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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Diane de Selliers

Chère Diane de Selliers,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui au ministère de la
Culture et de la Communication. Vous êtes pour moi l’incarnation de
l’amour de l’art, de l’amour des mots, du travail qu’ils exigent, et de
cette exigence même. Dans le monde de l’édition, vous êtes une
orfèvre, un véritable artisan, au sens le plus noble, au sens de
l’excellence, de la patience, de la recherche de l’exception, de
l’unique, du Beau. Ces idéaux, ces valeurs, que nous partageons,
vous les portez depuis toujours.

Et quel merveilleux chemin – droit, déterminé, rigoureux – vous avez
suivi vous-même, depuis votre arrivée à Paris en 1980, où vous avez
débuté comme éditeur chez Tchou ! Vous vous êtes ensuite lancée
seule, à vos risques et périls, avec un courage – et je veux souligner
ce mot de courage, que votre élégance et votre délicatesse pourraient
faire oublier – avec un sens du défi, et une force remarquables, dans
une aventure éditoriale et littéraire qui est devenue l’honneur de
l’édition française.

Vous vouliez créer « des livres qui restent », des livres qui résistent au
temps, aux modes, des livres uniques, des livres que l’on parcourt
religieusement, des livres qui émerveillent, des livres que l’on lègue à
ses enfants, à ses petits-enfants, comme le patrimoine le plus
précieux.

Votre idée, votre vision, était simple, mais lumineuse et audacieuse :
vous avez imaginé de réunir écrivains et peintres, gens de plume et
gens de pinceaux, littérature canonique et grands artistes, dans une
collection d’une rare qualité. Les illustrations auraient pu n’être que de
simples reflets, échos, ou miroirs des textes, mais vous avez réussi,
grâce à votre sensibilité, à votre intuition, et à votre intelligence, à les
rendre indissociables, comme nécessaires à leur compréhension
mutuelle, comme si les dessins et les gravures étaient les expressions
mêmes rythmant, en formes et en couleurs, les mots, les phrases, les
vers et les rimes.

Pour parvenir à une telle harmonie, vous avez accompli un immense
travail, et mené d’immenses recherches, qui vous ont conduite jusque
dans les arcanes du Vatican, pour retrouver les 92 dessins sur
parchemin que Botticelli avait exécutés afin d’illustrer un manuscrit de
La Divine Comédie.

Vous avez sillonné l’Europe pour rechercher les oeuvres baroques
susceptibles de répondre, mot par mot, aux histoires des
Métamorphoses d’Ovide. Vous avez parcouru les musées du monde
entier pour retrouver tout ce qui, dans l’oeuvre de Delacroix, se
rattachait au thème de Faust. Combien de dessins cherchés,
retrouvés, examinés, choisis pour que le livre soit le plus beau, le plus
juste possible ?

C’est cette exigence, cette justesse, qui fait toute la beauté de vos livres.

Vous êtes présente, à chaque stade de leur élaboration, attentive au
moindre détail de la fabrication, de la maquette, de la mise en page, de la
texture, de la qualité du papier, qui participe, lui aussi, au caractère
exceptionnel de vos chefs-d’oeuvre. C’est un travail d’artisan, de
compagnon, qui met tout son art, toute sa patience, dans la réalisation de
son ouvrage.

Vous avez également fait appel aux plus grands peintres contemporains,
pour illustrer des classiques de notre littérature, et en renouveler la lecture
et la compréhension. Gérard Garouste a ainsi revisité le Don Quichotte de
Cervantès, et, plus récemment, Pat Andrea a livré une nouvelle illustration
du chef d’oeuvre de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles.

L’autoportrait au XXe siècle de Pascal Bonafoux, que vous publiez hors
collection, est un livre superbe, capital, qui expose l’un des thèmes
majeurs de l’histoire des arts plastiques, et éclaire la notion d’individualité
dans l’art, bouleversée au siècle dernier.

Vos livres ne sont pas des adaptations, mais des miracles de dialogues
artistiques, de correspondances esthétiques, au sens baudelairien du
terme, à travers le temps. Et si vous créez des oeuvres exceptionnelles,
rares, vous avez toujours le souci d’aller vers les lecteurs, tous les
lecteurs. Vous avez le souci de la découverte, du partage et des autres.

A
l’heure du zapping, du jetable, de l’éphémère, de ce que Malraux appelait
les « usines de rêve », vous nous offrez ce luxe, qui est d’abord celui de
l’esprit, vous nous offrez la beauté et la rareté, l’exceptionnel et le
précieux.

Diane de Selliers, au nom de la République, nous vous faisons chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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