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Cérémonie de remise des diplômes aux Maîtres d’art 2006

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’accueillir aujourd’hui la nouvelle promotion des onze
maîtres d’art, qui compte cette année deux femmes, ce qui est assez rare
pour être souligné.

Que de chemin parcouru depuis 1994 et les premières nominations des
maîtres d’art par le ministre de la Culture, inspirées par les Trésors
nationaux vivants du Japon ! Oui, nos maîtres d’art sont bien nos Trésors
nationaux vivants, dont la richesse et la rareté résident dans leurs mains
mêmes, ces mains qui détiennent des savoir-faire d’excellence, une
habileté exceptionnelle et, pour reprendre la belle expression de Liliane
Bettencourt, qui oeuvre pour leur promotion, une « intelligence »
extraordinaire. Comme les Trésors nationaux japonais, nos maîtres d’art
sont investis d’une mission : veiller à la transmission de cet héritage
inestimable, au renouvellement, à la réinvention permanente de leurs
techniques.

Je tiens à ce que ce système de transmission « à la française », qui a su
conserver toute son originalité, soit mis à l’honneur, même si certains
grands savoir-faire ne sont pas encore représentés, tels que l’horlogerie ou
la lustrerie. Je souhaite à ce sujet confier une mission au Conseil des
métiers d’art, dont je salue chaleureusement les 19 nouveaux membres qui
nous ont rejoints.

J’aimerais que nous réfléchissions à de nouveaux critères
de sélection des maîtres d’art, afin de mieux prendre en compte la grande
richesse et la belle diversité des savoir-faire français, qui compte
notamment de grands restaurateurs d’oeuvres d’art, de hauts représentants
de la gastronomie, des arts de la table et de la mode.

Je suis très attentif à la préservation de ces métiers d’exception, des
métiers qui portent haut, dans le monde entier, la beauté, la qualité et
l’excellence qui ont fait, et continuent de faire le prestige des arts et du
savoir-vivre français. Je crois en leur valeur, précieuse, essentielle, parce
que je crois profondément à l’amour du travail bien fait, à la patience, à
l’exception et à l’unique, dans un siècle qui tend à l’uniformité et au
zapping, dans un monde qui privilégie le jetable et l’industriel. Vous avez
en ce sens une responsabilité immense, celle de transmettre ce goût du
rare et de l’effort pour y parvenir, cet amour du geste et de ce temps long
qui est celui de la véritable création.

Qu’est-ce que l’art, si ce n’est, comme
le disait Georges Duby, une « […] habilité dans la mise en oeuvre des
pratiques par quoi l’homme assure sa prise sur le monde » ? Et qu’est-ce
qu’un maître, si ce n’est celui qui ouvre les regards sur ce monde et
enseigne cette habileté ?

Oui, les métiers d’art sont l’une de nos plus grandes richesses, et il nous
appartient de les transmettre, de les préserver, et de porter la lumière
sur ces maîtres qui sont de véritables créateurs, et dont les oeuvres
rayonnent en France comme à l’étranger. Nous devons soutenir tous les
professionnels qui relèvent des défis dans leurs entreprises, qui
s’intéressent à la recherche, expérimentent des nouveaux matériaux ou
de nouvelles technologies, pour trouver des applications novatrices.

C’est pourquoi je me félicite que soient nommés quatre chefs d’atelier
d’entreprises du luxe membres du Comité Colbert, qui regroupe 70
entreprises françaises prestigieuses. Je tiens à saluer chaleureusement
l’engagement des personnes qui font le renom de ces grandes maisons.
Les entreprises du luxe sont de véritables ambassadrices pour
l’ensemble des maîtres d’art qui constituent une « compagnie »
prestigieuse, mais qui doit sortir de la confidentialité. Elles sont aussi
des entreprises au coeur de la cité, soucieuses de former des jeunes
talents pour pérenniser leurs techniques, pour faire vivre leurs ateliers
exceptionnels.

Cette année, les quatre chefs d’atelier de maisons prestigieuses ne
percevront pas d’allocation, mais choisiront chacun un élève pour lui
transmettre leur savoir, leur expérience, afin qu’il devienne, à son tour,
hautement qualifié.

Ce système de transmission à taille humaine des savoir-faire, dont je
souhaite conserver la dimension « sur mesure », qui le rend unique, doit
pouvoir se développer. J’ai demandé à mes services, non seulement
d’augmenter le nombre des dispositifs de transmission des savoir-faire
en région, mais aussi de se rapprocher du ministère de l’Education
nationale afin de poursuivre notre collaboration. Identifier nos formations
respectives et les passerelles entre les deux ministères, et donner ainsi
des perspectives d’avenir aux jeunes en fin de Troisième, telles sont les
priorités que nous nous sommes fixés. Les certificats d’aptitude
professionnelle (CAP) sont également une chance, insuffisamment
connue, pour les jeunes de se qualifier et de découvrir des métiers
passionnants.

Dans les cinq ans à venir, le nombre de départs à la retraite des
formateurs sera conséquent, et nous devons nous donner les moyens
d’assurer la relève. Il faut, ne l’oublions pas, dix ans de formation pour
obtenir la qualification d’excellence que réclament les entreprises du
luxe, comme les antiquaires, les décorateurs, les collectionneurs ou
encore les ateliers dont le ministère de la Culture et de la
Communication a la charge.

Je tiens donc à insister sur le caractère impératif de la formation et de la
transmission, et j’invite les maîtres d’art à jouer leur rôle de pédagogue.

Je souhaite que les écoles d’art les accueillent afin de mieux faire
connaître ces métiers qui offrent de grandes satisfactions.

Dans cette perspective, j’ai annoncé, lors de la remise du « Prix pour
l’intelligence de la main » de la Fondation Bettencourt-Schueller, qu’une
campagne d’information, à destination des jeunes, serait orchestrée par les trois ministères concernés : l’Education nationale, l’Artisanat et, bien
sûr, la Culture et la Communication.

Je profite de cette cérémonie pour rappeler que le ministère de la
Culture et de la Communication dispose d’ateliers intégrés, dont les
techniciens d’art sont aussi l’âme de nos établissement les plus
prestigieux, et notamment de nos grands musées nationaux, de la
Bibliothèque nationale, du Mobilier national et des Savonneries, et de la
Manufacture nationale de Sèvres. Toutes les directions de mon
ministère sont mobilisées pour assurer l’avenir de ces métiers, pour les
pérenniser et leur proposer des débouchés sous forme de commandes,
de restaurations ou d’ acquisitions.

Je vous invite à poursuivre, vous aussi, votre quête de la beauté en
sachant qu’elle n’est pas acquise pour toujours, mais qu’elle est,
particulièrement dans vos métiers, un pari sur l’avenir.

En présence du président d’honneur, M. Etienne Vatelot, luthier, et du
vice-président du conseil des métiers d’art, je vais demander à chacun
des nouveaux maîtres d’art, à l’appel de son nom, de bien vouloir me
rejoindre sur l’estrade :
Yves Benoît, avec vous nous plongeons dans l’univers feutré du textile,
et du velours d’Amiens. Gaufreur, imprimeur et façonneur de velours,
vous êtes aussi un chercheur infatigable qui redécouvre, à partir
d’archives, des techniques et des outils oubliés, que vos créations
exclusives et votre sens de l’innovation font renaître et ne cessent de
réinventer.

Christopher Clarke, vous êtes un véritable homme-orchestre, non
seulement parce que, facteur d’instruments anciens à clavier, vous avez
déjà créé 33 instruments neufs, et restauré 50 instruments historiques,
mais aussi parce que votre art nécessite des compétences aussi bien en
ébénisterie qu’en mécanique, en maîtrise du son qu’en accordage, ou
encore en travail des métaux, même précieux, de l’ivoire, de l’os, du
bois, des peaux et des étoffes.

Bernard Dejonghe, votre virtuosité s’exerce sur ces matières nées de la
fusion, que sont le verre et la céramique. Vous en tirez des formes
pures, primitives, qui touchent comme aux sources de l’homme et de
l’art, aux « racines du monde », pour reprendre votre expression.

Gérard Desquand, ce sont les racines des familles que vous gravez sur
du métal précieux, puisque vous êtes l’un des rares spécialistes
héraldistes en France. Par votre geste, précis, minutieux, vous scellez
tout le souvenir, la mémoire, l’attachement à l’histoire, la fierté, aussi,
d’une famille.

Isabelle Emmerique, vous avez fait de la laque, matière exigeante et
délicate, votre mode d’expression privilégié. Vous en avez renouvelé la
technique et la perception, pour nous livrer des oeuvres légères et libres,
qui en dégagent toute la sensualité.

Pietro Seminelli, vous êtes un orfèvre du pli, qui ouvre ou referme,
cache ou dévoile les espaces, comme il cache ou dévoile le « tissu de l’âme », et celui du monde, selon Leibniz. Panneaux coulissants,
paravents, rideaux, vos plissés sont des oeuvres uniques, dynamiques,
des symphonies de transparence et de lumière dont vous êtes le chef
d’orchestre inspiré.

René Tazé, vous avez accueilli, dans votre atelier, des artistes aussi
prestigieux que Gérard Titus Carmel et Zao Wou Ki, qui ont trouvé en
vous un imprimeur taille doucier de très grand talent, attentif à leurs
attentes, et qui partage leur sensibilité.

J’accueille maintenant les quatre chefs d’ateliers de l’industrie du luxe.
Jean-Marie Delhoume, vous modelez cette matière vivante et exigeante
qu’est le cuir, pour confectionner des bagages, des sacs et de la petite
maroquinerie destinés aux défilés de prêt-à-porter de la grande maison
Louis Vuitton, mais aussi pour des projets en collaboration avec les plus
grands designers. César, Philippe Starck, Christian Liaigre, ont déjà
trouvé en vous le partenaire essentiel à la réalisation des formes surgies
de leur imagination.

Martine Houdet, la tulle, la soie, l’organza, le satin, le tweed n’ont aucun
secret pour vous. Vous êtes de ces mains qui ne sont « petites » que
par le nom que le temps leur a donné. Chez Chanel, à partir des plus
belles matières, et des croquis du génial Karl Lagerfeld, vous créez des
objets de rêve, auxquels brodiers, plumassiers ou fleuristes apportent
les dernières touches.

Arnaud Philippe, vous domptez les peaux de crocodile, de buffle ou de
porc, pour leur faire épouser les formes les plus diverses, des sacs au
gainage de moto, de la mallette de violon à l’étui à guitare, autant
d’objets emblématiques des savoir-faire ancestraux comme de la
créativité de la maison Hermès.

Serge Vaneson, vous ciselez le cristal de Baccarat pour réaliser des
oeuvres extraordinaires, féeriques, des oeuvres prestigieuses ou
mythiques, que vous faites renaître parfois, à partir d’archives. Les
artistes font également très souvent appel à vos talents exceptionnels.

A tous, je souhaite redire notre reconnaissance et notre admiration, et
rappeler que la France peut s’enorgueillir de vos talents.

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