Officialisation dans l’église Saint-Martin de Winnezeele, dans le Nord, le retour des cinq panneaux de la chaire, trésors de l'art religieux flamand du XVIème, volés en juin 1977 et restitués en novembre 2004
Monseigneur,
Monsieur le Député maire de Brouquert, cher Jean-Pierre Decool,
Monsieur le Maire de Winnezeele, cher Paul Dequidt,
Madame le Sénateur du Nord, chère Sylvie Desmarescaux,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur Régional des Affaires Culturelles,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je suis particulièrement heureux et fier d’assister avec vous au retour d’un
trésor qui vous a été dérobé il y a maintenant presque trente ans. C’est un
monde d’émotion, un grand moment, pour les habitants de Winnezeele,
pour toute la région Nord-Pas-de-Calais, riche de plus de 3500 objets
classés aux Monuments historiques, et qui retrouve aujourd’hui un chef d’oeuvre
exceptionnel de son patrimoine, ces cinq panneaux en bois
sculpté datant du début du XVIe siècle.
Notre patrimoine n’a rien de simples « vieilles pierres », il n’a rien de
seulement nostalgique, il est le témoin, bien vivant, de notre histoire et de
notre identité, il est l’âme d’une région, de ses habitants, des siècles qu’ils
ont traversés, et perdre une partie de ce patrimoine, c’est perdre une partie
de cette âme.
Je suis donc très heureux de partager aujourd’hui votre émotion de
retrouver ce trésor de l’art religieux flamand, pièce maîtresse du patrimoine,
de la mémoire, de l’âme de votre ville et de votre région.
C’est également, pour nous tous, un plaisir particulier que de pouvoir
constater l’utilité d’un combat, d’un engagement mené de longue date par
la France, dans le domaine de la protection des objets mobiliers et de leur
restitution.
Ces éléments exceptionnels de la chaire de l’église de Winnezeele ont en
effet disparu le 2 juin 1977. Et il aura fallu attendre 22 ans pour qu’ils soient
localisés, avec bien d’autres objets insignes provenant également du
patrimoine classé au titre des monuments historiques, par la police
judiciaire de Louvain chez un antiquaire belge.
Heureusement classés au titre des monuments historiques par arrêté du
26 février 1913, ces panneaux avaient fait l’objet, dès cette époque,
d’une importante documentation photographique, et celle-ci a été mise,
bien évidemment, à disposition immédiate des enquêteurs par les
services en charge des monuments historiques.
Il aura fallu attendre encore cinq années supplémentaires pour que les
panneaux puissent être finalement rapatriés sur le territoire national,
avec l’aide de l’Office central de lutte contre le trafic des Biens culturels
(direction centrale de la police judiciaire – OCBC) et du service régional
de police judiciaire de Limoges, le 14 juin 2004, dans le cadre d’une
commission rogatoire internationale diligentée par le Parquet de
Limoges.
Et même si la disparité des législations des divers pays d’Europe, en
matière de prescription et de recel des objets volés demeure, j’y
reviendrai dans un instant, il convient de se féliciter de l’efficacité
renforcée de la coopération culturelle, policière, douanière et judiciaire,
gage essentiel de bons résultats.
Je tiens à insister sur la qualité du dialogue que nous avons pu avoir
avec la juge d’instruction de Limoges, qui a pleinement associé les
services du ministère à ses démarches, lesquels ont pu, en retour,
apporter toute leur aide technique et leurs informations. Cette
coopération est suffisamment rare pour être soulignée.
Dans l’état actuel de notre législation, le fait que le vol affecte un bien
culturel reconnu Trésor National ne crée pas de circonstance
aggravante. En conséquence, le Ministère de la Culture et de la
Communication est souvent peu informé –ce qui n’a pas été le cas dans
cette affaire – par les parquets des procédures judiciaires affectant des
biens culturels protégés et les jugements rendus tiennent peu compte de
l’intérêt patrimonial des biens volés. Nous sommes aussi parfois
informés avec retard des restitutions opérées alors qu’elles nécessitent
des précautions en matière de transport et de travaux de sécurisation.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons pouvoir proposer dès que
possible une modification du code pénal, en accord avec les ministères
concernés.
La question se pose aujourd’hui de la protection des oeuvres dans tous
les lieux qui les abritent, ce qui constitue à l’échelle nationale un
investissement considérable, mais, hélas, tout à fait indispensable pour
un pays comme la France, dont la richesse patrimoniale vient
évidemment stimuler toutes les concupiscences. Et je sais que vous
avez, depuis la restitution à la commune des panneaux en novembre
2004, et à la suite d’une mission de sûreté conduite par l’expert diligenté
par le ministère de la Culture et de la Communication, largement investi
dans la sécurisation de cette église, en particulier de ses ouvertures. La
prévention des vols, action permanente et toujours recommencée, est
l’affaire de tous !
Ce dossier est aussi révélateur des difficultés auxquelles se heurte la
coopération entre États de la communauté européenne, en matière de restitution des trésors nationaux volés. Il est nécessaire de rappeler les
différences de législation en Europe en matière de prescriptions de vol
et de recel de biens culturels, notamment les vols affectant des biens
mobiliers du domaine public ou les Trésors nationaux. Le travail normatif
entrepris par la Communauté européenne, s’il fait avancer les choses,
se heurte encore néanmoins aux disparités législatives nationales.
Et vous savez que dans le cas précis qui nous réunit aujourd’hui, le
dossier a achoppé sur les différences des régimes de prescription du
recel entre les lois belge et française : pour la loi belge, le recel est un
délit instantané, tandis que la législation française le considère comme
un délit continu qui ne prend fin que lorsque le receleur se libère de
l’objet recélé entre les mains d’un tiers de bonne foi.
Par ailleurs, la France n’est pas qu’un lieu ressource du trafic illicite des
biens culturels, elle en est également un lieu d’échanges et de passage.
Elle souhaite, à ce titre, contribuer fortement à la mise en place et au
développement au plan européen d’instruments permettant d’améliorer
la coopération des Etats membres dans ce domaine, ainsi que dans
celui du commerce légal des biens culturels.
L’harmonisation des législations est un grand chantier dont nous ne
pourrons faire l’économie dans les années à venir.
Nous possédons en France plus de 130 000 objets classés, près de 130
000 objets inscrits, conservés dans plus de 40 000 monuments
protégés, mais aussi de nombreux édifices non protégés. Et même si
l’on ne déplore, sur l’ensemble du territoire, et ce grâce aux efforts de
tous, que 50 à 100 objets protégés au titre des monuments historiques
volés chaque année, chaque perte est ressentie localement comme un
véritable traumatisme et, si nous n’y prenions garde, finirait par
constituer un appauvrissement irréductible du patrimoine national.
Je tenais également à remercier les actions menées par l’Association
des retables de Flandre.
L’accroissement de la politique de prévention et de la lutte contre le
trafic illicite des biens culturels est donc une nécessité absolue, et un
enjeu de tout premier plan, auquel j’ai souhaité sensibiliser le grand
public. Je souhaite donc organiser une manifestation dédiée à cette
politique, au sein du ministère de la Culture et de la Communication, afin
de présenter des objets volés, retrouvés et restitués, et de mettre en
valeur l’action conjointe des ministères, des services et des
fonctionnaires dont le travail a permis à leur restitution. Les spectateurs
comprendront ainsi mieux les efforts que de nombreux services de l’État
déploient chaque jour pour que notre pays demeure le pays des
merveilles patrimoniales qu’il est et qu’il entend rester.
Je vous remercie.