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Table-ronde sur la diversité culturelle – (France Culture) – éléments de langage

Je suis très heureux que vous ayiez accepté l’invitation de Gilles Jacob et la mienne à
prendre deux heures de votre temps pour que nous discutions ensemble librement de la
diversité culturelle.

1. Pourquoi la diversité

La diversité culturelle est une exigence politique essentielle. Les artistes, tous autant qu’ils
sont, dans leur diversité, doivent avoir la capacité de créer librement, et le public doit pouvoir
accéder à leurs créations. C’est pourquoi, chaque Etat doit avoir le droit d’aider les créateurs
sur son territoire comme il l’entend, et ce droit lui est désormais reconnu par la communauté
internationale, grâce à l’adoption de la convention de l’Unesco.

La diversité culturelle est la meilleure réponse à la mondialisation. C’est un enjeu de
gouvernance mondiale. Face à la mondialisation, le dialogue des cultures est un facteur de
paix entre les peuples et de cohésion sociale. La diversité culturelle est aussi nécessaire que
la biodiversité.

Le développement et la libéralisation des échanges internationaux, ainsi que les
bouleversements technologiques – et notamment numériques – facilitent les mouvements de
concentration des industries culturelles et l’apparition d’industries dominantes, pour ne pas
dire de cultures dominantes, et tendent à unifier les cultures.

Face au risque d’un seul style de cinéma, d’une seule manière de voir le monde, d’une seule
manière de s’exprimer, l’exigence de diversité culturelle rappelle la nécessaire,
l'indispensable polyphonie des langues et des cultures.

2. Pourquoi le cinéma est particulièrement concerné par ces enjeux

Le cinéma est un art, « et par ailleurs, une industrie » écrivait Malraux dans son Esquisse
d’une psychologie du cinéma. Le cinéma est devenu l’industrie culturelle par excellence. Une
industrie stratégique. Dans un monde où l’image est reine, le cinéma est l’expression des
identités, des imaginaires, des cultures, des représentations du monde.

Cette expression est le fruit, tout autant du court-métrage tourné en vidéo numérique que de
la superproduction internationale ou du film d’auteur.

On a souvent dit que le combat en faveur de la diversité culturelle, dans le domaine du
cinéma, était un combat contre le cinéma « américain ». Pour ma part, je n’ai jamais partagé
ce point de vue. Le cinéma américain, qu’il émane des fameuses majors, ou des producteurs
indépendants, doit pouvoir exister et être vu, mais ce droit doit également et dans le même
temps être reconnu aux cinémas africains, européens, asiatiques et latino-américains.

Or, près de 85% des films diffusés en salles dans le monde aujourd’hui sont produits par les
studios américains. Ces mêmes films représentent 71% de parts de marché en Europe, 64%
au Japon et 97% aux Etats-Unis. J’ajoute que, selon l’UNESCO, 88 pays sur 185 n’avaient
produit aucun film en 2000.

De tels chiffres doivent nous alarmer. Ils prouvent si nécessaire que les risques
d’uniformisation du monde et de 15 représentations sont bien réels et qu’ils ne feraient que
s’accentuer si les Etats, individuellement et collectivement, n’avaient décidé d’agir, ce qu’ils
ont fait en adoptant la convention de l’Unesco.

3. L’UNESCO et les autres chantiers

191 Etats membres de l’UNESCO ont adopté, le 20 octobre 2005, la convention sur la
diversité culturelle. C’est à mes yeux une victoire historique non seulement pour la France et
l’Union européenne, mais pour la diversité des cultures et des créations des artistes du
monde pour le dialogue entre les peuples, les cultures et les sociétés, pour le respect des
différences et la reconnaissance de ce que l’autre, quel qu’il soit, apporte à notre richesse,
qui est tout autant culturelle que matérielle.

Cette victoire est d’autant plus méritoire qu’elle était loin d’être acquise d’avance. C’était le
pot de terre (la culture et l’UNESCO) contre le pot de fer (l’économie et l’Organisation
Mondiale du Commerce). C’était l’affrontement de l’utopie créatrice mais réaliste, et de la
rigueur économique.

C’est surtout une victoire du droit international, de la volonté politique et du sens que les
sociétés restent libres de définir collectivement.

Elle démontre aussi que l’Europe peut agir au service d’une meilleure maîtrise de la
mondialisation car l’Union européenne, adhérant à l’initiative de la France, a joué un rôle
moteur dans cette affaire.

L’engagement individuel et collectif des créateurs, des artistes de toutes les disciplines, de
toute l’Europe, et de tous les pays du monde a été décisif, jusqu’au dernier moment, pour
convaincre, lorsque cela était nécessaire, des perspectives d’avenir ouvertes par la
convention.

Je tiens aussi à saluer en la personne d’Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation
Internationale de la Francophonie, la mobilisation de tous les francophones au service de la
diversité linguistique qui est l’un des aspects les plus vivants, les plus dynamiques, de la
diversité culturelle.

Le texte de cette convention jette les bases juridiques d’un monde plus respectueux de la
diversité des cultures. Il reconnaît le droit souverain des Etats à mener des politiques de
soutien à la diversité culturelle. Il souligne, dans le même temps, le nécessaire renforcement
de la coopération et de la solidarité en faveur des pays en développement.

De nombreux pays, dont la France, ont déjà mis en place des systèmes de soutien ouverts
aux autres cinématographies. Ainsi, au sein de l’ensemble des sélections du festival de
Cannes cette année, sans compter les coproductions avec des partenaires européens,
quatre films étrangers ont été soutenus par le Centre national de la cinématographie. Je
citerai en particulier Bamako, d’Abderrahmane Sissako, Hamaca Paraguaya de Paz Encina
et Palais d’été de Lou Ye, qui ont été soutenus par le fonds Sud.

Pour que la Convention entre pleinement en vigueur, une dernière étape est déterminante :
car les Etats doivent, d’ici à la fin 2007, ratifier ce texte. Nous avons besoin de vous, comme
autant d’Ambassadeurs de vos pays respectifs, pour peser de tout votre poids pour
encourager vos gouvernements à s’engager dans ce processus. La convention ne prendra
toute sa force que si elle est effectivement ratifiée par une majorité d’Etats.

Pour ma part, je rejoins Bruxelles à l’issue de notre rencontre pour une réunion des ministres
de la culture de l’Union européenne qui a précisément pour objet d’autoriser la Commission
européenne à ratifier, au nom des 25 Etats membres, cette convention.

A l’évidence, le combat pour la diversité et le dialogue des cultures continue. Au plan
européen, la France a réussi à faire reconnaître par la Commission européenne la légitimité
de toutes ses aides au cinéma. C’est un résultat formidable pour l’Europe du cinéma, car
tous les Etats membres peuvent désormais se réclamer de ce précédent. Mais il faut
maintenant voir plus large, à l’échelle du monde. Je pense pour ma part que la communauté
internationale devrait faire preuve d’audace et d’imagination, en réfléchissant à la possibilité
d’utiliser les grandes institutions financières internationales pour financer des projets
culturels, et notamment l’éclosion des nouvelles cinématographies, dans les pays en
développement.

Je vous remercie.

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