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Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Etienne Daho

Cher Etienne Daho,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui rue de
Valois, à l’heure où nous fêtons les vingt ans d’un album culte, Pop Satori,
qui vous a véritablement révélé au grand public, et a donné le coup d’envoi
d’une « Dahomanie » dont nous pouvons tous témoigner aujourd’hui. Je
sais que votre concert exceptionnel à l’Olympia pour le festival des
Inrockuptibles a rencontré un très grand succès et je regrette de n’avoir pu
venir vous écouter.

Votre voix claire et douce, votre personnalité lumineuse, mystérieuse,
captivent les Français, qui ont tous fredonné avec vous, dès 1986, Epaule
Tattoo et Duel au Soleil, et vous ont sacré chef de file de la mouvance pop
française dès les années quatre-vingts.

Cet immense succès est le fruit de votre passion de toujours et de votre
engagement sans faille pour la musique. Il est l’expression de cet univers
unique, que vous avez su créer et partager avec nos concitoyens, un
univers qui a exprimé, reflété l’âme même d’une époque, la nôtre, en
créant, en revisitant, mélangeant, fusionnant, pour faire surgir votre son
reconnaissable entre mille, le « son Daho ». Il est issu à la fois de l’héritage
rock des Velvet Underground, de Lou Reed et de Nico, de la mouvance
punk, des rythmes entraînants des Beach Boys, et des tubes des artistes
légendaires de la Motown, le tout battant au rythme des premières
pulsations de la musique électronique.

Votre univers, vous en avez dessiné les premiers contours, dès votre
enfance, sous le soleil d’Oran, l’oreille collée à un jukebox Wurlitzer. Puis,
dès la fin des années soixante-dix, à Rennes, capitale musicale, creuset du
rock français, qui voit s’épanouir des talents tels que Franck Darcel, mais
aussi Jacno et Elli Medeiros, vos premiers compagnons de routes, présents
parmi nous ce soir, et que je tiens à saluer. C’est au Festival Les
Transmusicales que vous avez découvert la scène avec votre groupe
« Entre les deux fils dénudés de la dynamo ».

Au début des années quatre-vingts, vous vous envolez pour Paris, et pour
vos premiers succès nationaux, avec vos deux premiers albums
Mythomane, et La Notte la Notte, qui remportent un grand succès critique,
et attirent vos premiers fidèles.

Avec Tombé pour la France, vous donnez le ton. Exigeants, éclectiques,
ouverts, votre style et vos inspirations revendiquées, brandies, battent
au rythme de notre temps, offrent un nouveau souffle à la chanson
française et touchent le coeur d’un public très large. Votre duo avec
Françoise Hardy, – qui nous fait l’honneur d’être parmi nous ce soir, et à
laquelle je tiens à témoigner toute mon admiration – Et si je m’en vais
avant toi, la ballade en hommage à l’égérie warholienne, La Ballade
d’Eddie S., la reprise de Gainsbourg, Chez les yé-yé, et celle de Syd
Barrett, Arnold Layne, composent un tableau fascinant, disparate, un
instantané de toutes les influences de cette période particulièrement
effervescente et électrique.

De ces métissages féconds naît en 1986 une « illumination », votre
album Pop Satori, qui vous propulse au rang de véritable icône de la
pop. Vous emportez tout le public dans ce « flash », brillamment décrit
par Jack Kerouac dans Satori à Paris, et que vous avez vécu en
découvrant les nuits, les fêtes, les lumières de Paris, de Londres, de
Rome ou d’Ibiza, que vous avez éclairées, exprimées, mieux que
personne, mais aussi réinventées et renouvelées, en chansons, en
images, en musique, dans le coeur de chacun d’entre nous.

Vous avez en effet réussi à transformer la « Dahomanie » frénétique,
intimidante, en vraie complicité avec nous tous, votre public fidèle et
passionné, qui plébiscite chacun de vos albums. Si l’album Pour nos
vies martiennes, enregistré à Londres en 1988, est disque d’or le jour de
sa sortie, Paris, ailleurs, trois ans plus tard, l’est avant même sa sortie.

La magnifique chanson Saudade résonne encore dans toutes nos têtes.
Vous avez conquis l’Outre-Manche, avec votre album Reserection, où
vous avez partagé l’affiche de la légendaire émission Top of the Pops,
avec, notamment, Oasis, et David Bowie. Vous avez également séduit
l’Espagne, où la reprise par Luz Casal de Duel au soleil, Un nuevo dia
brillara, a remporté récemment un immense succès.

Que vous mêliez, comme dans l’album Eden, en 1996, les rythmes et
les sons groove, jungle, pop et bossa nova ; que vous livriez un album
plus épuré, plus sobre, plus intime, avec Corps et armes, en 2000 ; que
vous retrouviez les tonalités rock de vos débuts, avec Réévolution, en
2003 ; que vous montiez sur scène, pour interpréter Le condamné à
mort de Jean Genet , aux côtés d’acteurs et d’actrices aussi illustres que
Rufus, et Jeanne Moreau ; que vous chantiez aux côtés de Jane Birkin,
pour la chanson La Grippe, ou encore, très récemment, avec Dani, pour
la sublime chanson Comme un boomerang, écrite par Serge
Gainsbourg, c’est toujours la même rencontre avec le public. C’est
toujours la même ferveur, que vous savez retrouver, provoquer, en
étonnant sans cesse, en portant toujours plus loin, toujours plus haut
votre exigence artistique et esthétique, en ouvrant toujours de nouvelles
portes dans cet univers si singulier qui est le vôtre, dans cette bulle où
vous avez su nous faire entrer, pour nous faire partager votre oxygène,
votre talent.

Vous nous avez embarqués, à vos côtés, pour un Week end à Rome,
« en bagnole de fortune, variette mélo à la radio », vous nous avez fait
danser « pieds nus sous la lune, sans foi ni toit ni fortune », vous avez
poussé pour nous les portes de « ce night club où le jazz est prisé », pour découvrir l’Epaule tattoo, vous nous avez fait vivre les Heures
hindoues, vous nous avez plongés dans Le Grand Sommeil, pour nous
faire marcher, funambules, « au bord des toits, des océans »,
hypnotisés par votre voix, entraînés par vos rythmes, charmés par la
poésie de vos mots.

Votre insatiable curiosité musicale, vos multiples inspirations, votre vraie
liberté, votre sensibilité, votre sincérité, votre générosité authentiques
font de vous l’un de nos plus grands artistes et l’un de ceux qui ont
conquis durablement le coeur des Français.

Avant de prononcer la formule rituelle qui doit clore cet hommage, au
nom de la France, je veux, en mon nom personnel, vous dédier ces
quelques vers, que vous reconnaîtrez – ils sont de Paul Eluard :

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
(…)

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
(…)

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.

Etienne Daho, au nom de la République, nous vous faisons Officier dans
l’Ordre des Arts et des Lettres.

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