Rubrique ‘Discours 2004’

Cérémonie d'ouverture du congrès de l'association des archéologues à Lyon – Discours de Renaud Donnedieu de Vabres prononcé par Michel Clément, directeur de la Dapa (Direction de l'architecture et du patrimoine)

8 septembre 2004

Monsieur le Président du Conseil général,

Monsieur le Président de l'association européenne des Archéologues,

Mesdames, Messieurs, Chers Amis,

Je me réjouis du choix pour vos travaux de la ville de Lyon, dont l'admirable situation, aux
confluents du Rhône et de la Saône, à mi distance du nord et du midi, explique le destin
millénaire de l'ancienne capitale des trois Gaules.

Aujourd'hui, cette capitale régionale, au coeur de l'Europe, garde un rôle éminent, digne de
son histoire. Une histoire gravée dans l'urbanisme d'une ville, d'un département et d'une
région pionniers dans le domaine de l'archéologie classique, mais aussi dans le domaine de
l'archéologie préventive.

Ici, un Service régional de l'Etat particulièrement actif, un Service municipal déjà ancien et,
bien sûr, des musées départementaux prestigieux font référence. Je pense aux magnifiques
Musées de la Civilisation gallo-romaine à Fourvière et de Saint-Romain-en-Gal, sur les bords
du Rhône.

En présentant ce matin, au ministère de la culture et de la communication, les journées
européennes du patrimoine des 18 et 19 septembre, je me félicitais de l'attachement et
même de la véritable passion vouée par les Français et par les Européens à leur patrimoine.

Dans l'ensemble de nos pays, nos concitoyens sont fiers de leur patrimoine, où ils trouvent
ou retrouvent leur identité ou leurs racines.

L'archéologie était autrefois décrite comme une " science auxiliaire " de l'Histoire. A la
lumière de ce phénomène de société, elle est évidemment bien plus que cela. Elle participe
de cette quête des racines, de cette recherche d'identités souvent multiples, qui, à travers
des monuments prestigieux mais aussi des traces matérielles de la vie quotidienne,
accompagne notre présent et nous projette vers l'avenir.

C'est vous dire ma conviction que l'archéologie constitue un élément fondateur de la politique
du patrimoine et mérite à ce titre, une préoccupation et une attention particulières.

Livrant les fragments des civilisations et des époques qui nous ont précédé, elle exige de
nous des précautions particulières de méthodes et de moyens dont vous, les membres de la
communauté scientifique, êtes les garants.

L'expression populaire parle de " trésors cachés " . Elle révèle ainsi le mystère et la valeur
des origines et des avatars des activités humaines que l'archéologie conserve et transmet.

Or la politique de développement et d'aménagement y voit souvent une simple contrainte,
imprévisible et incontrôlable. Vous savez que mon engagement en faveur de l'archéologie,
en particulier l'archéologie préventive, a été total et que j'ai cherché à assurer un système
pérenne qui préserve les intérêts de tous, archéologues comme aménageurs.

Telle est donc avec ses paradoxes, la discipline qui nous réunit.
Jusqu'au milieu du XXe siècle, elle était essentiellement monumentale, tournée vers l'histoire
de l'art et la protection du patrimoine. De son côté, s'affirmant peu à peu dans ses
connaissances comme ses méthodes, l'archéologie préhistorique est restée en lien étroit
avec les conceptions de l'évolution générale de la Terre et des hommes.

Ce n'est qu'en 1941 que le législateur est intervenu pour donner à l'archéologie un cadre
législatif propre, et c'est hier, dans la deuxième moitié du XXe siècle, qu'en France comme
ailleurs en Europe, les populations et les pouvoirs publics ont véritablement pris conscience
de l'importance du patrimoine enfoui. On a assisté alors à une forte augmentation du nombre
des interventions archéologiques : de 720 en 1964 à 3600 en 1996 ! Parallèlement, les
professionnels en archéologie sont passés de quelques dizaines en 1970 à plus de 3000
aujourd'hui.

A la fin des années 1990, le système a atteint ses limites.

Chacun s'est accordé à reconnaître qu'il fallait clarifier la situation. Il fallait donc une loi qui
prenne en compte le contexte européen, la Convention de Malte. Il fallait aussi moderniser
les méthodes, professionnaliser les pratiques, stabiliser le financement des études et des
interventions. Mais aussi, prendre en considération les besoins souvent contradictoires des
aménageurs : respect des délais et de budgets compatibles avec les projets
d'investissement.

C'est ainsi que s'est ouvert en France depuis quelques années, un chantier de réformes.

La loi du 17 janvier 2001 a affirmé la responsabilité particulière de l'Etat et la reconnaissance
de l'unicité de la recherche en archéologie.

Elle a créé un organisme public spécifique, de recherche et opérationnel : l'Institut national
de recherches archéologiques préventives (INRAP). Elle a mis en place un système de
financement proportionnel aux dégâts potentiels, et donc à l'intervention archéologique
nécessaires aux opérations projetées.

Mais, très rapidement, des difficultés de mise en oeuvre liées à l' inadaptation du mode de
calcul de la redevance et au déséquilibre entre les financements ruraux et urbains, d'autant
que la participation des collectivités territoriales ayant des services d'archéologie n'avait pas
été prise en compte ont conduit le gouvernement à présenter une loi rectificative.

Votée le 1er août 2003, elle a confirmé la responsabilité de l'Etat et le rôle de l'INRAP
comme principal opérateur.

La principale modification a porté sur le financement : au lieu d'être lié uniquement aux
aménagements sur lesquels les services de l'Etat établissent des prescriptions d'opération
archéologique, celui-ci est calculé dorénavant sur l'ensemble des projets d'aménagements,
qu'ils comportent des vestiges ou non.

Cet acquis est essentiel, puisqu'il permet de mutualiser des ressources dévolues à la
recherche archéologique.

Cette loi permet également de développer le rôle des collectivités territoriales comme
opérateurs d'archéologie préventive.

Mais cette nouvelle intervention législative n'avait pas vocation à régler tous les problèmes.

Des difficultés d'évaluation dans le calcul des redevances ont provoqué une nouvelle
modification : la loi du 9 août 2004 a fait évoluer l'assiette de cette redevance. Au lieu de
considérer comme base de calcul du financement la totalité de la surface du terrain sur
lequel est réalisé l'aménagement, on prend désormais en compte, pour les travaux soumis
au Code de l'urbanisme, les surfaces de plancher effectivement construites. Ainsi, la
contrainte fiscale est plus proche du volume d'investissement projeté.

Nous sommes en pleine période de mise en place de ces modifications qui ont pour objet de
suivre au plus près les évolutions des pratiques de terrain, celles des archéologues ou celles
des aménageurs et des acteurs sociaux.

C'est dans cette perspective que je souhaite que vos débats, en confrontant les politiques
archéologiques de vos différents pays, nous indiquent des voies à étudier.

Notre objectif essentiel est de garantir les capacités d'une politique forte de la France en
matière de recherche et de conservation, et d'une réelle information culturelle vers le plus
large public.

Je suis persuadé de la valeur des principes inscrits dans notre législation :

– financement public et mutualisé de la contrainte patrimoniale ;

– garantie de ressources affectées ;

– responsabilité de l'Etat dans l'expertise des programmes comme dans la recherche
scientifique et la méthodologie ;

– collaboration enfin avec tous les acteurs publics et privés : collectivités locales du vaste
mouvement de décentralisation culturelle, professionnels, chercheurs, mais aussi acteurs de
l'aménagement du territoire et de la politique du logement.

Ces principes doivent être appréciés au regard des forces et des faiblesses de l'archéologie
préventive en France.

La dimension importante des opérations d'aménagement du territoire constitue
indéniablement un atout : TGV, Autoroutes, aéroports, ZAC, tous ces chantiers ont obligé à
un renouvellement des méthodes et des connaissances, pour toutes les périodes, et
spécialement la protohistoire et l'époque médiévale. Les données environnementales pour
l'étude et l'interprétation des sites et les modalités d'occupation du sol sont de mieux en
mieux prises en compte.

La professionnalisation de l'archéologie a permis une meilleure coopération entre les
opérateurs de terrain et les chercheurs, souvent regroupés au sein d'unités mixtes de
recherche.

La tendance est aujourd'hui, et je m'en félicite, à renforcer cette coopération.

Quelles que soient les forces de notre archéologie, il ne faut pas s'en dissimuler les
faiblesses, ni les combats qui restent à mener.

Tout d'abord, la difficulté à archiver la production importante de données et à moderniser la
collaboration entre les acteurs de l'archéologie : services de l'Etat, collectivités territoriales,
experts.

Ensuite, la production éditoriale : Quels types de sites publier ? Selon quelles modalités
établir les monographies des grands sites ? Quelles synthèses sur les régions ou les thèmes
transversaux, sur les périodes ? Sous quelles formes publier (papier et électronique) et
comment transmettre au mieux, vite, loin et longtemps, les données comme les méthodes ?

Enfin, comment choisir les sites nécessitant une mise en valeur, quelles techniques de
conservation et quels principes de restitution y appliquer ? Quels liens à établir avec leur
contexte social et culturel ? Sur toutes ces questions il nous faut mobiliser les savoir- faire au
niveau européen, ce dont vous allez débattre ici.

C'est dire combien j'attends de vos travaux qu'ils nous permettent de répondre à toutes ces
questions, d'éclairer les difficultés de votre profession, face aux défis qui se posent à elle et à
l'administration. Une profession encore trop méconnue, mais une profession qui fait naître
tant de vocations !

Vous pouvez compter sur moi. Car notre objectif commun est le progrès de la connaissance.

Un objectif qui suppose de donner la priorité aux critères scientifiques et aux objectifs de
diffusion des résultats de la recherche, selon les règles qui sont celles de votre communauté.

Je tenais à vous le dire, au moment où vous débutez vos travaux.

Je vous remercie.

Remise des insignes de commandeur dans l'Ordre national de la Légion d'honneur à Jack Valenti

6 septembre 2004

Cher Jack Valenti,

Mesdames, Messieurs,

It's a great pleasure and a great honour for me to welcome you here, rue de Valois, and to
celebrate, with our friends, a great career and a great man, in the name of the French
Republic and all our fellow citizens.

And first of all, "Happy birthday Mr Chairman ! ". Oui, bon anniversaire, c'était hier : vous me
pardonnerez de vous rajeunir d'une journée mais, comme le dit je crois Kevin Spacey dans
American Beauty, " aujourd'hui, c'est le premier jour du reste de votre vie " !

Et quelle vie ! Une vie toute entière vouée au service de votre pays, à son rayonnement dans
le monde, pour défendre un idéal de liberté, et pour accompagner l'extraordinaire expansion
de l'industrie du cinéma.

Car au fond, ce qui me paraît le " fil rouge" de votre action, c'est la valeur essentielle sur
laquelle ont été fondés les Etats-Unis d'Amérique, avec – faut-il le rappeler ? – le concours de
la France, cette valeur inscrite au premier amendement de votre Constitution : la liberté.

Et cette année, cette valeur fondatrice des Etats-Unis d'Amérique et de la République
française, prend une importance et une résonance toutes particulières. Car nous célébrons
le soixantenaire de la Libération de la France. Le 6 juin dernier nous avons commémoré
avec une très forte émotion le débarquement sur les plages de Normandie. Le 15 août
dernier, le débarquement sur les plages de Provence. Le 1er septembre, il y a 5 jours, c'était
la Libération de Tours, ma ville : au fil de chacune de ces étapes, nous nous souvenons que
tant d'hommes, des Français et des Américains, ont donné leur vie pour cette liberté et nous
n'oublierons jamais que l'amitié franco-américaine est tissée de ces sacrifices.

Vous en savez quelque chose, cher Jack Valenti, puisque vous avez vécu cette période de
la guerre aux commandes d'un bombardier d'attaque B25 dans l'armée de l'air américaine,
en Italie, où vous avez effectué 51 missions de combat. Oui, Vous savez le prix de cette
liberté, pour laquelle tant de nos camarades sont tombés, et pour laquelle vous avez pris tant
de risques.

Après de brillantes études dans votre ville natale de Houston, puis à l'université de Harvard,
vous créez l'agence de conseil en communication politique qui porte votre nom et celui de
votre associé et c'est en 1955 que vous rencontrez l'homme qui aura probablement la plus
grande influence sur le cours de votre vie professionnelle : le leader de la majorité
sénatoriale Lyndon Johnson.

Parce que vous êtes Texan, parce que vous êtes – déjà ! – l'un des conseillers en
communication les plus reconnus et les plus habiles du monde de Washington, et que vous
vous occupez de la communication du Vice-Président, vous êtes tout naturellement en
charge de la Presse, un certain 22 novembre 1963, pour couvrir la visite à Dallas du
Président Kennedy et du Vice-Président Johnson. Vous êtes dans le cortège à six voitures
derrière le Président assassiné. Une heure après, vous êtes à bord d'Air Force One, de
retour à Washington, avec le nouveau Président Johnson, auprès de qui vous restez à la
Maison Blanche jusqu'en 1966.

De ce drame, vous avez dû retenir beaucoup de leçons. Mais vous en retenez aussi que
dans votre pays le titre le plus important n'est pas celui de Président, mais celui de citoyen
des Etats-Unis.

Puis, le cours de votre vie change à nouveau et vous devenez le troisième Président de la
Motion Picture Association of America (MPAA), fondée en 1922.

Et vous êtes tellement irremplaçable que vous venez seulement – au prix de quelles
migraines pour les meilleurs chasseurs de têtes ! – il y a quelques jours, de passer le
flambeau à la tête de cette organisation à Dan Glickman, ancien ministre de l'Agriculture.

Le premier ministre français de la culture que vous connaissez s'appelle André Malraux. Il
est le créateur de ce ministère. Il a inventé le système d'aide sélective qui permet encore
aujourd'hui à vos compatriotes de savourer, par exemple, le fabuleux destin d'Amélie
Poulain. Il a rattaché le cinéma, non plus au ministère de l'industrie, mais à ce tout jeune
ministère. Car le cinéma est – d'abord – un art avant d'être une industrie.

C'est dire l'honneur qui m'échoit, moi qui suis votre 19ème interlocuteur à la tête de ce
ministère, où nous avons notamment en charge la défense des intérêts du cinéma français,
à être le premier à vous remettre une distinction dans l'ordre le plus prestigieux de notre
République.

Je tiens à dire ici que j'ai pu personnellement apprécier la force de votre engagement, de
votre – comment dit-on en français ? – leadership, mais aussi de votre attention et de votre
sens du dialogue, lors de notre rencontre à Cannes en mai dernier, avec les producteurs
que vous avez mobilisés " Le magnétoscope est au producteur de films et au public ce que
l'étrangleur de Boston est à la femme seule à la maison" dans le combat que vous menez depuis des années contre cette nouvelle menace contre la
liberté de création : la piraterie, qui porte atteinte à l'un des droits les plus précieux de
l'homme, le droit de propriété intellectuelle. Un droit que Beaumarchais considérait comme le
premier des droits.

C'est en vous efforçant d'obtenir la protection de ce droit, que vous estimiez menacé dans
votre pays par l'usage sans considération du copyright des magnétoscopes et des cassettes
vidéo vierges, que vous avez déclaré devant la Chambre des représentants américains : " Le
magnétoscope est au producteur de films et au public ce que l'étrangleur de Boston est à la
femme seule à la maison".

Ces mots vous ont été reprochés jusqu'à la caricature, mais, au-delà de votre sens
légendaire de la formule et de la rhétorique – qui font peut-être de vous le meilleur scénariste
du cinéma américain ! – ils prennent tout leur sens dans le contexte de l'époque (1982) et
plus encore aujourd'hui au regard des risques liés aux nouvelles technologies numériques.

La France, vous le savez, est mobilisée dans ce combat, pour le respect du droit des
créateurs, pour la diversité culturelle. Un combat qui doit unir tous ceux qui, de part et d'autre
de l'Atlantique et sur tous les continents, ont à coeur de défendre l'expression des identités et
de la créativité dans l'égale dignité de toutes les cultures.

Dans ce domaine comme dans d'autres, vous avez été visionnaire en décelant très tôt les
dangers de la piraterie. Nous sommes ensemble dans ce combat, que je mène pour ma part
au niveau français et européen.

Cher Jack Valenti, vous avez déclaré à la revue de sciences politiques de Harvard (Harvard
political review, janvier 2003) que l'une des leçons que vous aviez apprises de votre maître
en politique, le Président Johnson, c'est qu'en politique, on ne remporte jamais de victoires,
mais seulement des négociations. Et vous êtes assurément un négociateur hors de pair.

Mais, votre combat permanent, notre combat commun, pour la liberté de l'esprit, portera ses
fruits, j'en suis convaincu, pour sceller la victoire du cinéma, du cinéma que nous aimons
tous, Français et Américains, Européens et citoyens du monde, du cinéma qui joue un si
grand rôle dans nos vies, parce que, au-delà des rêves qu'il nous permet de partager, et des
visions du monde qu'il nous permet de confronter, il est écrit avec le coeur.

Cher Jack Valenti, au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous
sont conférés, nous vous faisons Commandeur dans l’Ordre national de la Légion d’honneur.

Palais des congrès de Perpignan : Festival "Visa pour l'image"

2 septembre 2004

Monsieur le Sénateur-Maire,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis de Perpignan et du Festival,

Ce soir, nos pensées se tournent d'abord vers Christian Chesnot et Georges Malbrunot, qui
paient en ce moment même d'un prix très fort celui de leur liberté, exercice de leur mission
de journaliste ; la liberté qui leur est si chère et qui nous est tous si chère, parce que c'est
une valeur fondamentale en laquelle nous croyons, comme nous croyons en ce devoir
d'informer qui est le moteur de leur passion pour leur métier.

Nos pensées vont vers les membres de leurs familles et leurs proches si durement éprouvés
par l'insoutenable attente de ces derniers jours, d'autant que cette attente se prolonge, avec
l'incertitude, l'inquiétude, mais aussi l'espoir d'un dénouement heureux de cette
insupportable attente.

L'espoir et la confiance. L'extrême prudence aussi. Et c'est avec beaucoup de prudence que
nous avons tout lieu de croire, et nous espérons tous que Christian Chesnot et Georges
Malbrunot sont en vie et qu'ils seront bientôt libres, que ceux qui leur ont ôté leur liberté la
leur rende. Grâce à la mobilisation générale des pouvoirs publics, sous l'autorité du
Président de la République, l'unité nationale et internationale qui continue à se manifester et
dont nous espérons tous qu'elle aura raison des forces de la nuit.

C'est donc à Christian Chesnot et Georges Malbrunot, et c'est à la liberté que je veux dédier
cette cérémonie.

La liberté de la presse peut paraître aller de soi aujourd'hui, dans notre République, tant elle
est inséparable de la liberté d'opinion et d'expression qui est au fondement de la démocratie
et qui demeure, avec le droit à la vie, le plus précieux des droits universels de l'homme,
Benjamin Constant disait : "le droit des droits".

Puisse ce festival, malgré cette actualité et en raison même de cette actualité être une fête
de la liberté, de la liberté défendue, de la liberté menacée, de la liberté – nous l'espérons tous
-bientôt retrouvée, fragile conquête dont nous mesurons le prix !

Tous ici, photographes, professionnels de l'information et de la communication, responsables
politiques, citoyens, nous sommes comptables de cette liberté dans vos oeuvres, dans nos
actions, dans nos vies.

C'est grâce à votre présence, journalistes, reporters et photographes, sur les terrains les plus
dangereux, que nous mesurons à quel point, dans le monde actuel, les images sont au coeur
des tensions, des confrontations, des haines, mais aussi des chemins de la paix et de la
liberté, cette liberté du regard qui est au fond le "passeport" des photographes, de tous ceux
qui ont reçu un visa pour l'image.

Car dans un monde dominé par le flux des images télévisées, l'image fixe, la photographie,
prend une importance nouvelle pour nous permettre de porter un regard plus précis et plus
juste sur le monde.

Face au déferlement des images, l'un des plus grands risques est sans doute celui de l'oubli.

Or l'image fixe reste gravée dans notre mémoire collective.

Sans doute parce qu'elle fige cet "instant décisif" dont parlait Henri Cartier-Bresson, "l'oeil du
XXe siècle" – selon l'expression de Willy Ronis, votre invité de marque cette année – ce très
grand pionnier du journalisme et de la photographie, disparu il y a un mois et qui a tant fait,
avec Robert Capa notamment, pour que le photographe soit considéré comme un journaliste
à part entière.

La force de ces Rencontres est non seulement de présenter librement à un public toujours
plus nombreux une extraordinaire diversité d'oeuvres et de talents qui sont autant de
témoignages du monde, dans toute sa lumière, dans toute sa diversité, dans son immense
part d'ombre, avec toute sa violence, avec toute sa cruauté.

Chacun de ces regards, chacun de ces témoignages, nous propose, selon l'expression de
Charles Harbutt, " d'authentiques expériences du monde ". Et j'ajouterais, de chocs, de
confrontations, de coups de poing portés à notre bonne ou à notre mauvaise conscience,
d'émotions et d'appels à la réflexion et à l'action.

Mais au-delà de ces regards croisés, vous organisez ici des débats ouverts à tous, où les
meilleurs experts, historiens, sociologues, spécialistes de l'image, interviennent sur la place
de la photographie dans l'univers médiatique où nous vivons, ainsi que sur les questions
techniques et déontologiques qui ne cessent de se poser à vous.

Je tiens à rendre hommage à cette extraordinaire richesse qui fait de Perpignan un lieu et un
moment unique, un peu comme Cannes pour le cinéma. Mais ici, ce n'est pas le spectacle
qui est au centre de tout mais l'information.

Et cette année, si fortement marquée par la guerre en Irak, vos réflexions portent
principalement sur les bouleversements induits par la photo numérique et son corollaire, les
photos prises sur des téléphones portables, et transmises aussitôt sur Internet dans le
monde entier par des "amateurs" ou des auteurs que souvent, l'on ne peut pas identifier.

Cette année, pour la première fois, vous montrez ici ces clichés de prisonniers irakiens
torturés qui ont la une de toute la presse. Je pense aussi à cette photo de l'exposition "One
shot" où l'on voit un Palestinien en train de prendre avec son téléphone portable la photo de
l'un de ses compatriotes mort au combat.

Ces photos nous font prendre ou reprendre à chacun conscience du rôle et du pouvoir des
images. De nos responsabilités aussi.

On ressort différents de Perpignan. Il n'est pas une des photographies exposées ici qui ne
nous interroge, nous provoque, nous encourage aussi à regarder et à agir dans ce monde.

Je tenais à vous le dire et à vous en remercier, Monsieur le Sénateur-Maire, Cher Jean-Paul
Alduy, qui soutenez ce festival depuis le début, cher Jean-François Leroy, qui en êtes,
depuis que vous l'avez créé avec Roger Thérond, plus que l'animateur, l'âme.

Je tenais à le dire à tous les lauréats que vous distinguez, aux talents les plus confirmés, les
plus reconnus, comme aux jeunes talents à qui vous donnez un grand coup de pouce.

Je tiens à vous féliciter et je souhaite une très longue vie à ce festival si nécessaire dans le
monde d'aujourd'hui.

Hommage aux journalistes disparus ou morts en mission

29 juillet 2004

Monsieur le Ministre,

Messieurs les Députés,

Messieurs les Présidents,

Mesdames, Messieurs,

Il est des moments forts. Des moments intenses. Des moments d’émotions partagées qui
font vibrer à l’unisson les coeurs et les esprits.

C’est l’un de ces moments que nous venons de vivre avec le magnifique hommage réalisé
par Gérard Sebag, produit par l’Institut national de l’audiovisuel, avec l’inauguration de
l’exposition des talentueux photographes de l’Agence France-Presse sur les façades du
Palais de Chaillot, et enfin avec le dévoilement de cette plaque qui scelle sur le parvis des
droits de l’homme, l’hommage de la nation envers toutes celles et tous ceux qui ont perdu la
vie ou qui ont disparu dans l’exercice de leur mission de journaliste ou de professionnel de
l’information.

Oui, c’est une cérémonie civique qui nous rassemble aujourd’hui, non pas pour ajouter des
pierres aux pierres, ni pour enfermer le passé dans le passé, un passé très actuel et très vif,
mais pour commémorer, la mémoire de ces hommes et ces femmes qui ont payé le prix le
plus fort, celui de leur vie, pour leur engagement dans un métier qui est plus qu’une
profession, mais une vraie passion de l’information, de l’événement, de l’histoire.

Je tiens tout d’abord à vous remercier, Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs, qui êtes
venus ici accompagner la mémoire de vos conjoints, de vos parents, de vos frères, de vos
soeurs, de vos enfants, de vos proches :

– David « Chim » SEYMOUR, décédé en 1956 en Egypte alors qu’il couvrait l’expédition de
Suez ; Suez, où Jean ROY, de Paris-Match fut également atteint par une rafale mortelle ;

cette même année 1956 où périt, dès son retour en France, Jean-Pierre PEDRAZZINI, de
Paris-Match également, blessé pendant le soulèvement de Budapest ;

– René PUISSESSEAU, journaliste de l’ORTF disparu au Cambodge, à Siem Peat, le 7 juillet
1970, en même temps que son confrère Raymond MEYER, trois mois après ses confrères
Claude ARPIN, de Newsweek, Gilles CARON, de Gamma et Guy HANNOTEAUX de
l’Express, disparus les 5 et 6 avril 1970 à Svayrieng et quelques semaines après que Roger
COLNE, de NBC, fut pris en otage et assassiné par les Khmers rouges le 31 mai 1970 à
Takeo ;

– Eric HASSAN, de Libération, disparu dans un accident d’avion près du Bourget le 11
décembre 1984 ;

– Jean-Louis CALDERON, de La Cinq, en 1989, pendant le soulèvement de Bucarest,
écrasé par un char.

– Pierre BLANCHET, du Nouvel observateur, tué en 1991, par l’explosion d’une mine à
Petrinja ex-Yougoslavie ;

– Yves RETIF et Max SIRE, de France 3 Ouest, disparus à Pornichet dans un accident
d’hélicoptère, le 25 juillet 1992, il y a presque douze ans jour pour jour ;

– Jean-Claude JUMEL, ingénieur du son de TF1, tué par balle à Mogadiscio, en Somalie, le
18 juin 1993 ;

– Yvan SCOPAN, caméraman de TF1, abattu de plusieurs balles de kalachnikov, le 5
octobre 1993 à Moscou, sous les yeux de Patrick BOURRAT ;

– Olivier QUEMENEUR, journaliste français de trente quatre ans travaillant pour la télévision
australienne ABC, qui trouva la mort le 1er février 1994 dans un attentat perpétré dans la
casba d’Alger, où son confrère australien Scott Allan WHITE fut grièvement blessé, la même
année ; dix-huit journalistes furent assassinés en Algérie ;

– Jean-Baptiste DUMAS, de RTL, décédé le 11 novembre 1994 à Marseille des suites de la
catastrophe du stade de Furiani en 1992 ;

– Gilles PRAUD, de France 3, tué en 1999 alors qu’il couvrait un accident de la route ;

– Johanne SUTTON, trente quatre ans, grand reporter de Radio France internationale et
Pierre BILLAUD, trente et un an, grand reporter de RTL, tombés le 11 novembre 2001 en
même temps que leur collègue de l’hebdomadaire allemand Stern, Volker HANDLOIK, dans
une embuscade, tendue par des talibans contre une colonne de l’armée de l’Alliance du
Nord, dans une vallée du nord-est de l’Afghanistan,

– Patrick BOURRAT, envoyé spécial de TF1, le premier journaliste victime de la guerre
contre l’Irak, mort le dimanche 22 décembre 2002 à l’hôpital des forces armées à Koweit; la
veille, il était heurté par un char lancé à pleine vitesse dans le désert, alors qu’il s’élançait
vers son caméraman, Bernard GUERNI;

– Quinze autres journalistes et professionnels de l’information seront tués en Irak en 2003 tel
le caméraman français Frédéric NERAC et l’interprète libanais Hussein OSMAN .

– Jean HELENE, correspondant de Radio France Internationale en Côte-d’Ivoire, abattu, à
quarante-huit ans, d’une balle dans la tête, le 21 octobre dernier, devant le siège de la
direction générale de la police nationale à Abidjan, alors qu’il souhaitait interviewer des
opposants qui venaient d’être libérés après quelques jours de détention ; Abidjan où nous
sommes toujours sans nouvelles du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, disparu
depuis le 16 avril ; nous espérons tous que la procédure judiciaire en cours pourra se
poursuivre efficacement, afin de faire éclater la vérité ; en ce 106ème jour de sa disparition,
je tiens à dire ici tout mon soutien à sa famille et à ses amis.

– Enfin j’aimerais rendre hommage à une journaliste francophone, canadienne, Zhara
KAZMI, décédée récemment lors de son interrogatoire par des policiers iraniens. Il faut que
toute la lumière soit faite pour que les responsables de cet acte de barbarie soient punis.

En leur nom et au nom de l’ensemble de leurs familles ici présentes, je vous remercie d’être
là pour accompagner la mémoire de tous ces proches, trop tôt disparus, pour témoigner
autour de vous, de leur courage, de leur dévouement, de leur engagement.

Aujourd’hui, nous pensons tout particulièrement à eux et à tous leurs confrères et consoeurs
morts ou disparus en mission qu’ils rejoignent dans l’histoire. Une histoire vivante et qui
continue de s’écrire grâce à leur plume, grâce à leurs objectifs, grâce à leurs micros et leurs
caméras, grâce à leur action et à leur souvenir. Ils rejoignent ce cortège de lumière, plus que
jamais présent, dont le message est gravé dans le marbre de ce parvis.

Au péril de leur vie, ils ont repoussé les frontières de la liberté au-delà des champs de
bataille, des barbelés, des menaces et des armes, au-delà de la peur et de la stupeur, audelà
de la terreur.

Ils sont devenus les inlassables interprètes d’une liberté qui ne renonce jamais à s’exprimer,
qui ne faiblit pas devant les tempêtes et qui tente toujours de trouver un chemin.

Une liberté que nous avons tendance à tenir pour acquise, alors que leurs sacrifices nous
montrent qu’elle ne l’est point.

Une liberté fragile, une liberté qu’ils nous lèguent aujourd’hui et que nous avons la charge de
défendre à notre tour avec nos propres armes.

Et d’abord, celle du souvenir. Ils sont morts, acteurs et victimes de leur devoir d’informer.

Nous avons vis à vis d'eux, un devoir de mémoire.

A cette mémoire des combattants de la liberté, je veux associer celle des journalistes de la
résistance qui firent entendre la voix de l’espoir au coeur des années noires, grâce à une
presse clandestine riche de plus de mille titres. Nombreux furent ceux qui tombèrent au nom
de la liberté.

Tracts multigraphiés à quelques dizaines d’exemplaires, brochures plus ou moins
périodiques, ou véritables journaux de quatre pages, tirés à plusieurs dizaines de milliers
d’exemplaires, leurs feuilles exercèrent sur la conscience de leurs lecteurs une influence
considérable.

Au lendemain des combats de la libération de Paris, Albert Camus, commence ainsi, le 31
août 1944, sa célèbre série d’éditoriaux de Combats : « Notre désir, d’autant plus profond
qu’il était souvent muet, était de donner aux journaux un ton et une vérité qui mettent le
public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lui. Nous pensions alors qu’un pays vaut
souvent ce que vaut sa presse. Et s’il est vrai que les journaux sont la voix d’une nation,
nous étions décidé, à notre place et pour notre faible part, à élever ce pays en élevant son
langage… ».

J’ai été particulièrement heureux de lire cette citation, samedi dernier, sous la plume de l’un
de nos plus brillants éditorialistes, et je tenais à la partager avec vous, en ce moment, car je
crois qu’elle exprime une ambition commune à tous ceux que nous honorons ici-même.

Elle exprime aussi le sens du sacrifice de tous ces journalistes résistants qui eux aussi,
payèrent de leur vie leur engagement, leur double engagement, qui n’était au fond qu’un seul
et même engagement, dans leur métier de journaliste et dans leur combat de résistant :

parmi ces noms illustres, je veux citer ici Raoul CHOLLET, qui s’est suicidé pour ne pas
parler, Gabriel PERI, Lucien SAMPAIX, Pierre LACAN, Henri PERRYN, René LEPAPE,
fusillés entre 1941 et 1942, Robert BLACHE, torturé, en août 1943, mais aussi, Léa MAURY,
Pierre MARS, André CHENEVIERE, abattu à Paris le 20 août 1944, Victor MOFFER, mort
en déportation.

André Malraux su proclamer, il y a quarante ans, devant les cendres de Jean Moulin,
combien la presse clandestine fut « une source d’informations, une conspiration pour
rassembler ces troupes qui n’existaient pas encore », alors que « la résistance n’était encore
qu’un désordre de courage », et que « la nation est en péril de mort ».

André Malraux, dont le premier acte, en arrivant en Indochine dans les années vingt, pour
lutter pour la liberté, fut de fonder un journal.

André Malraux, dont le héros de La Condition humaine meurt pour une cause que d’autres
porteront peut-être au triomphe, faisant ainsi de son sacrifice un acte utile et non périssable.

A la signification toujours actuelle de cet héritage, je veux enfin associer ici les plus grandes
voix qui, depuis 1789, se sont engagées pour la défense du droit universel à la liberté
d’opinion et d’expression proclamée par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme
et du Citoyen du 26 août 1789, dont je veux rappeler les termes inscrits sur ce parvis : « La
libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l’homme ». Oui, « L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules
causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements » selon les propres
termes du préambule de la Déclaration.

Benjamin Constant a écrit que la liberté de la presse était « le droit des droits », oui, sans
doute le premier, le tout premier avec, bien sûr, le droit à la vie. Avec la mémoire de tous les
journalistes disparus, c’est aussi la mémoire de tous ces combattants de la liberté, de la
liberté de l’esprit, ces écrivains journalistes dont Victor Hugo fut l’un des plus grands. Victor
Hugo qui s’exclame :

J’ai dit aux mots : Soyez république […]
Les écrivains ont mis la langue en liberté.

Oui, Benjamin Constant, Victor Hugo, Chateaubriand, Edgar Quinet, parmi tant de noms
illustres, ont fait de ce combat pour la liberté d’expression le but suprême de leur
engagement.

Un engagement dont l’un des plus beaux fruits nous vaut de nous retrouver aujourd’hui :
c’est la grande loi républicaine du 29 juillet 1881, qui vient consacrer l’oeuvre de ces hommes
de lettres et journalistes, qui, tout au long du siècle, au prix parfois de longues années de
purgatoire et d’exil, se sont battus pour établir définitivement la liberté de la presse.

Grâce à ce texte fondamental, ce statut de la presse est désormais bien établi sur le principe
de la liberté d’entreprendre, de publier et de diffuser. Cette liberté est aussi leur conquête,
leur conquête à tous, tous ceux que j’ai cités.

Une conquête fragile certes dans bien des pays du monde ; conquête assurée dans notre
pays, dont il nous faut apprécier, toute l’importance, au regard des sacrifices qu’elle a
coûtés.

Certes, depuis 1728, la peine de mort a cessé de frapper ceux qui imprimaient ou
distribuaient un ouvrage publié sans autorisation, mais c’est bien la grande loi du 29 juillet
1881 qui marque l’avènement de la liberté de la presse en France. En dépit des nombreuses
modifications législatives et réglementaires qui depuis, l’ont amendé ou complété, et des
autres textes majeurs qui ont enrichi le droit de l’information au fur et à mesure des
évolutions techniques, avec le développement de l’audiovisuel, c’est bien la « charte »
fondamentale du 29 juillet 1881 qui forme toujours le socle de la liberté d’expression et du
droit de la presse, au sens large, dans notre République.

Un droit qui va au-delà du droit, au-delà de la justice, parce qu’il fonde véritablement notre
désir de vivre ensemble . Un droit qui exprime aussi une vision universelle des droits de
l’homme, consacrée par les Nations-Unies.

Je rappelle que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre
1948 par l’Assemblée générale des Nations-Unies proclame que « tout individu a droit à la
liberté d’opinion et d’expression ».

Mais les quelques exemples que j’ai cités nous montrent, que dans le monde d’aujourd’hui,
ce droit demeure un privilège trop rare.

Il n’est pas admissible que tant de journalistes meurent aujourd’hui, tout simplement parce
qu’ils font leur métier.

Quand bien même il n’y en aurait qu’un seul ce serait bien sûr un de trop.

Mais, que l’on estime, que 53 journalistes et autres professionnels de l’information ont été
tués en raison de leurs activités professionnelles en 2003, selon l'association mondiale des
journaux, dont le siège est à Paris ; ou que, 36 journalistes ont été tués l’an dernier, selon le
comité de protection des journalistes basé à New-York ; ou que, avec Reporters sans
frontières, on recense 42 journalistes tués ; il n’y a pas de détail dans ce funèbre décompte,
mais une chose est sûre, ce chiffre est beaucoup trop élevé et sans doute le plus élevé
depuis 1995. 2003 fut une année noire pour la presse dans le monde. Nous ne pouvons
nous y résigner.

D’autant qu’aux journalistes tués, il faut ajouter tous ceux qui sont empêchés de faire leur
métier : en 2003, selon Reporters sans frontières, au moins 766 interpellés, 1 460 agressés
ou menacés, et 601 médias censurés. Oui, c’est beaucoup trop ! Et je tiens à rendre
hommage à la mobilisation des entreprises de presse en faveur de la sécurité de celles et de
ceux qu’elles envoient en particulier dans des zones de conflits armés, sur des terrains
extrêmement difficiles.

Chaque minute, deux personnes trouvent la mort en l’un des conflits qui sévissent dans le
monde. C’est grâce à eux, grâce à ces journalistes, que nous pouvons connaître ces conflits
et prendre la mesure de leur violence, comme des plaies et des cicatrices qu’ils laissent sur
la planète autant que dans les esprits. Oui, c’est grâce à eux que nous connaissons ces
événements qui façonnent notre histoire contemporaine.

Comme l’a écrit Victor Hugo, « il n’y a ni petits faits dans l’humanité, ni petites feuilles dans
la végétation ; parce que c’est de la physionomie des années que se compose la figure des
siècles ». Grâce à eux nous pouvons être conscients de la tragédie de l’homme et du
monde. Leur génie, leur talent, leur courage, est de mettre des mots, des images et des sons
sur les souffrances, et aussi sur les espoirs de ceux qui sans eux seraient condamnés au
silence.

C’est grâce à la présence de journalistes, de reporters et de photographes sur les terrains
les plus dangereux que nous mesurons à quel point dans le monde actuel, l’image, la parole,
la photo, le film, sont déclencheurs de paix, de droit, de confrontations démocratiques, ou au
contraire, facteurs de discordes, d’affrontements ou de haines.

Témoins de l’actualité, ils provoquent les prises de conscience et mobilisations parfois
nécessaires. Leur récit nous interpelle parfois brutalement.

Pour que la vérité puisse progressivement émerger, il aura fallu l’engagement, la passion, la
recherche, le témoignage actif de celles et de ceux qui sont par principe toujours là où le
devoir mais aussi le danger les appellent.

Rien n’est jamais automatique ou garanti. Sans la flamme de ces soldats de la paix, du droit
de la justice et de la liberté , véritables casques bleu de l’humanisme nécessaire, nous
seraient interdits ce privilège de l’information, du direct, du vécu instantané.

Je tiens à rendre hommage aux organisations non gouvernementales et en particulier à
Reporters sans frontières et à toutes les associations humanitaires qui, par leur action,
alertent l’opinion publique, et apportent une aide concrète aux journalistes menacés, torturés
ou emprisonnés de par le monde et à leur famille et à leurs proches.

Tous ensemble, vous oeuvrez pour qu’avancent la transparence et le dialogue
indispensables au progrès des sociétés et de la paix.

Je rappelle que si les journalistes en mission périlleuse sont considérés comme des
personnes civiles en vertu de l’article 79 du premier protocole additionnel aux conventions de
Genève, une attaque délibérée causant la mort ou des atteintes graves à l’intégrité physique
d’un journaliste constitue une infraction grave au protocole, c’est-à-dire, en d’autres termes,
un crime de guerre.

C’est un hommage collectif qui nous rassemble aujourd’hui. Je vous appelle à faire de ce
lieu un lieu de mémoire pour dire et redire qu’il n’y a pas de liberté sans liberté de la presse.

Je veux vous dire enfin que l’hommage d’aujourd’hui trouvera d’autres prolongements : la
ville de Bayeux, première ville libérée en 1944, le conseil général du Calvados et Reporters
sans frontières, associés depuis 10 ans par le prix Bayeux Calvados des correspondants de
guerre, vont édifier « un jardin de la mémoire » qui permettra de rendre un hommage
permanent et nominatif à tous les journalistes morts dans l’exercice de leur métier depuis le
débarquement des forces alliées en Normandie.

Je tiens à saluer et à soutenir ici, en présence d’un parlementaire du Calvados, cette
initiative exemplaire. Car elle entretient cette flamme où s’alimente notre liberté de pensée,
d’opinion et d’expression. Cette liberté grâce à tous ceux à qui nous rendons hommage
aujourd’hui est autant un droit qu’un devoir. Un devoir d’espérance et de lucidité. Voilà toute
la force de ces hommes et de ces femmes : la permanence de leur passion et de leur
engagement, nous invite à les suivre dans leur chemin éclatant de lumière, qui éclaire ce
parvis comme il éclaire nos consciences. Puisse-t-il aussi éclairer le monde !

Je vous remercie.

Signature de la charte d’engagement pour le développement de l’offre égale de musique en ligne, pour le respect de la propriété intellectuelle et pour la lutte contre la piraterie numérique

28 juillet 2004

Monsieur le Ministre d’Etat,

Monsieur le Ministre,

Mesdames et messieurs,

Je suis très heureux que nous soyons réunis ici ce matin, dans ce lieu très symbolique qu’est
l’Olympia, pour inaugurer ensemble une alliance nouvelle entre les auteurs, producteurs de
musique, et les fournisseurs d’accès et de services sur internet.

Vive la musique ! vive la chanson ! vive Internet ! Nous avons aujourd’hui dégagé un horizon
commun.

Cette charte est surtout un point de départ, celui d’un partenariat nouveau entre les auteurs,
les producteurs, les distributeurs et les fournisseurs d’accès à internet.

C’est le point de départ d’engagements communs pour développer les offres légales de
musique en ligne et éduquer les consommateurs pour les orienter vers ces offres légales.

Tous ensemble, nous partageons la responsabilité d’adopter un message courageux, pour
qualifier la piraterie sans ambiguïté et sans céder à la facilité qui consisterait à la justifier au
nom d’une liberté sans limites. Je veux défendre la création et la diversité culturelle, qui sont
des valeurs menacées par la piraterie, mais qui méritent qu’on les défendent.

Ce message est indissociable d’une approche positive du formidable défi pour les industries
culturelles que représente le développement d’Internet, qui offre des opportunités
extraordinaire pour améliorer l’accès du public aux oeuvres.

Au-delà de ces engagements pris par les uns et par les autres, sur lesquels nous devrons
poursuivre la discussion pour les mettre en oeuvre de manière concrète, cette charte est
aussi le point de départ de plusieurs chantiers.

Le chantier principal et délicat est l’étude du filtrage du peer-to-peer puis son
expérimentation, sous l’égide des deux experts que nous allons désigner, afin d’envisager de
proposer ce service aux internautes à la manière d’un contrôle parental.

J’ai pour ma part une feuille de route très claire, qui s’appuie sur le plan de lutte contre la
piraterie et pour le développement de l’offre légale dans l’environnement numérique que j’ai
présenté au Conseil des ministres du 19 mai, autour de cinq axes : la pédagogie, la
concertation, la réglementation, la coordination et le plan européen.

Cette charte est une étape de la concertation, qui devra s’élargir à d’autres acteurs et à
d’autres secteurs.

En particulier celui du cinéma, qui engagera en septembre sous l’égide du ministère avec le
CNC une concertation professionnelle pour définir les modèles économiques et le
positionnement dans la chronologie des offres en ligne, en veillant à préserver les équilibres
du secteur.

Avec les fournisseurs de technologie et d’autres acteurs de la distribution en ligne, pour
développer l’interopérabilité et la compatibilité, pour éviter le morcellement du marché et
faciliter l’accès des consommateurs aux nouvelles offres.

Je suis convaincu que grâce à vous tous cette mobilisation portera ses fruits. Elle devra
permettre de faire d’Internet le plus grand magasin de musique au monde. Je compte sur
votre engagement à tous et je vous en remercie.

Signature de l'Accord Etat / Presse / Poste

22 juillet 2004

Monsieur le Ministre,

Messieurs les Présidents,

Mesdames, Messieurs,

Mes premiers mots seront pour vous remercier. Vous remercier du travail accompli pour
aboutir à un accord marquant non seulement pour le transport postal de la presse, mais plus
largement dans l'histoire qu'ont en commun la presse, La Poste et les pouvoirs publics.

Le protocole d'accord qui est soumis aujourd'hui à votre signature va en effet bien au-delà
d'un simple réaménagement des conditions tarifaires et techniques du traitement et de la
distribution de la presse par l'opérateur postal. Il a pour ambition de jeter les bases, pour les
quatre années à venir, d'un nouveau mode de relations entre les éditeurs, La Poste et l'État.

A l'heure où la Poste s'ouvre largement à la concurrence et fait un effort sans précédent de
modernisation, il était en effet nécessaire de garantir l'avenir du transport postal de la presse
et de faire face aux enjeux qui s'y attachent.

La mise en oeuvre des accords de janvier 1997, dits " accords Galmot " avait de toute
évidence laissé à l'ensemble des parties prenantes un sentiment d'inachevé. L'État versait à
l'opérateur postal une subvention globale, dont le lien avec l'objectif poursuivi de défense du
pluralisme apparut de moins en moins clairement au fil des années. Les éditeurs ont ainsi
supporté d'importantes hausses tarifaires, sans avoir le sentiment que se réalisaient
parallèlement des progrès déterminants du service rendu en contrepartie. Quant à La Poste,
reconnaissons ensemble qu'elle enregistre aujourd'hui encore un important déficit à raison
de la distribution de la presse.

Pour étayer ce constat, et en tirer toutes les conséquences, le gouvernement a confié à
Monsieur Henri Paul, en décembre 2002, la délicate mission d'établir un bilan contradictoire
des accords Galmot, et de proposer des voies d'amélioration. Je tiens à saisir l'occasion qui
m'est donnée pour saluer l'investissement personnel d'Henri Paul dans cette mission,
saluant à travers lui toutes celles et ceux qui ont contribué à cet important travail éditeurs,
agents de la Poste, fonctionnaires du ministère de l'Industrie et de la direction du
Développement des Médias. Sans les qualités d'analyse, d'expertise et de négociation que
nous lui connaissons, je ne suis pas sûr que nous serions aujourd'hui réunis.

Au-delà du constat des carences du système actuel, les discussions tripartites menées dans
le cadre de la mission dite " mission Paul " ont permis de cerner les enjeux auxquels auront à
faire face les acteurs du transport postal de la presse :

· La Poste, qui doit opérer une profonde mutation industrielle et commerciale afin d'affronter
l'évolution de son environnement réglementaire, économique et concurrentiel ;

· La presse, qui doit développer sa diffusion par une politique d'abonnements à un coût
raisonnable, acheminés avec une bonne qualité de service ;

· L'État, qui doit continuer à assurer le pluralisme de l'information et veiller sur tout le territoire
à l'égalité des titres et des lecteurs en matière de distribution postale.

Le protocole d'accord que vous avez devant vous, et qui constitue l'aboutissement des
travaux et des discussions engagées entre nous voici plusieurs mois, prend toute la mesure
de ces enjeux, et j'ai la conviction qu'il donne à chacun les meilleurs chances d'y répondre.

Pour permettre aux éditeurs de presse et à La Poste une visibilité à moyen terme, l'accord
couvre une période de 4 ans, de 2005 à 2008.

La Poste propose une offre mixte, avec un cadre de base et des options, qui peut et doit
apporter aux éditeurs une amélioration de ses services, tant pour l'offre de base que pour les
options.

– La loi définit les obligations de service public de l'opérateur postal en matière de transport
et de distribution de la presse ;

– l'Etat participe au financement de celles qui ont pour objectif le pluralisme de l'information,
c'est l'aide au ciblage, et l'égalité des titres et des lecteurs sur tout le territoire, l'aide à la
distribution dans les zones de faible densité.

Les évolutions qu'instaure ce protocole d'accord devaient intervenir sans bouleversement
des repères des différents acteurs : maintien du principe de paritarisme, périmètre inchangé
de la presse à régime réglementé, conservation des principes de tarification introduits en
1997, introduction d'un engagement de responsabilité et d'amélioration de la qualité du
service, observatoire paritaire de la qualité, etc.

Le texte qui va être signé par chacun dans quelques instants est un texte d'équilibre. Cet
équilibre est le fruit de votre travail conjugué pendant ces deux années. Il traduit le sens des
responsabilités de chacun, La Poste, la presse et l'Etat. Les bilans annuels qui en seront
faits et auxquels j'attache la plus haute importance en montreront, j'en suis convaincu, les
effets vertueux et structurants.

Je sais que ce texte de compromis, devra dans les années qui viennent "vivre sa vie" et je
souhaite assurer les parties signataires de mon constant soutien pour que cette nouvelle
étape des relations entre la Presse et la Poste soit fructueuse et utile au développement de
nos relations communes.

Je vous remercie.

Inauguration du Musée national de préhistoire

19 juillet 2004

Monsieur le Ministre,

Messieurs les Sénateurs,

Messieurs les Députés,

Monsieur le Président du Conseil régional,

Monsieur le Président du Conseil général,

Mesdames et Messieurs les Maires et les Elus,

Mesdames et Messieurs,

Dans la vallée de la Vézère, la présence de l'Homme est inscrite depuis l'aube des temps.

Oui, ici, l'on peut dire en toute connaissance de cause, selon l'expression du grand
paléontologue Yves Coppens, " ce qu'est l'homme et d'où il vient ". Ici, l'on sait dans quelle
histoire, celle de la vie, s'inscrit " l'odyssée de l'espèce " que tant de témoignages
rassemblés dans ce musée unique au monde, nous racontent sur les lieux mêmes où nos
lointains ancêtres vivaient depuis 400 000 ans.

Tout autour, en effet, ont été découverts depuis le milieu du XIXe siècle, parfois au hasard,
parfois dans le cadre de prospections plus organisées, des grottes ornées, de simples abris
ou de grands gisements qui ont fait à chaque découverte progresser à la fois la
connaissance et la vision du destin de l'humanité.

Car c'est ici, au confluent de la Vézère et de la Beune, qu'est née la science de la
préhistoire, dont on peut dire ce qu'Yves Coppens a écrit de la paléontologie : elle est " une
science qui se doit de rêver pour comprendre ". Ce magnifique musée national de la
préhistoire nous permet et de rêver et de comprendre. Et il n'est pas besoin d'être savant
pour être profondément ému par ces preuves de la très haute ancienneté de l'homme, que
Boucher de Perthes appelait " antédiluvien ", avant que la notion d'évolution humaine soit
universellement acceptée. L'homme qui a survécu à l'alternance d'au moins une vingtaine de
cycles glaciaires et interglaciaires au cours de l'ère quaternaire, qui ont façonné les
paysages que nous connaissons aujourd'hui et l'héritage commun de l'humanité. Un héritage
qui n'est pas seulement génétique ou biologique, car il est autant naturel que culturel et il est
artistique aussi, comme le prouvent les oeuvres d'art rupestres et les objets présentés ici.

C'est parce que cet héritage n'est pas seulement celui du Périgord, de la France, ni même
de l'Europe, mais bien parce qu'il appartient à l'humanité tout entière, qu'il a été, dès 1979,
inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Les grottes ornées de la vallée de la
Vézère, la vallée de l'Homme, figurent en effet au deuxième rang sur cette liste prestigieuse,
juste après la cathédrale de Chartres et avant les grottes d'Altamira, en Espagne, qui y ont
été inscrites en 1985.

L'histoire des découvertes successives qui ont eu lieu ici, depuis la fouille de la grotte
Richard par Edouard LARTET et Henri CHRISTY, en 1863 et celle de l'abri Cro-Magnon en
1868, est aussi l'histoire de la reconnaissance de l'art pariétal, des pratiques funéraires et
d'une expression symbolique chez les premiers hommes. Une expression qui fit l'objet de
débats passionnés et des plus vives polémiques, parce qu'elle remettait en cause bien des
certitudes et interroge ce qu'il y a de plus profond dans l'homme. Au fur et à mesure que les
connaissances progressent et la science préhistorique française continue à apporter une
contribution déterminante au décryptage de l'évolution de l'humanité, ces interrogations
demeurent. Elles saisissent encore le visiteur confronté au regard de pierre de " l'homme
primitif " de Dardé qui surplombe la Vézère, sur le flanc de ce musée.

Je tiens à rendre hommage à tous les précurseurs et à toutes les institutions qui ont été les
acteurs de ces découvertes et de leur protection.

La loi de 1913 sur les monuments historiques facilitait la protection des sites archéologiques.

Il fallait un musée pour mettre à l'abri et présenter les collections. C'est donc dès 1913 que
Denis PEYRONY, ancien instituteur, chargé de mission au Ministère des Beaux-Arts, crée le
premier musée de préhistoire des Eyzies, où il pratiquait des fouilles depuis des années
avec l'abbé BREUIL et le docteur CAPITAN.

Il fit acheter par l'Etat les ruines du château des Eyzies pour y installer un dépôt de fouilles et
un musée " national " de Préhistoire, dans lequel entre sa propre collection, dont la majeure
partie des séries lithiques et d'industrie osseuse de la grotte de la Madeleine. L'archéologue
a également constitué un important fonds photographique de plus de 400 négatifs sur les
fouilles et sur les collections du musée.

Il milite par ailleurs pour faire de la vallée de la Vézère un important centre de tourisme
culturel. Dès 1920, le village possède son syndicat d'initiative et la grotte de Font de Gaume
est électrifiée en vue de son ouverture ou public… C'est dire ce que le nouveau musée que
nous inaugurons, mais aussi le Pôle international de préhistoire qui accompagne aujourd'hui
son ouverture aux publics doivent à cette figure de conservateur, d'archéologue et de
pionnier du tourisme.

Le Pôle international de Préhistoire, a été créé en 2002 sous la forme d'un groupement
d'intérêt public associant l'Etat, la région Aquitaine et le département de la Dordogne, pour
valoriser les sites préhistoriques de la vallée, l'accueil des visiteurs et la mise en place
d'outils de médiation destinés à favoriser pour tous les publics, mais en particulier le public
scolaire, l'accès aux connaissances dans le domaine de la Préhistoire et des sciences de
l'histoire de l'Homme.

Il me semble que nous nous rapprochons là de l'ambition, à la fois scientifique et
pédagogique, du fondateur du musée des Eyzies, Denis PEYRONY, et je me réjouis que le
musée national soit, dès sa réouverture au public, le pilier principal de cette coopération
entre les collectivités territoriales et l'Etat.

C'est le fils de Didier PEYRONY, Elie PEYRONY, qui va diriger le musée pendant trente ans
à partir de 1936, poursuivra cette oeuvre magnifique en portant, toutefois, les efforts du
musée davantage vers l'accueil des chercheurs, pendant que les visiteurs affluent, en raison
du développement du tourisme et de la découverte fortuite, en 1940, de la grotte de
Lascaux, puis de celle de Rouffignac en 1956.

Il fallait préserver Lascaux et sa fermeture, en 1963, entraîne un regain d'intérêt pour les
Eyzies. Les salles permanentes furent entièrement réorganisées après la nomination de
Jean GUICHARD comme conservateur en 1967 et le rattachement de l'établissement à la
direction des musées de France en 1972. Tout en posant dès 1973 les jalons d'une nouvelle
extension du musée, Jean GUICHARD mène cette rénovation complète qui s'achève en
1979 avec l'ouverture de la grande salle de morphotypologie de l'industrie lithique destinée à
permettre au grand public de comprendre les classifications des préhistoriens.

Pour relever le défi du rayonnement mondial qu'entraîne l'inscription des sites de la vallée
sur la liste de l'UNESCO, le ministère de la culture décide le lancement d'une nouvelle
extension. Le musée national des Eyzies, grâce aux collaborations nouées avec les grands
organismes de recherche de la région – le Centre national de Préhistoire, l'Institut du
quaternaire de l'Université de Bordeaux, le Service régional et le service départemental de
l'archéologie, – grâce aussi à la nomination en 1988 d'un nouveau directeur, Jean-Jacques
CLEYET-MERLE, connaît ainsi un nouveau développement de ses collections.

Il conserve désormais et enrichit de manière continue des séries d'intérêt mondial dans le
domaine de la paléontologie, de l'art, des industries lithiques et osseuses. Porté par l'essor
de la science préhistorique, il se devait de présenter ces collections exceptionnelles dans le
cadre d'un projet scientifique, culturel et muséographique nouveau, afin de rendre
intelligibles les grandes étapes de l'aventure humaine au sein d'une région d'un intérêt
exceptionnel pour tous ceux que la Préhistoire passionne.

L'intérêt des collectivités locales, de la Région et du département pour la mise en valeur de
la Vallée de la Vézère plaidait aussi en faveur de la construction d'un musée entièrement
nouveau.

Un concours d'architecture est lancé en 1984, que remporte Jean-Pierre BUFFI auquel nous
devons donc les beaux bâtiments, si bien inscrits dans la falaise et dans le village des
Eyzies, que nous inaugurons aujourd'hui. Après de fructueuse fouilles de sauvetage entre
1989 et 1991, justifiées par l'implantation sur un site archéologique très important, et
diverses opérations de sécurité, les travaux de construction proprement dit ont commencé
en 1995.

Le bâtiment était achevé fin 2002. Les aménagements muséographiques, particulièrement
délicats, en raison notamment du tri très complexe des 18 000 objets exposés, en raison
également de l'enrichissement continu des collections, auront quant à eux duré un peu plus
de deux ans.

C'est beaucoup de temps, dit-on, mais si peu au regard de l'histoire qui nous est contée ici,
et c'est tout à fait raisonnable, me semble-t-il, pour un établissement qui compte parmi les
très rares grands musées entièrement dévolus à la Préhistoire ancienne en Europe, et
probablement l'un des plus réussis. Avec plus de 3600 m2 de surfaces nouvelles, dont 1450
m2 de galeries d'exposition permanente ou temporaire, il dote la capitale mondiale de la
préhistoire d'un foyer de rayonnement exceptionnel.

Cette réussite nous la devons bien sûr à Jean-Jacques CLEYET-MERLE, directeur du
musée, et à toute son équipe qui ont travaillé sur ce projet en liaison étroite avec un comité
scientifique international présidé par Jean-Philippe RIGAUD, ancien directeur du Centre
national de la Préhistoire de Périgueux.

Nous la devons également à Jean-Pierre BUFFI, qui a réussi merveilleusement cette
confrontation avec un paysage marqué par la présence d'une grande falaise donnant sur une
vaste vallée et un village faisant contrepoids à la verticalité d'un château médiéval. Le pari
était difficile compte tenu des nombreuses contraintes liées notamment à la nature du sol, à
l'exiguïté de la parcelle et à l'incroyable dénivelé.

Je voudrais saluer également le remarquable travail accompli par les muséographes de
l'agence HB Design, Roberto BENAVENTE et Christian VALDES, et par l'atelier TER
BEKKE-BEHAGE pour la signalétique. Mes remerciements vont également au maître
d'ouvrage délégué de ce projet, la S.E.MI.P.E.R., que préside M. le Sénateur Bernard
CAZEAU, qui a accompli là, dans des conditions parfois difficiles, un remarquable travail de
coordination des entreprises.

Je voudrais remercier enfin et féliciter également de l'attention incessante qu'ils ont portée à
cette grande opération nationale, depuis son lancement il y a vingt ans, les responsables
successifs de la Direction des musées de France et de la Direction régionale des affaires
culturelles d'Aquitaine, ainsi que leurs services.

Au-delà de ses missions patrimoniales et de recherche qu'il est maintenant en mesure de
poursuivre dans les meilleures conditions, le nouveau musée national de Préhistoire des
Eyzies-de-Tayac doit assurer un travail tout aussi essentiel d'accueil et de diffusion culturelle
auprès du plus large public.

Je pense en particulier aux jeunes générations, et aux touristes de toutes origines nombreux
dans la région.

L'attrait de cette vallée pour les visiteurs du monde entier me paraît exemplaire du rôle que
notre patrimoine, et nos musées, jouent dans le développement de nos territoires.

Si la France est la première destination touristique mondiale, si elle accueille 75 millions de
touristes chaque année, ce qui représente une immense richesse, au-delà de la contribution,
de l'ordre de 7 % à notre produit intérieur brut, c'est-à-dire à la croissance et à l'emploi, c'est
en grande partie grâce à la force d'attraction de notre patrimoine et à sa capacité à répondre
à la soif de découvertes, de connaissances, de curiosité, de tous ces citoyens du monde,
citoyens de la culture.

Qu'il s'agisse de visiteurs étrangers ou français, le tourisme culturel constitue l'un des modes
d'accès à la culture, qui participe le plus à son ouverture à tous les publics. Je préfère ce mot
d'ouverture à celui de démocratisation. Car la culture est par essence démocratique, en un
double sens : elle est une exigence et elle appartient à tous.

Cette volonté de toucher le plus large public est incluse dans l'exigence du service public de
la culture. Une exigence de qualité qui est au fondement de la rencontre entre la culture et le
tourisme. Et qui s'inscrit dans une éthique, comme ici, dans la vallée de la Vézère, dans
cette belle région chère à notre coeur, où tous les partenaires réunis autour du musée ont le
souci permanent du développement durable.

C'est avec ce souci que les musées et notre patrimoine demeureront des lieux d'excellence,
des lieux de transmission du savoir, des lieux d'éducation, des lieux d'intégration et de
cohésion sociale.

Des lieux porteurs de la vocation universelle de la culture.
Le musée national de la préhistoire, qui expose toute l'histoire de l'homme de 400 000 ans à
8 000 ans avant notre ère, est tout à fait exemplaire de cette vocation.

Je tenais à vous le dire et à vous en remercier.

Réunion de concertation sur la lutte contre la piraterie et sur le développement de l’offre légale à l’ère numérique

15 juillet 2004

Monsieur le ministre d’Etat,

Monsieur le ministre,

Mesdames, Messieurs,

Je tiens à remercier Nicolas Sarkozy d’accueillir au ministère de
l’économie, des finances et de l’industrie cette réunion, qui à
mes yeux a un caractère fondateur.

C’est en effet un symbole extrêmement fort, que nous nous
trouvions aujourd’hui ensemble autour de cette table, ministère
de l’économie, des finances et de l’industrie avec le ministère de
la culture et de la communication, fournisseurs d’accès à internet
avec les créateurs, artistes et producteurs, sans oublier les
consommateurs, industries et distributeurs, pour aboutir à des
propositions communes.

Car il y a urgence : avec l’explosion de la piraterie sur Internet,
c’est l’ensemble des activités de création qui sont menacées,
musique, cinéma, mais aussi bande dessinée, jeu vidéo et
logiciel. D’ores et déjà, les téléchargements illicites de contenus
protégés se chiffrent par milliards, pour représenter près de
quatre fois les ventes. D’ores et déjà, l’impact économique,
social et sur la création se fait durement sentir, notamment sur la
musique.

La piraterie, c’est du chômage. C’est du vol. Mais c’est bien plus
encore.

Parce qu’elle peut être fatale aux créateurs les plus fragiles, la
piraterie est une menace pour la création et la diversité
culturelle. Car la piraterie, en définitive, assèche peu à peu la
création, la diversité à laquelle le public est attaché. Ceux qui
sont menacés, ce sont les jeunes artistes, encore peu connus du
public et de la presse, dont la disparition passera inaperçue,
alors qu’ils auraient pu être les grands artistes de demain.

Si nous ne réagissons pas rapidement, la piraterie finira par
nuire au public, quand bien même il pense en tirer profit, parce
qu’elle ne lui laissera qu’un désert culturel, uniforme et insipide.

Je veux donc faire émerger la création et la diversité culturelle comme des valeurs,
auxquelles nous sommes tous ensemble attachés, mais surtout que chacun doit
respecter et protéger, à l’image de la protection de l’environnement.

L’enjeu est grand. Nous ne sommes qu’au début d’un phénomène, qui a pourtant
commencé il y a cinq ans. Cinq ans dans le domaine des nouvelles technologies,
c’est déjà très long, mais c’est très court dans la vie des industries de création, qui
sont contraintes de s’adapter à marche forcée.

Face à cette situation, il nous faut réagir, maintenant et ensemble, pour mobiliser
les énergies.

D’abord le Gouvernement : c’est le sens du plan d’action que j’ai, dès le 19 mai
dernier, présenté au conseil des ministres, à la demande du Président de la
République et du Premier Ministre.

Ensemble, cela veut dire aussi, au-delà des pouvoirs publics, avec tous les acteurs
concernés et c’est tout le sens de notre réunion d’aujourd’hui, qui exprime cette
large mobilisation.

Mais cette mobilisation doit dépasser le cadre national, car c’est au niveau
international que le problème se pose. C’est aussi à ce niveau qu’une solution
durable peut être efficacement envisagée.

J’ai ainsi organisé à Cannes, le 16 mai dernier, une réunion avec les représentants
des studios de cinéma, des sociétés de production, des diffuseurs et des
réalisateurs des Etats-Unis, d’Europe, d’Inde, de Chine et de Russie. A l’issue de
cette réunion, nous avons rédigé une déclaration commune, posant les bases
d’une alliance nouvelle et un peu inattendue, pour la lutte contre la piraterie et en
faveur de la diversité culturelle.

Mardi dernier à Rotterdam, j’ai proposé à la présidence néerlandaise de l’Union
européenne et à mes collègues ministres de la culture de l’Europe à 25 d’élaborer
ensemble un plan européen de lutte contre la piraterie en concertation avec les
autres formations concernées du Conseil des ministres (compétitivité-marché
intérieur, justice et affaires intérieures).

Ce plan aurait d’abord pour objectif de sensibiliser ensemble les opinions
publiques et de développer les échanges de bonnes pratiques entre Etats
membres.

Il pourrait comprendre également une décision-cadre sur les sanctions pénales
contre la contrefaçon, pour compléter la directive contrefaçon.
Il permettrait d’aborder de façon concertée la promotion des offres légales. Je
souhaite notamment que nous puissions organiser une journée européenne du
téléchargement légal, qui mobilisera les offres les plus créatives et les plus
diverses dans chaque capitale ou dans chaque grande ville de culture de notre
continent.

Il aurait aussi pour effet de stimuler les travaux de la commission européenne sur
l’interopérabilité ou compatibilité des systèmes. C’est en effet un aspect essentiel,
qui crée là encore une alliance nouvelle et inattendue, cette fois entre les
producteurs et les consommateurs, qui souhaitent ensemble que les offres
puissent être facilement accessibles sur un maximum de supports.
Cette mobilisation européenne est essentielle. Car en cette matière en particulier, il
faut jouer collectif pour gagner. La coordination de l’action est la clé du succès.

Mais regardons les choses en face : ce travail de conviction ne fait que
commencer. La présidence néerlandaise préfère laisser faire le marché là où nous
voulons une action volontariste. Nous devons la gagner à notre cause.
Par ailleurs, pour gagner ce combat, il importe de prendre la mesure de la
complexité du problème.

Cette complexité est d’abord celle de la chaîne de valeur de la création, avec ses
créateurs, ses artistes, ses producteurs, ses distributeurs, ses clients, mais aussi
des contraintes propres à chaque type d’oeuvre.

Si les enjeux de la lutte contre la piraterie sont partagés, les différents types
d’oeuvre, musique, cinéma, bande dessinée, jeu vidéo, ont ou auront des modèles
économiques et des calendriers assez différents pour l’offre légale en ligne.

Cette complexité naît également de l’existence de deux mythes, le mythe de la
gratuité et le mythe de l’impunité sur Internet.

La gratuité, c’est une société qui efface les traces de ses pas.

Ce mythe de la gratuité inspire des idées nouvelles, proposant de faire table rase
de la propriété intellectuelle, pour mettre en place des systèmes de mutualisation
séduisant par leur simplicité.

Gardons-nous des fausses bonnes idées, qui détruiraient un modèle de
financement de la création qui a fait ses preuves pour un système dont personne
ne sait s’il serait capable d’assurer correctement le financement de la création.

Le mythe de la gratuité détruit la valeur de la création. Lorsque tout est gratuit, on
ne perçoit plus la valeur de la création, que l’on prend et que l’on jette. Face au
gratuit, il est tentant de considérer que le prix du payant est trop élevé, et de
justifier ainsi la piraterie. La qualité a en effet un prix, qui est celui de la création
originale.

Cette question du prix remet d’ailleurs au coeur du débat la question de la baisse
de la TVA sur le disque, baisse qu’il faudrait envisager d’étendre à la vente de
contenus en ligne. La sensibilisation des autres Etats européens à laquelle je
m’attache, sur les sujets de la diversité culturelle et de la piraterie, devraient en
amener certains à devenir nos alliés sur cette question, ce qui est essentiel
puisque la décision relève du niveau européen.

A côté du mythe de la gratuité, existe sur Internet le mythe de l’impunité.
Entendons-nous bien : je suis un enthousiaste d’Internet, de ce monde
décloisonné, de l’accès à la connaissance et à l’information pour tous, de
l’extraordinaire liberté d’expression qu’il permet. Mais il n’y a pas de liberté sans
responsabilité et sans conscience de cette responsabilité.

Chacun doit pouvoir protéger sa vie privée sur Internet, et nous y sommes très
attachés en France. Mais la protection de la vie privée ne doit pas servir de
couverture à des infractions, pour lesquelles le juge peut lever l’anonymat. Internet
n’est pas, ne doit pas être un espace de non-droit.

Face à cette complexité, il est nécessaire de promouvoir une approche globale du
problème. C’est le sens du plan d’action que j’ai présenté, qui repose sur un
équilibre entre les mesures de lutte contre la piraterie, les actions judiciaires devant
être accompagnées de mesures de sensibilisation et de prévention. Mais il faut
aussi mettre en place des offres légales sur internet les plus diverses et les plus
abondantes possible.

L’un des axes importants de ce plan d’action repose sur la concertation que nous
commençons aujourd’hui. Notre réunion est un point de départ d’une négociation
entre les acteurs qui doit aboutir rapidement.

Comme viens de le dire Nicolas Sarkozy, des propositions communes aux
fournisseurs d’accès à internet, aux auteurs et aux producteurs de musique, ont
déjà été formalisées dans un projet de charte.

Certaines de ces propositions pourront être mises en oeuvre immédiatement. Des
modalités techniques devront être rapidement précisées pour d’autres, avec le
soutien de Philippe Chantepie et Jean Berbinau. Les plates-formes de distribution
en ligne jouent un rôle éminent dans l’offre légale et devront être associées. Enfin,
d’autres propositions nécessitent une étude et une expérimentation rapide.

C’est le cas du filtrage, qui doit être abordé dans un esprit positif de
responsabilisation des utilisateurs. Ces techniques devront pouvoir donner lieu à
des expérimentations rapides auprès d’un panel d’abonnés, afin d’en valider
l’efficacité. [sous l’égide d’un expert indépendant nommé par les pouvoirs publics]

C’est également le cas de la mise en place des offres légales pour le cinéma, qui
doit être nécessairement associé à cette négociation. Un groupe de travail sera
organisé par le CNC, pour déterminer les modèles économiques et la place des
offres licites en ligne dans la chronologie des médias, et aboutir à des propositions
d’ici à la fin de l’année.

J’invite l’ensemble des industries culturelles à s’associer à ce projet, en tenant
compte des spécificités de chacune et selon leur calendrier de mise en place des
offres légales.

Je suis convaincu que grâce à vous tous cette mobilisation portera ses fruits. Je
compte sur votre engagement à tous et je en vous remercie.

Ouverture de l'Année Italienne à Chambord

7 juillet 2004

Madame le Sénateur,

Messieurs les Députés,

Monsieur le Maire,

Messieurs les Présidents,

Monsieur l’Ambassadeur,

Monsieur le Préfet,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’inaugurer cette magnifique exposition « de l’Italie à Chambord,
François 1er, la chevauchée des princes français ».

Chambord : un domaine symbolique du patrimoine commun de l’humanité dont nous avons
la charge et où nous accueillons un public qui a rendez-vous ici avec l’art et avec l’histoire.

Chambord, comme le Louvre et Versailles, c’est un lieu mythique, un lieu hautement
symbolique du pouvoir royal. Un pouvoir qui n’était pas fixé en un point précis mais se
déplaçait au gré des mouvements du roi et de sa cour.

Oui, ici nous avons rendez-vous avec l’histoire : l’histoire de la France, l’histoire de l’Italie,
l’histoire de l’Europe. Car c’est au fond une seule et même histoire que nous rendent
présents les illustres témoignages rassemblés par les commissaires de l’exposition, que je
tiens à remercier, Madame Arminjon, Monsieur Lavalle, Madame Chatenet et Monsieur
d’Anthenaise.

Oui, ce sont les racines de notre culture humaniste qui revivent ici grâce à vous. Grâce aussi
à la magie de Chambord, le plus grand, le plus illustre château de ce Val-de-Loire cher à
notre coeur, cher au coeur des Français et des millions de visiteurs qui viennent ici à la
recherche de l’âme de l’Europe. A la recherche aussi d’un idéal de bonheur et d’un certain
art de vivre chanté par les poètes. C’est sans doute ce « doux vivre » évoqué par Clément
Marot qui nous retient encore dans le regard de la Joconde ou de la Belle Ferronnière :

« … Sous bel ombre, en chambre et galeries
Nous promenant, livres et railleries,
Dames et bains, seraient les passe-temps,
Lieux et labeurs de nos esprits contents…
Le chien, l’oiseau, l’épinette et le livre,
Le deviser, l’amour (à un besoin),
Et le masquer, serait tout notre soing. »

Au-delà de cet art de vivre, c’est l’Europe de l’intelligence et de l’esprit qui fut au coeur de la
rencontre entre la France et l’Italie. Rencontre des princes, des artistes, des poètes et des
savants qui se fît dans les toutes dernières années du XVe siècle et les toutes premières
années du XVIe siècle. C’était le début de la Renaissance et de l’idéal d’un homme complet
qui saurait conjuguer l’élan de la pensée et une sensation esthétique tout à fait nouvelle.

Bien sûr, cette épopée artistique et culturelle commença dans la guerre. Cette exposition
évoque les campagnes d’Italie, les guerres où s’illustra le tout jeune François 1er et son
chevalier Bayard, avec au centre de cette évocation, la célèbre victoire de Marignan qui
demeure, sans doute, la date la plus connue de l’histoire de France. La toute-puissance du
roi se nourrit de ces batailles. C’est sous son règne qu’apparut l’expression « Votre Majesté
» jusque-là réservée à l’Empereur. Mais très vite le roi chevalier s’érige, sur le modèle des
mécènes italiens, en grand protecteur des arts et des lettres. Et il est particulièrement
émouvant de découvrir ici l’unique Codex Leicester, l’un des sept ouvrages rédigés par
Léonard avant que François 1er le fit venir en France.

Nous avons la chance extraordinaire de découvrir ces pages de la main de Léonard, où le
génie le plus accompli de la Renaissance médite sur la mystérieuse beauté des éléments,
sur la certitude du rythme éternel de l’eau et de la terre.

Comment ne pas être fasciné par le souffle stimulant d’une création en marche, par le
rayonnement d’un « astre immense » ? Ce n’était pourtant qu’un homme : et l’erreur est
humaine. Le plus grand savant de tous les temps a pu errer puisque, d’après le très beau
catalogue de l’exposition, le Codex, « démontre » que la lune n’a aucune influence sur le
mouvement des marées !

Grâce à Bill Gates, et à René Monory, et sur l’intervention du Président de la République, ce
trésor nous est désormais accessible. Nous pouvons leur en être particulièrement
reconnaissants. Les foules venues du monde entier se presser devant la Joconde nous le
prouvent chaque jour, vous nous le prouvez à votre tour : « il n’y a pas de doute, dans le ciel
de France, le soleil de Léonard ne s’est pas éteint ».

Dans quel autre lieu que Chambord pouvait-on mieux faire passer ce souffle de la
Renaissance, ce souffle d’une Europe de l’esprit qui amena François 1er à recruter dans
l’Europe entière les « lecteurs royaux » qui formeront plus tard le Collège de France ?

Les échanges d’étudiants dans l’Europe d’aujourd’hui sont imprégnés par l’esprit de ce
temps, puisqu’ils sont placés sous le signe de l’un de ses plus prestigieux savants.

Et le programme d’action de l’Union européenne en faveur de la formation professionnelle
porte le nom de Leonardo.

Oui, Chambord, c’est la fusion, de l’art, du monument, de l’histoire et du présent. C’est la
raison pour laquelle Xavier Patier, ancien commissaire, l’appelle le « château absolu ».

Il y a à Chambord un autre aspect du patrimoine, que je tiens à mettre en valeur. Là aussi,
l’héritage de François 1er et de la Renaissance prend un relief très moderne : c’est, sinon la
fusion, en tout cas la rencontre de la culture et de la nature.

Le plus vivant témoignage nous en est donné par ce magnifique parc qui est aussi le plus
grand enclos forestier d’Europe, avec l’équivalent de la superficie de Paris ! C’est aussi,
Monsieur le Maire, au sein de cet ensemble, le patrimoine d’un authentique village, d’une
commune vivante, qui est tout sauf un musée !

C’est encore un patrimoine naturel exceptionnel par sa faune et sa flore, un patrimoine
cynégétique également. Je tiens à remercier pour son partenariat constant avec le domaine,
la Fondation de la maison de la chasse et de la nature, qui s’est associée étroitement à cette
exposition.

Je suis convaincu que cette complémentarité entre le château et le parc prend tout son sens
aujourd’hui, afin que les visiteurs qui viennent ici admirer le patrimoine naturel puissent
également mieux connaître le patrimoine architectural et monumental.

J’y vois une grande fidélité à l’esprit des lieux et à François 1er, puisque Chambord fut
d’abord – faut-il le rappeler – un immense relais de chasse. La chasse était l’activité préférée,
sinon principale, du roi au grand étonnement de vos lointains prédécesseurs, Monsieur
l’Ambassadeur d’Italie. La chasse était alors un privilège. Elle se confondait avec l’exercice
du pouvoir.

La chasse est toujours un art de vivre. Elle apporte aujourd’hui beaucoup à la connaissance
et à la protection de la nature, dont Montaigne disait déjà qu’elle est un « doux guide » –
l’homme n’avait alors pas conscience, pour vivre en harmonie avec elle, de devoir inventer le
« développement durable ». C’est aussi cela qu’il convient de mettre en valeur à Chambord,
pour répondre à la fois à une forte demande et à un besoin profond du public d’aujourd’hui.

C’est cette dynamique, qui permet de fidéliser et de conquérir de nouveaux publics, que je
souhaite mettre en mouvement à Chambord. La création, à partir du 1er janvier prochain
d’un établissement public national nous offrira un outil au service de cet objectif.

Cette structure donnera une cohérence nouvelle à l’exploitation de l’ensemble de Chambord,
l’ensemble exceptionnel du château et du domaine. C’est le projet de loi en cours de
discussion devant le Parlement sur le développement des territoires ruraux qui permettra de
créer ce nouvel établissement public.

Notre patrimoine, et c’est l’une de mes convictions fortes, appartient à tous. Il doit être ouvert
à tous. C’est dans cet esprit que la culture apporte une contribution que je crois déterminante
à la cohésion sociale aujourd’hui. Parmi les moyens utiles, qui sont aussi du ressort de mon
ministère, car je tiens beaucoup aux liens entre culture et communication, il y a l’usage
intelligent des nouvelles technologies.

Et je suis très heureux d’inaugurer ici non seulement cette magnifique exposition mais aussi
cette grande première pour un monument historique existant : l’entière modélisation de ses
volumes, de ses façades, de ses ornements et la restitution de ces données sous forme d’un
film en images de synthèse d’une haute définition.

L’apport du film numérique à la connaissance du château en fait un outil pédagogique et
scientifique sans précédent pour lire en toute clarté son architecture complexe. Je tiens à
remercier l’association des Amis de Chambord et les entreprises mécènes, les laboratoires
Pierre Fabre et la Fondation EDF.

Cette exploration virtuelle ouvrira plus largement Chambord au public. A tous les publics.

Les personnes qui ne peuvent atteindre les terrasses ni parcourir les étages, et parmi elles,
les personnes handicapées, y trouveront des informations essentielles sur le monument. Je
me réjouis que les nouvelles technologies répondent efficacement au désir de connaissance
de chacun, tout en permettant à tous ceux que les langages traditionnels excluent, ou qu’une
mobilité réduite affecte, d’entrer à leur tour dans le monument.

Ainsi, le chantier de l’accessibilité avance, puisque le rez-de-chaussée est maintenant
accessible avec l’ouverture d’une piste de visite. Des véhicules électriques permettent
également enfin l’accès autonome au parc, grâce à l’action déterminée du ministère, et au
soutien du conseil général et de l’association des Amis de Chambord que je tiens à
remercier. Nous pouvons tous nous en féliciter. Il faut nous mobiliser pour continuer cet effort
afin que Chambord, labellisé l’an dernier à l’occasion de l’année européenne des
handicapés, demeure un monument exemplaire de la contribution de la culture à la cohésion
sociale, si nécessaire à notre temps.

André Malraux disait que notre civilisation exprime volontiers ce qu’elle apporte dans le
vocabulaire de celles qui l’ont précédée. En s’ouvrant à tous les publics, Chambord tient
aujourd’hui les promesses de l’humanisme dont il est le symbole.

Je tenais à vous le dire et à vous en remercier.

Hommage national à George Sand à l’occasion du bicentenaire de sa naissance à Nohant

5 juillet 2004

Madame la Ministre,

Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les présidentes et présidents,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis de George Sand et de Nohant,

Oui, comme vient de nous y inviter le Président de la République, nous sommes ici pour
célébrer une naissance et une renaissance.

Celle qui n'était pas encore George Sand naquit il y a deux cents ans, l'année du
couronnement de Napoléon, l'an XII de la République, Amantine, Lucile, Aurore Dupin. Elle
fut autant et peut-être davantage, comme nous le dira tout à l'heure Marcel Bozonnet en
lisant quelques très belles pages de la monumentale Histoire de ma vie, enfant de sa mère,
"une pauvre enfant du vieux pavé de Paris", que de son père, officier des armées de
Napoléon et arrière-petit-fils du roi de Pologne.

"Le 5 juillet 1804, je vins au monde, mon père jouant du violon et ma mère ayant une jolie
robe rose. Ce fut l'affaire d'un instant." Voilà pour la naissance, à la date précise près, sans
doute une erreur de transcription du calendrier révolutionnaire, car c'était plutôt un 1er juillet.

Nous sommes le 3, soit entre le 1er et le 5, une date qui réconcilie l'histoire de l'état civil et la
mémoire de l'écrivain.

"Nous faisons notre propre vie à certains égards ; à d'autres égards nous subissons celle
que nous font les autres". Faire et subir, agir, écrire pour ne pas subir : telle est sans doute la
première leçon de George Sand, issue des circonstances et des héritages de sa naissance.

Une leçon pour toute la vie. Une leçon qui demeure aujourd'hui, pour éclairer la renaissance
de l'écrivain que nous redécouvrons grâce à l'année George Sand, grâce au bicentenaire.

Entendons ici la voix de George Sand : "La Vallée Noire c'était moi-même, c'était le cadre, le
vêtement de ma propre existence".

Aujourd'hui, Nohant, comme Combourg pour Chateaubriand, est devenu un symbole, un
défi, un univers qui reflète de façon intemporelle à la fois l'âme et la vie du Berry et de
George Sand.

Car Nohant est un creuset, de l'héritage, de la vie et de l'oeuvre de celle que nous célébrons
aujourd'hui.

Le fief de Nohant apparaît dans les archives dès le XIIIe siècle. C'est en 1793 que Mme
Dupin de Francueil acquiert cette terre de deux cents hectares, divisée en quatre domaines,
cette maison de maître datant du XVIIIe siècle et une ferme attenante au parc. La jeune
Aurore hérite dès 1821 de cette maison où bien que née à Paris, elle a passé le plus clair de
son enfance. Nohant, c'est cette terre, cette maison, mais aussi tout le village, qui occupe
une place privilégiée dans sa vie. Elle s'y réfugie dans les moments décisifs et s'y installe
après l'échec de la révolution de 1848.

La maison dès lors accueille une grande partie du XIXe siècle des arts, des lettres et de la
politique. Cette même maison que nous connaissons aujourd'hui et qui a subi peu de
modifications extérieures, exception faite des grands baies vitrées ouvertes lors de
l'aménagement de l'atelier de Maurice sous les combles. Maurice, le fils chéri de George
Sand, qui lui ressemblait étrangement et fut tout à tour illustrateur, caricaturiste, peintre,
marionnettiste, historien du théâtre, folkloriste, mais aussi archéologue, entomologiste,
géologue, botaniste, et lui-même romancier et auteur dramatique, toutes activités marquées
de l'empreinte de sa mère qui l'aimait tant.

C'est Aurore, l'une des filles de Maurice, qui légua, à sa mort en 1861, la maison et son parc
à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites.

Niché dans cette partie du Boischaut que l'écrivain a poétiquement baptisé "Vallée noire"
dans Valentine, le village de Nohant est présent dans plusieurs romans, en particulier ceux
que l'on dit "champêtres", auxquels on a longtemps réduit l'oeuvre de George Sand. Réduit
non pas en raison de l'importance mineure de ces oeuvres, mais parce que l'oeuvre immense
de George Sand, pour inspirée qu'elle ait été par la terre, les hommes et les femmes de son
cher Berry, dépasse de beaucoup l'horizon de ce lieu où elle a habité au sens plein de ce
terme, et où elle s'est constamment ressourcée.

Car Nohant c'est avant tout ce havre de paix où elle fuit les tracas et les salons de la capitale
et où ses amis, qui sont nombreux, je vais y revenir, car George Sand avait le culte de
l'amitié, n'hésitaient pas à la rejoindre dans l'après-midi, après avoir pris la Poste à Paris la
veille à huit heures du matin et couché le soir à Orléans dans une auberge.

Aux très riches heures de ses plus brillants succès, elle passe ici des saisons entières, en ne
se rendant à Paris qu'une ou deux fois par an, et toujours le moins possible, pour assister
aux répétitions de ses pièces ou rencontrer ses éditeurs.

Nohant est un lieu de création. Chopin ne compose qu'à Nohant. A Paris, il n'en a pas le
loisir. Les étés qu' il passe ici sont féconds.

Delacroix trouve ici aussi un climat propice à l'inspiration, comme beaucoup d'autres
peintres. Ainsi Lambert, ami de Maurice, arrivé en 1844, pour un mois de vacances à la
campagne est toujours là, dix ans plus tard. Et crée, avec Maurice, et pour la plus grande
joie de George, des villageois et des hôtes de Nohant, le fameux théâtre de marionnettes,
dont la scène, les personnages et les costumes sont conservés ici.

A Nohant, la maîtresse de maison passe ses nuits à travailler ses romans. C'est ici qu'est
née la plus grande part de son oeuvre immense. Ici qu'elle déploie sa fantastique énergie et
sa puissance de travail inégalée sans doute en son siècle, sauf peut-être par Balzac, le
siècle du romantisme, le siècle de la littérature.

Une puissance de travail qui effraie presque. Ainsi Colette : "Comment diable s'arrangeait
George Sand ? Cette robuste ouvrière des lettres trouvait moyen de finir un roman, d'en
commencer un autre dans la même heure. Elle n'en perdait ni un amant, ni une bouffée de
narghilé, sans préjudice d'une Histoire de ma vie en vingt volumes, et j'en tombe
d'étonnement".

Et quelle oeuvre ! Une oeuvre qui fait d'elle incontestablement l'un des plus grands écrivains
de son siècle, injustement méconnue par le siècle suivant et que l'année George Sand nous
invite à redécouvrir et à reconnaître.

Une oeuvre qui fit s' exclamer Victor Hugo : "C'est un bien plus vrai mais plus puissant
philosophe que certains bonshommes plus ou moins fameux du quart d'heure que nous
traversons".

Car George Sand écrit, bien sûr, une oeuvre multiforme : plus de quatre-vingts romans et
nouvelles, et des dizaines de pièces de théâtre, et cette magnifique autobiographie,
L'Histoire de ma vie, et vingt-sept volumes de correspondances publiées. Au total, avec les
contes et les nouvelles, et les plus significatifs parmi ses très nombreux articles critiques et
politiques, on a recensé près de deux cent cinquante titres.

Je tiens à saluer la vitalité de l'édition sandienne, vitalité de longue date, soutenue et
dynamisée par les initiatives et l'intérêt suscités par l'année George Sand.

"J'ai un but, une tâche, disons le mot, une passion. Le métier d'écrire en est une violente et
presque indestructible". C'est ce qu'elle écrit en 1831 à l'un de ses correspondants.

"Le véritable artiste – fait-elle dire à l'acteur Teverino dans le roman éponyme – est celui qui a
le sentiment de la vie, qui jouit de toutes choses, qui obéit à l'inspiration sans la raisonner, et
qui aime tout ce qui est beau sans faire de catégories". Les multiples facettes de son talent
sont telles qu'elles s'affranchissent des frontières entre les genres et les styles. C'est, sans
doute, l'un des aspects les plus puissants de la modernité de George Sand.

Il est vrai que si George Sand écrit, c'est aussi qu'elle vit de sa plume. Il faut comprendre ce
qu’étaient les Journaux et leurs « feuilletons ». Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, George
Sand sont, avec Eugène Sue, les quatre grands feuilletonistes du XIXe siècle. Cela signifie
qu’ils doivent impérativement donner chaque semaine au Journal – qui en a besoin pour
survivre – de la copie.

Nous connaissons les « plumes » d’Honoré de Balzac (je cite au passage le premier amant
avoué de George Sand, Jules Sandeau, puisqu’ils s’aimèrent suffisamment pour qu’elle
partage son nom), d’Alexandre Dumas, d’Eugène Sue. Il n’est pas certain que son public,
chez Buloz, sût réellement qu’elle était une femme. Faubourg Saint-Germain, en revanche,
cela était connu. Mais cela n’était pas le Paris de Sand, ni celui de ses lecteurs. Elle vit bien
sur la rive gauche, mais c’est en 1832, donc à l’apogée du romantisme qu’elle reprend
l’appartement du 19, quai Malaquais que son « patron » Latouche lui abandonne. Ce sera le
célèbre salon bleu… passage obligé de tous les romantiques.

Nous savons tous aujourd’hui, grâce à Georges Lubin, son très fidèle biographe, dont nous
fêtons également le centième anniversaire de la naissance à Ardentes, quel auteur prolifique
elle fut.

Beaucoup de ses romans, il faut le reconnaître, sont sans doute assez difficiles à lire de nos
jours. Pourtant, elle y a mis toujours une grande part d’elle-même. Valentine, Lélia et
Consuelo, c’est elle. Mais aussi Edmée de Mauprat ou Thérèse Jacques. Elle trouva en elle
une grande part de son inspiration, comme tous les romantiques et c’est pourquoi,
paradoxalement elle s’entendit si bien avec Gustave Flaubert, son frère en littérature, l'un de
ses épistoliers favoris, lui qui s'écria : "Madame Bovary, c'est moi !"

Sans doute put-elle exprimer dans ses romans ce qu’elle ne pouvait pas avouer au public
des journaux qui lui allouaient sa subsistance.

D'Indiana à Nanon, en passant par Consuelo, c'est moins en termes de revendication que
d'affirmation que George Sand met en scène la liberté des femmes à disposer d'elles-mêmes
et à s'imposer, à l'égal des hommes, sur la scène publique comme dans la sphère privée.

Que ce soit dans le domaine des arts, des sciences ou de la politique, les héroïnes
sandiennes prennent leur place dans l'Histoire.

Car c'est oeuvre d'historienne que fait aussi George Sand. Arrivée dans un monde
bouleversé par la Révolution française, c'est à partir de cet événement charnière qu'elle
étudie et met en scène, dans ses plus grands romans, l'histoire des peuples, l'histoire des
religions, l'histoire de la pensée : une histoire en mouvement qu'elle s'attache à décrire pour
la comprendre et pour agir ainsi sur l'histoire en devenir.

Historienne, elle est aussi paysagiste, géographe, ethnologue, anthropologue, et surtout,
dans toute son oeuvre, poète, au sens où elle l'entend elle-même dans l'une de ses oeuvres
qui me paraît parmi les plus actuelles, les plus en résonance avec notre temps, les très
belles Lettres d'un voyageur : "Le poète aime le bien ; il a un sens particulier, c'est le sens du
beau. Quand ce développement de la faculté de voir, de comprendre et d'admirer ne
s'applique qu'aux objets extérieurs, on n'est qu'un artiste ; quand l'intelligence va au-delà du
sens pittoresque, quand l'âme a des yeux comme le corps, quand elle sonde les profondeurs
du monde idéal, la réunion des deux facultés fait le poète ; pour être vraiment poète, il faut
donc être à la fois artiste et philosophe.

C'est là une magnifique combinaison organique pour atteindre à un bonheur contemplatif et
solitaire."

Le Président de la République a rappelé dans son message l'actualité des valeurs qui
traversent l'oeuvre et la vie de George Sand, des valeurs qui rayonnent et nous éclairent
encore aujourd'hui.

Parmi celles-ci, il en est une qui me tient particulièrement à coeur, c'est l'éducation,
l'éducation des filles et des garçons, des femmes et des hommes, quelles que soient leurs
conditions. Ainsi écrit-elle dans Mauprat, roman de cape et d'épée qui se situe dans le Berry
des châteaux-forts, mais aussi roman d'éducation qui voit triompher l'amour persévérant :
"L'éducation peut et doit trouver remède à tout ; là est le grand problème à résoudre, c'est de
trouver l'éducation qui convient à chaque être particulier."

Quant aux romans "champêtres", il faut les relire pour se rendre compte qu'ils contiennent
bien plus que d'aimables historiettes pour la littérature enfantine. Ils sont eux aussi, porteurs
de valeurs. Ainsi, La Mare au diable s'ouvre sur la description d'un tableau de Holbein en
proposant un véritable manifeste pour l'art, qui situe d'une façon que je crois également très
actuelle le projet de George Sand :
"Nous croyons que la mission de l'art est une mission de sentiments et d'amour, que le
roman d'aujourd'hui devrait remplacer la parabole et l'apologue des temps naïfs, et que
l'artiste a une tâche plus large et plus poétique (…). Son but devrait être de faire aimer les
objets de sa sollicitude, et, au besoin, je ne lui ferais pas reproche de les embellir un peu.

L'art n'est pas une étude de la réalité positive ; c'est une recherche de la vérité idéale."

Cette vérité, George Sand l'a cherchée tout au long de sa vie et de son oeuvre. Elle prend
tout son sens aujourd'hui, même si cet idéalisme fut critiqué, ô combien, par certains des
plus illustres de ses contemporains : les jugements de Zola, Baudelaire, Barbey d'Aurevilly,
entre autres, furent parfois très cruels, il est vrai compensés, en quelque sorte, par tous ceux
qui prirent sa défense, avec Dumas fils, Taine, Renan, mais aussi Flaubert.

Parmi les pans de son oeuvre les plus oubliés sur lesquels ce bicentenaire permet, depuis
Nohant, lieu de leur conception, de jeter une lumière nouvelle, il y a ces pièces de théâtre,
drames ou comédies, qui furent jouées sur les scènes parisiennes entre 1840 et 1870. Et
dont certaines connurent un véritable triomphe.

Le théâtre a tenu dans la vie de George Sand une très grande place. Son premier essai,
porté à la scène, fut un échec (Cosima) mais François Le Champi, tiré du roman du même
nom un succès éclatant. A l’époque de François Le Champi (1849) le public était saturé des
outrances du théâtre romantique et des scènes du « boulevard du crime ». Le grand succès
de George Sand fut Le marquis de Villemer (1864) qu’Alexandre Dumas fils l’aida à boucler.

Les « ficelles » du théâtre, il les connaissait encore mieux qu’elle… et il l’aimait d’amour filial.

L’intérêt constant de George Sand pour le théâtre s’exprime aussi bien dans les expériences
de Comedia dell’arte faites sous son impulsion et celle de Frédéric Chopin que dans son
abondante correspondance avec les metteurs en scène de l’époque (Bocage, Montigny) et
surtout dans les nombreux romans où elle met en scène des acteurs, dont Consuelo. Je
tiens à dire ici que les conceptions qu’elle expose sur l’art dramatique sont très en avance
sur les idées de son temps.

Ainsi, en 1851, dans Claudie, pièce très largement censurée comme on peut le voir
aujourd’hui sur le procès verbal de censure conservé aux Archives nationales, il était très
courageux de porter à la scène la réhabilitation de ce que l'on appelait à l'époque, et encore
longtemps après, une "fille-mère".

Vous connaissez les combats de George Sand, pour faire vivre les valeurs républicaines de
liberté, d'égalité et de fraternité. Des valeurs universelles pour des oeuvres universelles.

Son influence marqua les écrivains du monde entier. De la Russie (pour Dostoievski, qui
s'inspira de Spiridion pour Les Frères Karamazov) aux Amériques (avec par exemple Henry
James).

Son rayonnement s'étend aujourd'hui, comme en témoignent les nombreuses manifestations
accueillies tout au long de cette année au Japon, au Brésil, au Congo (RDC), dont je suis
heureux de saluer la Ministre de la culture, mais aussi en Suède et en Chine (où de
nombreux ouvrages de Sand sont traduits, l'un de ses textes figurant au programme des
collèges chinois). J'ouvrirai lundi l'année de la France en Chine et je suis très heureux que
dans ce cadre un important colloque sandien se tienne à Canton au mois d'août.

Ce qui me paraît expliquer avant tout la résonance universelle de l'oeuvre de George Sand,
c'est qu'elle y a mis tout son talent, toute la force de sa plume, toute son énergie, au service
d’une grande cause qui recoupe toutes les autres et qui demeure, ici et maintenant et dans
le monde entier, un moteur de l'action : la lutte contre les injustices.

C’est sans doute, au fond pour cela que nous l’aimons tant aujourd’hui, que nous lisons avec
tant de plaisir ses meilleures pages, et surtout, je tiens à le dire, pour conclure, ses lettres,
ses magnifiques lettres. Oui, c’est cette grande cause qui, au fond, nous rassemble ici à
Nohant.

George Sand est un écrivain majeur jusque, et je serais tenté de dire surtout, dans ses
Lettres d'une vie, adressées à plus de deux mille correspondants où défilent tous les
sentiments, toute la complexité de l'âme humaine, et toute l'histoire du XIXe siècle. Une
correspondance d'une exceptionnelle qualité littéraire, qui demeurent un hymne à la création,
à la richesse et à la diversité de la création. Un hymne qui est une source d'inspiration
permanente pour nous tous.

Et c'est sur un seul bref passage de l'une de ses lettres que je veux conclure cet hommage
et vous inviter à mon tour, à la fête, à la musique qu'elle aimait tant, dans ce lieu où elle
écrivit ces mots magnifiques :
"Vous savez si je respecte et si je défends le passé ; mais je crois être dans la vérité en
constatant que le présent diffère essentiellement, et qu'il ne nous faut rien recommencer,
rien copier, mais tout inventer et tout créer." (Lettre à Armand Barbès, 14 mars 1849).

Je vous remercie.