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Remise des insignes d'Officier dans l'Ordre national de la Légion d'Honneur à Claude Berri

Monsieur le Président,

Cher Claude Berri,

Je suis très heureux d’avoir ce soir, entouré de vos amis,
l’occasion de vous dire mon admiration personnelle, mais aussi et
surtout de vous témoigner la reconnaissance de la République
pour ce que vous apportez au patrimoine cinématographique
français et international.

Avec constance, depuis de nombreuses années, comme metteur en
scène, comme producteur, comme acteur, et depuis peu comme
Président d’une institution patrimoniale ô combien prestigieuse, la
Cinémathèque française, artiste vous-mêmes, vous avez aussi mis
votre talent au service du talent des autres.

Rares sont les professionnels du cinéma qui, comme vous, sont de
manière aussi complète, à la fois de véritables hommes de l’art, et
de grands entrepreneurs.

Homme de l’art, Homme des arts devrais-je dire, car aucun art ne
vous est étranger. Vous aimez l’écriture et le théâtre, la peinture contemporaine et le cinéma : vous avez choisi d’exprimer votre
talent dans le 7e art, mais vous auriez aussi bien pu exceller dans
les autres.

Votre oeuvre s’inscrit dans l’histoire comme un modèle de diversité
et de courage. C’est sans doute cela qui vous a permis de devenir
un producteur et un auteur populaire, soucieux de toucher le public
le plus large en lui parlant avec sensibilité et talent des choses de
la vie. Vous n’aimez pas le cinéma confidentiel. Vous pensez qu’on
peut être un auteur et s’adresser au plus grand nombre et vous
avez prouvé que vous aviez raison.

J’ai plaisir à énumérer ici quelques titres de vos films : comme
réalisateur, Le vieil homme et l’enfant, Tchao Pantin, Jean de
Florette, Manon des sources, Germinal et, nous l’espérons tous
bientôt, L’un reste, l’autre part, votre prochain film; comme
producteur : L’ours, L’amant, les deux Astérix et Obélix, Gazon
maudit, Didier, La reine Margot, Ma femme est une actrice, on
pourrait allonger la liste à l’infini.

Tout cela vous a valu des jalousies, des relations difficiles avec
une certaine critique, mais cela vous a valu surtout le respect et
l’admiration de vos pairs, des amitiés indéfectibles et un statut
unique dans le cinéma français : le film qui vous a été récemment
consacré ne s’intitulait-il pas « Le dernier Nabab ».

Animé par des convictions fortes et un jugement hors pair, vous
pouvez vous investir avec la même passion pour un cinéaste
inconnu que pour un projet pharaonique. L’argent n’entre jamais en
compte quand il s’agit de le mettre au service du talent. Pour
produire Tess de Roman Polanski vous n’avez pas hésité à mettre
votre société en péril.

Le film a reçu six nominations aux Oscar et en a gagné trois.
Votre ami François Truffaut parlait de votre instinct. Vous préférez
parler de votre inconscient : un inconscient que vous suivez et qui,
pour vous, ne peut se tromper. Un inconscient qui vous dirige
aujourd’hui vers de jeunes talents tel Yvan Attal ou bientôt Abdel
Kéchiche dont vous avez, comme nous, admiré L’esquive.

Vous laissez une grande liberté à vos metteurs en scène sur leurs
tournages. Peut-être, tout comme on ne dirige pas un comédien –
vous aviez appris avec Michel Simon dans Le vieil homme et
l’enfant « qu’un acteur, ça ne se dirige pas, ça se choisit » – de la
même façon, ne dirige-t-on pas un metteur en scène quand on est
producteur, on le choisit.

Il vous est arrivé de trembler en devant laisser faire certains d’entre
eux. Votre jugement – pardon, votre inconscient – vous a cependant
rarement trompé !

Et puis je crois que, créateur vous-même, vous avez tout
simplement un profond respect pour le processus de création.

Vous faites donc confiance à vos metteurs en scène.

Récemment, vous avez été élu Président de la Cinémathèque
française. Vous avez ainsi souhaité exprimer votre attachement à
cette institution et votre désir de la voir s’ouvrir aux publics les
plus larges. Vous vous êtes investi dans cette tâche avec la
passion qui vous caractérise. Je sais que vous saurez
accompagner son installation rue de Bercy à l’automne prochain.

Je ne voudrais pas finir sans parler de l’homme le plus important
de votre vie : votre père. « Pour moi, mon père c’était une star »,
dites-vous. Vous avez écrit ensemble Le cinéma de papa que vous
avez réalisé en 1970 et qu’il aurait dû interpréter ; cette expérience
partagée a été le grand bonheur de votre vie.

Ce père disparu trop tôt vous a fait un premier cadeau en vous
faisant naître à une adresse prédestinée : « Passage du Désir » !
Et de désirs, nous n’en avez jamais manqué ! Et surtout, il n’a
jamais douté de vous, même dans les moments les plus difficiles,
jamais douté de votre réussite et de votre talent. « Il faut, à tout
prix, que tu leur donnes les cartes » vous disait-il sans cesse. Je
crois que vous y avez réussi au delà de toutes ses espérances.

Ces citations, je les tiens de la lecture de votre Autoportrait, qui est
plus qu’une autobiographie, plus qu’un journal. Je dois vous dire
que j’ai été très ému à la lecture de ce livre magnifique, par votre
qualité d’écriture, par votre franchise, que certains ont pu même
qualifier d’impudeur. C’est le livre d’un homme à vif, d’un homme
qui se livre, d’un homme qui se met à nu avec une sincérité rare.

Une sincérité qui me fait penser à ces mots, à ces conseils de
Cocteau, que votre vie me paraît illustrer : « la sincérité de chaque
minute, même lorsqu’elle offre une suite de contradictions
apparentes, trace une ligne plus droite, plus profonde que toutes
les lignes théoriques auxquelles on est si souvent tenu de sacrifier
le meilleur de soi ».

Cher Claude Berri, au nom du Président de la République et en
vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons
officier dans l’ordre de la Légion d’Honneur.

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