont été les témoins et les acteurs de sa vie, de son oeuvre, de
son action.

Pour Malraux, l’homme ne pouvait qu’être incarné dans le temps ; l’art fondé sur un dialogue
entre les hommes et les oeuvres ; l’architecture sur un dialogue entre les hommes et les
pierres ; un dialogue qui dessine, par la culture, par la politique, le chemin, l’élévation, l’âme
même de l’humanité à travers les siècles. Il ne séparait pas l’éthique de l’esthétique. La
politique, de la vie. Pour moi, au-delà d’une morale humaniste de l’action, il nous a légué sa
vision de la condition humaine. Celle d’un homme toujours porté, au-delà de ses propres
limites, à se dépasser, à transformer son destin individuel en volonté collective. Cela
demeure pour moi, non seulement un guide dans l’action, mais une véritable exigence, et
pour nous tous, sans doute, une espérance.

Congrès de la Fédération nationale de la presse française (FNPF) à Strasbourg

23 novembre 2006

Madame le Sénateur-Maire, chère Fabienne Keller,

Monsieur le Président de la Communauté urbaine de Strasbourg,

Monsieur le Vice-Président du Sénat, Président du Conseil général du Bas-
Rhin, cher Philippe Richert,

cher Robert Grossman,

Monsieur le Président de la Fédération Nationale de la Presse Française,
cher François d’Orcival,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être présent parmi vous, à Strasbourg, pour le 15e
congrès de la Fédération nationale de la presse française, pour réfléchir
avec vous à l’avenir de l’écrit. Je tiens à remercier chaleureusement votre
président, François d’Orcival, de m’y avoir associé, et de m’avoir permis de
revenir dans cette belle ville de Strasbourg.

Une ville, chère Fabienne Keller, au carrefour de l’Europe, dont elle abrite
le Parlement, une ville chargée d’art et d’histoire, dont je salue la grande
vitalité culturelle, le dynamisme créatif, comme la richesse patrimoniale,
avec notamment sa « Grande île » inscrite au patrimoine mondial de
l’UNESCO.

Oui, Strasbourg a su faire de la culture, de son patrimoine unique, de ses
monuments, de ses musées, de ses lieux de spectacle vivant, de ses
créations, un axe majeur de son développement et de son rayonnement.

Strasbourg est aussi une ville symbolique de ce combat, de cet
engagement, de cette passion qui nous réunit aujourd’hui, pour la liberté
d’expression, pour la qualité de l’information et la vitalité de la presse.

Une ville, enfin – et Robert Grossman pourrait vous en parler, lui qui a écrit
le très beau livre Le Choix de Malraux, l’Alsace, une seconde patrie – une
ville, disais-je, qui a marqué le destin de ce grand homme dont nous
célébrons aujourd’hui le trentenaire de la disparition, André Malraux, qui
fut, aux côtés du général de Gaulle, dès 1945, ministre de l’Information,
avant de créer le ministère de la Culture, comme ministre d’Etat, en 1959.

Souvenons-nous tous ici, particulièrement aujourd’hui, que sous le nom de
Résistance du Colonel Berger, il créa la brigade Alsace-Lorraine, et à la
tête de ces volontaires venus de Corrèze, aux côtés des troupes de Leclerc
et de la population de la ville, il défendit Strasbourg, qui fut libérée le 23
novembre 1944, il y a exactement 62 ans aujourd'hui. C’est à Strasbourg
également, qu’il a assisté, aux côtés du Général de Gaulle, à la création du
Rassemblement du Peuple Français, le 7 avril 1947.

A Paris, j’ai ouvert ce matin le ministère de la Culture et de la
Communication au public, pour une exposition exceptionnelle en
hommage à sa mémoire, à tout ce qu’il nous a légué, et d’abord son
oeuvre foisonnante et multiple, ainsi que les principes fondateurs, les
visions créatrices de notre politique culturelle, mais aussi un sens de
l’histoire et du tragique que des Alsaciens et des Strasbourgeois ont
éprouvé dans leur chair.

Malraux avait eu très tôt une intuition profonde du rôle capital de la
presse, des journaux, dans la liberté et la conscience des peuples. Dès
1925, il créa, avec Paul Monin, le quotidien L’Indochine, dénonçant les
abus, la censure, les tortures, les scandales, puis, clandestinement,
L’Indochine enchaînée.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsque le Conseil national
de la Résistance dut décider l’adoption de « mesures à appliquer pour la
libération du territoire », il donna une place de tout premier rang à « la
pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression – la liberté de la
presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des
puissances d’argent et des influences étrangères. ».

Cette presse de l’après-guerre était une « presse de combat », ainsi que
la qualifia André Malraux, une presse de conquête, éperdue de cette
liberté qui « existe pour et par ceux qui l’ont conquise ». Aujourd’hui
comme hier, la presse écrite est fille, et soeur de cette liberté si chèrement
acquise, elle est un pilier de notre démocratie, et cela seul justifie
l’ampleur de l’engagement de l’Etat à son égard.

Je tiens à vous dire tout d’abord combien je crois moi aussi profondément
en la presse, combien je tiens à sa liberté, et combien je veux m’engager
pour son avenir. Ma responsabilité de ministre de la Culture et de la
Communication, ma conviction intime, et mon engagement d’homme
politique me portent en effet à ne pas céder à une vision pessimiste de
l’avenir, à ne pas rejoindre le choeur des Cassandre, mais bien au
contraire à être profondément convaincu que la presse française, de par
ses qualités intrinsèques, est amenée à jouer un rôle de tout premier plan
dans le nouveau paysage des médias.

Face au déferlement des informations, face à la recherche effrénée de
l’immédiat, de l’instantané, face au flux des images et des émotions, face
aux flots de voix anonymes qui veulent se faire entendre sur les blogs,
face à la rumeur, à l’inexactitude, face à la spontanéité, à la facilité, à la
culture du zapping, nos concitoyens auront de plus en plus besoin de vos
analyses, de votre recul, de votre rigueur, de vos vérifications, de votre
intelligence de l’événement, bref, de votre métier. Internet ne sonne pas le
glas de la presse, bien au contraire les talents, le professionnalisme et
l’authentification sont plus que jamais des impératifs et des urgences.

La confiance n’empêche pas la lucidité et je mesure tout à fait les
difficultés qui touchent ce secteur essentiel. Je veux donner les moyens à
la presse d’affronter un avenir où elle a toute sa place. Telle est ma
détermination. Telle est ma conception de ma mission. Je sais aussi les
efforts que vous déployez pour relever les défis qui sont ceux de votre
secteur aujourd’hui. L’histoire de la presse écrite est faite de conquêtes nouvelles, d’adaptations permanentes, de réactivité féconde, par
lesquelles elle a toujours su montrer combien elle était indispensable à
nos concitoyens, au débat public, à notre démocratie, mais aussi
compatible, ou plutôt complémentaire avec d’autres moyens d’expression
et de diffusion des idées.

Depuis votre dernière rencontre à Bordeaux il y a trois ans, les défis que
votre profession doit relever se sont précisés, les mutations qui traversent
le secteur se sont accélérées et le sentiment de l’ampleur de la tâche à
accomplir a pu, légitimement, grandir.

Pour réussir son avenir, la presse doit surmonter bien des difficultés,
notamment économiques, auxquelles elle est aujourd’hui confrontée, et
que vous connaissez mieux que personne. En France, ces difficultés
connaissent une intensité nouvelle. Elles sont associées aux inquiétudes
que suscitent l’essor des gratuits, d’Internet et des médias mobiles. Elles
sont liées aussi aux empiètements de la « blogosphère » sur l’autonomie
du champ journalistique, à la baisse de la diffusion payée, à la très forte
concurrence sur le marché publicitaire, et au renouvellement du lectorat.

Je suis donc très heureux que votre Fédération, représentative des
différentes facettes de ce secteur, l’information spécialisée, la presse
quotidienne nationale, régionale et départementale, la presse magazine et
d’opinion, et de leurs différents enjeux, les réunissent, pendant ces
journées de réflexion, afin de jeter, ici, à Strasbourg, les bases de cette
« reconquête de l’écrit ». Tel est bien le sujet en effet.

Notre société des écrans demeure une civilisation de l’écrit, et cela ne va
pas de soi, car c’est le fruit du travail, des efforts, du professionnalisme de
la communauté que vous représentez. Votre enthousiasme pour la
défense de vos métiers, votre énergie, votre engagement en faveur de la
presse, il est de mon devoir de les relayer, de les appuyer, de les
encourager. Je tiens à dire ici que l’Etat a été, est, et sera à vos côtés
pour accompagner les évolutions que vous conduisez, que vous
connaissez, que vous anticipez.

Oui, l’Etat a un rôle majeur à jouer. Sans réglementations et interventions
appropriées de l’Etat, la presse, comme la diversité culturelle, ne peuvent
pas exister. Et la presse vivra, avec l’aide de l’Etat, avec les ressources,
qu’elle saura mobiliser, non seulement financières, mais aussi
intellectuelles, humaines, créatives, avec le soutien de ses lecteurs, elle
vivra bien plus longtemps que les préconisations éphémères d’un
énième rapport qui n’engage que ses auteurs.

Avec un budget total de 274 millions d’euros, le projet de loi de finances
pour 2007 représente, à périmètre constant, un montant de crédits
supérieur de plus de 22% aux moyens consacrés à la presse écrite il y a
encore deux ans. Comme en 2005 et en 2006, j’ai voulu que ces crédits
appuient prioritairement les efforts engagés par le secteur pour conforter
durablement les conditions de son indépendance économique et de son
développement futur, qu’il s’agisse de la modernisation des entreprises,
d’actions innovantes, ou de la recherche d’une plus grande autonomie
financière. Et cette autonomie est la garantie même de sa liberté, et du
pluralisme. Si la concentration excessive ne peut que nuire à ces dernières, n’oublions pas, et le rapport Lancelot de décembre 2005 l’a
rappelé, que la constitution d’entreprises puissantes, de groupes de
presse plurimédias, permet aussi de créer les conditions financières d’une
plus grande autonomie.

Je tiens à insister sur le fait que, dans le contexte budgétaire que nous
connaissons, l’effort de l’Etat est un effort majeur. Mais, l’Etat sait que la
constance du soutien est décisive et son engagement financier massif,
année après année, entend accompagner les réformes structurelles que
vous mettez en oeuvre.

Engager des moyens financiers conséquents et déterminer clairement
quelle est la priorité de la politique publique en faveur de la presse, tels
sont, aujourd’hui, les éléments indispensables à l’efficacité de l’action de
l’Etat. Or, cette efficacité ne pourra porter ses fruits que si elle est
directement utile au développement de vos titres.

A cette fin, plusieurs mesures seront adoptées, avant la fin de l’année,
dans le domaine fiscal. Pour répondre à la faiblesse chronique des fonds
propres des entreprises de presse, qui obère bien souvent leur capacité
d’investissement, un mécanisme de réduction d’impôt permettra de
faciliter l’investissement dans le capital des entreprises de presse.

De même, le système spécifique de provision pour investissements dit du
« 39 bis » sera adapté pour mieux répondre aux besoins des entreprises.

Le régime actuel, qui arrive à échéance à la fin de l’année, sera prorogé
jusqu’en 2010.

Par ailleurs, désormais les dons aux journaux d’opinion tant des
particuliers que des entreprises pourront se voir appliquer la déduction
fiscale autorisée au titre du mécénat culturel. Cette disposition n’implique
pas l’adoption d’un texte en loi de finances. Il s’agit d’une interprétation
désormais officielle et je veux vous lancer un appel solennel aujourd’hui
ici à Strasbourg : créez une fondation de la presse française, faites
connaître cette disposition à vos lectorats présents et à venir afin qu’ils
participent directement au soutien des titres qu’ils aiment. Bien sûr
chaque titre est libre de créer sa propre fondation mais réfléchissez à
cette idée de fondation de la presse française d’opinion. Je suis prêt à
contribuer à sa réalisation.

Plus généralement, l’action publique doit avoir pour exigence une grande
réactivité afin de répondre, de manière adaptée, à des besoins en
constante redéfinition. La modernisation du secteur constitue à l’évidence
le défi primordial que la presse doit absolument relever, pour conforter ou
restaurer les conditions de son indépendance économique et de son
développement futur.

Oui, je le redis, je crois profondément que la presse écrite a un avenir.

L’avènement du numérique oblige la presse à se réinventer. Les
réflexions de tous les horizons sont précieuses pour cette mutation et je
pense en particulier aux travaux novateurs du Centre National pour le
Développement de l’Information, implanté à Lyon.

L’avenir de la presse papier est indissociablement lié à l’avenir de sa
distribution. L’Etat soutient la nécessaire modernisation du circuit de
distribution de la presse, avec le souci d’intégrer tous les maillons de la
chaîne. En 2002, une aide a été instituée pour accompagner la
modernisation de la distribution de la presse quotidienne nationale
d’information politique et générale. Initialement prévue pour trois ans,
cette aide a été reconduite et complétée par une aide spécifique à la
modernisation du réseau des diffuseurs.

Plus largement, les pouvoirs publics s’attachent à favoriser le
développement de la diffusion, sous toutes ses formes, et notamment le
transport postal de la presse, le portage, ou encore l’expansion de la
presse française à l’étranger.

Mais, au-delà des aides publiques, en adaptation permanente, une
concertation active plus globale doit être menée sur la modernisation de
la distribution de la presse. Le système est aujourd’hui performant, mais il
doit se réformer, dans la concertation avec chacune des parties
concernées, pour pouvoir durer. Et je crois que l’avenir est, non pas à la
réduction du nombre de points de vente, mais bien au contraire à la
création de nouveaux points de vente, plus modernes, plus spécifiques
peut-être, adaptés à un univers différent, pour séduire de nouveaux
lecteurs.

L’avenir de la presse n’existe que par les lecteurs à venir. Il faut donner
aux jeunes l’envie de lire la presse. C’est pourquoi j’ai souhaité que soit
poursuivi l’effort pour accroître la diffusion de la presse auprès des
jeunes lecteurs. Nous avons isolé, à cette fin, une enveloppe de
3,5 millions d’euros en 2005. Son montant a été porté à 4 millions en
2006 et ce niveau est maintenu en 2007. L’objectif est de faire émerger
des projets innovants – je pense par exemple à certaines nouvelles
formules d’abonnement qui ont été expérimentées et ont montré leur
pertinence – et de contribuer à leur financement.

Nous en sommes tous conscients, la modernisation de la presse passe
bien évidemment par son ouverture aux nouvelles technologies de
l’information. 80 % des 18-24 ans se sont connectés à Internet au cours
du dernier mois. Ce passage décisif à l’ère numérique doit être une
réussite, j’en fais un enjeu de tout premier plan.

Je viens de défendre ces jours-ci au Sénat un projet de loi pour faire
basculer complètement et définitivement la télévision analogique à l’ère
numérique, et élargir l’offre de programmes de 6 à 18 chaînes gratuites
pour 100% des Français à l’horizon de 2011. Le passage à l’ère
numérique pour la presse écrite peut, lui aussi, susciter des craintes,
mais il représente, lui aussi, en réalité, une chance, immense, que nous
pouvons et devons saisir.

Sur ce sujet, j’ai confié une mission à une personnalité indépendante et
expérimentée dans le domaine des médias, M. Marc Tessier, qui a déjà
auditionné un certain nombre d’acteurs du secteur. Il rendra au tout début
de l’année 2007 un rapport sur les voies et les moyens qui permettront à
la presse, dans toutes ses composantes, d’envisager avec confiance et
dynamisme l’avenir dans l’univers numérique du XXIe siècle.

Dans le même esprit, le Gouvernement a défendu et continuera de
défendre le principe du taux de TVA réduit pour la presse en ligne. Cela
exige aussi de définir précisément ce qu’est un service de presse en
ligne et de faire reconnaître cette définition, qui doit faire référence au
caractère principalement textuel des contenus éditoriaux des services de
presse en ligne, afin de se distinguer des sites d’information audiovisuels
et des banques d’images d’actualité. Pour ma part, je crois profondément
aux continuités qui existent entre le support papier et le support
électronique. Je ne méconnais pas la complexité de cette problématique,
mais je sais que dans ce type de négociations, il faut faire front commun
si l’on veut réussir, et tel est bien le but qui anime votre Fédération et le fil
rouge de vos débats, tout au long de votre congrès.

Vous le savez avec
Thierry Breton, nous avons saisi la Commission européenne de ce sujet
qui a été évoqué au dernier « Ecofin ». Il y a quelques jours, Monsieur
Kovacs, commissaire européen en charge de la fisaclité a indiqué que au
plus tard le 30 juin 2007, sur la base d’une étude menée par un groupe
de réflexion indépendant, la Commission soumettra au Parlement
européen et au Conseil un rapport d’évaluation générale sur l’impact des
taux réduits, notamment en termes de création d’emplois, de croissance
économique et de bon fonctionnement du marché intérieur. J’ai obtenu
de la Commission que l’industrie des médias soit pleinement prise en
compte lors de cette évaluation et que l’approche globale qu’elle
proposera constitue une solution viable à long terme. Je vous encourage
à appuyer les efforts du gouvernement.

Chaque média, qu’il s’agisse de la presse, de la radio et de la télévision,
s’est développé et existe aujourd’hui indépendamment l’un de l’autre.

L’univers dans lequel nous vivons est saturé d’informations, qui
proviennent de la télévision, de la radio, d’Internet, et pourtant nous
éprouvons toujours le besoin impérieux de lire des journaux. Aucun
média ne peut réellement, durablement, se substituer à la presse.

Internet offre une profusion d’informations et de textes sans hiérarchie où
les rumeurs et les inexactitudes sont très nombreuses. Avec les
téléphones portables, nous sommes entrés dans l’ère de la
« communication de masse individuelle », comme l’appelle le sociologue
Manuel Castells, qui souligne qu’en moyenne un blog est créé chaque
seconde dans le monde. Dans cette « galaxie internet », la rigueur et la
précision du journaliste lui donnent tout son crédit et sont absolument
indispensables, demain encore plus qu’aujourd’hui. Plus que jamais,
l’auteur d’un article ou d’un reportage sera engagé par sa signature, qui
sera pour le public une garantie d’exactitude, au milieu d’une masse de
documents sans auteurs.

Oui, la presse, je le disais tout à l’heure, c’est avant tout un métier, des
métiers, des compétences, des passions. A cet égard, la question de la
formation est à mes yeux essentielle. J’ai rappelé, le mois dernier, à
l’occasion du soixantième anniversaire du Centre de Formation des
Journalistes, comme je l’ai fait en 2004 à Lille, et comme je le fais à
Tours, devant les étudiants de l’IUT, qui est aussi l’une des écoles reconnues par la profession, combien est primordial l’apprentissage du
décryptage, de l’analyse des évènements, de la curiosité, de la patience,
de l’ouverture et de l’esprit critique. Donnons à nos futurs journalistes le
goût et la passion de l’écrit, comme nous nous efforçons de donner à nos
jeunes concitoyens ceux de la lecture.

Mais, je tiens à le rappeler aujourd’hui devant vous, la presse, c’est
d’abord une liberté et une responsabilité.

Souvenons-nous en, dans le monde d’aujourd’hui où la liberté de la
presse demeure une conquête de chaque jour, un défi quotidien. Et sa
constance est la marque de sa force. Pourtant, nous savons que cette
force vivante est toujours fragile, toujours menacée. Oui, il ne peut y avoir
d’avenir de la presse sans liberté de la presse.

Particulièrement dans le monde où nous vivons, traversé de fractures, de
haines, de véhémences, de violences et d’intolérances. L’actualité nous
rappelle malheureusement qu’une seule phrase, qu’un seul trait, qu’une
seule image, exposés publiquement, peuvent être pris pour prétextes de
mouvements de haine en de nombreux endroits de la planète, et qu’une
tribune libre publiée dans un journal peut faire l’objet de menaces de
mort. C’est inadmissible, inacceptable, intolérable. Dans notre
démocratie, chacun, dans le respect des autres, dans la conscience de
ses responsabilités, doit pouvoir s'exprimer librement.

Mais, même dans notre République, aucun citoyen ne doit s’habituer à la
liberté de la presse, comme si elle était un acquis définitif, donné une fois
pour toutes. La liberté de la presse ne supporte pas l’indifférence. Elle
appelle l’engagement et l’action.

Je tiens à le rappeler, d’autant plus que nous abordons une année où le
débat public sera particulièrement intense dans notre pays. Et que ce
débat a besoin d’une presse d’information, il a besoin d’une presse
d’opinion forte, libre et indépendante. Le ministère de la Culture et de la
Communication est d’ailleurs mobilisé en ce moment même aux côtés de
la rédaction de ce grand quotidien qu’est Libération, pour trouver des
solutions aux problèmes qu’il rencontre. Car la liberté, l’indépendance et
le pluralisme de la presse sont essentiels au débat démocratique et à
chaque citoyen.

Vive l’écrit ! Vive la presse ! Vive l’avenir de la presse !