Rubrique ‘Discours 2004’

Remise des Insignes de Chevalier de l'Ordre National du Mérite à Madame Michèle Reiser

30 septembre 2004

Chère Michèle Reiser,

La passion qui vous anime est sans doute, d’abord, celle de la philosophie, car vous êtes
philosophe de formation.

Non pas celle que vous avez apprise au lycée, puis à l’université, celle qui confronte nos
conceptions et nos visions du monde, nos regards sur le monde, nos images du monde.

Et votre passion essentielle, celle qui traverse, me semble-t-il, toute votre vie et toute votre
oeuvre, c’est cette passion du monde, du monde qui nous entoure, du monde où nous
vivons. Un monde que l’ensemble de votre oeuvre nous permet de mieux connaître, grâce à
votre regard.

Un monde que vous appréhendez d’abord par les livres pour la jeunesse. Dès 1975, vous
créez une série d’émissions littéraires hebdomadaires pour les jeunes, Des Livres pour nous,
que vous présentez et produisez pendant huit ans, tout en tenant une chronique littéraire
dans Le Monde de l’éducation.

Dès 1978, vous signez vos premières réalisations, et c’est en le filmant au Festival de la
bande dessinée d’Angoulême, en 1980, que vous rencontrez Reiser. Trop tôt disparu, le 5
novembre 1983, à l’âge de quarante-deux ans, il fut l’un des créateurs les plus incisifs de
toute une génération, celui qui a décomplexé le dessin au plus haut point, en portant sur son
époque, la nôtre, un regard sans concession. C’était un homme « aux semelles de vent »,
animé dans son art de visions, dont l’exposition qui lui a été consacrée l’an dernier au Centre
Georges Pompidou nous a rappelé toute la force.

Aujourd’hui, en continuant de porter son nom, vous perpétuez sa mémoire. C’est à lui
notamment que vous consacrez votre premier portrait, diffusé sur Antenne 2 en 1985.

Puis il y a la passion de la Chine, où vous tournez, la même année, un film sur un spectacle
créé par Marcel Maréchal à Shanghaï. La Chine, où vous tournez, trois mois après les
évènements de Tian an men, en 1989, Les Amoureux de Shanghaï, un documentaire de 52
minutes sur l’amour en Chine, diffusé sur Antenne 2 le 7 mai 1990 et qui a un énorme
retentissement.

En 1993 vous tournez en quelque sorte le « négatif » de l’amour chinois, L’Amour au Brésil,
un documentaire de 52 minutes réalisé pour Canal + et diffusé l’été de cette année là.

Vous retrouvez Eros et Thanatos en signant, en 1998, pour France 2, Premiers émois,
documentaire de 52 minutes sur les enfants de sept-huit ans qui connaît un immense
succès. Début 2004, vous avez l’idée de revenir sur la vie des enfants interviewés dans
Premiers émois, qui ont donc cinq ans de plus : Vis ta vie, ou les parents ça sert à rien, porte
un regard bienveillant sur les adolescents d’aujourd’hui, leurs rêves et leurs soucis. Diffusé
sur France 5 en avril 2004, il connaît aussi un grand succès.

Cette réflexion sur l’enfance, au coeur d’une actualité parfois douloureuse et cruelle, vous la
prolongez aujourd’hui en commençant le tournage d’un film sur l’enfance et les mensonges
infantiles, pour France 5, La Vérité sort de la bouche des enfants.

Cette même passion du monde vous conduit à explorer les rapports de l’âme et du corps,
dans plusieurs films qui explorent ces « maladies du siècle » : La Maladie d’Alzheimer, qui
obtient de nombreuses distinctions ; la schizophrénie, avec cet époustouflant portrait d’un
psychotique qui vous vaut plusieurs prix, Un Homme sous haute surveillance ; les
Epilepsies, primé au Festival du film médical de Deauville.

Sans doute votre passion pour la musique s’inscrit-elle dans le prolongement de cette
exploration des méandres et de la construction de l’âme humaine. Vous avez signé, en
particulier pour France 3, la réalisation de plusieurs opéras.

Votre passion, c’est aussi de nous donner à voir et à partager la passion des autres. Parce
que vous avez vous-même la passion de la chose publique, du Politique avec un grand P,
des valeurs de la République, vous avez voulu faire partager cette passion, dans plusieurs
de vos films, qui esquissent une réhabilitation du Politique que je crois particulièrement
nécessaire aujourd’hui.

Cette réhabilitation n’est pas désincarnée. Au contraire, vous l’avez entreprise, selon votre
méthode, en nous donnant des portraits d’hommes qui partagent cette passion.

L’homme politique, l’élu local que je suis est particulièrement sensible à votre souci de
témoigner de la réalité du travail de terrain des responsables politiques. Les maires que vous
avez suivis pendant plusieurs mois, en vous immergeant dans le quotidien de trois villes, très
différentes certes par leurs parcours, leurs personnalités et les défis qu’ils ont à relever avec
leurs équipes, au service de leurs populations, mais qui partagent tous une même passion
du service de la République. Une République de proximité dont vous nous montrez le travail
quotidien.

C’est d’abord Alain Juppé, que vous filmez entre mai 1995 et avril 1996 pour la campagne
électorale à Bordeaux. Son portrait est diffusé le 25 mai 1996 sur France 3. Cette première
expérience débouche sur l’élaboration d’une nouvelle collection pour France 5, « un maire,
une ville ».

Vous commencez par Le Maire de Bordeaux (diffusé sur France 5 en novembre 2002) que
vous présentez cette fois-ci dans ses fonctions d’élu municipal.

En 2003, vous faites le portrait de Jean-Claude Gaudin, Le Maire de Marseille, diffusé en
octobre 2003 sur France 5. Avec Le Maire de Montceau-les-Mines (diffusé en juin 2004 sur
France 5), vous explorez le destin d’une ville moyenne, qui cherche à trouver une nouvelle
identité.

Votre passion de la cité rejoint votre passion de la philosophie. Et je sais que vous avez
d’autres projets notamment pour Arte sur l’histoire du féminisme. Ici, toutes vos passions se
rejoignent en une même passion du bien commun qui nous rassemble tous et qui me vaut le
plaisir et l’honneur de vous distinguer aujourd’hui.

Michèle Reiser, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous
sont conférés, nous vous faisons chevalier dans l’ordre national du Mérite.

59ème congrès de la Fédération Nationale des Cinémas Français à Bordeaux

29 septembre 2004

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux et honoré de m’adresser à vous aujourd’hui en cette ville de
Bordeaux que vous avez choisie pour tenir votre 59è Congrès.

Si Bordeaux est la capitale mondiale du vin, et en cela un lieu de Congrès fort agréable, c’est
aussi l’unité urbaine la mieux équipée de France – avec un fauteuil pour 37 habitants – pour
offrir à sa population un large choix de spectacles cinématographiques. Elle a connu ces
dernières années une transformation très significative de son parc de cinémas, avec quatre
multiplexes, mais aussi des salles entièrement vouées à l’ « art et essai », qui lui permettent
d’établir un autre record : celui de l’agglomération – hors Paris- qui réalise le plus d’entrées «
art et essai ».

Tout cela prédestinait donc Bordeaux à être le lieu de vos débats.

Votre Congrès, par le nombre de ses participants et la densité de son programme, est sans
aucun doute l’un des événements majeurs de l’année pour les professionnels du cinéma
dans leur ensemble.

J’ai le sentiment qu’il a pu s’ouvrir cette année sous le signe d’un certain réconfort. Alors que
l’année 2003 s’était achevée avec de nombreuses sources d’inquiétude, la fréquentation des
cinémas avait en effet montré des signes de faiblesse dans presque tous les pays du
monde, l’année 2004 est d’une tonalité bien différente. Du 1er janvier à la fin du mois d’août,
133,5 millions de spectateurs ont fréquenté les salles françaises soit 23,8 millions de plus
que l’année dernière sur la même période.

Les films français et européens contribuent pleinement à cette embellie. C’est une grande
source de satisfaction pour la diversité culturelle. La production française a attiré environ
trois millions d’entrées de plus que l’an dernier sur les huit premiers mois de l’année, soit un
total de 45,9 millions d’entrées.

En partie grâce au succès rencontré par de nombreux films français au premier semestre, de
nature et de genre très différents d’ailleurs, et en particulier grâce à la longue et remarquable
carrière des Choristes, que vous avez su entretenir et relayer dans la France entière. Je
pense aussi à Podium, un autre premier film, dont les premières images avaient été
présentées lors de votre congrès l’an dernier, et, dans un autre genre, au beau succès de
l’Esquive. Ces films sont les témoins que diversité et succès vont de pair.

Dans l’ensemble donc, il s’agit d’un magnifique résultat, qui peut nous conduire à
l’optimisme, et nous laisser imaginer qu’en 2004 nous retrouvions un niveau de fréquentation
des salles de cinéma comparable à ce qu’il était dans les années quatre-vingts, soit
approchant, peu à peu, les 200 millions d’entrées. Si cela se confirmait dans les années à
venir, ce serait un signe tangible que la salle de cinéma a su reconquérir un public qui s’était
tristement dispersé au début des années quatre-vingt dix.

Ces bons chiffres, conjugués au fait que la base même du public du cinéma s’est élargie,
passant de moins de 50 % des Français à près de 60 % de ceux-ci, au cours de ces
dernières années, sont un motif de satisfaction et d’espoir à partager avec l’ensemble de
l’industrie du cinéma français.

Car – nous le savons tous – c’est la salle qui confère aux oeuvres la qualité de films de
cinéma. Et vous, les exploitants, qui jouez un rôle irremplaçable à cet égard, par votre
passion et votre dynamisme.

Le cinéma c’est bien, d’abord, une rencontre entre une oeuvre et un public qui la découvre,
dans la lumière de l’écran et l’obscurité de la salle.
Vous êtes, toute la communauté des exploitants, dans sa diversité, les artisans de cette
rencontre. Et rien ne remplace le plaisir de voir un film en salle.

Je tiens à vous féliciter de vos efforts et de vos initiatives, et d’abord des investissements
que vous avez consentis, chacun à votre échelle, pour moderniser, agrandir et rénover notre
parc de salles, qui reste – on ne le dit pas assez – le premier d’Europe et le quatrième du
monde après la Chine, les Etats-Unis et l’Inde. Vos efforts ont été couronnés de succès. En
12 ans, 1000 nouveaux écrans ont été créés, grâce à vous.

Ces efforts sont accompagnés par les pouvoirs publics. Ils ont permis au cinéma français
d’affronter, puis de surmonter la grave crise qu’il a connu il y a une quinzaine d’années et de
retrouver aujourd’hui une santé et une vitalité qui ne se démentent pas et que nous
continuerons à soutenir.

Je pense notamment au tissu des salles d’art et essai et des salles de proximité, qui a
réalisé et engage toujours de précieux efforts de rénovation et de création de nouvelles
salles, tandis que l’équipement en multiplexes de nos grandes villes, puis des villes
moyennes, se poursuit à un rythme raisonnable et compatible avec l’équilibre économique
du secteur. L’ensemble de ces investissements est déterminant pour la diversité culturelle et
la diffusion du cinéma indépendant, indissociable de la création cinématographique.

L’accompagnement et le soutien de l’Etat, dans ce secteur fragile et si particulier est
absolument indispensable. Il doit être en permanence adapté pour être pleinement efficace.

C’est donc tout l’objet de notre rencontre d’aujourd’hui d’examiner ensemble les objectifs
communs que nous nous fixons.

S’agissant du soutien financier de l’Etat, les grands équilibres entre le soutien automatique
récemment réajusté, qui représente à ce jour une enveloppe annuelle de 53 M€, et les
diverses formes d’aides sélectives (subventions art et essai, subventions aux salles
indépendantes des grandes villes, aides à la création et à la modernisation des salles) dont
le total s’élève à 23 M€, doivent être maintenus.

Il est à mes yeux fondamental que le soutien, dans ses différents programmes, épouse la
diversité de l’exploitation.

Je me félicite par ailleurs – comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à Cannes – que la
contribution financière de Canal+ à l’ensemble de la filière de l’exploitation ait été reconduite
pour cinq années à compter de 2005. Je tiens à saluer ici la clairvoyance de l’équipe
dirigeante de Canal + . Elle a bien compris la solidarité naturelle qui unit une chaîne
consacrée au cinéma et les salles présentant les films qui passeront ultérieurement sur son
antenne. Je salue aussi le talent de négociateur du Président Jean Labé, car il est parvenu à
assurer la conclusion de ce point décisif de l’accord, qui était loin d’être acquis.

L’ensemble de ces soutiens devraient permettre d’accompagner, entre autres, les projets de
complexes de centre-ville que l’on voit désormais se développer dans les villes moyennes
comme Périgueux et Saint-Dizier, conçus d’après des projets architecturaux ambitieux et qui
feront part à la programmation « art et essai ». Tant et si bien que le cinéma va redevenir
dans ces villes, un équipement culturel de premier plan. Le soutien sélectif a évidemment
vocation à participer aussi activement au financement de salles d’ambition et de dimension
plus modestes en milieu rural, ou dans des petites agglomérations. Je constate avec
satisfaction que loin de disparaître, ces salles se rénovent, s’agrandissent et espèrent élargir
leur public.

Cependant, je n’ignore pas qu ‘au-delà de statistiques plutôt rassurantes, votre profession –
comme l’ensemble de l’industrie du cinéma – reste soumise au risque, et qu’elle a aussi
besoin de protections juridiques très adaptées à ses particularités.

Toute la régulation du cinéma s’est en effet construite sur des règles, certes complexes,
mais accordées au besoin d’équilibre de ce secteur. Elles ont fait l’objet d’adaptations
constantes. Ainsi la loi dite « Royer » d’orientation du commerce et de l’artisanat a-t-elle été
adaptée aux spécificités du cinéma, et a permis – certes au prix de révisions permanentes
mais justifiées – une saine régulation du développement des multiplexes en France.

Le ministère de la culture et de la communication a vocation à défendre et à faire
reconnaître, notamment auprès du Parlement, cette spécificité. Plusieurs projets de lois vont
être débattus cet automne, sur lesquels vous avez appelé mon attention, en signalant les
risques qui découleraient d’une application trop systématique du droit commun à l’univers et
aux particularités du cinéma.

J’ai entendu votre message et, à chaque fois que cela m’apparaîtra légitime, j’interviendrai
auprès de mes collègues du gouvernement, afin de faire valoir le traitement spécifique de
l’activité cinématographique. Je sais en particulier les initiatives qui ont été les vôtres, dans
le cadre de la construction de nouvelles salles, pour permettre un accès facilité aux
personnes handicapées, qui légitimement revendiquent un droit à être des spectateurs
comme les autres. Je tiens à saluer ces initiatives, qui s’inscrivent dans un mouvement de
fond de la société, en faveur de l’accès de tous à la culture. Mais je mesure aussi les
difficultés, parfois insurmontables, que rencontrent d’autres établissements- souvent des
petites salles de centre-ville – pour modifier leurs conditions d’accès. Je tiens à ce que cette
situation soit prise en compte dans le cadre de la discussion du projet de loi pour l’égalité
des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui
va venir prochainement en deuxième lecture au Sénat.

De même, je veille à ce que la législation sur les heures de nuit, qui soulève des problèmes
particuliers pour toute une catégorie d’entreprises culturelles, dont les vôtres, puisse évoluer
d’une manière adaptée.

Un autre enjeu important est, pour vous aussi, une source de préoccupation : c’est la lutte
contre la piraterie. J’ai pris l’initiative, avec le soutien du Président de la République, de
lancer un plan d’action contre la piraterie dans les industries culturelles. J’ai ainsi installé, le
15 juillet dernier, aux côtés du Ministre de l’économie et des finances, et du Ministre délégué
à l’Industrie, un comité de concertation pour le développement de l’offre légale et pour lutter
contre la piraterie. Une première charte d’engagements pour le développement de l’offre
légale de musique en ligne, le respect de la propriété intellectuelle et la lutte contre la
piraterie numérique a été signée le 28 juillet et concerne l’industrie musicale, la plus exposée
aujourd’hui aux méfaits du piratage.

Il importe maintenant de prolonger cette action dans le domaine du cinéma. Il est clair que la
possibilité d’un accès direct sur Internet à des films, avant même qu’ils soient exploités dans
vos salles, ne peut avoir que des conséquences désastreuses sur la vie des films en salles.

Tout sera mis en oeuvre pour endiguer ce phénomène, car ce serait toute la chronologie des
médias, qui est l’un des principes forts de l’économie et de la régulation du cinéma, qui en
serait brutalement bouleversée.

Nous avons, ensemble, à définir comment parvenir, dans le domaine du cinéma, à un accord
qui soit adapté aux attentes de l’ensemble des professionnels concernés. Les travaux du
groupe piloté par MM. Chantepie et Berbineau vont reprendre, parallèlement aux discussions
engagées au CNC sur les offres légales.

J’ai bien compris que les points de vue des tenants de la mise en place d’une offre légale de
cinéma sur Internet – sous forme de vidéo à la demande – et ceux des exploitants, et d’autres
professions, ne se rejoignent pas encore. Les premiers souhaitent un délai court après la
sortie en salles du film, alors que votre position, qui rejoint aussi celle de certains créateurs,
consiste à défendre la valeur de l’exclusivité de la salle et sa durée.

Le CNC a réuni, au début du mois de septembre, l’ensemble des parties concernées par ce
débat, qui doit se poursuivre, et dont je souhaite qu’il parvienne d’ici la fin de l’année, à un
compromis sur des propositions à la hauteur de l’importance de l’enjeu. Si la musique est
aujourd’hui plus exposée que le cinéma aux effets de la piraterie, l’évolution technologique
va très vite réduire cet écart. Je pense notamment à l’arrivée des offres d’abonnement à
Internet à très haut débit, qui facilitera le téléchargement rapide de films.

Il est également nécessaire que votre profession, en lien avec les distributeurs, les
producteurs et les industries techniques, mène une réflexion destinée à améliorer la
sécurisation des films. Il s’agit d’éviter qu’ils ne se retrouvent sur Internet avant même d’être
disponibles en DVD, et même dans vos salles ! Cela va du renforcement de la traçabilité à la
sensibilisation de tous les exploitants à la lutte contre les enregistrements sur caméra vidéo.

Il est vrai que les salles de cinéma sont aussi exposées à une autre forme de piraterie, les
projections illicites, aujourd’hui favorisées par la performance et la simplicité des dispositifs
de projection vidéonumérique. J’ai bien noté, que vous avez mis l’accent sur ce phénomène
en lui consacrant votre table ronde d’hier. J’ai demandé à l’Inspection générale de
l’administration des affaires culturelles de me remettre un rapport sur la question plus
générale du cinéma dit « non commercial » qui couvre, entre autres, ces projections illicites
et les moyens d’éviter leur prolifération incontrôlée. C’est M. Michel Berthod, Inspecteur
général, ancien DRAC de la région Aquitaine, qui sera chargé d’établir ce rapport, en liaison
avec les services du Centre national de la cinématographie. Il aura besoin de toute votre
collaboration sur ce dossier complexe.

S’agissant toujours des nouvelles technologies, si nous tentons une vision prospective, nous
n’éviterons pas d’aborder la question du changement technologique, qui devrait s’imposer
dans les prochaines années, avec une possible généralisation de la projection numérique en
haute définition.

Je sais que le sujet soulève plus de questions non résolues à ce jour qu’il ne présente de
réels attraits pour votre profession. Il n’existe pas encore de modèle économique du passage
au numérique, et la question des nouveaux standards de projection numérique n’est pas
tranchée. Sans compter les conséquences que pourrait avoir le mode de diffusion numérique
des films en salles sur les conditions de leur distribution, ou sur les industries techniques . Il
y a là, sans aucun, doute matière à une réflexion prospective approfondie que les pouvoirs
publics accompagneront, afin d’anticiper dans les meilleures conditions une mutation
technologique – comme en a déjà connue le cinéma par le passé – qui parait inéluctable,
même si personne n’en connaît l’échéance précise.

Il faudra veiller à ce que cette mutation technologique soutienne notre cause, celle de la
diversité culturelle.

Tous ces chantiers nous attendent, mais ne doivent pas pour autant peser sur le coeur de
votre métier qui est d’offrir au public – à tous les publics – le plaisir du cinéma. Un plaisir
partagé entre toutes les générations.

J’ai la conviction que nous devons aujourd’hui prêter une attention particulière au jeune
public, vivier des spectateurs de demain. Un vrai programme d’éducation au cinéma, plus
ambitieux que celui dont nous disposons aujourd’hui, devrait voir le jour. Je me suis
récemment entretenu de cette question avec mon collègue François Fillon, et nous sommes
convenus d’amplifier et de renforcer les initiatives favorisant la découverte des films en salles
par les publics scolaires. Les opérations « Ecole, Collège et Lycée au cinéma » doivent être
non seulement poursuivies mais étendues – voire prolongées par d’autres initiatives. Et j’ai
suggéré au Ministre de l’éducation nationale une meilleure coordination de ces programmes
entre nos deux ministères, à travers la nomination d’un responsable à l’éducation nationale.

Je sais que vous avez la préoccupation constante de communiquer auprès de votre public,
et notamment des plus jeunes.

Je tiens à féliciter le président Jean Labé et ses équipes pour le très beau travail de
promotion du cinéma effectué cet année par la Fédération, notamment à l’occasion du
Printemps du cinéma et du 20ème anniversaire de la Fête du cinéma, qui ont été de réels
succès. Je pense aussi à la nouvelle opération destinée à promouvoir les films de la rentrée
cinématographique, avec un million de DVD de bandes-annonces offerts au public. Enfin, je
sais que demain, ici même, avec la collaboration de vos collègues distributeurs, et
l’engagement actif de Marin Karmitz, Président de la Fédération nationale des distributeurs
de films, vous allez permettre à tous les participants du Congrès de voir bandes-annonces et
premières images de presque tous les films qui passeront sur les écrans ces prochains mois.

C’est un relais précieux de notoriété pour bon nombre d’entre eux.

Je suis convaincu – car la rumeur positive sur certains de ces films est venue jusqu’à moi –
que 2004 nous laissera la mémoire d’une bonne année cinématographique. Je forme donc
avec vous le voeu que nous puissions, en début d’année prochaine, constater que toutes les
conditions sont désormais réunies pour retrouver un niveau de fréquentation des salles que
nous n’avions pas connu depuis de nombreuses années et qui redonne au cinéma son statut
de spectacle offert au plus grand nombre. Ce serait la marque du succès des efforts
conjugués de tous ceux qui pensent – et je suis de ceux-là – que la création
cinématographique dans sa pluralité, dans la diversité, dans la liberté, est l’une des
expressions les plus précieuses de notre culture.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite d’excellents travaux.

Les défis du « peer-to-peer » : message de Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la Culture et de la Communication, lu lors du colloque du Forum des droits de l’Internet au Sénat

28 septembre 2004

Monsieur le Président,

Mesdames et messieurs les Sénateurs,

Mesdames et messieurs les Députés,

Mesdames et messieurs,

Le Ministre de la culture et de la communication, Renaud
DONNEDIEU de VABRES, convaincu que le développement
d’un Internet respectueux de la création est un enjeu majeur
pour notre culture, aurait souhaité pouvoir introduire ce colloque
sur les défis du « peer-to-peer ».

Comme il n’a malheureusement pas pu se libérer pour être
présent ce matin parmi nous, il a tenu à me charger du message
suivant à votre attention :

« Le développement des échanges illicites d’oeuvres protégées
par le droit d’auteur a atteint une ampleur sans précédent,
bafouant la propriété et la dignité des créateurs. D’ores et déjà,
ces échanges se chiffrent quotidiennement en millions et
représentent plus du triple des ventes. Le secteur de la musique
en ressent déjà les dures conséquences sociales, économiques
et en matière de création.

Avec le soutien du Président de la République, je me suis saisi
du problème dès mon arrivée dans ce ministère. J’ai ainsi
proposé au Conseil des ministres du 19 mai de mettre en place
un plan de lutte contre la piraterie.
Internet représente un formidable moyen de mieux diffuser l’offre
culturelle au plan national et international. Mais cette diffusion
doit être respectueuse de la création, afin d’éviter que la
diversité culturelle, à laquelle nous sommes tous attachés, ne
soit irrémédiablement fragilisée.

Le vote de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, et
de la loi relative à la protection des données à caractère
personnel, avant l’été, ont mis en place une série d’outils
juridiques pour défendre les droits des créateurs.

La charte « musique et Internet », signée le 28 juillet par les
professionnels concernés, sous l’égide du gouvernement, est un
symbole fort de la coopération qui s’instaure entre ces
professions, pour bâtir un Internet respectueux de la création
musicale.

Cette charte comporte une série d’engagements visant à développer l’offre
légale de musique en ligne et des mesures de sensibilisation et de lutte
contre la piraterie.

Pour développer l’offre légale, ces engagements consistent à favoriser
l’accès aux catalogues pour les plates-formes de distribution, faire passer de
300 000 à 600 000 les titres disponibles en ligne, dans le cadre d’une
tarification claire et compétitive, et développer diverses actions de promotion
pour les plates-formes et la musique légale en ligne.

Pour prévenir et lutter contre la piraterie, ces engagements visent
à sensibiliser les internautes, mieux articuler la publicité pour l’accès à
Internet avec le respect de la propriété intellectuelle, mettre en place un
dispositif d’alerte par des messages de prévention, organiser les recours au
juge et étudier la faisabilité d’une offre de contrôle parental bloquant
l’utilisation du « peer-to-peer ».

La sensibilisation et l’éducation du jeune public sont indispensables et le
ministère de la culture et de la communication y travaille avec le ministère de
l’éducation nationale.

Sous l’égide des pouvoirs publics, les professionnels sont en train de mettre
en place ces mesures. Un point d’étape sera réalisé au début du mois de
novembre. J’en attends des avancées concrètes.

Une démarche similaire s’engage également dans le domaine du cinéma.
D’ores et déjà, la concertation pour le développement de l’offre légale de
films en ligne, la VOD – vidéo à la demande, s’est engagée sous l’égide du
Centre National de la Cinématographie, notamment pour définir sa place
dans la chronologie des médias. Cette concertation devra déboucher sur
des propositions d’ici la fin de l’année, en parallèle des travaux qui seront
menés sur ce sujet par le groupe de travail piloté par messieurs Chantepie
et Berbinau.

Enfin la discussion que je souhaite prochaine du projet de loi sur le droit
d’auteur devra traduire cet équilibre entre la liberté du public et le respect
des créateurs et donc de leur rémunération.

L’enjeu de ces actions est ambitieux. Car au-delà des mesures concrètes
qui doivent contribuer à bâtir un Internet respectueux de la création, c’est
surtout une valeur nouvelle qu’il faut faire émerger et partager avec nos
concitoyens, la valeur du respect de la création.

La protection de la création et de la diversité culturelle, auxquelles nous
sommes tous attachés, nécessite que chacun prenne conscience que la
création et la dignité des créateurs sont des valeurs qui méritent qu’on les
respecte, sans céder à la facilité qui consisterait à justifier la piraterie au
nom d’une liberté sans limites.

Je souhaite donc que les échanges de ce colloque puissent être fructueux et
contribuer à faire prendre conscience à chacun de cette valeur qu’est la
création, pour que nos créateurs puissent continuer à exercer leurs talents et
à renforcer le rayonnement de notre pays dans le monde. »

Lancement de la 3ème édition de la semaine des cultures étrangères à Paris

27 septembre 2004

Mesdames et Messieurs les Directeurs d’instituts et de centres culturels étrangers à Paris,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’ouvrir, en votre présence, Monsieur le Ministre, cher Gilberto, la
Semaine des cultures étrangères à Paris, qui propose pour la troisième année consécutive,
un parcours festif et riche en découvertes parmi les 35 centres et instituts culturels étrangers
à Paris.

Je souhaiterais tout d’abord rendre hommage à tous les centres et instituts culturels
étrangers qui ont organisé cette fête des étrangers de Paris et de leurs cultures. Je voudrais
également souligner le rôle d’initiateur du Centre culturel canadien qui a été à l’origine de ce
projet. Ce n’est pas un hasard si nous retrouvons toujours le Canada à nos côtés pour parler
de la diversité des cultures. Cette initiative illustre une fois de plus l’attachement de ce grand
pays aux valeurs et aux principes du dialogue interculturel et de la diversité culturelle. Le
Canada est un exemple de tolérance et d’ouverture à autrui ; dans ce pays où plus de 200
groupes ethniques cohabitent dans le respect de leur identité, la diversité culturelle n’est pas
un vain mot. Comme le Canada, la France estime que défendre l’égale dignité des cultures
est une condition sine qua non de la paix. Dans ces temps troublés, le respect de l’autre est
essentiel ; il est en effet primordial d’apprendre à se connaître et de s’enrichir au contact des
autres cultures. Je suis convaincu que la culture est la porte qui ouvre sur la connaissance
de l’autre et la connaissance du monde. Aussi ce parcours que vous nous proposez va-t-il
une fois encore nous permettre de mieux connaître les centres culturels et instituts culturels
étrangers à Paris et de découvrir les multiples facettes des diverses cultures qu’ils
représentent.

Je tiens à saluer ici le travail accompli par le Forum des instituts culturels étrangers à Paris
qui, fort du succès des deux années précédentes, a organisé une nouvelle édition de plus
grande ampleur encore. Je suis heureux que le Ministère de la Culture et de la
Communication soit associé à cet événement.

Cette Semaine des cultures étrangères, vous avez choisi de la décliner sous le thème de
l’étranger dans la ville. L’étranger, les étrangers, c’est vous, représentants de tous ces pays
que je suis heureux d’accueillir ici. La ville, comme l’a dit l’historien Emile Temine, c’est par
excellence le lieu où l’on vient d’ailleurs.

Grâce à votre initiative, les Parisiens, les Parisiennes sont incités à sortir à votre rencontre,
et vous leur donnez rendez-vous autour d’un art venu d’ailleurs, représenté dans toute sa
diversité d’expression. Ils vont pouvoir s’émerveiller, rêver, voyager, et porter un regard
différent sur l’autre, cet étranger si loin mais si étrangement proche. Ils vont ainsi découvrir
l’art dans toute sa diversité d’expression, de la culture traditionnelle à la culture
contemporaine, l’art exprimé à travers de multiples identités, du Mexique à la Chine, de
Sanaa (Yémen) à Helsinki. Ce thème de l’étranger dans la ville nous est cher car il est au
coeur des préoccupations de l’Etat. Face à une tentation communautariste fondée sur le repli
identitaire, il est nécessaire de réaffirmer la richesse de l’apport des différentes composantes
de notre société. La France est à la fois une terre d’immigration et le pays des droits de
l’homme. Elle considère donc comme des valeurs fondamentales la tolérance et la
reconnaissance de la diversité culturelle.

C’est pourquoi je suis naturellement attaché à soutenir les cultures étrangères en
France et à défendre la diversité culturelle sur la scène internationale.

Le soutien des cultures étrangères en France passe d’abord par l’aide à de nombreux
projets et événements culturels internationaux.

La présence à mes côtés de Gilberto Gil, Ministre brésilien de la Culture, me fournit
l’excellente occasion d’évoquer la saison culturelle du Brésil, baptisée « Brésil, Brésils », qui
sera organisée à Paris et en région, de mars à décembre 2005. Cette saison du Brésil, dont
le mot d'ordre sera « diversité et modernité », mobilisera les secteurs publics et privés de
nos deux pays et permettra de mieux faire connaître la vitalité et la richesse des cultures du
Brésil.

Les Français apprécient tout particulièrement les manifestations des cultures étrangères, et
font souvent preuve d’enthousiasme quand elles viennent à eux. J’aurai ainsi la grande joie
de participer ce soir au Palais de la Découverte à l’inauguration de la Quinzaine culturelle
islandaise, « Islande, de glace et de feu », prévue en France du 27 septembre au 10 octobre
prochain.

Cependant, le soutien aux cultures étrangères passe également par l’accueil des artistes et
des professionnels de la culture.

L’ouverture aux créateurs du monde entier est l’une des qualités les plus constantes de la
culture française. L’un des facteurs principaux du dynamisme et du rayonnement de la
culture française, c’est précisément la présence de quelque 25 000 artistes et professionnels
de la culture, de nationalité étrangère, qui viennent travailler aujourd’hui dans notre pays.

Ces artistes et ces professionnels nous apportent partage et enrichissement ; ils sont pour
nous de merveilleux révélateurs, parce que « les yeux de l’étranger voient plus clair »,
comme le dit Charles Reade dans « The Cloister and the Hearth ».

Cette tradition vivace de « xénophilie » reflète exactement notre conception de l’ouverture à
l’altérité et de la promotion de la diversité culturelle. Cette conception, si fortement ancrée
dans notre histoire, et constitutive de notre patrimoine artistique et culturel, trouve
aujourd’hui une pertinence et une force particulières. Il nous appartient dès lors de la
réaffirmer, de la renforcer et de la promouvoir, tant au niveau européen qu’international.

Pour cette raison, la promotion de la diversité culturelle guidant l’action internationale de ce
ministère, notre dispositif d’incitation et d’accueil des artistes et professionnels étrangers en
France a été largement conforté.

Deux séries d’actions prioritaires visent d’une part à améliorer les conditions d’accueil et
d’exercice en France des artistes et des professionnels étrangers, d’autre part, à accroître et
mieux faire connaître notre offre de formation des professionnels étrangers.

Nos établissements publics accueillent désormais des professionnels de la culture étrangers
pour des stages de longue durée. La présence des artistes étrangers dans les centres
culturels de rencontre a été renforcée.

Enfin, je voudrais tout particulièrement insister sur la promotion de la diversité culturelle sur
la scène internationale.

La Semaine des cultures étrangères fait suite, de façon tout à fait symbolique, à la semaine
durant laquelle les experts gouvernementaux ont débattu à l’UNESCO de l’avant-projet de
convention internationale « sur la protection de la diversité des contenus culturels et des
expressions artistiques ». Il s’agissait là de la première étape de la négociation. Près de 600
délégués représentant plus de 130 pays ont fait le déplacement à Paris pour participer à
cette réunion et signifier ainsi l’importance et l’urgence d’une telle convention. Un tel taux de
participation est historique.

Il m’a été rapporté que la majorité des Etats membres ont reconnu la qualité du travail réalisé
par les experts indépendants en qualifiant leur avant-projet d’excellente base de départ. De
ce premier échange de vue gouvernemental s’est dégagé un consensus général sur la
nécessité :

– de mieux promouvoir et protéger les expressions culturelles,

– de reconnaître la spécificité des biens et services culturels qui, « parce qu’ils sont porteurs
d’identités, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises
ou des biens de consommation comme les autres »,

– enfin de reconnaître le droit souverain des Etats de mener des politiques culturelles.

Je sais que les débats ont été riches et je partage l’avis de nombreuses délégations qui se
sont exprimées pour rappeler la primauté des Droits de l’homme. En effet en aucun cas la
promotion des cultures nationales ne saurait justifier une atteinte aux droits et libertés
fondamentales.

Cette convention en introduisant la richesse des cultures dans l’ordre juridique international
participe du progrès de ces valeurs universelles. Pour qu’elle devienne vraiment cet
instrument efficace que nous appelons de nos voeux cette convention ne doit pas se
contenter d’ajouter une déclaration de plus sur la diversité culturelle mais doit créer un texte
normatif fondateur du dialogue des cultures.

Je me félicite que cet instrument soit élaboré à l’UNESCO, seule organisation des Nations
Unies à avoir un mandat culturel. C’est une garantie de l’universalité de la convention.

La négociation se poursuivra l’année prochaine et devrait se conclure, nous le souhaitons
tous, par l’adoption de cette convention à la prochaine Conférence générale de l’UNESCO, à
l’automne 2005.

L’enjeu est fondamental. C’est pourquoi je serais heureux que vous, Mesdames et
Messieurs, chers amis, puissiez continuer de témoigner concrètement de l’importance de la
diversité culturelle auprès de vos publics.

La Semaine des cultures étrangères à Paris est par essence une grande fête de la diversité
culturelle. Je remercie très sincèrement le FICEP pour son initiative et lui souhaite le meilleur
succès pour cette troisième édition.

Conseil Supérieur des Archives

27 septembre 2004

Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Directeurs,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’ouvrir, pour la première fois, une séance de votre conseil. Depuis
votre dernière réunion plénière, le 15 décembre 2003, l’actualité des archives a été riche et
foisonnante ; l’actualité tout court également.

Mais avant d’en venir à votre ordre du jour, je tiens à vous dire combien je suis convaincu
que les Archives, c’est notre mémoire collective, notre patrimoine, notre histoire, nos valeurs.

C’est pourquoi elles sont au coeur de la politique culturelle. J’en veux pour preuve le succès
qu’a remporté la présentation, dans ce salon même, il y a un peu plus d’une semaine, de
l’Edit de Nantes. Ce texte – qui avait déjà été montré au public au Musée de l’Histoire de
France – a été dévoilé pour la première fois rue de Valois, aux yeux du grand public, dans le
cadre des XXIe journées européennes du patrimoine.

L’intérêt que lui ont porté près de 10.000 visiteurs, leur émotion, leurs témoignages, illustrent
l’attachement de tous nos concitoyens au message universel de tolérance et de liberté
exprimé par ce « monument » de l’histoire de France.

Avant de retracer les évènements récents, je veux vous faire part d’une décision importante
relative à l’organisation des Archives nationales à l’heure où la construction d’un nouveau
centre à Pierrefitte, en Seine-Saint-Denis, mobilise toutes les énergies.

La modernisation des Archives nationales est l’une des priorités que j’ai présentée à la
presse dans le cadre du budget 2005. Mais au-delà des moyens, d’autres évolutions me
paraissent stratégiques.

La réforme du service public, l’évolution de la fonction « archive » face à de nouvelles
missions et à de nouvelles contraintes, la nécessaire modernisation de l’organisation,
concourent à rendre impérative la modernisation des Archives nationales sur le plan
administratif.

Afin d’éclairer ces évolutions, j’ai souhaité confier à un groupe d’experts une mission d’étude
sur l’organisation des Archives nationales et sur les possibilités s’offrant à l’action de l’Etat
en ce domaine.

Sa composition définitive sera rendue publique prochainement, mais j’ai tenu à vous faire la
primeur de cette annonce.

Depuis ma prise de fonctions, j’ai eu à coeur de réunir les conditions permettant le lancement
effectif du projet de nouveau centre et sa réalisation dans les délais fixés par le Président de
la République.

La première de ces conditions, c’est bien entendu le financement de la construction du
bâtiment. Les crédits permettant de choisir l’architecte et de lancer les études de maîtrise
d’oeuvre sont inscrits au projet de loi de finances pour 2005. Le Premier Ministre a
également arbitré, dans le courant de l’été, les modalités de financement de l’ensemble du
projet jusqu’à son achèvement en 2010. C’est une avancée considérable, qui permet
d’ancrer ce projet dans la durée.

Par ailleurs, les études de programmation se sont poursuivies, de manière à disposer des
éléments nécessaires à l’organisation du concours d’architecte. L’appel à candidatures a été
lancé durant l’été. Près d’une centaine d’équipes sont déjà sur les rangs, preuve de
l’immense intérêt que suscite le projet. La composition du jury est arrêtée. Il se réunira dans
la deuxième quinzaine d’octobre pour choisir les 5 équipes appelées à concourir pendant 14
semaines. Le choix définitif de l’architecte interviendra en février 2005.

Ces derniers mois, le programme préparatoire a fait l’objet d’une large concertation :
l’ensemble des acteurs de ce nouveau projet s’investissent d’ores et déjà pleinement. Je
salue leur engagement. Un Conseil scientifique, nouvellement installé par la direction des
Archives de France, réunissant universitaires, chercheurs et utilisateurs des archives, s’est
réuni pour la première fois vendredi dernier.

Je souhaite que la concertation se poursuive tout au long de l’élaboration du projet. Qu’elle
s’exerce vers l’extérieur (collectivités territoriales concernées et services déconcentrés de
l’Etat compétents) ou vers l’intérieur (agents des archives, représentants et encadrement),
elle est le pivot du projet tout entier. Je tiens tout particulièrement à saluer Monsieur Ermisse
et Madame Pétillat pour leur implication dans ce processus.

Enfin, la construction du nouveau centre ne me fait pas négliger, bien au contraire, les
centres existants. Ainsi, une enveloppe confortable (4,5 M€) est prévue au PLF 2005 pour la
construction d’un bâtiment provisoire sur le site de Fontainebleau, afin de garantir la capacité
de collecte du Centre des Archives contemporaines jusqu’en 2009. Parallèlement,
d’importants crédits (2,1 M€) permettront d’engager les travaux de rénovation des magasins
du Centre historique des Archives nationales à Paris.

C’est donc un programme cohérent et complet de rénovation des Archives nationales que
j’engage dès 2005.

Les archives électroniques, mémoire de demain, retiennent dans le même temps toute mon
attention. L’archivage électronique occupe chaque jour un espace grandissant et des
moyens spécifiques y seront consacrés en 2005. Les archives de France sont en pointe sur
un dossier devenu stratégique depuis le lancement par le Premier Ministre du Plan pour
l’administration électronique. Expertise auprès des autres ministères, sensibilisation des
agents publics, modernisation des infrastructures, les archives sont sur tous les fronts de la
révolution numérique.

L’octroi de moyens nouveaux traduit mon véritable souci des archives.
Le classement comme archives historiques d’archives privées est un autre moyen de
rapprocher public et patrimoine. Nous en avons un excellent exemple avec le dossier des
archives de Breteuil que vous allez examiner aujourd’hui.

C’est pourquoi je serai très attentif à vos réflexions et tout particulièrement aux travaux des
commissions que vous avez installées sur les archives notariales, les archives orales, les
archives scientifiques, la sélection, et les instruments de recherche. Je tiens à dire un grand
merci à leurs présidents et à leurs membres pour la tâche déjà accomplie et mes bons voeux
pour les efforts à venir.

Je vous remercie.

Inauguration de Villette Numérique

21 septembre 2004

Mesdames et messieurs,

En parcourant ce soir les expositions de Villette Numérique, j’ai été frappé par la richesse et
la diversité des oeuvres ici rassemblées. Créations sonores et visuelles, objets réels ou
virtuels, les diverses formes d’art communiquent entre elles et sont rassemblées ici sur le
thème du numérique.

Le numérique est en effet un nouvel outil au service de l’ouverture et du décloisonnement,
une passerelle entre les diverses formes d’art, qui permet de créer des « objets nouveaux ».

Les frontières deviennent floues entre le réel et le virtuel, entre l’oeuvre et son public,
puisque l’on voit même certaines oeuvres interactives se saisir de leur public pour se
transformer.

De nouveaux genres sont ainsi apparus, qui seront explorés dans le cadre de Villette
Numérique : musique électronique, spectacle vivant multimédia, film d’animation et images
de synthèse, jeu vidéo et oeuvres multimédia. Abordés à leurs débuts sous un angle
technique, tous ces genres dépassent progressivement ce stade pour prendre toute leur
place dans notre culture et investir l’imaginaire et les pratiques culturelles de nos
concitoyens.

Le numérique est une nouvelle passerelle entre les créateurs et leur public, parce que les
réseaux permettent désormais à des artistes de rendre leurs oeuvres accessibles au monde
entier. En cela, il contribue à la nécessité, à laquelle je suis très attaché, d’accroître la
diffusion et l’accessibilité de la culture à tous, parce que je crois que la culture est un
ingrédient essentiel à l’identité et à la cohésion de notre société, et donc à la citoyenneté.

Je veux ainsi revendiquer pour la culture sa place sur les réseaux. Le développement rapide
de l’accès aux réseaux à haut-débit dans notre pays ne doit pas être une fin en soi, il doit
notamment servir la diffusion de la culture, dans le respect des créateurs. Il appartient ainsi à
tous les acteurs culturels, et au premier chef le ministère de la culture et de la
communication, de se mobiliser pour occuper ce nouvel espace.

Cela vaut tout autant pour la création nouvelle que pour notre patrimoine. La richesse de ce
dernier était à l’honneur voici quelques jours, lors des Journées Européennes du Patrimoine,
pendant lesquelles nos concitoyens ont pu avoir accès à plus de 17 000 sites ou animations
qui leur ont été ouverts.

Le numérique doit désormais permettre au patrimoine de venir chez vous !

La numérisation du patrimoine n’est pas une fin en soi : au-delà de la sauvegarde de ce qui
est notre mémoire, elle doit aussi faciliter son accès à tous. D’abord virtuelle, la découverte
de cette richesse doit inciter chacun à aller la vivre dans le monde réel.

Création numérique, accès à la culture, numérisation du patrimoine, le numérique représente
ainsi des enjeux forts pour la culture, qui appellent à une mobilisation des acteurs culturels.

Mon ministère doit y jouer tout son rôle. C’est pourquoi je souhaite dès à présent engager les
chantiers numériques, véritable feuille de route de l’action de mon ministère et de ses
établissements publics.

J’identifie sur cette feuille de route dix chantiers prioritaires, qui correspondent aux
principaux enjeux dans les trois domaines que j’ai évoqués.

Le premier axe de cette politique concerne le soutien à la création numérique :

1. Le ministère poursuivra le dispositif de soutien à la création multimédia, le Dicréam, tout
en engageant une réforme visant à mieux associer les artistes à ses travaux, mieux valoriser
et diffuser les oeuvres sélectionnées, mieux cibler le soutien à quelques manifestations
d’envergure et favoriser les liens avec des résidences ou centres d’arts. Le ministère
amplifiera l’action de diffusion de la création numérique entreprise avec Villette Numérique. A
l’occasion de ma visite en Chine à la mi-octobre, pour lancer l’année de la France en Chine,
j’inaugurerai ainsi à Shanghai un festival pluridisciplinaire qui rassemble la jeune scène
électronique et numérique française.

2. Je souhaite aussi montrer que de nouvelles formes d’oeuvres multimédia, tel le jeu vidéo,
ont droit de cité au ministère de la culture et de la communication. Le ministère a engagé
depuis deux ans, via le CNC, une politique de soutien à ce secteur avec le Fonds d’Aide à
l’Edition Multimédia (FAEM), dont les meilleurs projets feront bientôt l’objet d’une
présentation. Ce dispositif sera reconduit, en menant une réflexion sur l’évolution du soutien
à ce secteur très exposé à la concurrence internationale.

Le deuxième axe de cette politique en faveur du numérique concerne la diffusion de la
culture, pour permettre son accès au plus grand nombre.

3. Le portail Culture.fr, lancé par le ministère en 2003, connaît un véritable succès, puisqu’il
attire plus de 12 000 visiteurs par jour, ce qui montre qu’il correspond à une véritable attente
du public en matière d’accès à la culture. Le portail devra franchir une nouvelle étape de son
développement, pour devenir un véritable outil de travail coopératif, notamment avec les
collectivités, avec l’objectif d’unifier et de simplifier l’accès aux bases de données du
ministère et de doubler le nombre d’événements culturels recensé dans l’agenda. Il devra
également devenir le moteur de recherche de référence du domaine culturel.

4. Lorsqu’il s’agit d’oeuvres protégées, l’accès à la culture doit se faire dans le respect du
droit d’auteur. C’est pourquoi je souhaite promouvoir la négociation contractuelle pour
autoriser l’exploitation des oeuvres sur Internet contre une rémunération adaptée. C’est un
axe important de mon plan de lutte contre la piraterie, avec la charte « Musique et Internet »
qui vise notamment à favoriser l’émergence de services de téléchargement légal de
musique. Une démarche similaire est en cours dans le domaine du cinéma. Le ministère va
contribuer à bâtir des accords pour développer de nouveaux usages en ligne par l’éducation
nationale et les bibliothèques (dans le cadre de la mission Stasse).

5. L’année 2005 verra le démarrage de la Télévision Numérique de Terre, c’est à dire la
télévision en qualité numérique, avec plus de chaînes, reçue par l’antenne télé habituelle,
pour autant que l’on s’équipe d’un décodeur spécifique dont le prix sera accessible à tous.

Le ministère devra participer, aux côtés du CSA, aux efforts de pédagogie nécessaires pour
que chacun de nos concitoyens sache comment bénéficier de cette nouvelle offre et ce
qu’elle lui apporte.

6. Le réseau de Recherche et d’Innovation en Audiovisuel et Multimédia RIAM, que finance
le ministère, sera relancé en 2005. Ce réseau, auxquels sont associés les ministères
chargés de l’industrie et de la recherche, ainsi que les professionnels, vise à soutenir les
projets de recherche partenariale dans le domaine de l’audiovisuel et du multimédia.

Le troisième axe de cette politique concerne la numérisation du patrimoine, dans le souci de
permettre sa sauvegarde mais aussi de favoriser son accès à tous :

7. Le chantier le plus urgent concerne la numérisation des archives audiovisuelles de l’INA,
car les supports utilisés se dégradent très vite (c’est ce qu’on appelle le syndrome du
vinaigre). Le budget de l’INA, que j’annoncerai demain, sera significativement augmenté
pour permettre de quasiment doubler le rythme de numérisation des archives, rattraper le
processus de dégradation et éviter la perte irrémédiable de cette mémoire audiovisuelle.

Cette numérisation doit également s’accompagner de la préfiguration d’un service de type «
vidéo à la demande » permettant l’accès de tous à cette mémoire collective.

8. La Bibliothèque Nationale de France développera la numérisation de ses fonds d’images
et de sons. Cet effort doit s’organiser selon une véritable stratégie concertée, définie dans la
charte documentaire de la BNF, afin de cibler les fonds prioritaires et d’assurer la cohérence
du patrimoine numérisé. A titre d’exemple, la BNF va numériser la collection du Bulletin des
lois, récemment donnée par l’ENA à la BNF et qui est notre mémoire républicaine. La
plateforme technique de la BNF sera renforcée, afin d’augmenter sa capacité de mémoire
mais aussi d’accélérer l’accès à sa bibliothèque numérique en ligne Gallica. La BNF
développera également une politique de partenariats, afin de mutualiser les catalogues avec
d’autres bibliothèques et d’en faciliter l’accès.

9. Plus largement, l’ensemble du ministère développera son effort de numérisation. Face à
l’ampleur de la tâche, notre stratégie est claire : cibler les documents selon leur intérêt ou
leur fragilité et accentuer la diffusion de ce patrimoine numérisé. A titre d’exemple, le
magnifique fonds des enluminures, qui permet l’accès via Internet à 14 000 photos, devrait
parvenir à 80 000 à la fin de l’année. Cet effort n’oubliera pas le patrimoine contemporain,
puisque le Fonds National d’Art Contemporain va numériser sa collection d’oeuvres vidéo, ni
les archives, notamment les témoignages oraux recueillis par la Fondation pour la Mémoire
de la Déportation.

10. Je suis particulièrement attaché à l’archivage du web, car c’est la mémoire d’une époque
que l’on sauvegarde. D’ores et déjà des expérimentations ont eu lieu, ciblant notamment les
sites politiques ou d’information, et devront être développées pour explorer de nouveaux
domaines, comme les « weblogs », ces journaux personnels sur le web. Cette préparation
est nécessaire afin de permettre une mise en place effective du dépôt légal le plus
rapidement possible après le vote de la loi sur le droit d’auteur.

L’ensemble de ces dix chantiers définissent le plan de marche du ministère dans le domaine
du numérique. Ces efforts doivent contribuer à donner à la culture toute sa place dans
l’univers des technologies numériques. Cette démarche volontaire, tournée vers les publics,
équilibrant soutien à la création et sauvegarde de la mémoire collective, est à l’image de la
politique que je veux mener dans ce ministère.

Je vous remercie.

Signature de la première convention Etat / CNC / Région sur le Développement cinématographique

20 septembre 2004

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Président,

Madame la Directrice générale adjointe,

[…]

Chers amis,

C’est avec une grande joie que je viens aujourd’hui à Orléans, car ensemble, aux côtés de
Michel Sapin, Président de la Région Centre, d’André Viau, Préfet de la Région Centre, de
Monique Barbaroux, Directrice générale adjointe du CNC, nous allons donner vie à
l’ambitieux projet que mon prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon, avait imaginé pour
améliorer le financement du cinéma et inciter les producteurs à installer leurs tournages dans
notre pays, alors que nous observons une forte tendance à la délocalisation. Nous allons en
effet signer ensemble la première des conventions triennales de développement
cinématographique et audiovisuel pour la période 2004-2006. La Région Centre est une
nouvelle fois pionnière en matière de soutien à la création cinématographique et je tiens ici à
saluer le formidable engagement de Michel Sapin au service de la culture et du
renouvellement des talents.

Le partenariat que nous mettons aujourd’hui en place entre l’État, la Région et le CNC, a
principalement pour but de donner aux producteurs de cinéma un nouvel outil qui puisse les
aider à réaliser leurs projets. En incitant les collectivités à créer des fonds de soutien à la
production cinématographique, auxquels l’État apportera une contribution financière et une
véritable expertise, les pouvoirs publics affirment plus que jamais leur attachement à la
vitalité et à la diversité du cinéma. Notre cinéma, n’en doutons pas, est notre richesse. Il est
fort, d’une manière tout à fait unique, de la grande variété de ses oeuvres, qu’il s’agisse de
courts métrages ou de longs métrages. Les Régions, et particulièrement la Région Centre, ont
déjà beaucoup fait en faveur de la création, en soutenant prioritairement la réalisation de
courts métrages et en apportant un fort appui aux projets au stade de l'écriture et du
développement. Aujourd’hui, grâce aux conventions triennales, elles pourront se tenir aux
côtés des producteurs de longs métrages et les aider dans ces entreprises si difficiles que sont
les films.

Je parlais à l’instant de notre attachement à la diversité du cinéma français. Je voudrais
simplement affirmer devant vous ma conviction profonde, qui est celle d’un amoureux du
cinéma. L’accompagnement que les pouvoirs publics n’ont cessé de garantir aux
professionnels du cinéma depuis presque soixante ans, en aidant les salles, en aidant les
producteurs, en améliorant sans cesse la réglementation du secteur, a permis à cette industrie,
à cet art, de se développer sereinement et d’exister aux yeux du monde comme l’une des plus
grandes cinématographies. C’est cette détermination sans faille des pouvoirs publics à faire
exister le cinéma qui a garanti ce formidable parcours que l’on nous envie dans de nombreux
pays.

Les collectivités ont aujourd’hui un rôle très important à jouer aux côtés de l’État pour
améliorer encore les chances de succès de nos créateurs et de nos entreprises. Nos paysages,
notre patrimoine architectural, sont des richesses que le cinéma doit s’approprier. Et les élus
ont bien compris qu’il y avait dans ce nouveau partenariat avec le cinéma une source de
développement indéniable. Il ne s’agit pas d’installer en Bourgogne le tournage d’un film que
son scénario situe à New York ou à Tokyo, et nous ne sommes pas réunis ici comme un club
chauviniste et nombriliste. Il est cependant indispensable, pour l’économie de notre pays, pour
ses industries techniques, pour l’emploi des intermittents du spectacle, pour les auteurs, que
nous puissions relocaliser un maximum de tournages sur notre territoire.

Les conventions triennales, qui reprennent les chantiers déjà amorcés par la précédente
génération de conventions tripartites, et qui prévoyaient des opérations d’éducation au
cinéma, et de soutien à la création, auxquelles je suis très attaché, vont conditionner l’octroi
d’un soutien financier de la Région à la localisation des dépenses. La délocalisation des
tournages est aujourd’hui excessive. Elle est motivée surtout par des enjeux financiers, et il
est effectivement avantageux en termes économiques d’employer des techniciens étrangers ne
bénéficiant pas des revenus et de la protection sociale que notre pays offre aujourd’hui. Il est
intéressant de profiter de tel abri fiscal dans un pays dont les décors ne sont pas si différents.

Je comprends les producteurs, mais je suis absolument décidé à tout mettre en oeuvre pour
qu’ils fassent désormais travailler nos techniciens, nos laboratoires, nos studios.

Vous le savez, et cette question est aujourd’hui au coeur du débat sur l’Europe, les
délocalisations inquiètent nos compatriotes. Elles les inquiètent à juste titre. Car elles mettent
notre économie en péril. La réponse que nous apportons aujourd’hui avec le soutien actif de la
Région Centre est je crois une réponse adaptée et qui aura des conséquences très positives,
non seulement sur le dynamisme de la production cinématographique française, mais aussi sur
notre économie, au bénéfice notamment des industries techniques.

Je voudrais profiter de cette tribune pour me féliciter d’une autre mesure, décidée elle aussi
par mon prédécesseur, et qui voit aujourd’hui le jour grâce au concours précieux de mon
collègue et ami Nicolas Sarkozy. Il s’agit du crédit d’impôt qui sera octroyé aux producteurs
qui font le choix de tourner en France. C’est une mesure elle aussi très importante et qui, cela
a pu se vérifier au cours de cette année, rencontre un vif succès. La dépense fiscale risque
d’ailleurs d’être supérieure à celle initialement prévue : je m’en réjouis pour le cinéma
français même si je sais que certaines dents grincent au Ministère des finances. Je suis
convaincu que la grandeur du cinéma français mérite quelques efforts de la part de l’État. Ces
efforts sont grandement récompensés par la qualité des films français, dont un grand nombre
parcourt les festivals et remporte de belles récompenses, comme récemment encore à Venise.

La grandeur de la culture française est à ce prix, et au-delà, car elle n’a pas de prix. Elle est le
fruit de l’histoire et d’une création qui aujourd’hui brille par son foisonnement. Nous avons
collectivement cette ambition de donner à nos créateurs, à nos scénaristes, à nos metteurs en
scène, les moyens de conduire d’ambitieux projets qui, en fin de compte, au-delà du prestige
qu’ils apportent légitimement à leurs auteurs, enrichissent notre patrimoine et grandissent
notre nation. Je suis profondément convaincu que cette vitalité artistique doit être préservée.

À côté de nous, en Europe, mais aussi au-delà, dans le monde, nous devons faire en sorte que
cet amour de la diversité culturelle, cette passion pour l’art, qui ne fait que grandir l’humanité,
essaime, et que l’on nous rejoigne pour ce combat qui finalement ne combat personne. Nous
nous battons tous pour disposer chacun du droit fondamental à exister, à être, et finalement à
échanger, à partager.

Le cinéma, comme tous les arts, est un message de tolérance et de paix. Nous en avons besoin
aujourd’hui plus que jamais. Cette convention est un jalon, elle est une pierre de l’édifice que
nous bâtissons ensemble, pour la grandeur du cinéma et pour la culture.

Inauguration de la Maison de la Culture de Grenoble

17 septembre 2004

Madame la Ministre,

Messieurs les Ministres,

Monsieur le Député-Maire,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

C’est un grand honneur pour moi, de marcher après vous dans les pas de mon illustre
prédécesseur, le créateur du ministère dont j’ai aujourd’hui la charge et des Maisons de la
culture.

Oui, ce soir, à Grenoble, une nouvelle Maison renaît, à la rencontre de la culture
d’aujourd’hui et de l’Histoire.

Ce lieu est un lieu mythique, surgi d’un rêve, d’une vision prophétique d’André Malraux,
d’une promesse, que l’on a pu qualifier d’utopique lorsqu’elle fut formulée la première fois.

L’utopie est sortie de terre, le rêve s’est construit, les artistes et le public ont au fil du temps,
transformé le songe en succès.

Je tiens à rappeler les dimensions de ce succès qui nous rassemble aujourd’hui pour un
nouveau départ, une nouvelle génération, une nouvelle énergie (un physicien génial dirait : « e = mc2 »). Un succès architectural d’abord qui prolonge le geste initial, et nos pensées vont
ce soir vers le premier architecte qui a créé ce lieu, André Wogensky, malheureusement
décédé cet été. Il avait fait partie du jury qui a choisi l’architecte de cette rénovation, Antoine
Stinco auquel je tiens à rendre hommage.

Il s’agit à dire vrai plus que d’une rénovation : une renaissance. Et je tiens à dire tout ce
qu’elle doit à l’engagement d’Edouard Balladur et de Jacques Toubon.

Cette Maison de la deuxième génération met à nouveau en pleine lumière ce bâtiment, mais
aussi le projet qu’il porte, le rayonnement qu’il permet, les hommes et les femmes qui
l’animent et celles et ceux, vous tous, à qui il est destiné.

Car ce lieu est un lieu vivant. Et si Baudelaire a dit que la forme d’une ville change plus vite
que le coeur d’un mortel, nous assistons ici à une métamorphose. Au nouvel état d’un même
être vivant, où bat un coeur, où souffle un esprit, où les âmes vibrent à l’unisson.

Cette métamorphose ne rend pas seulement cette maison plus belle, plus grande, plus
claire. Elle diffuse une lumière nouvelle. Celle-ci n’est pas surgie brutalement de l’ombre,
dont aucune frontière ne la sépare. Elle est faite de toutes les couleurs du spectre de celles
qui l’ont précédée ici même. Et elle est plus rayonnante encore, pour cette raison même.

Parce qu’aux hommes et aux femmes qu’elle réunit, elle propose non seulement une
alternative aux « usines à rêves », mais un lieu d’assemblage de leurs propres songes et de
leurs projets, dans la confrontation et la rencontre avec ceux des créateurs et des artistes.

Car ce lieu, pensé à l’origine comme une moderne cathédrale n’est pas un sanctuaire ni un
lieu de culte, mais un lieu de culture au sens où nous l’entendons aujourd’hui, c’est-à-dire un
lieu où l’oeuvre est non seulement accessible ou à la portée de tous, un lieu où la distance
même qui séparait hier l’oeuvre et son public est abolie.

C’est la deuxième dimension du succès. Ce que l’on a appelé la « démocratisation culturelle
», cette « culture pour chacun », elle s’épanouira ici. Grâce à tous ceux qui ont conjugué
leurs efforts pour faire aboutir ce projet et lui donner un élan nouveau. De liberté.

D’indépendance. De création. De générosité.

On sait, à Grenoble, l’une des rares cités « compagnon de la Libération », qui s’est retrouvée
tout au long de l’Histoire au carrefour des civilisations européennes, dans la violence comme
dans la fécondité de leurs confrontations, quel est le prix de la liberté de l’esprit.

Lorsqu’il fallut fêter le premier anniversaire de la Libération, c’est par une pièce de Luigi
Ciccione, intitulée Un peuple se retrouve, et qui rassembla 40 000 spectateurs, que cela se
fit.

Et je n’oublie pas que c’est à Grenoble, au sortir de la seconde guerre mondiale, que Jean
Dasté décida, parmi les premiers, d’implanter une troupe permanente. Ayons ce soir une
pensée pour ce grand pionnier de la décentralisation dramatique qui aurait eu cent ans
demain.

C’est à Grenoble que dès sa création, la Maison de la culture attira les plus grands talents :
Maurice Béjart, Pierre Henry, Michel Butor, Beckett, Le Corbusier, Giorgio Strehler ou Ariane
Mnouchkine.

C’est à Grenoble que les passionnés et les militants de la culture vinrent éprouver leurs
idées au contact du réel et de la création.

Je ne peux citer tous ces pionniers qui frayèrent les chemins des possibles de la culture. Je
tiens à citer Catherine Tasca qui vint ici faire ses premières armes en succédant à Didier
Béraud.

Je veux évoquer aussi Henri Lhong, Bernard Gilman qui fit admettre que toute la culture
d’une cité ne pouvait plus se concentrer entre ces seuls murs, si prestigieux soient-ils.

C’est ici aussi que se trouvent les racines de Georges Lavaudant, l’actuel directeur du
Théâtre National de l’Odéon, dont les portes rouvriront bientôt, non pas sur la rue Paul
Claudel, qui est celle de cette maison, mais sur la Place Paul Claudel à Paris. Georges
Lavaudant qui commença au Rio, un petit théâtre dont je sais, Monsieur le Député-Maire,
que vous suivez avec attention le renouveau du projet artistique.

C’est à Grenoble que Roger Caracache voulut « recharger la Maison d’une nouvelle utopie
».

C’est à Grenoble enfin que Jean-Claude Gallotta, Laurent Pelly et Marc Minkowski
échafaudent leurs projets, répètent et créent des oeuvres qui feront ensuite le tour de France
et parfois du monde.

Et si vous me permettez cette confidence, il me coûte d’attendre que La Grande Duchesse
de Gerolstein vienne à Paris, dans le spectacle que le Châtelet accueillera après Grenoble.

Spectacle qui est le fruit de la collaboration entre le centre dramatique national, le centre
chorégraphique national et l’orchestre en résidence.

Cet exemple parmi tant d’autres montre à quel point l’ambition initiale des créateurs de cette
Maison est atteinte, et même bien au-delà. Il ne s’agit plus, selon les mots prononcés ici
même par André Malraux, que « ce qui se passe d’essentiel à Paris » se passe « en même
temps » à Grenoble.

Il s’agit bien aujourd’hui que ce qui se passe d’abord à Grenoble, en termes de création et de
diffusion culturelle, puisse aussi, et je l’espère le plus vite possible, se passer à Paris, puis
en Europe et dans le monde.

Geste architectural exceptionnel, symbole d’une démocratisation culturelle en marche, cette
maison est exemplaire aussi du meilleur de la décentralisation culturelle. Ici, l’engagement
ancien conjoint de l’Etat et des collectivités territoriales, permet de proposer le plus haut
niveau d’exigence artistique à la portée de tous.

Oui, ici l’Etat est présent, tutelle et partenaire, pour bâtir, de concert avec les collectivités, au
premier rang desquelles la ville, un foyer de rayonnement universel de la culture, aux
antipodes de ce que l’on appelait encore en 1968, d’un mot « hideux », « l’esprit de province
».

Car c’est à Grenoble, précisément, que, pour la première fois, en un même lieu, sont réunis
un centre dramatique national, un centre chorégraphique national et un orchestre en
résidence.

Je sais, bien sûr, que cette expérience magnifique ne réussira pas sans le soutien affirmé de
l’Etat et je suis venu vous dire, Monsieur le Président, Monsieur le Directeur, que vous
pouvez compter sur lui, aujourd’hui comme au lancement de ce beau projet.

Je sais ce que cette expérience a d’unique.

Une expérience unique en France, qui ne doit pas nous faire oublier que le réseau des
établissements culturels de notre pays est très diversifié et riche d’une histoire chaque fois
singulière.

Fier de voir cette Maison permettre à des artistes, différents et complémentaires, de créer en
toute indépendance des oeuvres qui rencontreront, je l’espère, toujours plus de spectateurs,
je veux vous faire partager mon désir le plus vif : que les murs parfois dressés entre les
métiers du spectacle vivant et les autres secteurs de la société s’abattent, comme se sont ici
abattues les frontières entre musique, danse et théâtre, dans l’acceptation de leurs
différences et dans le respect des missions que chaque structure s’est vue confier par l’Etat
et les collectivités territoriales.

Ce décloisonnement que vous allez réussir ici, est exemplaire de la nouvelle ambition que le
gouvernement entend donner aujourd’hui à la politique culturelle. Cette nouvelle ambition est
fondée sur l’alliance du patrimoine, cet indivisible héritage que nous avons en partage, et de
la création.

Oui, l’alliance est non seulement possible entre la fierté de l’histoire, du patrimoine, de la
culture et le souci de la création contemporaine la plus novatrice. Elle est féconde. Rare.

Prometteuse. Porteuse non seulement d’émotions esthétiques, mais d’espoirs concrets
d’activités, de richesses et d’aventures spirituelles à partager. Dans des lieux d’exception,
comme ici, mais aussi dans tous les lieux de proximité qui font la richesse et l’attrait de nos
territoires.

Ce lieu est né dans une sorte d’embrasement lyrique.

Il renaît aujourd’hui, métamorphosé, avec cette nouvelle promesse, en laquelle je crois, et
que je vous invite à faire advenir tous ensemble, tandis que résonnent toujours les mots
immémoriaux de la petite princesse thébaine vêtue de noir, aux pieds de l’Acropole : « je ne
suis pas venue sur la terre pour partager la haine, mais pour partager l’amour ».

Je vous remercie.

Signature de l'acceptation de la donation du site de l'Abbaye de Port-Royal-des-Champs faite à l'Etat par la Société de Port-Royal

13 septembre 2004

Madame le député (Mme Valérie Pecresse),

Monsieur le Président du Conseil régional (M. Jean-Paul Huchon),

Monsieur le Président du Conseil général (M. Franck Borotra),

Monsieur le Président de la Communauté d’Agglomération (M. Robert Cadalbert),

Monsieur le Maire de Magny-les-Hameaux (M. Jacques Lollioz),

Monsieur le Préfet,

Messieurs les présidents (M. Gazier, Société de Port-Royal, M. Ferreyrolles, Société des
Amis de Port-Royal, M. Daussy, Société des Amis des Granges de Port-Royal),

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes aujourd'hui réunis pour un moment historique. Huit siècles après la fondation
de l'abbaye par Eudes de Sully, c'est en effet une page nouvelle de l'histoire de Port-Royal
que nous venons de tourner en signant, avec M. Jean-Paul Calon, président d'honneur de la
Société de Port-Royal, et M. Bernard Gazier, son président, l'acceptation de la donation faite
à l’Etat par cette Société.

Le site de l’ancienne abbaye est désormais réuni à celui des Granges de Port-Royal, dont il
était séparé depuis la Révolution .

Vous connaissez tous, avec autant de passion que d'érudition, l'histoire de ce site,
assurément l'un des plus beaux de l'Ile-de-France. Un lieu où souffle l'esprit. Un lieu de paix,
de solitude et de silence. Un lieu où s'instruire, rêver et méditer.
Un des hauts lieux de notre patrimoine. Un patrimoine dont, à la fin de cette semaine, plus
de onze millions de Français et de visiteurs du monde entier vont pousser les portes,
connues ou méconnues, à l'occasion des XXIe journées européennes du patrimoine. Un
patrimoine dont nos compatriotes sont légitimement fiers, parce qu'il forge notre identité
régionale et nationale, et participe à son rayonnement culturel international. Un patrimoine
qui est un atout majeur pour l'attrait et la force de la France en Europe et dans le monde.

Ce patrimoine n'est pas fait que de murs et de paysages, si vénérables soient ces murs, si
poétiques soient ces ruines, si admirables soient ce vallon et ce jardin.

Notre patrimoine est tout autant spirituel que matériel. Il est un héritage de valeurs autant
que de pierres. Et notre histoire est faite de documents qui sont des monuments.

C'est pourquoi j'ai souhaité présenter au public, à l'occasion des prochaines journées du
patrimoine, rue de Valois, dans l'aile du Palais Royal dévolue au ministère de la culture et de
la communication, l'original de l'Édit de Nantes. Premier acte de tolérance dans l'Europe
divisée par la fracture de la Réforme, ce document porte un message universel de tolérance
religieuse et civile, qui demeure d'une grande actualité dans le monde d'aujourd'hui.

Certes la paix civile, et plus encore la tolérance, demeureront longtemps encore un idéal. Un
idéal profondément inscrit dans l'histoire, douloureuse et glorieuse, de Port-Royal, haut lieu
de la pensée spirituelle et de la résistance à l'absolutisme, espace de liberté et
d'indépendance d'esprit qui fut aussi, pour cette raison, persécuté et détruit.

C'est dans cette perspective que je vous invite à situer cette nouvelle page de l'histoire de
Port-Royal que nous allons désormais écrire ensemble.
C'est dans cet esprit qu'il nous faut considérer le legs de Port-Royal aujourd'hui. De quoi est-il
fait ?

D'abord, d'un immense patrimoine littéraire où se déploie une intense liberté de penser, de
s'exprimer et de rêver. Car Port-Royal fut tout autant un foyer de littérature que de théologie.

Et à ce titre aussi, comme le souligne justement M. Feyrrerolles, Président de la société des
Amis de Port-Royal, il peut répondre à la "quête du sens" qui anime nos contemporains.

Aux antipodes de la déformation de la religion dans le sens du fanatisme, la spiritualité invite
par nature à la vie de l'esprit. Et la persécution dont fut victime Port-Royal montre que l'on
peut répondre à la violence sans violence et survivre dans la mémoire des hommes.

"La violence" – dit Pascal à la fin de la XIIe Provinciale – "essaie d'opprimer la vérité. Mais
tous les efforts de la violence, ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu'à la relever
davantage". Mieux faire connaître Port-Royal, à tous les publics et en particulier aux jeunes,
ce n'est donc pas seulement éclairer un pan d'une histoire marquée par la violence et
l'intolérance, c'est aussi prendre la mesure d'enjeux toujours actuels.

Et l'on ne peut ici que méditer cet autre texte de Pascal, extrait des Pensées cette fois : "La
conduite de Dieu qui dispose toute chose avec douceur, est de mettre la religion dans l'esprit
par les raisons et dans le coeur par la grâce. Mais de la vouloir mettre dans l'esprit par la
force et par les menaces, ce n'est pas y mettre la religion mais la terreur". (fragment 203, en
livre de poche).

L'autre apport considérable de la mémoire de Port-Royal pour aujourd'hui a trait évidemment
à l'éducation. Puisque c'est ici, aux "Petits Ecoles", que l'on enseigna pour la première fois le
latin en français et non plus en latin. Le plus prestigieux des élèves qui furent éveillés ici par
les maîtres Lancelot, Arnauld et Nicole aux humanités et à l'intelligence, fut bien sûr Jean
Racine. Selon le mot de Gustave Lanson : "ils n'ont pas fait Racine, mais ils l'ont formé".

C'est dire le rayonnement de Port-Royal. Et l'on pourrait citer bien d'autres anciens élèves,
comme le grand historien Le Nain de Tillemont ou Boisguilbert, l'un des fondateurs de
l'économie politique. L'influence de Port-Royal, ce fut aussi, bien sûr, la seule traduction
véritablement littéraire de la Bible en langue française, celle de Sacy, mais aussi l'abbé
Grégoire, ou encore Sainte-Beuve, et, plus près de nous, François Mauriac, Julien Green, ou
Pascal Quignard.

Le legs de Port-Royal, c'est encore la contribution d'Arnauld d'Andilly à l'art des jardins, et en
particulier à l'arboriculture fruitière, que l'on retrouve ici dans le verger.

Car, sans commettre d'anachronisme, il y a, au coeur de Port-Royal, un souci, sinon
écologique, en tout cas d'harmonie entre l'homme et la nature, qui entre en résonance avec
nos efforts actuels pour ouvrir les voies d'un développement durable. A Port-Royal, le
patrimoine naturel, le patrimoine culturel et le patrimoine spirituel ne font qu'un.

Le rayonnement de Port-Royal, ce sont aussi, comme l'illustre le colloque que vous tiendrez
jeudi et vendredi dans le cadre de la célébration nationale du VIIIe centenaire de l'abbaye,
ces chercheurs, ces étudiants, ces intellectuels du monde entier – jusqu'au Japon – qui
vouent leurs travaux à l'étude de ce patrimoine.

La nature et la beauté de ces lieux, la place qu'ils ont dans notre histoire intellectuelle et
spirituelle, les aléas et les circonstances du sauvetage de ce site, plusieurs fois vandalisé et
morcelé, nous obligent à nous atteler tous ensemble à l'élaboration d'un grand projet culturel.

Permettez-moi d'émettre ici le souhait que l'ensemble des partenaires permette à Port-Royal
de devenir un centre culturel de rencontre consacré à la spiritualité.

Sur les bases d'une structure qui reste à définir précisément, il pourrait ainsi s'ouvrir à toutes
les formes et à toutes les expressions des cultures spirituelles.

C'est dire l'importance de l'engagement actuel de l'Etat dans la préservation et le
rayonnement de ce lieu.

Je voudrais rendre ici hommage à M. Christian Pattyn, inspecteur général honoraire de
l'administration des affaires culturelles. Car il a en quelque sorte jeté les bases du renouveau
de Port-Royal que nous esquissons aujourd'hui. C'est en effet M. Pattyn qui a préconisé
d’une part la recréation de l'unité du site, d’autre part son animation par un projet culturel
centré sur l'histoire de l'abbaye.

La mise en oeuvre de cette démarche est bien avancée.

L'inscription du projet dans le contrat de plan Etat-Région 2001-2007, auquel s'associe le
département des Yvelines, a permis de dégager les crédits nécessaires aux aménagements
du site.

Par ailleurs, la réflexion engagée dès 2001, pour parvenir à la création d'un Groupement d'
Intérêt Public à Caractère Culturel (GIPC) associant l'Etat aux partenaires territoriaux – la
région Ile-de-France, le département des Yvelines, la Communauté d'agglomération de
Saint-Quentin-en-Yvelines et la commune de Magny-les-Hameaux, est en passe d'aboutir.

Elle a été menée dans le cadre d'un comité de direction, présidé par le Préfet des Yvelines,
associant ces différents partenaires et la Société de Port Royal. Cette réflexion a été
soutenue par un comité de pilotage élargi aux services extérieurs de l'Etat, aux autres
associations du lieu et à des institutions telles que l'Université de Versailles-Saint-Quentin, le
Parc naturel régional de la vallée de Chevreuse et l'Agence des espaces verts de la région
Ile-de-France.

Je viens de présider ici-même une réunion technique sur le bon aboutissement de ce projet
de GIPC.

Enfin, je voudrais souligner l'acceptation en juillet 2004 par ces mêmes partenaires d'un
remarquable programme d'action et de développement culturels, dont l'élaboration a
bénéficié des conseils d'un comité scientifique présidé par M. Erik Orsenna, et dont la mise
en oeuvre dépendra maintenant de M. Jean-Louis Martinot-Lagarde, directeur de projet, et
de Mme Véronique Alemany, directeur du musée national des Granges de Port-Royal.

L'événement qui a donné une impulsion essentielle à ce mouvement, fut la proposition, en
janvier 2003, par la Société de Port-Royal, du principe de la donation à l'Etat, qui nous vaut
de nous retrouver ici. Aujourd'hui, je tiens à exprimer solennellement, ici devant vous, la
reconnaissance de l'Etat pour ce geste généreux et porteur d'un élan nouveau.

Geste profondément symbolique, comme l'a souligné Bernard Gazier, président de cette
Société de Port-Royal qui assure depuis plus de deux siècles la pérennité du site, et éminent
représentant d'une famille, attachée depuis le XIXe siècle, de coeur et d'esprit, à son histoire
et à ses valeurs.

Geste éminemment symbolique, puisque d'une gestion continûment privée depuis 1204, le
site de l'abbaye passe à une gestion publique.

Sans doute sommes-nous aujourd'hui les acteurs d'une de ces ruses dont l'histoire a le
secret, au regard des relations mouvementées – c'est un euphémisme – et tragiques de Port-
Royal avec le pouvoir, marquées à jamais par la destruction et la profanation de 1711 sur
l'ordre de Louis XIV.

Oui, nous vivons bien une réconciliation que l'on peut qualifier d'historique.

Je la souhaite exemplaire, non seulement de l'orientation que j'entends donner aujourd'hui à
la politique du patrimoine, autour de valeurs partagées, mais aussi de l'association, autour
des mêmes objectifs, des collectivités territoriales et de l'Etat, pour construire, avec leurs
partenaires, un projet porteur de sens.

Je vous remercie.

Centre International du Vitrail – Convention Mécénat Minoteries Viron. Chartres

13 septembre 2004

Monsieur le Député-Maire,

Messieurs les Parlementaires,

Monsieur le Président du Conseil Général,

Monsieur le Vice-Président du Conseil Régional,

Monseigneur,

Mesdames les Présidentes,

Mesdames, Messieurs,

Ce n'est pas la première fois que je viens à Chartres. Mais c'est la première fois que je viens
en tant que ministre.

Cette nouvelle visite de la cathédrale, que je viens d'effectuer, éclairée par vos
commentaires, Monseigneur, ne peut qu'appeler – et je ne peux y résister à chaque fois que
je traverse la Beauce – à l'évocation de Charles Péguy :

"Un homme de chez nous, de la glèbe féconde,
A fait jaillir ici, d'un seul enlèvement,
Et d'une seule source et d'un seul portement,
Vers votre assomption, la flèche unique au monde
Tour de David, voici votre tour beauceronne !"

Cette flèche est bien au coeur de notre patrimoine. Celui de la France, celui de l'humanité. A
la fin de la semaine, les Français, en poussant les portes des monuments qui leur seront
ouvertes dans le cadre des XXIe journées européennes du patrimoine, rediront leur
attachement à cette richesse culturelle et spirituelle unique qui fait à juste titre notre fierté et
contribue à notre rayonnement.

En ce haut lieu, je tiens aussi à honorer les métiers d'art. Ainsi, nous célébrons aujourd'hui le
travail des mains et de l'esprit. Les formes les plus variées trouvent ici leur expression dans
les domaines de la pierre, de la sculpture, de la ferronnerie, de la peinture polychrome, et,
bien sûr du vitrail. Les "métiers d'art", ce sont des savoir-faire. C'est l'habileté dans la mise
en oeuvre des pratiques par lesquelles l'homme trouve son identité.
Parce que l'impérieux devoir de préserver notre patrimoine et d'encourager ces savoir-faire
exceptionnels sont au coeur de ma mission, je porte une attention particulière à ces métiers
en évolution.

Je veux aussi marquer l'intérêt que j'attache à l'harmonieux développement d'un nouveau
type de mécénat, le mécénat de proximité.

En effet, grâce à la loi sur le mécénat du 1er août 2003, nous assistons à de nouvelles
collaborations du type de celle qu'apportent ici-même, les Minoteries Viron, tant à la
restauration des vitraux de la cathédrale qui fait l'objet d'une première convention, qu'au
soutien pluriannuel du Centre International du Vitrail auquel l'entreprise s'engage, qui fait
l'objet d'une deuxième convention.

Je tiens à remercier et à féliciter cette entreprise pour cette heureuse initiative.

Si la culture a, dans notre pays, toujours été l'affaire de l'Etat, puis également des
collectivités territoriales, sa richesse et sa diversité sont le fait de la société toute entière, et
donc des hommes et des femmes, au sein des entreprises, qui contribuent par leurs activités
à faire vivre l'économie. Une économie faite du labeur de ceux qui produisent, consomment,
s'adonnent à des loisirs, partagent des rêves et des activités créatrices – dont la plupart sont
d'ailleurs de l'ordre de la culture.

Quelles que soient les responsabilités de l'Etat dans le domaine culturel, responsabilités que
j'assume et que je défends, le monde de la culture puise également son dynamisme dans ce
vaste engagement de toute notre société.

Il n'y a pas d'un côté le monde de la culture et de l'autre celui de l'entreprise. Les deux ne
sont pas clos. Ils sont ouverts l'un à l'autre, et c'est heureux. Ils dialoguent et construisent
ensemble (nous le constatons aujourd'hui) de beaux projets.

La culture est création. La culture est échange.

Elle est commerce au sens où on l'entendait de la Renaissance au Siècle des Lumières,
c'est-à-dire commerce entre les hommes, ensemble de relations à autrui et avec la société.

La culture est industrie. Elle est art, elle est technique.

Chartres en est le témoin actif : des milliers de touristes et de pèlerins chaque année
viennent ici admirer notre patrimoine et s'y recueillir.

L'économie de la culture, c'est tout cela bien sûr et plus encore. C'est bien plus qu'un
"supplément d'âme". C'est un atout majeur dans la qualité de la vie et de la formation de tous
ceux qui vivent et travaillent en France. Oui, c'est un atout décisif, j'en suis convaincu, non
seulement pour attirer les visiteurs, mais aussi pour les retenir. La culture est un facteur clé
de l'attractivité de la France, dans la compétition internationale, pour tous ceux qui veulent y
travailler, y investir, y déployer leur enthousiasme et leur talent au service de l'économie.

C'est pourquoi elle n'est pas un luxe, qui viendrait par surcroît. On parle des "retombées" par
exemple sur une cité comme la vôtre et son environnement économique. J'ai tendance à
penser au contraire, comme beaucoup d'élus locaux et de mes concitoyens, que la culture
offre plus que des "retombées" : elle en est le moteur.

Vous savez tous ici que c'est le XXe siècle qui a été celui de l'innovation dans le domaine de
la fabrication du verre et de sa mise en oeuvre dans l'architecture. Tout naturellement, le
vitrail s'est ouvert à ces nouvelles technologies. Je souligne cet aspect pour mettre l'accent
sur le renouvellement des moyens d'expression des créateurs. Le vitrail est, grâce à leur
adaptation, leur génie, plus vivant que jamais.

Toute l'action du Centre International du Vitrail, qui nous accueille ce matin, a consisté à
précéder, susciter, accompagner ce mouvement en même temps qu'il réussissait à conquérir
de nouveaux publics.

Je salue la Présidente de ce centre international et ses dirigeants. Ils ont su ancrer les
valeurs traditionnelles dans l'art contemporain. Grâce à leur action, l'art du vitrail, en France,
mais également à l'étranger, est non seulement une valeur de notre patrimoine national,
mais un art bien vivant, expressif et tout à fait de notre époque.

Je n'en retiendrai pour l'en féliciter chaleureusement que sa politique internationale
d'expositions, qui en fait une référence mondiale pour la rencontre et l'expression actuelle
des artistes du verre et du vitrail dans l'architecture. Grâce à ce dynamisme, visiter Chartres,
c'est avoir aujourd'hui une lecture de la ville et de son patrimoine historique, depuis l'univers
gothique jusqu'aux dernières tendances de l'architecture contemporaine.

Le Centre International du Vitrail a su trouver pleinement sa place dans cette offre culturelle
si riche.

Je sais enfin l'égale excellence dans le soutien aux actions de restauration de la cathédrale
entrepris notamment par "Chartres Sanctuaire du Monde" et ses partenaires fidèles qui se
reconnaîtront. L'association s'est assignée l'objectif de collecter des fonds dans le monde
entier. Sa collaboration exemplaire avec les collectivités publiques depuis plus de 12 ans est
le fruit d'un travail en profondeur. Je salue aussi sa Présidente.

J'aimerais rendre également hommage à l'association des "Amis de la Cathédrale de
Chartres" qui collecte depuis une quinzaine d'années d'importants fonds privés pour les
restaurations, la signalétique ou l'éclairage, entre autres actions précieuses.

Je souhaite mettre particulièrement en valeur aujourd'hui la qualité de l'artisanat déployé
autour de tous ces projets. Les oeuvres réalisées pour la cathédrale en sont l'illustration. Je
citerai notamment M. Goudji, orfèvre et M. Petit, maître verrier. Dans le transept, M. Goudji a
conçu l'autel, l'ambon, et la cathèdre, tandis que M. Petit a restauré l'un des plus célèbres
vitraux "Notre Dame de la Belle Verrière", chef-d'oeuvre du XIIe siècle.

J'ai aussi une pensée particulière qui me fait évoquer avec émotion la mémoire de Gabriel
Loire, dont le fils Jacques Loire, parmi nous aujourd'hui, perpétue la tradition, maître verrier
de la troisième génération. Il consacre une grande partie de son temps au Conseil des
métiers d'art ainsi qu'au groupe de travail chargé de la sélection des nouveaux maîtres d'art
du Ministère de la Culture, qui a lieu tous les deux ans. Les nouveaux maîtres seront promus
en novembre, et je me félicite de la vitalité de cette institution.

Et c'est à vous, M. Viron, que je m'adresse à présent : Par les conventions que vous avez
signées, je sais que vous mesurez tout le poids de votre engagement. Votre précieux
concours s'inscrit dans l'histoire patrimoniale de notre pays et désormais dans celle de votre
entreprise et de votre métier.

Votre société rejoint ainsi le millier d'entreprises françaises qui sont recensées comme
actives dans le domaine du mécénat. Leur apport global se chiffre à environ 200 millions
d'euros par an pour la culture. Elles ont toutes fait de leurs actions de mécénat l'une des
voies par lesquelles elles décident de dialoguer avec la société.

Quel meilleur exemple que cette participation à la restauration de la verrière du XIIIe siècle
que nous venons de voir dans la cathédrale, en y associant la mémoire de votre noble
confrérie des boulangers illustrée dans ces vitraux ?

Charles Péguy, toujours dans cette même et admirable présentation de la Beauce à Notre
Dame de Chartres, n'hésitait pas à en faire lui-même l'évocation :

"C'est l'épi le plus dur qui soit,
Jamais monté vers un ciel de clémence et de sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne…,
C'est la gerbe de blé qui ne périra point,
…C'est la tige et le blé qui ne pourrira pas…".

Nombreuses sont les occasions d'associer la vie d'une corporation à une opération
patrimoniale ou plus largement à un acte culturel. Je dirai qu'ici les indices apparaissent tout
naturellement !

Votre engagement a valeur d'exemple pour le nouvel élan pour le mécénat que j'appelle de
mes voeux. Un mécénat qui, au-delà des grandes opérations de prestige, me paraît
concerner au premier chef les entreprises petites et moyennes, désireuses de soutenir des
actions de proximité. La loi du 1er août 2003 dote notre pays d'un dispositif moderne et
exemplaire à bien des égards, en comparaison avec nos pays voisins. Ce texte doit libérer
les initiatives.

L'Etat s'est, en ce qui le concerne, très largement engagé à accompagner cette nouvelle
prise de responsabilité. Il apporte une véritable réduction d'impôt de 60 % du montant du don
réalisé par l'entreprise, ce qui double quasiment l'avantage antérieur et ouvre de très larges
perspectives.

L'acte de mécénat est un vecteur efficace d'implication d'une profession et de ses salariés,
de ses partenaires professionnels, dans un projet culturel partagé. Le mécénat n'est plus un
"luxe", il trouve sa place au sein même de la stratégie de l'entreprise.

Votre soutien à la culture, ici, à un élément majeur du patrimoine national, c'est votre
association à l'excellence, à la qualité, à l'innovation.

Ces valeurs, la corporation des boulangers les portent depuis des siècles. Elle les partage.

Je tiens à saluer le dynamisme des métiers de la boulangerie représentée ce matin par ses
plus éminents dirigeants.

J'encourage donc ici la floraison de toutes les initiatives locales, ce rassemblement
d'entrepreneurs et de créateurs qui s'assoient à la même table pour bâtir l'accompagnement
d'un projet qui dépasse la seule aide financière. Vos programmes, celui de la restauration et
celui du soutien au Centre International du Vitrail, sont le fruit de cette découverte mutuelle,
riche de promesses.

Région par région, les acteurs économiques et culturels que nous rencontrons sont
sensibilisés à la nouvelle loi et motivés. Je demande aux directions régionales des affaires
culturelles avec l'appui de la mission mécénat du Ministère, d'organiser au plan local très
rapidement des rencontres entre les porteurs de projets culturels et les chefs d'entreprises.

Ma récente intervention devant l'assemblée générale des chambres françaises de commerce
et d'industrie conduira à la signature prochaine d'une convention de partenariat avec ces
institutions consulaires. Elle permettra la mise en oeuvre opérationnelle de ces orientations.

J'y crois profondément car ce mouvement est naturel.

En bénéficiant de toutes les dispositions fiscales relatives au mécénat, chacun de nos
concitoyens, chaque famille, chaque association, chaque entreprise, s'approprie ville par
ville, territoire par territoire, la restauration locale d'une oeuvre patrimoniale significative. Que
chacun soit un mécène dans la proximité, en concourant à une initiative concrète et utile ! Le
cumul de toutes ces opérations, de la plus modeste à la plus spectaculaire, fera du mécénat
une grande action nationale de générosité, de vitalité, de dynamisme !

Je vous le dis au fond du coeur : au pied de cette cathédrale et dans cette ville, je suis
particulièrement heureux et fier de votre engagement à tous !

Je vous remercie.