Rubrique ‘Discours 2006’

Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre national de la Legion d’Honneur à Wong Kar-Wai

22 mai 2006

Cher Wong Kar Wai,

Je suis très heureux et très fier de vous rendre aujourd’hui l’hommage
solennel de la France, au coeur de ce festival qui vous a plusieurs fois
témoigné la reconnaissance et l’admiration de la grande famille du
septième art, en présentant et en récompensant vos oeuvres, et qui vous
a désigné cette année comme Président du jury, le premier issu de cette
immense patrie des arts, des lettres, de culture et de cinéma, la Chine.

Votre génie a traversé les frontières et les mers, pour illuminer les
écrans du monde entier, des couleurs, des parfums, des sons et des
émotions de Hong Kong, cette cité qui vous captive depuis que vous y
êtes arrivé, avec vos parents, en provenance de Shanghaï, à l’âge de
cinq ans, et qui nous fascine, depuis que vous distillez ses déceptions,
ses détresses, ses amours et ses espoirs, pour nous en offrir la
quintessence, dans des tableaux somptueux, où la perfection formelle
n’a d’égale que la subtilité des sentiments de vos personnages.

« Le cinéma, disait Cocteau, c’est l’écriture moderne dont l’encre est la
lumière. » Vous avez inventé un nouveau cinéma, un nouveau langage,
une nouvelle écriture, d’encre et de lumière, qui ont bouleversé les
sensations du public et ont éclairé le chemin de toute une génération de
cinéastes.

Oui, au commencement était bien l’écriture de cette baie parfumée, où
vous avez grandi, bercé par la passion de votre mère, le cinéma. Enfant,
puis adolescent, vous vous imprégnez de l’ambiance des salles de
Kowloon et des images venues du monde entier.

Vous vous lancez, après le lycée, dans des études supérieures d’arts
plastiques et graphiques, tout en vous passionnant pour la photographie,
et notamment pour les travaux de Robert Frank, Henri Cartier-Bresson
et Richard Avedon. Cette fascination première pour la beauté et la force
de l’image fixe est sans doute l’une des clés de l’univers si particulier, du
style reconnaissable entre tous, qui transparaît à travers chacune de vos
oeuvres très singulières. Un style qui doit également beaucoup, vous
n’avez jamais cessé de le rappeler, à votre complice de toujours, le chef
opérateur Christopher Doyle, lui aussi passionné de photographie.

Après avoir obtenu votre diplôme en conception graphique, vous entrez
comme assistant de production à la chaîne Hong Kong Television
Broadcasts. Vous vous lancez alors dans l’écriture de scénarios pour
des téléfilms et des séries télévisées. Votre talent narratif, la justesse et
la précision de votre plume, vous propulsent dans l’équipe très convoitée
du scénariste Barry Wong, qui vous ouvre les portes du septième art.

Dès lors, votre oeuvre illustrera cette conviction que vous aviez exprimée
ici même, en donnant une magistrale leçon de cinéma, en 2001 :
« chaque film a sa part de chance ». Chacun de vos films porte aussi la
marque de votre génie.

Vous commencez par écrire des scénarios d’une très grande diversité.
Vous collaborez au film The Final Victory, du réalisateur Patrick Tam, qui
est aussi votre ami. Convaincu de votre grande valeur, il produira en 1988
votre premier long métrage en tant que réalisateur, As tears go by, dont la
traduction exacte du titre original est La Carmen de Mongkok, avec
notamment Andy Lau, Maggie Cheung et Jacky Cheung. Fortement
inspiré par le chef d’oeuvre Mean Streets de Martin Scorsese, et par vos
observations de ces quartiers que l’on dit jaunes – en chinois – , dont vous
montrez mieux que personne la désespérance et l’énergie des vies
étriquées qui s’y affrontent.

Deux ans plus tard, vous réunissez les jeunes espoirs du cinéma,
notamment Maggie Cheung et Leslie Cheung, pour votre deuxième film :
toujours inspiré de ces personnages que vous avez observés, de cette
génération désenchantée, Nos années sauvages, dresse le portrait d’un
beau jeune homme en quête d’identité, pris dans un étrange chassécroisé
amoureux. L’élégance de la mise en scène, la sobriété des
mouvements de caméra, la beauté des images et des couleurs,
l’originalité, la modernité de ce style langoureux et contemplatif qui
marqueront désormais votre virtuosité, envoûtent les critiques
internationaux et vous valent cinq prix au Hong Kong Films Awards.

En 1994, vous vous lancez dans le cinéma de genre, en réalisant un film
de sabre et de chevalerie, comme l’on dit en Chinois, Les Cendres du
Temps, adapté d’un roman de Louis Cha – que j’ai eu la joie de distinguer
à Hong Kong, en octobre 2004, en lui remettant les insignes de
Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Toujours aux côtés de celle qui est devenue votre égérie, Maggie Cheung
[Djeung], et de Leslie Cheung, votre distribution prestigieuse réunit entre
autres Brigitte Lin [Line], Tony Leung et Jacky Cheung pour ce chef
d’oeuvre ambitieux qui s’inscrit dans la plus grande tradition du cinéma
chinois. Nouveau chassé-croisé amoureux et destructeur, rythmé de
scènes de combat à la beauté saisissante de précision et de perfection,
Les Cendres du temps est encore une fois totalement atypique, et
résolument novateur.

C’est pendant son tournage, et même pour en parfaire le financement,
que vous réalisez Chungking Express, qui entremêle de nouveaux destins
ordinaires et mystérieux, dans une danse improvisée au fil des scènes,
que vous chorégraphiez de main de maître. Vous en écrivez le scénario
au fur et à mesure, en vous nourrissant du travail des acteurs que vous
inspirez au fil de la création. Cette oeuvre, tournée et montée en un temps
record, devient aussitôt un film culte, qui touche toute une génération,
jusqu’en Occident.

Un Occident qui vous découvre plus sombre, dans Les Anges déchus, film
que vous écrivez et réalisez en 1995. Vos personnages, noctambules
excentriques, écorchés vifs, enfermés dans la solitude de leurs
monologues et de leurs rêves, se frôlent, sans se rencontrer, mais en nous faisant partager leurs visions mélancoliques et ironiques de leurs
vies habitées du souvenir des êtres aimés.

Vos trois derniers films ont été en compétition ici même, à Cannes.

Happy
together, tout d’abord, road-movie pionnier, pudique et sans tabou de
deux amants qui fuient Hong-Kong pour recommencer à zéro à Buenos
Aires, remporte le prix de la mise en scène en 1997.

Le nouveau millénaire sera celui d’In the Mood for love, bijou d’élégance
et de grâce qui ensorcelle la critique et le public, au rythme syncopé des
valses lentes et des mambos qui ponctuent les mouvements subtils de la
délicate Maggie Cheung. Le raffinement de votre mise en scène, la
finesse des mouvements de votre caméra et la pudeur de vos
personnages, répandent un parfum subtil et enivrant. Le temps est
comme suspendu aux lèvres de ces deux âmes délaissées, qui s’essaient
à forcer le destin. Pour vous, « un film est une danse avec le public. »

Une
danse intemporelle, sur cette partition des sentiments humains, que vous
jouez en virtuose avec une infinité de variations.

Avec l’épopée 2046, vous emportez votre public dans un feu d’artifices
d’images et de sons, pour ce conte extraordinaire mêlant le graphisme
futuriste et l’anticipation, aux images d’archives du Hong Kong des
années soixante, véritable décor de la vie de l’écrivain qui les imagine
(magistralement interprété, une fois de plus, par Tony Leung). Un écrivain
perdu dans la concordance des temps du souvenir, du réel et de l’utopie,
et qui voit défiler, dans la chambre voisine, comme dans son imagination,
les jeunes femmes – et quelles jeunes femmes ! Maggie Cheung [Djeung],
Faye Wong, Gong Li et Zhang Ziyi [Djang Dzeu Yi]– tour à tour muses,
fantômes et fantasmes qui hantent son esprit.

Après ce chef d’oeuvre de maîtrise formelle, votre public attend avec
impatience, et dévotion, votre prochaine danse.

« Quand on se croise, un millimètre nous sépare », constate l’un des
personnages de Chungking Express. Vous nous fascinez par les
rencontres, les solitudes, les proximités, les occasions manquées, qui, au
sein du labyrinthe des raisons et des passions, des chants et des
silences, façonnent les destins parallèles de vos personnages
romantiques et désenchantés, en rythmant leurs vies humaines et en
dessinant une vision du monde.

Cher Wong Kar-Wai, au nom du Président de la République et des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous remettons les insignes de
chevalier de la Légion d’honneur.

Présentation du bilan annuel du Centre national de la cinématographie

22 mai 2006

Madame la Directrice générale,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

C’est toujours une joie pour moi de célébrer avec vous cette fête
mondiale du cinéma que la France a l’honneur d’offrir à toutes les
nations, en hommage à la création cinématographique dans sa
multitude.

Je voudrais, cette année encore, rendre hommage au travail de Gilles
Jacob, président du Festival de Cannes, et de Thierry Frémeaux, pour la
qualité de leur travail, leur infinie curiosité dans la recherche des films et
leur esprit d’ouverture et souhaiter la bienvenue à Catherine DEMIER,
qui a rejoint l’équipe et dont c’est le premier « Cannes ». Un grand bravo
aussi à Olivier Père et Jean-Christophe Bergeon pour leurs intelligentes
et éclectiques sélections, tant à la Quinzaine des réalisateurs qu’à la
Semaine de la critique.

Je voudrais enfin remercier Véronique Cayla, que l’an dernier je félicitais
encore pour avoir oeuvré à la réussite du Festival, et qui nous accueille
aujourd’hui pour cette présentation du bilan annuel du cinéma français
réalisé par le Centre National de la Cinématographique que vous dirigez,
avec talent et passion, chère Véronique, depuis un peu moins d’un an
maintenant.

Le festival de Cannes est le grand rendez-vous des cinémas du monde
et le carrefour de la diversité culturelle. S’il y avait une illustration
concrète à donner de la nécessité d’un instrument tel que la Convention
sur la protection de la promotion de la diversité des expressions
culturelles de l’Unesco, adoptée par 148 pays en octobre dernier, elle
est ici. Grâce à cette victoire politique, le Festival de Cannes continuera
de montrer des cinématographies de tous horizons, s’exprimant en toute
liberté. Je pense notamment au développement des cinématographies
riches, complexes et fragiles des pays les moins développés, en
particulier les pays du Sud. A Bruxelles, il y a quelques jours, avec mes
collègues ministres européens de la culture, nous avons lancé le
processus de ratification de cette convention par l’Union européenne.

L’enjeu est essentiel.

Je suis heureux de pouvoir ce matin faire comme chaque année un point
pour souligner les réussites que nous partageons, sans méconnaître et
sans sous-estimer les questions qui demeurent à régler, ni les défis
inédits que les nouvelles technologies et l’arrivée de nouveaux acteurs
de la télécommunication induisent.

Parce qu’il s’agit d’un autre élément clef pour garantir l’avenir de la
diversité culturelle, je tiens à vous informer de l’état du débat sur le projet
de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de
l’information, et croyez-moi, je le ferai sans aucune autosatisfaction, mais
avec beaucoup de détermination et de conviction.

D’où venons-nous ? Nous sommes partis d’une situation d’impunité de fait
! Malgré la médiatisation de quelques cas qui frappèrent l’opinion, la loi
n’était pas appliquée. Et, vous le savez mieux que personne, la tentation
était forte pour beaucoup, soit de laisser perdurer une telle situation,
chaotique, soit de transposer a minima une directive qui aurait dû l’être
depuis longtemps et qui n’aurait pas été adaptée à la situation actuelle,
soit d’instaurer un système de licence globale, qui aurait conduit à
l’impossibilité de protéger les oeuvres et à un sous-financement du
cinéma. Le combat contre ce qu’il faut bien appeler une démarche
démagogique, sans conscience des enjeux pour la création, nous l’avons
mené ensemble. Il est en passe d’être gagné !

Je voudrais faire mesurer le chemin que nous avons parcouru ensemble :
le débat a changé de nature, hier il était celui de l’inconscience et de
l’impunité, il est aujourd’hui celui de l’effectivité des sanctions encourues,
et c’est en soi un progrès. Ce n’est pas un renoncement. Ce texte a été
l’occasion d’un débat public sur le droit d’auteur à l’ère numérique, débat
qui a eu lieu pour la première fois à l’échelle nationale. Nous avons gagné
un combat du droit d’auteur contre la licence globale, et je serai toujours à
vos côtés quand il s’agira de défendre le droit d’auteur contre des utopies
démagogiques qui menacent en fait la création.

Je sais que vous êtes déçus de n’avoir pas vu certaines dispositions être
adoptées par le Parlement. Toutefois cette situation ne doit pas dissimuler
ce que sont en l’état les acquis réels du texte : une opinion publique
désormais informée, grâce à un long débat et des sanctions
proportionnées et adaptées aux faits, de façon à ce qu’elles soient
applicables. Au premier chef, la responsabilité pénale et civile des
éditeurs de logiciels, ensuite les sanctions délictuelles pour ceux qui
contournent et incitent à contourner les mesures techniques de protection.

S’agissant des internautes, je veux souligner l’importance, notamment
pédagogique, que revêt à mes yeux la reconnaissance du principe de la
responsabilité de l’abonné. C’était à juste titre une de vos propositions.

Elle a pu être reprise et je suis de l’avoir fait adopter par le Sénat.

Dans le travail commun que nous avons mené, vous avez souhaité, et je
vous ai suivi, que demeure du domaine de la contrefaçon la mise à
disposition illégale au public des oeuvres non associées au
téléchargement. Cette revendication est légitime. Je l’ai reprise à mon
compte et c’est ainsi que le texte le prévoit. Il n’y a pas d’amoindrissement
de la faute, selon que l’on est dans l’acte matériel ou immatériel de
contrefaçon.

S’agissant des autres sanctions visant les internautes, je tiens à souligner
que les contraventions ne concernent que les téléchargements et les
mises à disposition associées automatiquement à ces téléchargements, et
pour des fins personnelles.

Comme vous, je crois que l’efficacité du système doit être renforcée : l’internaute qui effectue de manière massive
des mises à disposition d’oeuvres sera plus sévèrement sanctionné. J’ai
repris à mon compte cette proposition. Le projet de décret en cours
d’élaboration prévoit désormais une contravention de 4ème classe, à partir
d’un seuil dont je souhaite discuter avec vous pour qu’il soit pertinent. Je
veux vous associer étroitement autant à l’élaboration du texte qu’à son
suivi, et je vais réunir dans les jours prochains un groupe de suivi avec les
professionnels qui seront désignés.

Car, et c’est une préoccupation que je
partage avec vous, l’effectivité des sanctions ne va pas de soi. J’ai saisi, il
y a une semaine, le Garde des Sceaux de ce point précis. Je lui ai
également demandé de désigner un magistrat qui devra faire des
propositions rapides et notamment concernant le délit d’habitude. Cette
efficacité dépendra aussi et surtout des moyens mis en place. J’ai saisi de
ce point le ministre de l’intérieur et le ministre du budget. Et j’ai mis en
place un comité de lutte contre la contrefaçon numérique. Aujourd’hui, ce
qui compte avant tout, c’est d’agir pour assurer l’avenir du cinéma
français. La loi qui sera votée créera les conditions pour que se
développent des offres légales de films, qui seront attractives, sécurisées,
de qualité et diversifiées.

Je suis profondément convaincu que le cinéma français, sa santé, son
dynamisme, son ouverture, sont des exemples qui confortent et
encouragent les créateurs de tous les pays à poursuivre leur propre élan.

J’en veux pour première preuve le fabuleux dynamisme de la production
cinématographique, qui a connu l’année dernière un nouveau record, avec
240 films agréés, dont 187 d’initiative française.

Je voudrais souligner qu’en 2005, sur ces 240 films français agréés par le
CNC, près de la moitié sont des coproductions internationales avec un ou
plusieurs pays partenaires. Et la France s’est engagée financièrement
dans plus de cinquante films d’initiative étrangère.

Ces chiffres attestent de la vitalité de notre production, de la qualité des
relations entretenues par les producteurs français avec leurs homologues
étrangers pour le cofinancement des oeuvres, ainsi que de l’ouverture de
notre système. C’est un gage de diversité, de financements, de talents, et
de succès au-delà de nos frontières. Je ne ferai jamais partie de ceux qui
disent qu’il y a trop de films aujourd’hui en France.

Toutefois la production française doit être équilibrée, diversifiée, bien
financée, et c’est cette diversité qui permet l’émergence de nouveaux
talents. Tous les films produits doivent avoir une chance d’être vus par
leur public. Or certains films rencontrent des difficultés à trouver une réelle
exposition. Je suis convaincu qu’il faut laisser aux oeuvres
cinématographiques le temps qu’il faut pour conquérir leurs spectateurs.

Les modes d’exploitation ultérieurs du cinéma n’auraient pas la même
valeur sans cette étape fondatrice de la rencontre avec le public qu’est la
salle. Je veux le redire, à l’heure de la multiplicité des chaînes de
télévision et de l’essor d’Internet.

L’ouverture de la production française à l’international s’est faite de
manière complémentaire au développement de l’emploi culturel, et c’est
pour moi un point capital, puisque nous avons contribué à renforcer l’attractivité de notre territoire, par deux mesures essentielles qui portent
déjà leurs fruits.

Le développement des aides régionales à la production, tout d’abord, à
travers une nouvelle génération de conventions de développement
cinématographique et audiovisuel tripartites.

Ensuite le crédit d’impôt cinéma, dans sa version adoptée en 2005, a non
seulement permis de renforcer le financement de la production en France,
puisque 117 films en ont bénéficié en 2005, mais il a également eu des
effets très importants sur l’emploi, puisque plus de 2000 emplois ont été
créés. Je relève que ce mécanisme fiscal n’a en rien ralenti, comme
certains le redoutaient, le dynamisme de coproductions que je viens de
rappeler.

Dans le même but de rendre notre territoire attractif, et d’encourager les
tournages en France pour développer l’emploi dans le secteur du cinéma,
j’ai tenu, vous le savez, à renforcer le rôle de la Commission du film,
chargée désormais de faciliter l’accueil des tournages sur notre territoire.

Parce que notre patrimoine exceptionnel, nos monuments, sont bien plus
que des décors, parce qu’ils donnent véritablement une âme aux films, je
souhaite que les professionnels du cinéma en poussent davantage les
portes, pour leur faire vivre, et nous faire vivre, de fabuleuses histoires.

Dès mon arrivée au ministère, j’ai entrepris des démarches de
notifications auprès de la Commission Européenne de l’ensemble des
aides au cinéma et à l’audiovisuel. J’ai voulu un profond changement de
méthode avec la Commission Européenne, car j’étais persuadé que la
démonstration pouvait être faite de la compatibilité de l’ensemble des
aides françaises avec la législation communautaire. C’est chose faite
aujourd’hui. J’étais et je demeure convaincu que notre système, du
compte de soutien aux dispositifs fiscaux tels que le crédit d’impôt, ou
encore les Soficas, en passant par les nombreuses aides sélectives, telles
que les aides à l’exploitation, est le garant de la vitalité et de la richesse
de notre cinéma, il devait être reconnu et validé au niveau européen.

Vous
l’avez très justement rappelé, chère Véronique Cayla, l’ensemble de notre
système, c’est une grande première et un événement majeur, est stabilisé
et sécurisé jusqu’en 2011. Et le secteur de l’audiovisuel et du cinéma est,
bien que fragile, un secteur économique important, évalué à environ
8 milliards 600 millions d’euros en 2005.

La réforme du dispositif des Soficas, en 2005, a renforcé les obligations
d’investissement dans la production indépendante, et modernisé le
système en rendant la répartition plus transparente. Leur enveloppe a
ainsi été augmentée pour la première fois depuis des dizaines d’années.

C’est un geste fort des pouvoirs publics en faveur de la diversité culturelle,
et je serai particulièrement vigilant sur les effets de cette réforme et sur
l’articulation du dispositif des SOFICA avec les réformes fiscales en cours.

Le rôle des pouvoirs publics, mon rôle, c’est de permettre aux oeuvres les
plus diverses de trouver leur chemin du scénario à la salle, c’est de
soutenir la production indépendante et les talents nouveaux.

A ce stade, je souhaite dire un mot du court métrage. Le format court est
un genre à part entière, et un formidable creuset des esthétiques futures.

Nous devions donner les moyens à ces talents émergents de s’accomplir, et de rencontrer un public. C’est la raison d’être du plan d’action que j’ai
voulu pour ce genre essentiel à la création.

Il serait absurde d’opposer les différents modes d’accès aux films : car il
est plus important de considérer qu’ils se complètent, et de tirer le meilleur
profit de cette complémentarité. C’est pourquoi il nous revient maintenant
d’adapter notre système d’aide, qui a si bien fait ses preuves au fil des
années, à ces nouvelles formes de diffusion ou d’accès aux films que sont
le cinéma à la demande ou la télévision sur mobile, en faisant contribuer
ces nouveaux supports de diffusion au compte de soutien, qui a besoin
aujourd’hui, en raison de son succès, d’un vrai relais de croissance et en
veillant à la complémentarité nécessaire de ces nouveaux modes de
diffusion.

L’extension de l’assiette du compte de soutien au SMS et au
parrainage est une bonne chose. Le COSIP ne sera pas le laissé pour
compte des nouveaux médias. C’est la raison pour laquelle j’ai défendu à
Bruxelles l’extension aux services non linéaires des obligations qui
s’appliquent aux services classiques. C’est essentiel. Et c’est la raison
pour laquelle je veux ici saluer l’accord sur la VOD que vous avez signé le
20 décembre 2005 rue de Valois avec les fournisseurs d’accès à Internet.

Il sera un élément du dynamisme de la création d’avenir. Il faut désormais
que cet accord vive et s’incarne. Je sais que je peux compter sur vous
pour mobiliser les publics. Vous, comme moi, avons fait oeuvre utile.
J’en viens maintenant à un problème essentiel : il ne faut pas que les
stratégies des grands opérateurs bouleversent les équilibres
soigneusement construits au fil des années.

Ainsi, je serai très vigilant
quant à l’évaluation des conséquences de l’opération de fusion
Canal+/TPS, soumise à l’autorisation des pouvoirs publics et sur laquelle
le CSA et le Conseil de la concurrence sont actuellement chargés de
mener une expertise et de formuler un avis. Car le rôle de la télévision
payante dans le financement du cinéma est devenu essentiel, et les
chaînes thématiques de cinéma contribuent aujourd’hui efficacement tant
à la diversité de la production, qu’à la diversité de l’offre de films
programmés sur le petit écran. S’il convient, bien sûr, de s’assurer que le
projet de fusion respecte le droit de la concurrence et les intérêts du
consommateur, mais au-delà et j’insiste sur ce point, je me dois de veiller
à ce que la spécificité des oeuvres et des films soit bien prise en
considération.

Ce principe fondateur de la politique culturelle française
que nous avons réussi à faire partager par l’Unesco et par la Commission
Européenne, nous devons bien sûr nous l’appliquer à nous même.
D’une manière plus générale, il est clair que ces prochaines années
doivent, pour l’ensemble des professionnels du cinéma et les pouvoirs
publics, mobiliser toutes nos énergies, ainsi que notre capacité de
réflexion, sur les perspectives de numérisation à terme de l’ensemble de
la filière cinématographique.

Ce changement de technologie a commencé de provoquer un
bouleversement radical des conditions artistiques, culturelles, sociales et
économiques de fonctionnement de l’industrie du cinéma. L’arrivée de
nouveaux acteurs de la télécommunication ne doit pas déstabiliser
l’équilibre économique général et au contraire doit profiter à la création
cinématographique. C’est un principe fondateur.

C’est la raison pour
laquelle dans le texte du projet de loi qui vous a été transmis pour consultation sur la haute définition et la télévision mobile, le fait d’être déjà
diffusé en hertzien terrestre sera un critère très important du choix opéré
par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.

Notre objectif premier est la
défense de la diversité culturelle. La technique ne doit pas imposer ses
lois, ni ses impératifs, qui dans tous les cas doivent être maîtrisés et
adaptés à nos exigences communes. La numérisation des contenus est
un formidable moyen au service de la diffusion de la culture, elle ne doit
en aucun cas la mettre en péril mais au contraire participer à son
développement. Et quels contenus plus beaux et plus divers que les films
de cinéma ?

C’est dans cet esprit que Daniel Goudineau a été chargé par Véronique
Cayla d’une mission sur les modèles économiques qui permettront à
terme le déploiement du cinéma numérique dans les salles, tout en
respectant la diversité et la spécificité du parc français. Il doit bientôt
remettre son rapport.

J’y serai particulièrement attentif, de même que j’attends beaucoup des
travaux du Groupe d’analyses stratégique des industries culturelles que
j’ai mis en place il y a quelques mois, pour contribuer à l’évaluation de
l’impact des nouvelles technologies sur le positionnement et les stratégies
de développement des industries culturelles.

Enfin, le Président de la République a lancé il y a quelques jours, le
« Comité stratégique pour le numérique » dont l’un des objectifs majeurs
est de maîtriser la convergence des contenus, des réseaux et des
opérateurs (de l’audiovisuel, des télécommunications et de l’Internet). Là
aussi, les enjeux culturels sont au premier rang, et il convient qu’une
attention particulière soit portée, dans les travaux de ce comité, à la
spécificité du cinéma. En tant que membre de droit du comité, j’y veillerai
personnellement.

La régulation nouvelle qui pourrait à terme résulter de la convergence doit
se faire au bénéfice des contenus. C’est un enjeu de pluralisme, vital pour
la création.

Mesdames et Messieurs, je suis heureux et fier de pouvoir rendre
hommage à la vitalité et à la santé du cinéma français. Cet hommage
s’adresse à vous, créateurs, artistes, techniciens et professionnels, qui
êtes à l’origine de ces succès et je ne méconnais aucun des métiers qui
contribuent à la création d’un film.

Je suis fier de votre force, je suis fier de notre capacité commune à
surmonter les difficultés présentes et à venir. Ce n’est que si nous ne
renonçons pas, que si nous sommes unis autour des mêmes causes que
nous les surmonterons. Je suis aussi conscient des fragilités permanentes
de ce secteur, et bien décidé à l’aider à affronter les révolutions
technologiques qui l’attendent.

Il faut le faire en étant fidèle aux principes
fondateurs d’une politique du cinéma patiemment construite et
constamment renouvelée en France depuis soixante ans, dont la force et
l’intelligence est de considérer le cinéma, certes comme un art et une
technique, mais aussi de laisser prospérer en lui cette part de mystère et
de magie, si chère à chacun de nous !

Je vous remercie.

Inauguration du centre culturel André Malraux – Château des Baumettes

20 mai 2006

Monsieur le Ministre, Cher Christian Estrosi,

Monsieur le Député,

Monsieur le Maire,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d'inaugurer aujourd'hui à vos côtés le Centre culturel André Malraux,
dans cette Cité chargée d'histoire et de culture, où l'environnement naturel et culturel font
partie intégrante de la qualité de la vie.

Si ces murs pouvaient parler, ils nous conteraient sans doute les riches heures du début du
siècle dernier, qui peuplaient, l'hiver, le château des Baumettes de leurs discussions
philosophiques, de leurs débats artistiques, mais aussi de notes de musique interprétées
avec brio et de vers déclamés avec fougue. La villa toute entière résonne encore des échos
de ces salons brillants, de ces réceptions somptueuses, où l'art et l'esprit occupaient la place
d'honneur.

Lieu de vie, lieu de rencontres, lieu d'art et de culture, la façade majestueuse du château des
Baumettes a ainsi abrité, jusqu'à la seconde guerre mondiale, les fastes et les traits d'esprit
de cette société venue passer l'hiver sur la Côte d'Azur.

Laissé à l'abandon par ses derniers propriétaires, acquis il y a maintenant 15 ans par la
commune, le château, élément clé de notre patrimoine, semblait attendre de retrouver son
lustre et sa vocation culturelle première.

Les travaux entrepris pour sa réhabilitation ont été exemplaires et je tiens à mon tour à
présenter mes plus vives félicitations à tous ceux qui les ont conçus et réalisés : respectueux
à la fois des vestiges du passé, tel le monumental escalier en bois qui desservait jadis les
étages, ils ont également permis d'adapter, sans le défigurer, le bâtiment à sa nouvelle
mission, en facilitant notamment l'accès des personnes à mobilité réduite. L'accès de tous à
la culture, et en particulier des personnes handicapées est une priorité de l'action de l'Etat
comme de celle des collectivités territoriales.

Je suis très heureux que les portes de ce trésor du patrimoine communal s'ouvrent à
nouveau pour proposer à tous les habitants de la ville des activités artistiques et culturelles
diversifiées.

L'ouverture, tout comme la rénovation, d'un lieu culturel est toujours riche de promesses.

Fidèle à l'esprit de celui à qui son nom rend hommage, l'Espace Culturel André Malraux
encouragera, aux côtés du ministère de la culture et de la communication, " l'accès du plus
grand nombre aux oeuvres de l'esprit ", voulu par mon illustre prédécesseur, le créateur du
ministère dont j'ai aujourd'hui la charge et des maisons de la culture.

C'est une ambition
toujours actuelle, qu'il nous appartient de continuer à mener à bien, à la hauteur du
développement, de l'aménagement et du rayonnement culturels de nos territoires.

En rassemblant les différentes activités culturelles de la commune en son sein, cet espace
contribuera à tisser des liens profonds et solides entre les habitants : les disciples de l'Ecole
de Musique, les choristes, les amoureux du dessin, du théâtre, les élèves des cours
d'anglais, d'italien, de russe, les mains habiles qui façonnent des encadrements d'art, les
membres du club " Pyramides ", mais aussi les amateurs de cuisine asiatique ou de poterie,
pourront ainsi partager leurs passions, toutes générations confondues.

Le château des Baumettes retrouve aujourd'hui une seconde vie, et j'invite toutes les
Villeneuvoises et tous les Villeneuvois, non seulement à y tenir salon, mais aussi à partager
les nouvelles découvertes, les belles rencontres qu'ils ne manqueront pas de faire en ce lieu
prestigieux.

Je vous remercie.

Colloque du Conseil national du marché de l'art

19 mai 2006

Monsieur le Président du Conseil national du Marché de l'Art, cher Maître Hervé Poulain,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui rue de Valois, pour ce colloque qui réunit les
professionnels du marché de l'art dans toute leur diversité. Je tiens tout d'abord à remercier
Maître Hervé Poulain, Président du Conseil national du Marché de l'Art, à l'origine de cette
rencontre qui m'offre l'occasion de vous témoigner une nouvelle fois toute l'importance que
j'accorde au marché de l'art et à vos professions.

Vous le savez, mercredi, j'ai présenté au Conseil des ministres une communication sur la
création artistique et culturelle dans le domaine des arts plastiques. J'ai notamment fait le
point des quatre mesures fiscales destinées à dynamiser le marché de l'art en France. Ces
mesures avaient été annoncées par le Premier ministre Dominique de Villepin lors de la
Foire Internationale d'Art Contemporain en octobre et je sais que vous êtes très attentif à leur
mise en place.

L'abattement fiscal, plafonné à 50 000 euros par an, au profit des artistes, sur les
revenus tirés de la vente de leurs oeuvres pour leurs cinq premières années de
déclaration a été adopté dès la loi de finances rectificative pour 2005.

L'application d'un taux de TVA réduit à 5,5 % sur les nouvelles formes artistiques,
comme les installations ou les vidéos conçues pour être diffusées en continu, a été
annoncée aux galeristes par lettre du ministre délégué au budget et à la réforme
budgétaire, porte-parole du Gouvernement, en date 20 décembre 2005.

Par lettre du 23 janvier, cosignée avec mon collègue du budget, j'ai demandé au
président de la commission compétente, M. Jean-Pierre CHANGEUX, de définir et de
mettre en oeuvre les critères qui permettront la remise d'oeuvres d'artistes vivants en
dation pour le paiement de sommes dues au titre de l'impôt sur la fortune, des droits
de succession ou de donation.

L'assouplissement des conditions de présentation au public des oeuvres acquises
dans le cadre du mécénat d'entreprise de la loi du 1er août 2003, adoptée en loi de
finances rectificative pour 2005, fera très prochainement l'objet d'une instruction
fiscale, afin de faire connaître le nouveau dispositif et de faciliter sa mise en oeuvre.

Renforcer l'attractivité et le dynamisme de la place de Paris demeure dans la durée un
objectif essentiel du gouvernement. C'est pourquoi, sur la base d'une évaluation de la
situation du marché de l'art français et de l'effet des mesures déjà adoptées, les ministères
de la culture et du budget examineront si des mesures complémentaires sont nécessaires en
PLF 2007.

A la fois débouché et ressource pour nos artistes, le marché de l'art revêt également une
dimension patrimoniale essentielle, en permettant la circulation, la découverte ou la
redécouverte, mais aussi la préservation et la promotion des chefs d'oeuvre de notre
patrimoine national.

Le talent de nos créateurs et l'exceptionnelle richesse de notre patrimoine doivent faire de
notre pays un acteur majeur du marché de l'art. Je souhaite défendre cette place qui revient
à la France, non dans une attitude de repli, mais bien au contraire dans une volonté
d'ouverture et de rayonnement les plus larges possibles.

A l'aube de ce nouveau millénaire, et c'est le sujet qui vous occupe aujourd'hui, le marché de
l'art est confronté, comme tous les autres secteurs, à la révolution des techniques de
communication. Nos concitoyens sont en effet chaque année plus nombreux à acheter sur
Internet : ce sont désormais 15 millions d'internautes qui consomment en ligne, pour un
montant global de 7 milliards d'euros, et ces chiffres sont en croissance de 44% sur un an.

Les domaines concernés sont plus vastes, la clientèle s'élargit, se diversifie et devient
notamment plus féminine, la confiance s'affermit, en particulier dans les systèmes de
paiement. Les contours de ce nouveau marché se précisent et ses promesses se réalisent.

Ces évolutions rapides exigent une réflexion prospective permanente, afin d'examiner toutes
les richesses des nouvelles possibilités qu'elles offrent, et d'anticiper les nouvelles attentes
de nos concitoyens, pour mieux y répondre.

L'Etat a mis en place un dispositif spécifique concernant le courtage aux enchères en ligne
des " biens culturels " – je sais que vous examinerez tout à l'heure plus en détail la
pertinence de ce terme. Ce dispositif a été adopté par le Parlement au sein de la loi du 10
juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques.

L'Europe a également adopté une réglementation harmonisée, à travers la directive
Commerce électronique, que nous avons transposée en 2004 dans le cadre de la loi pour la
confiance dans l'économie numérique. Cette loi pose des bases transversales qui permettent
d'encadrer les activités de commerce sur Internet.

L'application de ces diverses dispositions au marché de l'art a fait débat au sein du Conseil
des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, chargé par la loi de réguler les
acteurs de ce marché. Le Forum des droits sur l'Internet et l'observatoire des mouvements
internationaux des oeuvres d'art ont également été des lieux d'échanges sur ce sujet,
notamment sur le thème du paracommercialisme, qui vous préoccupe légitimement.

Je me réjouis que le Ministère de la culture et de la communication accueille aujourd'hui
cette journée de réflexion. Je serai particulièrement attentif aux propositions émanant de ce
colloque, pour déterminer, en concertation avec les professionnels du secteur et les autres
ministères concernés, les différentes mesures à prendre.

Nous avons, je le crois, plusieurs moyens d'action à envisager. Au-delà de la réglementation,
dans certains cas, et particulièrement sur Internet, je suis convaincu de la pertinence et de
l'efficacité des mécanismes d'autorégulation.

Face au foisonnement des offres, des sites, des informations, il me paraît avant tout
nécessaire de revaloriser la signature, gage de l'authenticité, de la qualité et de la fiabilité
des contenus et des services, préludes nécessaires à la confiance. Les mécanismes de
labellisation peuvent en être une application concrète.

Nous devons également nous attacher à définir des bonnes pratiques, en renforçant
notamment la prévention et la pédagogie à l'attention des utilisateurs.

Le caractère mondial de l'Internet doit enfin nous inciter à ouvrir autant que possible la voie
d'une harmonisation, au moins au niveau européen, dans le souci de créer les conditions
d'une concurrence loyale et équilibrée.

Telles sont les quelques remarques que je tenais à vous présenter en ouverture de votre
forum. Je compte sur vos échanges, vos réflexions et vos propositions dont je me tiendrai
étroitement informé.

Je vous remercie.

Table-ronde sur la diversité culturelle – (France Culture) – éléments de langage

18 mai 2006

Je suis très heureux que vous ayiez accepté l’invitation de Gilles Jacob et la mienne à
prendre deux heures de votre temps pour que nous discutions ensemble librement de la
diversité culturelle.

1. Pourquoi la diversité

La diversité culturelle est une exigence politique essentielle. Les artistes, tous autant qu’ils
sont, dans leur diversité, doivent avoir la capacité de créer librement, et le public doit pouvoir
accéder à leurs créations. C’est pourquoi, chaque Etat doit avoir le droit d’aider les créateurs
sur son territoire comme il l’entend, et ce droit lui est désormais reconnu par la communauté
internationale, grâce à l’adoption de la convention de l’Unesco.

La diversité culturelle est la meilleure réponse à la mondialisation. C’est un enjeu de
gouvernance mondiale. Face à la mondialisation, le dialogue des cultures est un facteur de
paix entre les peuples et de cohésion sociale. La diversité culturelle est aussi nécessaire que
la biodiversité.

Le développement et la libéralisation des échanges internationaux, ainsi que les
bouleversements technologiques – et notamment numériques – facilitent les mouvements de
concentration des industries culturelles et l’apparition d’industries dominantes, pour ne pas
dire de cultures dominantes, et tendent à unifier les cultures.

Face au risque d’un seul style de cinéma, d’une seule manière de voir le monde, d’une seule
manière de s’exprimer, l’exigence de diversité culturelle rappelle la nécessaire,
l'indispensable polyphonie des langues et des cultures.

2. Pourquoi le cinéma est particulièrement concerné par ces enjeux

Le cinéma est un art, « et par ailleurs, une industrie » écrivait Malraux dans son Esquisse
d’une psychologie du cinéma. Le cinéma est devenu l’industrie culturelle par excellence. Une
industrie stratégique. Dans un monde où l’image est reine, le cinéma est l’expression des
identités, des imaginaires, des cultures, des représentations du monde.

Cette expression est le fruit, tout autant du court-métrage tourné en vidéo numérique que de
la superproduction internationale ou du film d’auteur.

On a souvent dit que le combat en faveur de la diversité culturelle, dans le domaine du
cinéma, était un combat contre le cinéma « américain ». Pour ma part, je n’ai jamais partagé
ce point de vue. Le cinéma américain, qu’il émane des fameuses majors, ou des producteurs
indépendants, doit pouvoir exister et être vu, mais ce droit doit également et dans le même
temps être reconnu aux cinémas africains, européens, asiatiques et latino-américains.

Or, près de 85% des films diffusés en salles dans le monde aujourd’hui sont produits par les
studios américains. Ces mêmes films représentent 71% de parts de marché en Europe, 64%
au Japon et 97% aux Etats-Unis. J’ajoute que, selon l’UNESCO, 88 pays sur 185 n’avaient
produit aucun film en 2000.

De tels chiffres doivent nous alarmer. Ils prouvent si nécessaire que les risques
d’uniformisation du monde et de 15 représentations sont bien réels et qu’ils ne feraient que
s’accentuer si les Etats, individuellement et collectivement, n’avaient décidé d’agir, ce qu’ils
ont fait en adoptant la convention de l’Unesco.

3. L’UNESCO et les autres chantiers

191 Etats membres de l’UNESCO ont adopté, le 20 octobre 2005, la convention sur la
diversité culturelle. C’est à mes yeux une victoire historique non seulement pour la France et
l’Union européenne, mais pour la diversité des cultures et des créations des artistes du
monde pour le dialogue entre les peuples, les cultures et les sociétés, pour le respect des
différences et la reconnaissance de ce que l’autre, quel qu’il soit, apporte à notre richesse,
qui est tout autant culturelle que matérielle.

Cette victoire est d’autant plus méritoire qu’elle était loin d’être acquise d’avance. C’était le
pot de terre (la culture et l’UNESCO) contre le pot de fer (l’économie et l’Organisation
Mondiale du Commerce). C’était l’affrontement de l’utopie créatrice mais réaliste, et de la
rigueur économique.

C’est surtout une victoire du droit international, de la volonté politique et du sens que les
sociétés restent libres de définir collectivement.

Elle démontre aussi que l’Europe peut agir au service d’une meilleure maîtrise de la
mondialisation car l’Union européenne, adhérant à l’initiative de la France, a joué un rôle
moteur dans cette affaire.

L’engagement individuel et collectif des créateurs, des artistes de toutes les disciplines, de
toute l’Europe, et de tous les pays du monde a été décisif, jusqu’au dernier moment, pour
convaincre, lorsque cela était nécessaire, des perspectives d’avenir ouvertes par la
convention.

Je tiens aussi à saluer en la personne d’Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation
Internationale de la Francophonie, la mobilisation de tous les francophones au service de la
diversité linguistique qui est l’un des aspects les plus vivants, les plus dynamiques, de la
diversité culturelle.

Le texte de cette convention jette les bases juridiques d’un monde plus respectueux de la
diversité des cultures. Il reconnaît le droit souverain des Etats à mener des politiques de
soutien à la diversité culturelle. Il souligne, dans le même temps, le nécessaire renforcement
de la coopération et de la solidarité en faveur des pays en développement.

De nombreux pays, dont la France, ont déjà mis en place des systèmes de soutien ouverts
aux autres cinématographies. Ainsi, au sein de l’ensemble des sélections du festival de
Cannes cette année, sans compter les coproductions avec des partenaires européens,
quatre films étrangers ont été soutenus par le Centre national de la cinématographie. Je
citerai en particulier Bamako, d’Abderrahmane Sissako, Hamaca Paraguaya de Paz Encina
et Palais d’été de Lou Ye, qui ont été soutenus par le fonds Sud.

Pour que la Convention entre pleinement en vigueur, une dernière étape est déterminante :
car les Etats doivent, d’ici à la fin 2007, ratifier ce texte. Nous avons besoin de vous, comme
autant d’Ambassadeurs de vos pays respectifs, pour peser de tout votre poids pour
encourager vos gouvernements à s’engager dans ce processus. La convention ne prendra
toute sa force que si elle est effectivement ratifiée par une majorité d’Etats.

Pour ma part, je rejoins Bruxelles à l’issue de notre rencontre pour une réunion des ministres
de la culture de l’Union européenne qui a précisément pour objet d’autoriser la Commission
européenne à ratifier, au nom des 25 Etats membres, cette convention.

A l’évidence, le combat pour la diversité et le dialogue des cultures continue. Au plan
européen, la France a réussi à faire reconnaître par la Commission européenne la légitimité
de toutes ses aides au cinéma. C’est un résultat formidable pour l’Europe du cinéma, car
tous les Etats membres peuvent désormais se réclamer de ce précédent. Mais il faut
maintenant voir plus large, à l’échelle du monde. Je pense pour ma part que la communauté
internationale devrait faire preuve d’audace et d’imagination, en réfléchissant à la possibilité
d’utiliser les grandes institutions financières internationales pour financer des projets
culturels, et notamment l’éclosion des nouvelles cinématographies, dans les pays en
développement.

Je vous remercie.

Remise des insignes de Commandeur dans l’Ordre des Arts et Lettres à Sidney Poitier

18 mai 2006

Cher Sidney Poitier,

C’est un grand plaisir, et un grand honneur pour moi de vous rendre
l’hommage de la France, ici à Cannes, pendant ce festival dédié à
l’amour du septième art, dont vous êtes une figure de légende.

Oui, plus qu’une étoile, plus qu’un symbole, vous êtes entré dans
l’histoire, vous qui avez oeuvré depuis vos débuts avec la flamme,
l’énergie, l’engagement que l’on sait, contre le racisme et pour le respect
et la dignité de la communauté noire aux Etats-Unis.

Vous êtes aujourd’hui plus encore que cet acteur prestigieux, dont le
talent éclatant a conquis Hollywood et traversé les frontières, vous êtes
le chantre de l’égalité des hommes, vous êtes celui qui a frayé un
chemin de lumière et de courage, plus fort que la barbarie, l’intolérance,
la stupidité et la lâcheté humaines.

Vous avez montré, mieux que quiconque, que la diversité qui fait la
richesse et le dynamisme de nos sociétés, la diversité des origines, des
racines, des histoires et des parcours, est un ferment indispensable au
cinéma. Que l’art, puissance de représentation, d’avant-garde et
d’interpellation, doit s’en nourrir pour mieux remplir le rôle fondamental
qui lui incombe : interroger la société, et la faire avancer. Vous avez fait,
une fois pour toutes, de l’uniformité un synonyme de pauvreté, et de la
diversité une voie d’avenir, la seule richesse qui vaille.

Je suis particulièrement heureux et fier de vous rendre hommage, une
semaine après la première journée de commémoration nationale de la
traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, institués par la
France, qui est le premier pays au monde à avoir inscrit, dans la loi, la
reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, et à
partager cette mémoire, en honorant, dans le même mouvement, le
souvenir des esclaves et celui de l’abolition, acquise et conquise par la
République.

Né à Miami, vous grandissez sur Cat Island, dans les Bahamas, dont
vous êtes citoyen. Vous vous envolez très jeune pour tenter votre
chance à New York, où vous travaillez d’abord sur les chantiers comme
terrassier, avant de vous engager dans l’armée comme infirmier. Vous
devenez ensuite machiniste à l’American Negro Theater, en échange de
cours de comédie. Vous jouez votre premier rôle dans la comédie
d’Aristophane Lysistrata, dans laquelle les femmes parviennent à
convaincre les hommes de faire définitivement la paix. Une ambition qui
ne vous quittera jamais.

L’immense Joseph Leo Mankiewicz, séduit par votre charisme et la
justesse de vos interprétations, vous offre en 1950 le premier rôle dans La
porte s’ouvre. C’est une société déchirée, haineuse, au bord de
l’explosion, que décrit Mankiewicz dans ce chef d’oeuvre courageux,
auquel vous donnez toute sa dimension. Mankiewicz signe l’un des rares
films hollywoodiens à aborder le scandale du racisme, à une époque où il
ne faisait pas bon afficher des opinions progressistes, souvent hâtivement
assimilées à des sympathies procommunistes.

Un film au titre prophétique, car pour vous, désormais, les portes du
septième art sont ouvertes, et pour toute la communauté noire, c’est un
pas supplémentaire franchi vers l’émancipation.

Vous enchaînez ensuite les tournages, et c’est avec Graines de violence,
de Richard Brooks, où vous incarnez Gregory Miller, injustement accusé
d’agressions par un jeune professeur, joué par Glenn Ford, que vous
connaissez la consécration. Ce film, qui a introduit le rock’n roll en France,
avec le tube Rock around the clock, est devenu un grand classique du
cinéma américain.

Votre parcours extraordinaire, que je ne prétends pas épuiser ici, est
désormais jalonné de grands succès, qui vous vaudront de nombreux
honneurs : La Chaîne, de Stanley Kramer, où vous incarnez un prisonnier,
condamné à cohabiter avec un autre détenu avec lequel il s’est échappé
(Tony Curtis), et auquel il est enchaîné, vous vaut une première citation
aux Oscars, et l’Ours d’argent de la meilleure interprétation masculine au
Festival de Berlin.

En 1959, Otto Preminger vous offre le rôle de Porgy dans son adaptation
de l’opéra de Gershwin, Porgy and Bess. Deux ans plus tard, Raisin in the
sun, de Daniel Petrie, remporte le Prix Gary Cooper au Festival de
Cannes.

En 1963, c’est votre brillante interprétation de Homer, maçon désoeuvré
au service d’une communauté de nonnes qui voit en lui un envoyé de
Dieu, dans Le Lys des champs, de Ralph Nelson, qui vous fait remporter
un second Ours d’argent de la meilleure interprétation masculine, toujours
au Festival de Berlin, et vous vaut l’Oscar du meilleur acteur.

C’est une date historique, qui fait de vous le premier acteur de couleur à
recevoir cette récompense et vous confère le statut de légende adulée du
public. Un public qui plébiscite vos films, ceux dans lesquels vous
déployez tous vos talents d’acteur, comme ceux que vous commencez à
réaliser au début des années 1970.

Après avoir démontré l’ampleur de votre talent, aussi bien dans des
oeuvres à fort message social que dans des films d’action, et tourné avec
les plus grands, entre autres Sydney Pollack, pour Trente minutes de
sursis, Stanley Kramer, une nouvelle fois, pour le film mythique Devine qui
vient dîner et Norman Jewison pour Dans la chaleur de la nuit, vous
passez en effet derrière la caméra, pour le western Buck et son complice,
dans lequel vous partagez la vedette avec Harry Belafonte. Vous
poursuivez cette double carrière de réalisateur et d’acteur, en signant notamment en 1974 Uptown Saturday night, avec Bill Cosby, Richard
Pryor et Harry Belafonte, qui remporte un très grand succès.

Vous avez écrit certaines des plus belles pages du septième art, et un
chapitre fondamental de l’histoire de la communauté noire.

Qui d’autre que vous pouvait incarner Nelson Mandela, cette autre figure
mythique, cet autre chantre universel de la paix et de la dignité humaine ?

Vous en offrez un portrait poignant dans Mandela et De Klerk, de Joseph
Sargent, en 1997, aux côtés de Michael Caine.

Ce combat de la première heure, dont vous êtes une figure tutélaire, vous
ne l’avez jamais abandonné. Il vous mène aujourd’hui à l’UNESCO, où
vous représentez votre pays, les Bahamas. Quel meilleur défenseur de la
diversité culturelle, de la nécessaire diversité de nos racines, de nos
expressions artistiques, quel meilleur porte-parole de l’égale dignité des
cultures, de leur respect et de leur promotion, pouvions-nous espérer que
celui qui en a tout simplement jeté les bases ?

« La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du monde ? »,
se demandait un autre grand chantre de l’amitié entre les peuples, le
poète francophone Léopold Sédar Senghor. Oui, l’art atteint sa valeur
suprême lorsqu’il porte l’espoir, la promesse d’un monde meilleur, plus
juste. Acteur exceptionnel, réalisateur de génie, vous incarnez cet espoir
pour vos innombrables admirateurs, de tous les pays, de toutes les
origines, de toutes les couleurs. Le cinéma, la diversité culturelle ne
doivent pas périr. Car alors où serait l’espoir du monde ?

Cher Sidney Poitier, au nom de la République, nous vous remettons les
insignes de Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Conseil des ministres de la culture sur « Patrimoine de l’Europe »

18 mai 2006

Monsieur le Président,

Monsieur le Commissaire,

Chers collègues,

Avec ma collègue espagnole, Carmen Calvo, et mon collègue
hongrois, Andras Bozoki, je voudrais vous inviter à vous joindre à
une initiative qui vise à créer une liste du « Patrimoine de
l’Europe ».

Il s’agit de doter l’Union européenne d’un label européen du
patrimoine, sur le modèle du patrimoine mondial de l’UNESCO,
qui a rencontré le succès que vous connaissez.

Nous proposons d’instituer une inscription commune des hauts
lieux de mémoire et de création, des sites et des monuments
emblématiques de l’identité européenne sous tous ses aspects –
qu’ils évoquent les souvenirs les plus tragiques ou les moments
les plus heureux de l’histoire européenne, qu’ils soient rattachés à
notre passé commun ou qu’ils représentent l’avenir que nous
bâtissons ensemble.

Nous croyons à la valeur pédagogique du patrimoine. Parce qu’un
lieu parle à tout le monde. Parce que diriger l’attention de nos
concitoyens sur un site ou un monument, c’est faire prendre
conscience au public le plus large de ce qui relève d’un esprit
européen, d’un esprit de famille, d’une familiarité indéfinissable
que l’on retrouve par-delà les fiertés nationales et les racines
locales qui sont légitimes et qu’il convient d’honorer.

En créant ce label européen du patrimoine, nous souhaitons
lancer une aventure commune, qui amène les élus, les
associations et les citoyens, les spécialistes et les médias, à se
mobiliser pour obtenir cette forme de reconnaissance et à réfléchir
sur ce qui est proprement européen dans un lieu comme dans une
fraction de la mémoire qu’ils détiennent.

Nous avons aussi à l’esprit des objectifs pratiques qui nous
intéressent tous autour de cette table.

D’abord améliorer l’attractivité de nos territoires en développant le
tourisme culturel. Notre idée est simple : ce label, nous espérons
le voir figurer dans des guides touristiques. Nous espérons que
ces guides et que les panneaux de visite ménageront des encarts
sur le caractère proprement européen d’un monument ou d’un lieu
de mémoire. En faisant figurer en encart le drapeau européen, ou
un logo européen, sur un prospectus ou sur un site Internet, nous
ferons oeuvre utile pour la conscience européenne.

D’abord améliorer l’attractivité de nos territoires en développant le
tourisme culturel. Notre idée est simple : ce label, nous espérons le
voir figurer dans des guides touristiques. Nous espérons que ces
guides et que les panneaux de visite ménageront des encarts sur le
caractère proprement européen d’un monument ou d’un lieu de
mémoire. En faisant figurer en encart le drapeau européen, ou un
logo européen, sur un prospectus ou sur un site Internet, nous
ferons oeuvre utile pour la conscience européenne.

Autre objectif pratique, ce label européen du patrimoine pourra être
mis au service de projets scientifiques de qualité. Une condition de
délivrance pourrait être que les gestionnaires des sites s’engagent
dans une démarche de qualité d’accueil, de conservation et de
restauration, en veillant à promouvoir le multilinguisme.

Enfin, cette inscription sera pour nous, ministres de la culture, une
façon de peser ensemble au sein du processus de décision
communautaire. Parce que nous pourrons nous rattacher à une
initiative médiatique. Parce que la délivrance de ce label sera pour
chacun d’entre nous un argument pour revendiquer dans nos pays
une part accrue de fonds structurels. Parce qu’il reviendra
nécessairement aux ministres de la culture de prendre ensemble, à
l’unanimité, les décisions de classement qui seront des décisions
éminemment politiques. Vous le savez, ce qui concerne le
patrimoine est sensible. Classer le pont de Mostar, une synagogue,
une église, une mosquée, un café révolutionnaire, un ancien postefrontière,
un champ de bataille ou une usine qui vibre encore des
luttes sociales, ce sont des décisions politiques qu’il nous
appartiendra d’assumer. Ce label sera un moyen efficace pour ce
Conseil d’exister dans le concert européen.

Nous devrons être exigeants mais ouverts, afin de nous adresser à
toutes les dimensions de l’identité européenne, pourvu que soit
respecté le critère d’une relation physique avec un lieu.

Il pourra s’agir de l’Europe de l’art de vivre, celle des bains de
Karlsbad et des bains Gellert, comme celle des thermes romains,
celle des vignobles de la Moselle comme des vignobles de Porto ou
de Jerez, celle des cristalleries de Bohème et de la porcelaine de
Saxe, celle des cafés, qui d’après George Steiner décrivent les
contours de l’Europe : Café Gerbault à Budapest, Café Demel à
Vienne, Café Carul Cu Bere à Bucarest.

Mais nous pourrions aussi penser à l’Europe des projets, des plus
contemporains comme le tunnel sous la Manche, le site de
lancement d’Ariane, le pont-tunnel Copenhague-Malmö, aux autres
plus anciens comme l’Orient-Express, la gare ferroviaire d’Helsinki,
les Docks de Londres, les studios de Babelsberg, pour ne citer que
ces quelques exemples.

L’Europe de l’esprit, celle qui a fait la pensée européenne avec les
temples du savoir que sont nos grandes universités : Université
Humboldt à Berlin, Université d’Oxford, Université de Cordoue,
Université de Tartu (Estonie), Trinity College à Dublin, Université
d’Uppsala en Suède ; et les lieux de mémoire de nos grands
penseurs : maisons de Schiller à Weimar, maison de Voltaire à
Ferney – qu’on appelait l’Auberge de l’Europe – maison de Goethe à
Francfort, maison de Pessoa à Lisbonne et maison de Kafka à
Prague.

L’Europe de la création, celle des artistes et des oeuvres : Maison
de Beethoven à Bonn, maison de Mozart à Salzbourg, maison de
Rubens à Anvers, Kronborg Slot qui fut le cadre de la tragédie
d’Hamlet.

L’Europe du sacré, nos cathédrales, nos églises, nos monastères,
nos synagogues et nos mosquées.

L’Europe des marchands et des industriels, avec les villes de la
Hanse, les villes de foire du Moyen-Age comme Troyes dans mon
pays, les friches industrielles de Glasgow, la Ruhr, la City, Venise,
le Pirée.

L’Europe des batailles et de la réconciliation, qu’il s’agisse des
plages du débarquement, du champ de bataille de Verdun, des
camps de concentration, comme des lieux où l’on a su construire la
paix : je pense aux premiers points de rencontre qui ont vu se
rencontrer, lors de la chute du rideau de fer, les premiers
gouvernements libres des deux parties de l’Europe enfin
réconciliée.

Enfin et bien sûr, l’Europe de l’architecture et des styles, à laquelle
on pense d’emblée : Europe romane, Europe gothique, Europe
baroque, Europe classique, Europe de l’Art nouveau et du
Mouvement moderne.

Pardonnez la longueur de cette énumération. Elle n’a d’autre but
que de vous montrer que nous pouvons tous prétendre, à un titre ou
à un autre, nous inscrire dans cette démarche sur un pied d’égalité.
Car nous disposons tous d’une parcelle de la mémoire et de l’avenir
de l’Europe.

Ce projet est ouvert à tous. Je forme des voeux pour que tous le
rejoignent. Nous pouvons sans coût et sans structures
supplémentaires, en utilisant nos administrations nationales et en
mettant nos experts autour d’une table, nous mettre d’accord
chaque année sur quelques dizaines de dossiers.

Conformément au principe de subsidiarité, chaque Etat membre
devra pouvoir s’organiser selon sa structure administrative pour les propositions de sélection. Ce label n’aura notamment pas pour objet
de substituer au réglementations nationales qui instituent des
procédures de classement contraignantes.

Au plan intergouvernemental, les ministres chargés de la culture
des Etats membres qui se joignent à cette initiative, ou leurs
représentants, établiront les critères de sélection des sites et
monuments qui seront soumis par chaque Etat membre. Ils
décideront à l’unanimité de leur inscription sur une liste du
patrimoine historique de l’Europe.

Avec mes collègues espagnol et hongrois, je vous invite, si vous
voulez participer concrètement à cette initiative, à envoyer vos
collaborateurs à Paris le lundi 10 juillet afin d’adopter les critères de
sélection des sites et règles de procédures. Avec mes collègues
espagnol et hongrois nous nous sommes entendus sur un premier
projet qui servira de base à la discussion. Vous en avez reçu copie.
Notre objectif est de mettre au point, d’ici la fin de l’année 2006, une
première liste illustrative de sites et monuments pour les Etats
membres qui participeront à cette coopération.

J’espère que nous pourrons progresser, avec l’appui bienveillant de
la présidence finlandaise, dans la définition d’un corpus commun,
représentatif d’une identité européenne respectueuse des identités
nationales et régionales.

Je crois que nos citoyens attendent de notre part des initiatives
concrètes de ce type.

Je vous remercie.

Conférence de presse de lancement de la quatrième édition des Rendez-vous aux jardins, sur le thème du parfum

16 mai 2006

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Notre patrimoine, dans sa diversité, est une chance exceptionnelle pour
notre pays. Il est à l’origine de notre attractivité touristique et porte nos
valeurs dans le monde. Il est créateur d’emploi et de métiers, de plus en
plus valorisés. Il est le repère de notre identité collective. Il est un facteur
d’intégration plus indispensable que jamais dans notre société
fragmentée. Voilà pourquoi notre responsabilité est immense. Mais
comment le faire vivre, comment susciter de nouvelles prises de
conscience pour développer les initiatives privées et publiques
susceptibles de le mettre en valeur ?

Le succès des deux premières éditions de « Rendez-vous aux jardins »
ne peut que nous conforter dans cette volonté de susciter l’intérêt et la
curiosité de nos concitoyens. La France est riche de cette forme
particulière de patrimoine qui réunit notre longue tradition paysagère et
le goût contemporain pour une nature qui, pour paraître intacte, a été
longuement recréée par l’homme et redessinée dans l’art complexe du
jardin.

Je suis heureux de lancer, avec vous, la troisième édition de « Rendezvous
aux jardins » et, tout en vous présentant les grandes lignes d’un
programme très divers, de solliciter votre concours pour relayer auprès
de nos concitoyens l’envie d’en redécouvrir la richesse.

L’engouement des Français et des Européens pour les jardins ne cesse
de croître. Je me réjouis que le succès grandissant de ces « Rendezvous
aux jardins » en fasse désormais, au printemps, un évènement
culturel attendu de tous.

Le thème retenu pour cette nouvelle édition, m’a semblé permettre de
renouveler l’approche des lieux, de leur histoire et de l’élément végétal
qui les compose.

Le parfum a été cultivé dès l’origine comme une richesse particulière et
l’histoire de nos jardins témoigne de la volonté continue de sélectionner
des espèces botaniques pour leurs qualités particulières, ajoutant à la
beauté du paysage et du décor le plaisir des sens.

Une journée d’étude, organisée à ma demande par le Conseil National
des Parcs et Jardins, présidé par Jean-Pierre Bady, le 5 avril dernier, a
permis de réunir les meilleurs spécialistes de cette question et d’en
approfondir notre connaissance. Vous trouverez dans votre dossier de
presse le compte rendu de cette journée passionnante.

De nombreux jardins publics ou privés, régulièrement ouverts ou
exceptionnellement accessibles, mais organisant un accueil particulier à
cette occasion privilégieront donc le thème retenu cette année : je citerai
en exemple le jardin des sens de Neuhof en Alsace, réalisé avec le
concours d’une classe pour malvoyants du Centre Louis Braille, le
parcours de découverte olfactive et gustative d’Azay-le-Rideau en région
Centre, ou encore le parcours de senteurs à travers les jardins de Saint-
Louis à Marie-Galante en Guadeloupe qui associe le collège et
l’écomusée…

Ce sont plusieurs centaines d’initiatives qui s’épanouiront dans le même
esprit, à travers toute la France. Elles mobilisent tout au long de l’année,
au fil des saisons, celles et ceux qui font vivre les jardins, et qui vont
accompagner les visiteurs lors de Rendez-vous aux jardins. Je tiens à les
en remercier chaleureusement.

Mais, tout comme l’hirondelle ne saurait faire le printemps, cette
manifestation ne serait pas légitime, si elle ne s’appuyait sur une politique
d’ensemble, cohérente et volontariste de notre patrimoine et des jardins.

Aussi, au-delà delà de ces journées, voudrais-je brièvement évoquer les
grands axes de la politique que j’ai à coeur de mener en faveur de la
conservation du patrimoine vert et du développement de l’art des parcs et
jardins en France.

Le Conseil National des Parcs et des Jardins, que préside Jean-Pierre
Bady, m’a apporté une aide précieuse pour identifier les thèmes d’actions
prioritaires à mettre en oeuvre, en lien très étroit, avec la direction de
l’architecture et du patrimoine du ministère de la culture et de la
communication.

Le conseil a permis d’accorder le label « jardin remarquable » à plus de
200 jardins dans toute la France. Certaines plaques avec le logotype
« jardin remarquable » commencent à apparaître. Une concertation avec
le ministère des transports permettra bientôt, sous certaines conditions, la
signalisation routière de ces jardins.

L’octroi du label va maintenant être déconcentré au niveau régional et
placé sous la responsabilité des directeurs régionaux des affaires
culturelles (DRAC) qui présideront les commissions créées à cet effet.

Le conseil a également conduit à ma demande une première réflexion sur
les jardins en péril. J’analyserai ses propositions pour déterminer, au cas
par cas, la stratégie à mener, en tenant compte, bien sûr, des
particularités de chaque situation.

Beaucoup de ces jardins, parmi les plus importants, sont classés, mais
même cette protection ne suffit pas à en assurer la conservation véritable,
dans la mesure où leur environnement est menacé ou dégradé. C’est
pourquoi, une importante réforme du régime des abords a été inscrite
dans l’ordonnance du 8 septembre 2005 pour les parcs et jardins. Elle
permet l’institution de périmètres de protection et modifiés (PPM), autour
des parcs et jardins déjà protégés au titre des monuments historiques, ou de périmètres de protection adaptés (PPA), à l’occasion des nouvelles
protections.

Parallèlement, la section jardins de la commission nationale des
monuments historiques, dont je viens de renouveler la composition,
poursuit l’examen des nouvelles propositions de classement et l’analyse
des projets de restauration parmi les plus importants ou les plus
représentatifs. Ainsi, lors de sa dernière réunion du 27 avril dernier, la
commission a examiné le classement du parc du château d’Ecouen et de
l’enclos de l’abbaye du Bec-Hellouin avec son réseau hydraulique. Elle a
également analysé l’avancement des études de restauration du domaine
de Méréville, exceptionnel témoignage de l’invention, par Hubert Robert,
du jardin pittoresque, qui a miraculeusement échappé à une ruine quasi
totale pour devenir propriété du conseil général de l’Essonne.

De très nombreuses opérations de restauration sont également en cours
dans des propriétés privées, de différentes collectivités ou de l’Etat.
Dans une perspective de développement durable, l’accent doit être
désormais mis sur l’élaboration prioritaire de plans de gestion.

Cette démarche vise à déterminer, année après année, les opérations à
mener pour redonner au parc toute sa valeur patrimoniale, en intégrant les
usages admissibles à développer, et en équilibrant , comme dans un
bilan, les moyens de restauration, d’entretien et de gestion mobilisables.

L’Etat doit être exemplaire sur ce renouvellement de méthode :
Ainsi, deux plans de gestion sont en cours d’élaboration à Compiègne et
Champs-sur-Marne. D’autres vont suivre prochainement pour couvrir, à
terme, l’ensemble de nos domaines nationaux.

J’entends également favoriser la formation des différents types de
professionnels intervenant sur les jardins, tout comme les actions
d’initiation d’un public plus large, notamment parmi les plus jeunes.

Nous avons la chance, en France, d’avoir un excellent corps de jardiniers
d’art dans les domaines nationaux. J’ai décidé de maintenir et renforcer
son niveau d’excellence, grâce à un programme exceptionnel de
formation continue qui aborde aussi bien l’enseignement de l’histoire des
jardins que la gestion écologique des domaines, les plans de gestion ou la
restauration spécialisée des topiaires par exemple.

Responsable de la formation des architectes, le ministère participe aussi,
en toute première place, à celle des paysagistes. Après l’école de
Bordeaux, c’est l’école de Lille qui a reçu l’habilitation à dispenser cet
enseignement et délivrer le diplôme de paysagiste DPLG. La première
rentrée a eu lieu à l’automne dernier et ces jeunes professionnels ont la
garantie de trouver du travail à la fin de leurs études, car la demande de
jardins et de paysages est de plus en plus forte.

Pour la première fois cette année, j’ai eu le plaisir de proclamer les
résultats du jury, présidé par Michel Desvignes, paysagiste et Ann-José
Arlot, directrice, chargée de l’architecture, des Nouveaux Albums des
Paysagistes que j’ai créés. Cinq lauréats ont été désignés. Ces jeunes
paysagistes bénéficieront du soutien actif du ministère et de la Cité de
l’Architecture et du Patrimoine ainsi que du Cercle de parrainage.

Soucieux de rendre compte des démarches les plus actuelles en matière
de création paysagère, le ministère a pris l’initiative d’une publication par
les Editions Dominique Carré, d’un ouvrage sur les nouvelles tendances
des jardins en ville. Il n’est pas suffisant de protéger et de conserver le
patrimoine, il faut susciter en permanence des créations nouvelles.
Il faut aussi sensibiliser les nouvelles générations et reconnaître les
professionnels compétents.

L’opération « Adoptez un jardin » fête cette année ses dix ans. Touchant
des élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées, elle leur
donne l’occasion de découvrir et de comprendre les notions essentielles
d’espace, d’environnement, d’histoire, de botanique, de lien social. A partir
d’un travail d’apprentissage fondé sur des exemples concrets, les jeunes
peuvent aller à la découverte de métiers qu’ils ne connaissaient pas. Ils
peuvent aussi devenir de véritables médiateurs auprès de leur entourage
et de leur famille.

Le vendredi 2 juin sera consacré à l’accueil des publics scolaires et plus
particulièrement à la mise en valeur de l’opération « Adoptez un jardin »,
orientée, à cette occasion, sur la thématique des parfums.

Et je veux aussi témoigner de notre reconnaissance à ceux qui, souvent
très discrètement, ont permis aux jardins français de perdurer malgré
l’oubli ou les vicissitudes historiens, jardiniers, propriétaires, responsables
scientifiques et techniques, vous avez accompagné, à divers titres, la
renaissance de lieux aujourd’hui reconnus, redécouverts, protégés,
entretenus. Aussi ai-je tenu à élever certains d’entre eux dans l’ordre des
Arts et Lettres, lors de la prochaine promotion de juillet prochain.

Je tiens également à remercier les partenaires fidèles et enthousiastes
dès l’origine sans lesquels une manifestation de cette importance ne
serait pas possible.

Gaz de France renouvelle pour la quatrième fois son soutien à l’opération
« Rendez-vous aux jardins » dans le cadre de sa politique en faveur de
l’environnement. Il m’est aussi agréable de rappeler que Gaz de France
est le partenaire fidèle de la direction de l’architecture et du patrimoine
depuis plus de dix ans pour la restauration et la création de vitraux sur
tout le territoire français.

Moët- Hennessy et ses maisons : Moët et Chandon, Veuve Cliquot,
Hennessy, Château Yquem, participent à la quatrième édition de cette
manifestation. Cette opération s’inscrit dans le cadre des nombreuses
actions de mécénat du groupe LVMH. Moët-Hennessy et ses maisons
ouvrent exceptionnellement leurs jardins situés au coeur des grandes
régions viticoles françaises au public et organisent des animations
culturelles à cette occasion.

Deux chefs-d’oeuvre en bronze du XVIIe siècle, coulés d’après l’Antique
par les frères Keller, prêtés par l’établissement public du musée et du
domaine national de Versailles, seront exposés dans le jardin de la résidence de Trianon de la maison Moët et Chandon à Epernay et dans le
parc du château de Bagnolet à Cognac.

Partenaire pour la deuxième année consécutive de Rendez-vous aux
jardins, Truffaut propose cette année différentes animations qui mettent à
l’honneur le thème du parfum et notamment des conférences, une grande
exposition de roses dans dix jardins d’exception, ainsi qu’une brochure,
intitulée « reine des parfums ».

Truffaut, met aussi à la disposition de l’opération ses supports de
communication afin d’amplifier l’audience de cette manifestation auprès
du grand public et, comme vous avez pu le constater, présente
aujourd’hui à l’occasion de cette conférence de presse une sélection de
ses plus beaux jardins, illustrés par des photographies.

Le parfum, thème retenu pour cette quatrième édition de Rendez-vous
aux jardins, a séduit et convaincu L’Occitane de soutenir pour la première
fois cette opération.

Outre le concours financier et le relais apporté par ses supports de
communication, l’Occitane offre une animation grandeur nature, en
installant dès le 26 mai, un jardin éphémère au Palais Royal « un
labyrinthe des senteurs» avec le soutien logistique de Truffaut . Le public
pourra ainsi découvrir un jardin de parfum composé de lavande, verveine,
sauge et roses.

Dès à présent, cette création vous est présentée sous la forme d’une
maquette.

Je souhaite également citer nos partenaires média.

Europe 1 participe pour la première fois à cette manifestation. France 3 et
France 5 renouvellent leur soutien à l’opération. Nouveau partenaire, le
groupe Marie-Claire relaie la promotion de la manifestation à travers
certains de ses supports presse, en particulier 100 idées jardins qui dédie
16 pages à la découverte des jardins qui seront ouverts à la visite.

Je souhaite à tous et toutes d’excellents rendez-vous aux jardins.

Je vous remercie

Remise de la médaille de Grand Mécène à Charles Milhaud, président du directoire de la Caisse nationale des Caisses d’Epargne, à l’occasion du 100e anniversaire du Trois-Mats Belem et les 27 ans de mécénat du groupe Caisses d’Epargne

16 mai 2006

Monsieur le Président du groupe Caisse d’Epargne,
Cher Charles Milhaud,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je suis très heureux de vous recevoir ce soir dans les salons de la rue
de Valois qui sont aussi les vôtres, puisqu’ils sont ceux de tous les
amoureux des arts et de notre patrimoine. Je me réjouis de célébrer
aujourd’hui avec vous les 27 années d’un mécénat remarquable, celui
du Groupe Caisse d’Epargne en faveur du magnifique et spectaculaire
trois-mâts le Belém. Un mécénat exemplaire, par la solidité et la
pérennité de son engagement, par l’attachement profond qu’il témoigne
envers notre patrimoine, témoin de notre histoire, qui fonde nos racines
et notre identité.

Bâtiment de commerce lancé le 16 juin 1896 sur le chantier de
Chantenay-sur-Loire, le Belém aura traversé miraculeusement le XXe
siècle, au gré d’un destin mouvementé, illustrant la fin de l’âge d’or des
grands voiliers long-courrier de la marine française de commerce.
Ce sont ses lignes admirables qui ont assuré sa longévité, au-delà des
révolutions techniques qui ont affecté le commerce maritime et perdu,
sauf dans nos mémoires, tant de bâtiments illustres.

Mais c’est surtout à un mécène d’une fidélité exceptionnelle, qu’il doit
d’être aujourd’hui préservé, et de célébrer cet été les 110 ans d’une
existence mouvementée.

Quel destin en effet que le sien ! Bateau de charge affecté à la ligne du
Brésil, d’où il ramenait vers Nantes des fèves de cacao ainsi que du
rhum et du sucre des Antilles, le Belém devient yacht de luxe sous
pavillon britannique entre 1914 et 1951. Il sillonne les mers du globe
avant d’être désarmé à l’orée de la Seconde Guerre Mondiale et laissé à
l’abandon pendant 12 ans. Vendu en 1951 à la Fondation Cini établie à
Venise, le navire devient un voilier école italien avant d’être à nouveau
mis en vente en 1979, faute de moyens pour assurer sa remise en état.

C’est grâce à un Français passionné de vieux gréements, le docteur
Gosse, que l’opinion publique est alertée et que l’Union Nationale des
Caisses d’Epargne de France s’engage à contribuer à son acquisition.

Après 65 années d’exil, le Belém retrouve sa patrie et c’est la Marine
nationale qui assure son remorquage jusqu’à Brest. Fidèle à ce premier
engagement, la Marine nationale s’associe encore aujourd’hui à son
entretien.

La prise en charge d’un tel bâtiment n’avait rien de simple. Elle a conduit
votre Groupe, cher Charles Milhaud, à faire preuve d’un grand esprit
novateur, en mettant sur pied une opération de mécénat, encore trop rare
à l’époque, qui a donné lieu à la création de la Fondation Belém, en 1979,
l’une des toutes premières fondations reconnues d'utilité publique.

Associant autour du groupe Caisse d’Epargne les concours de la Marine
Nationale, de la Compagnie Maritime Nantaise et du Ministère de la
Culture et de la Communication, la Fondation assure depuis 27 ans, avec
une remarquable continuité, sa mission de promotion du passé maritime
de la France, par la conservation du Belém au sein de notre patrimoine
national. La Fondation a fait le choix, risqué et complexe, mais combien
essentiel, ambitieux et courageux, de continuer à faire naviguer le bateau,
plutôt que de le transformer en bateau musée. Ce choix nous permet de
voir aujourd’hui encore le Belém fendre les ondes, dans ce spectacle
magique qui lui donne tout son sens et lui rend toute sa gloire.

Le Belém est aujourd’hui, grâce à la passion, à l’énergie et au talent de
ses responsables successifs, consacré à la découverte, à la rencontre des
amoureux de la mer et à la transmission des savoir-faire. Sa renommée
est grande en France comme à l’étranger. Restaurer, c’est avant tout
faire vivre ce fleuron du patrimoine maritime français. Cela représentait un
grand défi, qui a été relevé avec audace, dans le respect de la tradition, et
d’une démarche constamment tournée vers l’avenir. Ce voilier est ainsi
devenu la figure emblématique de l’intérêt renaissant pour le patrimoine
naval et d’une passion que la Fondation Belém sait faire partager à un
public toujours plus large. Une passion, vous le savez, qui est aussi la
mienne, héritée de mon expérience d’officier dans la Marine nationale.

Une expérience que nous partageons, Monsieur le Président, cher
Charles Milhaud.

Le nouveau lustre rendu au Belém grâce au mécénat du groupe Caisse
d’Epargne a joué un rôle pionnier dans le mouvement de sauvegarde du
patrimoine naval né dans le sillage de l’année du patrimoine en 1980,
alors que la notion même de patrimoine s’échappait de son cadre
traditionnel, pour s’intéresser à des formes nouvelles, telles que le
patrimoine industriel, le patrimoine du XXe siècle, et le patrimoine
maritime et fluvial. C’est à bord du Belém que les ministres chargés de la
Culture et de la Mer présentèrent en 1981 les grands axes d’intervention
en faveur de ce patrimoine naviguant, éminemment fragile, et très
menacé. Le vaillant navire fut naturellement l’un des tout premiers
protégés au titre des monuments historiques, par arrêté du 27 février
1984.

Aujourd’hui, la France, pays européen le plus engagé dans ce domaine,
compte 110 bateaux protégés au titre des monuments historiques : 83
relèvent du patrimoine maritime et 27 du patrimoine fluvial. Nous avons
d’autant plus de raisons de nous en réjouir que les trois-quarts d’entre eux
sont encore à flots. Car si leur entretien et leur restauration sont
extrêmement complexes, ils permettent de faire vivre les chantiers navals
traditionnels et d’assurer la transmission de leur savoir-faire.

Cet anniversaire m’offre l’occasion d’exprimer toute notre reconnaissance
au groupe Caisse d’Epargne, et en particulier à vous même, cher Charles
Milhaud, qui le présidez, et qui illustrez de façon exemplaire, en tant que Trésorier de la Fondation Belém, cet engagement pérenne et déterminé
au service du patrimoine national et de l’intérêt général. Votre groupe
compte à l’évidence parmi les grands mécènes dont la France a besoin
pour conserver et faire partager son exceptionnelle richesse artistique,
culturelle et historique. Votre fidélité remarquable s’inscrit dans la
continuité de trois valeurs fondamentales, qui sont à l’origine de la
création de la première Caisse d’Epargne en 1818 : rigueur, solidarité et
proximité.

Cher Charles Milhaud, je salue l’impulsion novatrice que vous avez su
communiquer tout au long de votre brillant parcours au sein du groupe
Caisse d’Epargne. Au-delà du rôle essentiel et des métiers traditionnels,
vous avez contribué à faire de votre groupe un acteur local et social de
tout premier ordre, en développant considérablement ses missions
historiques d’intérêt général. Ainsi la Fondation Caisse d’Epargne pour la
solidarité, que vous présidez, a ouvert depuis sa création 69 maisons
médicalisées pour personnes dépendantes. Le groupe soutient par
ailleurs des projets d’économie locale et sociale de lutte contre l’exclusion.

Permettez à l’élu municipal que je suis de saluer la générosité et
l’engagement de votre groupe, qui n’ont d’égales que la diversité de ses
actions, puisqu’il est un sponsor et un banquier de référence pour les
télévisions locales, et je pense, par exemple, à TV Tours, mais aussi un
partenaire précieux pour le sport, le cyclisme, l’athlétisme, la culture en
général et en particulier, le Belém en est l’emblème éclatant, le
patrimoine.

Ce patrimoine, que nos ancêtres nous ont légué, et que nous lèguerons
aux générations suivantes, ce patrimoine qui fait notre richesse et notre
fierté, parce qu’il est au fondement de notre identité nationale et
européenne, vous êtes parmi les premiers à en avoir pris la
responsabilité, aux côtés de l’Etat. Vous êtes parmi les premiers à avoir
compris que ce patrimoine nous lie, nous rassemble et nous élève. A
l’aube du vaste projet qui anime en ce moment même votre groupe, vous
démontrez que la réussite, l’ambition, l’innovation et la modernisation
d’une entreprise vont de pair avec la générosité et le souci de l’intérêt
général.

C’est pourquoi je suis très heureux, cher Charles Milhaud, de vous
remettre aujourd’hui la médaille de Grand Mécène qui vous est décernée,
en considération de votre action en faveur du patrimoine, du Ministère de
la Culture et de la Communication.

Transmission et enseignement du théâtre – Théâtre de Chaillot

15 mai 2006

Monsieur le Directeur de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles, cher
Jérôme Bouët,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je suis particulièrement heureux de m'associer à votre réunion au Théâtre National de
Chaillot et je remercie son directeur, Ariel Goldenberg, de nous accueillir tout au long de cet
après midi. Dès le 5 octobre dernier, lors de la présentation aux professionnels et à la presse
de mon action en faveur du Théâtre, j'avais annoncé que la création d'un Diplôme d'Etat
d'Enseignement du Théâtre constituait une des initiatives les plus importantes du ministère
de la culture et que je réunirai le 15 mai 2006 tous ceux qui ont contribué à sa mise en
oeuvre.

C'est donc avec fierté que je vous retrouve aujourd'hui, vous les premiers titulaires de ce
diplôme, et vous tous qui avez apporté votre concours à la conception et à l'organisation
d'épreuves qui se sont déroulées en 2005 et 2006 sur tout le territoire national.

Des épreuves qui auront été le fruit d'une collaboration exemplaire entre des professionnels
d'horizons très variés et des services de la DMDTS que vous ne m'en voudrez pas de
remercier plus particulièrement pour avoir permis, par leur engagement et leur compétence,
de faire de cette entreprise une complète réussite.

Vous le savez, j'ai fait des métiers de la culture, et plus particulièrement de ceux du
spectacle vivant, l'une des priorités de mon action, parce que vos activités reposent sur la
conjugaison du travail et du talent et parce que depuis que je suis ministre de la culture, je
n'ai cessé d'oeuvrer pour la reconnaissance par le plus grand nombre de nos concitoyens de
ce travail et de ces talents.

Et si vos expériences sans cesse renouvelées sont au coeur de vos métiers, votre capacité à
transmettre en est aussi constitutive, comme le prouve le succès de ce " D.E. ", créé cette
année. Je suis très heureux de l'adhésion de la profession théâtrale, tous âges et toutes
expériences confondus, à ce diplôme qui a connu un véritable engouement dès sa mise en
place : près de 850 candidats ont été admis à se présenter aux épreuves et vous êtes 319 à
les avoir passées avec succès. Je tiens à vous en féliciter personnellement.

" L'art du théâtre ne prend toute sa signification que lorsqu'il parvient à assembler et à unir ",
disait Jean Vilar. Vous êtes les artisans de ces liens profonds, solides, qu'il vous revient de
tisser avec le public le plus vaste possible. Or, au théâtre, comme dans tous les autres
domaines artistiques, tout passe d'abord par la découverte et la formation. C'est pourquoi, je
tenais à échanger avec vous sur le sens et l'importance de la transmission et de
l'enseignement du théâtre aujourd'hui.

En partant de vos motivations, de vos parcours, de la perception que vous avez de votre
métier, je voudrais que nous réfléchissions ensemble à la place du théâtre dans notre pays,
à la mission que vous vous êtes vous-mêmes confiée en vous présentant aux épreuves de
ce diplôme, et aux horizons que vous souhaitez explorer aujourd'hui. Ce sont des questions
essentielles, dont dépend, nous en sommes tous conscients, l'avenir même de cette pratique
artistique.

A terme, l'enjeu est de proposer aux jeunes, partout en France, une offre riche de
découverte et d'enseignement du théâtre, au même titre que pour la musique et la danse. La
réalisation d'un volet " théâtre " dans chacun des " schémas départementaux de
développement des enseignements artistiques ", dont j'ai souhaité la mise en oeuvre,
constitue ainsi une nouveauté importante que l'Etat accompagne et accompagnera plus
fortement encore dans les mois qui viennent.

Pour ma part, je veux également rappeler avec force que les mesures de soutien à l'emploi
comme celles favorisant l'amélioration des conditions de travail des artistes et des
techniciens, sont un volet essentiel de l'action artistique et des plans que j'ai présentés à
l'automne pour le théâtre, la musique et la danse. Elles sont indissociables de l'ensemble de
la politique que je mène en faveur de la création.

Vous le savez, devant le Conseil national des professions du spectacle réuni vendredi
dernier, j'ai présenté avec mon collègue Gérard Larcher, Ministre délégué à l'emploi, au
travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, les mesures de soutien de l'Etat en faveur
du secteur du spectacle vivant et enregistré, qui emploie environ 300 000 personnes, dont
un tiers relève du régime de l'intermittence.

Afin de favoriser une structuration de ce secteur, Gérard Larcher et moi-même avons d'abord
fait des propositions communes pour que les négociations en cours des nouvelles
conventions collectives aboutissent avant la fin 2006.

Ensuite, nous avons annoncé la création d'un fonds permanent de professionnalisation et de
solidarité, destiné à compléter le futur régime d'assurance chômage des professionnels
relevant des annexes 8 et 10. Ce fonds traduit un engagement fort de l'Etat. Il s'articulera
avec le protocole d'indemnisation rédigé par les partenaires sociaux au sein de l'Unedic qui,
je l'espère, sera signé cette semaine pour que chacun assume d'une façon complémentaire
son rôle et ses responsabilités.

Ce fonds prend en charge une allocation de fin de droits pour les intermittents ayant épuisé
leurs 243 jours d'indemnisation. Elle sera de 30 euros par jour sur 2 à 6 mois, selon
l'ancienneté des artistes et techniciens concernés.

Par ailleurs, les congés correspondant aux maladies remboursées à 100% par la Sécurité
Sociale seront inclus dans le calcul des heures permettant l'ouverture des droits, de même
que, et c'est une grande victoire pour tous ceux qui sont ici réunis, 120 heures par an au titre
des activités de formation -éducation artistique, ateliers d'écriture, stages ou cours de théâtre
– dispensées par les artistes et techniciens sans conditions d'âge ou d'ancienneté.

Le Fonds prévoit par ailleurs un soutien financier aux structures pour aider à la pérennisation
des emplois. Il proposera également un soutien professionnel aux artistes et techniciens en
situation de vulnérabilité professionnelle. Enfin, il prendra en charge de manière transitoire,
au plus tard jusqu'à la fin de l'année 2007, l'indemnisation des artistes et techniciens qui ont
travaillé 507 heures sur 12 mois, mais qui n'y sont pas parvenus en dix mois ou en dix mois
et demi.

Ce nouveau dispositif, je le redis, marque un geste fort de l'Etat, soucieux de garantir aux
artistes de bonnes conditions d'exercice de leur métier.

Oui, le développement de l'emploi culturel est au coeur de la mission qui m'a été confiée, et il
est indissociable de notre politique d'éducation artistique et de formation à l'art dramatique
sur laquelle je tenais à ce que nous échangions aujourd'hui.

Dans tous les métiers, et cela vaut bien sûr pour le métier d'acteur, la formation
professionnelle favorise l'insertion professionnelle, et je tiens à le rappeler, au moment où
j'encourage une réflexion intense sur les parcours professionnels.

Je tiens enfin à redire avec force, en réponse à certaines inquiétudes exprimées ici ou là,
que le Diplôme d'Etat d'enseignement du théâtre ne conditionne en aucune manière l'accès
à l'activité d'enseignement et qu'il ne saurait être exigé pour participer à des projets
d'éducation artistique ou culturelle. Ce diplôme est un simple outil d'évaluation, qui n'entraîne
ni avantage ni sanction, mais démontre une compétence reconnue au niveau national, celle "
d'artiste formateur en art dramatique ".

Mais si aucune collectivité n'est tenue de demander ce diplôme à un intervenant en théâtre,
nul doute que sa possession permettra à terme de le choisir autrement que sur simples
critères subjectifs.

En l'attente de la nouvelle session qui se déroulera en 2008, je resterai vigilant sur le respect
des principes qui ont guidé la mise en place du Diplôme d'Etat : valoriser, mais, en aucun
cas, exclure. Et c'est en parallèle que j'engagerai, dès cette année, la nécessaire réflexion
sur la mise en place d'un nouveau Certificat d'aptitude aux fonctions de professeur d'art
dramatique.

De la même manière, je veux redire solennellement devant vous que la création prochaine
d'un diplôme national de comédien ne s'apparentera en aucune façon à la mise en place
d'une quelconque carte professionnelle, dont je ne suis absolument pas partisan.

Délivré en partenariat avec une Université, ce diplôme aura essentiellement pour vertu de
ménager aux comédiens qui le possèdent une possible reconversion si leur carrière devait
être interrompue. Utile, il ne sera pas un sésame pour la scène : le talent seul, et la
persévérance, continueront de prévaloir. Et il en sera de même pour les futurs metteurs en
scène, même si les expériences de l'Unité nomade ou du Théâtre National de Strasbourg
montrent que ce qui traditionnellement ne s'apprend pas peut tout de même se transmettre.

Ainsi, grâce à tous ceux – formateurs, élèves en voie de professionnalisation ou amateurs –
qui transmettent ou reçoivent un savoir, la circulation des expériences et des sensibilités
continuera de favoriser l'ouverture, qui est un de mes objectifs essentiels.

Je voudrais, en guise de conclusion, vous lancer une invitation. Comme vous le savez, j'ai
décidé, en cette année 2006, de célébrer le soixantième anniversaire de la décentralisation
théâtrale.

Menée sous l'impulsion de Jeanne Laurent, avec la création des centres dramatiques,
poursuivie par André Malraux, et portée par des pionniers enthousiastes, la décentralisation
théâtrale avait pour belle et noble ambition de toucher de nouveaux publics et d'irriguer de
nouveaux territoires de cette sève essentielle qu'est l'art du théâtre.

Une ambition dont vous
êtes aujourd'hui les nouveaux relais, déterminés et, vous l'avez prouvé en obtenant ce
diplôme, enthousiastes.

Je vous invite donc tous à participer à cette journée particulière, conçue sous le regard
attentif d'un grand ancien du théâtre à la pensée toujours aiguë, Gabriel Monnet. Elle se
déroulera à Avignon le 17 juillet, et il s'y tiendra notamment une table ronde sur la formation
et l'enseignement du théâtre à laquelle, si votre emploi du temps le permet, je serai heureux
de vous retrouver.

Ce 17 juillet 2006, fait de paroles et d'images d'archives, de témoignages rares et de
rencontres imprévues, sera pour nous tous l'occasion de mesurer le chemin parcouru et
l'exceptionnel développement de la vie du théâtre dans notre pays.

Ensemble, nous y
puiserons la force, l'énergie et l'élan que nous souhaitons continuer d'impulser à l'art
dramatique.

Je vous remercie.