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59ème congrès de la Fédération Nationale des Cinémas Français à Bordeaux

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux et honoré de m’adresser à vous aujourd’hui en cette ville de
Bordeaux que vous avez choisie pour tenir votre 59è Congrès.

Si Bordeaux est la capitale mondiale du vin, et en cela un lieu de Congrès fort agréable, c’est
aussi l’unité urbaine la mieux équipée de France – avec un fauteuil pour 37 habitants – pour
offrir à sa population un large choix de spectacles cinématographiques. Elle a connu ces
dernières années une transformation très significative de son parc de cinémas, avec quatre
multiplexes, mais aussi des salles entièrement vouées à l’ « art et essai », qui lui permettent
d’établir un autre record : celui de l’agglomération – hors Paris- qui réalise le plus d’entrées «
art et essai ».

Tout cela prédestinait donc Bordeaux à être le lieu de vos débats.

Votre Congrès, par le nombre de ses participants et la densité de son programme, est sans
aucun doute l’un des événements majeurs de l’année pour les professionnels du cinéma
dans leur ensemble.

J’ai le sentiment qu’il a pu s’ouvrir cette année sous le signe d’un certain réconfort. Alors que
l’année 2003 s’était achevée avec de nombreuses sources d’inquiétude, la fréquentation des
cinémas avait en effet montré des signes de faiblesse dans presque tous les pays du
monde, l’année 2004 est d’une tonalité bien différente. Du 1er janvier à la fin du mois d’août,
133,5 millions de spectateurs ont fréquenté les salles françaises soit 23,8 millions de plus
que l’année dernière sur la même période.

Les films français et européens contribuent pleinement à cette embellie. C’est une grande
source de satisfaction pour la diversité culturelle. La production française a attiré environ
trois millions d’entrées de plus que l’an dernier sur les huit premiers mois de l’année, soit un
total de 45,9 millions d’entrées.

En partie grâce au succès rencontré par de nombreux films français au premier semestre, de
nature et de genre très différents d’ailleurs, et en particulier grâce à la longue et remarquable
carrière des Choristes, que vous avez su entretenir et relayer dans la France entière. Je
pense aussi à Podium, un autre premier film, dont les premières images avaient été
présentées lors de votre congrès l’an dernier, et, dans un autre genre, au beau succès de
l’Esquive. Ces films sont les témoins que diversité et succès vont de pair.

Dans l’ensemble donc, il s’agit d’un magnifique résultat, qui peut nous conduire à
l’optimisme, et nous laisser imaginer qu’en 2004 nous retrouvions un niveau de fréquentation
des salles de cinéma comparable à ce qu’il était dans les années quatre-vingts, soit
approchant, peu à peu, les 200 millions d’entrées. Si cela se confirmait dans les années à
venir, ce serait un signe tangible que la salle de cinéma a su reconquérir un public qui s’était
tristement dispersé au début des années quatre-vingt dix.

Ces bons chiffres, conjugués au fait que la base même du public du cinéma s’est élargie,
passant de moins de 50 % des Français à près de 60 % de ceux-ci, au cours de ces
dernières années, sont un motif de satisfaction et d’espoir à partager avec l’ensemble de
l’industrie du cinéma français.

Car – nous le savons tous – c’est la salle qui confère aux oeuvres la qualité de films de
cinéma. Et vous, les exploitants, qui jouez un rôle irremplaçable à cet égard, par votre
passion et votre dynamisme.

Le cinéma c’est bien, d’abord, une rencontre entre une oeuvre et un public qui la découvre,
dans la lumière de l’écran et l’obscurité de la salle.
Vous êtes, toute la communauté des exploitants, dans sa diversité, les artisans de cette
rencontre. Et rien ne remplace le plaisir de voir un film en salle.

Je tiens à vous féliciter de vos efforts et de vos initiatives, et d’abord des investissements
que vous avez consentis, chacun à votre échelle, pour moderniser, agrandir et rénover notre
parc de salles, qui reste – on ne le dit pas assez – le premier d’Europe et le quatrième du
monde après la Chine, les Etats-Unis et l’Inde. Vos efforts ont été couronnés de succès. En
12 ans, 1000 nouveaux écrans ont été créés, grâce à vous.

Ces efforts sont accompagnés par les pouvoirs publics. Ils ont permis au cinéma français
d’affronter, puis de surmonter la grave crise qu’il a connu il y a une quinzaine d’années et de
retrouver aujourd’hui une santé et une vitalité qui ne se démentent pas et que nous
continuerons à soutenir.

Je pense notamment au tissu des salles d’art et essai et des salles de proximité, qui a
réalisé et engage toujours de précieux efforts de rénovation et de création de nouvelles
salles, tandis que l’équipement en multiplexes de nos grandes villes, puis des villes
moyennes, se poursuit à un rythme raisonnable et compatible avec l’équilibre économique
du secteur. L’ensemble de ces investissements est déterminant pour la diversité culturelle et
la diffusion du cinéma indépendant, indissociable de la création cinématographique.

L’accompagnement et le soutien de l’Etat, dans ce secteur fragile et si particulier est
absolument indispensable. Il doit être en permanence adapté pour être pleinement efficace.

C’est donc tout l’objet de notre rencontre d’aujourd’hui d’examiner ensemble les objectifs
communs que nous nous fixons.

S’agissant du soutien financier de l’Etat, les grands équilibres entre le soutien automatique
récemment réajusté, qui représente à ce jour une enveloppe annuelle de 53 M€, et les
diverses formes d’aides sélectives (subventions art et essai, subventions aux salles
indépendantes des grandes villes, aides à la création et à la modernisation des salles) dont
le total s’élève à 23 M€, doivent être maintenus.

Il est à mes yeux fondamental que le soutien, dans ses différents programmes, épouse la
diversité de l’exploitation.

Je me félicite par ailleurs – comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à Cannes – que la
contribution financière de Canal+ à l’ensemble de la filière de l’exploitation ait été reconduite
pour cinq années à compter de 2005. Je tiens à saluer ici la clairvoyance de l’équipe
dirigeante de Canal + . Elle a bien compris la solidarité naturelle qui unit une chaîne
consacrée au cinéma et les salles présentant les films qui passeront ultérieurement sur son
antenne. Je salue aussi le talent de négociateur du Président Jean Labé, car il est parvenu à
assurer la conclusion de ce point décisif de l’accord, qui était loin d’être acquis.

L’ensemble de ces soutiens devraient permettre d’accompagner, entre autres, les projets de
complexes de centre-ville que l’on voit désormais se développer dans les villes moyennes
comme Périgueux et Saint-Dizier, conçus d’après des projets architecturaux ambitieux et qui
feront part à la programmation « art et essai ». Tant et si bien que le cinéma va redevenir
dans ces villes, un équipement culturel de premier plan. Le soutien sélectif a évidemment
vocation à participer aussi activement au financement de salles d’ambition et de dimension
plus modestes en milieu rural, ou dans des petites agglomérations. Je constate avec
satisfaction que loin de disparaître, ces salles se rénovent, s’agrandissent et espèrent élargir
leur public.

Cependant, je n’ignore pas qu ‘au-delà de statistiques plutôt rassurantes, votre profession –
comme l’ensemble de l’industrie du cinéma – reste soumise au risque, et qu’elle a aussi
besoin de protections juridiques très adaptées à ses particularités.

Toute la régulation du cinéma s’est en effet construite sur des règles, certes complexes,
mais accordées au besoin d’équilibre de ce secteur. Elles ont fait l’objet d’adaptations
constantes. Ainsi la loi dite « Royer » d’orientation du commerce et de l’artisanat a-t-elle été
adaptée aux spécificités du cinéma, et a permis – certes au prix de révisions permanentes
mais justifiées – une saine régulation du développement des multiplexes en France.

Le ministère de la culture et de la communication a vocation à défendre et à faire
reconnaître, notamment auprès du Parlement, cette spécificité. Plusieurs projets de lois vont
être débattus cet automne, sur lesquels vous avez appelé mon attention, en signalant les
risques qui découleraient d’une application trop systématique du droit commun à l’univers et
aux particularités du cinéma.

J’ai entendu votre message et, à chaque fois que cela m’apparaîtra légitime, j’interviendrai
auprès de mes collègues du gouvernement, afin de faire valoir le traitement spécifique de
l’activité cinématographique. Je sais en particulier les initiatives qui ont été les vôtres, dans
le cadre de la construction de nouvelles salles, pour permettre un accès facilité aux
personnes handicapées, qui légitimement revendiquent un droit à être des spectateurs
comme les autres. Je tiens à saluer ces initiatives, qui s’inscrivent dans un mouvement de
fond de la société, en faveur de l’accès de tous à la culture. Mais je mesure aussi les
difficultés, parfois insurmontables, que rencontrent d’autres établissements- souvent des
petites salles de centre-ville – pour modifier leurs conditions d’accès. Je tiens à ce que cette
situation soit prise en compte dans le cadre de la discussion du projet de loi pour l’égalité
des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui
va venir prochainement en deuxième lecture au Sénat.

De même, je veille à ce que la législation sur les heures de nuit, qui soulève des problèmes
particuliers pour toute une catégorie d’entreprises culturelles, dont les vôtres, puisse évoluer
d’une manière adaptée.

Un autre enjeu important est, pour vous aussi, une source de préoccupation : c’est la lutte
contre la piraterie. J’ai pris l’initiative, avec le soutien du Président de la République, de
lancer un plan d’action contre la piraterie dans les industries culturelles. J’ai ainsi installé, le
15 juillet dernier, aux côtés du Ministre de l’économie et des finances, et du Ministre délégué
à l’Industrie, un comité de concertation pour le développement de l’offre légale et pour lutter
contre la piraterie. Une première charte d’engagements pour le développement de l’offre
légale de musique en ligne, le respect de la propriété intellectuelle et la lutte contre la
piraterie numérique a été signée le 28 juillet et concerne l’industrie musicale, la plus exposée
aujourd’hui aux méfaits du piratage.

Il importe maintenant de prolonger cette action dans le domaine du cinéma. Il est clair que la
possibilité d’un accès direct sur Internet à des films, avant même qu’ils soient exploités dans
vos salles, ne peut avoir que des conséquences désastreuses sur la vie des films en salles.

Tout sera mis en oeuvre pour endiguer ce phénomène, car ce serait toute la chronologie des
médias, qui est l’un des principes forts de l’économie et de la régulation du cinéma, qui en
serait brutalement bouleversée.

Nous avons, ensemble, à définir comment parvenir, dans le domaine du cinéma, à un accord
qui soit adapté aux attentes de l’ensemble des professionnels concernés. Les travaux du
groupe piloté par MM. Chantepie et Berbineau vont reprendre, parallèlement aux discussions
engagées au CNC sur les offres légales.

J’ai bien compris que les points de vue des tenants de la mise en place d’une offre légale de
cinéma sur Internet – sous forme de vidéo à la demande – et ceux des exploitants, et d’autres
professions, ne se rejoignent pas encore. Les premiers souhaitent un délai court après la
sortie en salles du film, alors que votre position, qui rejoint aussi celle de certains créateurs,
consiste à défendre la valeur de l’exclusivité de la salle et sa durée.

Le CNC a réuni, au début du mois de septembre, l’ensemble des parties concernées par ce
débat, qui doit se poursuivre, et dont je souhaite qu’il parvienne d’ici la fin de l’année, à un
compromis sur des propositions à la hauteur de l’importance de l’enjeu. Si la musique est
aujourd’hui plus exposée que le cinéma aux effets de la piraterie, l’évolution technologique
va très vite réduire cet écart. Je pense notamment à l’arrivée des offres d’abonnement à
Internet à très haut débit, qui facilitera le téléchargement rapide de films.

Il est également nécessaire que votre profession, en lien avec les distributeurs, les
producteurs et les industries techniques, mène une réflexion destinée à améliorer la
sécurisation des films. Il s’agit d’éviter qu’ils ne se retrouvent sur Internet avant même d’être
disponibles en DVD, et même dans vos salles ! Cela va du renforcement de la traçabilité à la
sensibilisation de tous les exploitants à la lutte contre les enregistrements sur caméra vidéo.

Il est vrai que les salles de cinéma sont aussi exposées à une autre forme de piraterie, les
projections illicites, aujourd’hui favorisées par la performance et la simplicité des dispositifs
de projection vidéonumérique. J’ai bien noté, que vous avez mis l’accent sur ce phénomène
en lui consacrant votre table ronde d’hier. J’ai demandé à l’Inspection générale de
l’administration des affaires culturelles de me remettre un rapport sur la question plus
générale du cinéma dit « non commercial » qui couvre, entre autres, ces projections illicites
et les moyens d’éviter leur prolifération incontrôlée. C’est M. Michel Berthod, Inspecteur
général, ancien DRAC de la région Aquitaine, qui sera chargé d’établir ce rapport, en liaison
avec les services du Centre national de la cinématographie. Il aura besoin de toute votre
collaboration sur ce dossier complexe.

S’agissant toujours des nouvelles technologies, si nous tentons une vision prospective, nous
n’éviterons pas d’aborder la question du changement technologique, qui devrait s’imposer
dans les prochaines années, avec une possible généralisation de la projection numérique en
haute définition.

Je sais que le sujet soulève plus de questions non résolues à ce jour qu’il ne présente de
réels attraits pour votre profession. Il n’existe pas encore de modèle économique du passage
au numérique, et la question des nouveaux standards de projection numérique n’est pas
tranchée. Sans compter les conséquences que pourrait avoir le mode de diffusion numérique
des films en salles sur les conditions de leur distribution, ou sur les industries techniques . Il
y a là, sans aucun, doute matière à une réflexion prospective approfondie que les pouvoirs
publics accompagneront, afin d’anticiper dans les meilleures conditions une mutation
technologique – comme en a déjà connue le cinéma par le passé – qui parait inéluctable,
même si personne n’en connaît l’échéance précise.

Il faudra veiller à ce que cette mutation technologique soutienne notre cause, celle de la
diversité culturelle.

Tous ces chantiers nous attendent, mais ne doivent pas pour autant peser sur le coeur de
votre métier qui est d’offrir au public – à tous les publics – le plaisir du cinéma. Un plaisir
partagé entre toutes les générations.

J’ai la conviction que nous devons aujourd’hui prêter une attention particulière au jeune
public, vivier des spectateurs de demain. Un vrai programme d’éducation au cinéma, plus
ambitieux que celui dont nous disposons aujourd’hui, devrait voir le jour. Je me suis
récemment entretenu de cette question avec mon collègue François Fillon, et nous sommes
convenus d’amplifier et de renforcer les initiatives favorisant la découverte des films en salles
par les publics scolaires. Les opérations « Ecole, Collège et Lycée au cinéma » doivent être
non seulement poursuivies mais étendues – voire prolongées par d’autres initiatives. Et j’ai
suggéré au Ministre de l’éducation nationale une meilleure coordination de ces programmes
entre nos deux ministères, à travers la nomination d’un responsable à l’éducation nationale.

Je sais que vous avez la préoccupation constante de communiquer auprès de votre public,
et notamment des plus jeunes.

Je tiens à féliciter le président Jean Labé et ses équipes pour le très beau travail de
promotion du cinéma effectué cet année par la Fédération, notamment à l’occasion du
Printemps du cinéma et du 20ème anniversaire de la Fête du cinéma, qui ont été de réels
succès. Je pense aussi à la nouvelle opération destinée à promouvoir les films de la rentrée
cinématographique, avec un million de DVD de bandes-annonces offerts au public. Enfin, je
sais que demain, ici même, avec la collaboration de vos collègues distributeurs, et
l’engagement actif de Marin Karmitz, Président de la Fédération nationale des distributeurs
de films, vous allez permettre à tous les participants du Congrès de voir bandes-annonces et
premières images de presque tous les films qui passeront sur les écrans ces prochains mois.

C’est un relais précieux de notoriété pour bon nombre d’entre eux.

Je suis convaincu – car la rumeur positive sur certains de ces films est venue jusqu’à moi –
que 2004 nous laissera la mémoire d’une bonne année cinématographique. Je forme donc
avec vous le voeu que nous puissions, en début d’année prochaine, constater que toutes les
conditions sont désormais réunies pour retrouver un niveau de fréquentation des salles que
nous n’avions pas connu depuis de nombreuses années et qui redonne au cinéma son statut
de spectacle offert au plus grand nombre. Ce serait la marque du succès des efforts
conjugués de tous ceux qui pensent – et je suis de ceux-là – que la création
cinématographique dans sa pluralité, dans la diversité, dans la liberté, est l’une des
expressions les plus précieuses de notre culture.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite d’excellents travaux.

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