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Installation du Comité du Patrimoine Cultuel

Monsieur le Président, Cher Bruno Foucart,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux de vous recevoir cet après-midi rue de Valois.
Chacun garde en mémoire la prophétie sans doute apocryphe attribuée
à mon illustre prédécesseur André Malraux, qualifiant notre XXIe siècle
de nécessairement “religieux”. Comment ne pas mesurer aujourd’hui la
justesse du propos ?

La foi et l’expression de l’aspiration au sacré nous laissent les
témoignages les plus marquants du génie de chaque génération. Dans
cette quête de l’absolu, les générations attachées à la préservation de
la foi de leurs ancêtres ont imposé leur vision renouvelée, au prix
parfois du sacrifice d’une partie de l’héritage. Ce sacrifice fut aussi le
résultat tragique de la folie des hommes et de leurs combats fratricides,
du fanatisme de l’intolérance et des malheurs de l’histoire. La
génération suivante s’est efforcée à son tour de relever l’héritage, avec
la volonté d’inventer des formes plus marquantes encore.

C’est ainsi que le patrimoine cultuel, sans cesse renouvelé, est devenue
l’une des composantes majeures de notre héritage commun, non
seulement français, ou européen, mais véritablement universel. Qu’il
s’agisse de nos cathédrales, ou de nos plus humbles sanctuaires
ruraux, restés les signes visibles des premières communautés, qu’il
s’agisse des abbayes, des temples ou des synagogues. Qu’il s’agisse
aussi de toutes les « images » proposées pour l’évocation de la
transcendance, empreintes du talent d’artistes virtuoses ou de l’émotion
des plus modestes artisans. Qu’il s’agisse enfin de la création des
fabuleux instruments destinés à favoriser la prière et magnifier la
liturgie.

Dans le patrimoine cultuel sont donc inscrits tous les témoignages de
notre vie artistique, intellectuelle et spirituelle, longtemps fondue dans
une vision unitaire de l’histoire du monde.

Malgré le lent déclin de la pratique religieuse institutionnelle, la création
contemporaine a été d’assez longue date sollicitée pour innover, et
ajouter à ce patrimoine les expressions d’aujourd’hui, au prix de
réflexions nouvelles, de débats, d’interrogations, lorsqu’il s’est agi de
transformer, d’adapter, ou d’intervenir avec force sur tel ou tel lieu
emblématique, sur ce qui, de cultuel, est devenu aussi culturel.

C’est à ces divers titres que le ministère de la culture et de la
communication est partie prenante au devenir de cet héritage, garant de
la pérennité de ce qu’il a officiellement protégé, garant également par
son engagement constant, de toute forme de soutien à la création
artistique.

Pour ne parler que du patrimoine architectural, le patrimoine cultuel
représente une part majeure du patrimoine monumental, avec bien sûr
nos 89 cathédrales, monuments majeurs de l’Etat, avec aussi, surtout
les plus de douze mille églises, chapelles, abbayes, jusqu’aux simples
croix de chemin. Ce patrimoine a été heureusement étendu, au prix de
campagnes de protection thématique, aux témoignages des autres
confessions, plus modestement représentées il est vrai.

L’Etat, qui a distingué les éléments de ce patrimoine au titre de leur
intérêt artistique et historique, ne saurait ignorer les fondements de leur
création, ni les contraintes de leur usage. Il doit tenir compte de leur
évolution, conformément aux exigences de la foi de leurs affectataires.

Quant au patrimoine mobilier religieux classé parmi les Monuments
historiques, il faut savoir qu’il représente l’immense majorité de
l’ensemble des protections.

L’Etat s’implique donc largement dans cette sauvegarde, par ses
moyens techniques et financiers, et j’observe que les collectivités
locales s’associent largement et volontiers à cette tâche considérable. Il
s’implique également, notamment pour les cathédrales, dans la
commande de nouvelles oeuvres d’art. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion
d’annoncer lors de mon récent déplacement à Reims la commande de
vitraux passée à Gérhard Richter, dans la continuité de l’oeuvre de
Chagall.

Comment toutefois ne pas s’interroger sur les bouleversements actuels
? Le phénomène religieux fait une irruption nouvelle dans nos sociétés
menacées par les fractures entre communautés. Le monde
contemporain semble trop souvent réintégrer les religions par
l’affrontement et la discorde. La notion d’une laïcité apaisée peine à
s’imposer. Quelle peut être notre rôle de responsables, à des titres
divers, du patrimoine cultuel, pour faire valoir une autre conception de
l’expression religieuse, telle qu’héritée du passé, telle qu’elle doit s’offrir
à notre interprétation, telle qu’elle doit continuer à s’apprécier comme
mode privilégié de l’expression artistique ?

Le patrimoine offre sans nul doute un terrain de réconciliation avec notre
histoire et notre identité. Nos églises constituent, pour certaines d’entre
elles, les musées les plus riches, les plus ouverts qui soient jamais
offerts à nos concitoyens. Leur caractère spirituel leur donne,
indépendament des convictions de chacun, une dimension
supplémentaire dont témoignent tous les visiteurs. Comment rendre
accessible ce patrimoine dont la simple conservation est quelquefois
remise en cause ? Comment promouvoir la grande idée d’une
appropriation, par l’ensemble de nos concitoyens, de ce bien commun
hérité de notre histoire ? De nouvelles problématiques voient le jour.

Dans le même temps, l’acculturation qui accompagne l’évolution de la
pratique et de l’enseignement des religions nous oblige, pour être
simplement intelligible, a élaborer de nouveaux vocabulaires
d’interprétation, destinés à des générations privées des moyens de
lecture et d’iconographie élementaires.

C’est ainsi que l’avenir de ce patrimoine est menacé à divers titres. Le
caractère sacré, qui lui était naturellement conféré et reconnu, ne
s’impose plus à tous. Le patrimoine mobilier est devenu objet de convoitise, l’objet d’art l’emportant sur l’objet sacré, désormais exposé à
la rapacité de trafiquants sans scrupules. Quelles mesures prendre ? A
quels transferts de sécurité faut-il se résigner ? Les monuments eux-mêmes
sont confrontés à la diminution des effectifs du clergé
desservant et au regroupement, en de nouvelles paroisses qui comptent
aujourd'hui une ou deux dizaines de clochers…

Mon prédécesseur Jean-Philippe Lecat avait pris la mesure des enjeux
de ce patrimoine, en créant en 1980 la “Commission pour la sauvegarde
et l’enrichissement du patrimoine cultuel”. Il avait souhaité créer un
espace où pourraient se rencontrer, de manière informelle, tous ceux qui
se sentaient concernés par le devenir du patrimoine religieux ou
d’origine religieuse, mais aussi par le développement de la création
artistique dans ce domaine, réunissant à la fois membres du clergé,
représentants des fidèles, scientifiques, historiens, architectes et
archéologues, responsables administratifs, artistes et interprètes.

Je voudrais rendre hommage à tous ceux, et ils sont nombreux (près
d’une soixantaine), qui ont contribué aux travaux de cette commission
tout au long de ces années, autour de son président Dominique Ponnau
et de son secrétaire général Jean Fosseyeux, dont je salue la présence
et à qui je veux rendre un hommage sincère et amical. Ils ont traité
d’innombrables sujets, de l’entretien, de l’utilisation, du régime
d’affectation des lieux et objets du culte, jusqu’aux moyens de favoriser
les contacts entre l’art, la pensée, la culture et la religion.

Il était devenu nécessaire de donner à cette Commission une forme plus
appropriée : c’est ainsi qu’a été créé, par arrêté du 24 juin 2002, le
Comité du patrimoine cultuel, toujours placé sous la présidence de
Dominique Ponnau, et auquel revenait la mission de conseiller le
ministre dans le domaine de la conservation, de l’enrichissement et de la
présentation du patrimoine religieux ou d’origine religieuse. Cette
mission a été élargie à des actions concernant la connaissance du
patrimoine cultuel, par la mise en place de groupes de travail,
l’organisation et la publication de travaux de colloques et de rencontres
sur ces thèmes, et à la promotion de toutes actions en direction des
administrations, des usagers et des publics.

Un travail important a aussi été accompli par les groupes de travail, et
individuellement par plusieurs membres du comité, plus d’une centaine
de fiches sur les sujets les plus divers ont été rédigées, mettant ainsi
une abondante matière à notre disposition. Il vous revient, Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs, de poursuivre ce travail et de
l’étendre à des champs nouveaux, en rapport avec les réalités nouvelles
de ce début du XXIe siècle.

Telle est la mission qui vous incombe aujourd'hui, au sein d’un Comité
du patrimoine cultuel renouvelé. Je vous remercie de la contribution que
vous apporterez, par vos travaux, aux grands sujets qui vous sont
confiés. Je vous adresse, cher Bruno Foucart, tous mes voeux pour
votre mission de Président, certain que votre immense connaissance du
patrimoine, votre grande curiosité intellectuelle, votre liberté de ton et de
pensée feront merveille pour animer les travaux de cette assemblée, à
la mesure des enjeux qui lui sont confiés.

Je vous remercie.

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