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La culture est-elle encore un enjeu politique ? colloque Arte & France culture

Mesdames, Messieurs,

Qu’Arte et France Culture posent à tous ceux qui, dans notre pays, font profession de penser, la question de la place de la culture dans le débat public est utile, nécessaire, indispensable. Permettez-moi de vous dire d’emblée que j’attends beaucoup de vos débats et de vos réflexions d’aujourd’hui. Je veux y apporter mon témoignage, celui de l’action.

D’autant que votre sondage confirme ce que beaucoup d’entre nous savent et disent depuis longtemps : la culture figure, après l’économie et l’environnement, mais au même titre que la politique étrangère, au premier rang des préoccupations des Français et des attentes qui sont les leurs, dans la perspective de l’élection présidentielle. Si la culture est ainsi en tête, du moins dans les esprits, c’est qu’elle est au cœur de la vie, au cœur de la société. Je crois profondément que la culture doit être au cœur d’un projet d’avenir pour la France.

Alors, tout d’abord, à votre question, « la culture est-elle encore un enjeu politique ? », évidemment, ma réponse est oui. André Malraux eût été stupéfait que l’on puisse poser la question, lui qui a construit, auprès du général de Gaulle, le ministère dont j’ai aujourd’hui la charge, non seulement, selon la belle expression de Pierre Moinot, « à partir de presque rien et contre presque tous » ; mais en lui donnant une âme, une ambition majeure, un destin capable de transformer une société, et qui continuent de nous inspirer chaque jour.

Je tiens à rappeler ici les termes mêmes du décret du 24 juillet 1959 qui a créé le ministère des Affaires culturelles :
« rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. » Si votre question est si utile et si nécessaire aujourd’hui, c’est que se sont écoulées, précisément depuis la disparition d’André Malraux, ce que j’appellerais les « Trente Glorieuses » de la culture. Et s’agissant de l’accès à la culture, cet objectif concerne aussi au premier chef le domaine de la communication.

Que nous apprennent ces « Trente Glorieuses », et que nous confirme aussi votre sondage ? Ce que je constate chaque jour depuis plus de deux ans et demi : n’en déplaise à certains, c’est que la culture n’est plus un enjeu partisan, un facteur de clivages. Devenue un sujet de consensus, opinion partagée par 54 % des personnes interrogées, elle ne saurait redevenir un enjeu politicien.

Cela nous engage, cela m’engage, en tant que responsable politique, d’autant plus à faire de la culture une priorité du débat et de l’action politiques.

Passer de la « culture pour tous » à la « culture pour chacun », c’est l’enjeu politique décisif de notre politique culturelle aujourd’hui et demain.

Que la culture soit une attribution régalienne de l’Etat, nul ne le conteste plus aujourd’hui. Depuis 2002, le budget de la culture na cessé daugmenter et cette augmentation sest accélérée depuis 2004. Alors, le terme, le slogan, le fantasme de désengagement, que jentends parfois agiter, ici ou là, il ne se traduit ni dans les chiffres ni dans laction.

L’enjeu politique aujourd’hui, c’est de continuer à soutenir cet effort, d’en faire une exigence, de maintenir cet engagement. Il ne s’agit pas tant de le « sanctuariser » – terme qui peut apparaître défensif – que d’adopter une vision offensive, dynamique, et non pas statique. Cette conception de l’engagement de l’Etat qui est la mienne permet d’exercer un effet de levier, une véritable capacité d’entraînement, un potentiel de développement de l’ensemble des acteurs de la politique culturelle, et je veux parler, bien sûr, du rôle essentiel des collectivités territoriales, qui sont, il faut le rappeler, à l’origine des deux tiers des dépenses publiques en matière de culture, mais aussi des contributeurs privés. C’est un acquis récent, que nous devons à notre législation, et à l’application que nous en faisons, sur le mécénat et les fondations ; leur part n’est plus taboue, congrue, frileuse, elle participe pleinement de cette addition des énergies, sans réduire en quelque façon la responsabilité et l’impulsion des acteurs publics.

L’enjeu politique clé de la culture aujourd’hui, c’est la diversité culturelle.
Dans un monde où 85% des places de cinéma vendues le sont pour des films produits à Hollywood, mais où, pour la première fois, les spectateurs des films français sont plus nombreux hors de nos frontières que dans nos salles ; dans un monde où nous parvenons à relocaliser les tournages en France, grâce aux crédits d’impôts et à l’aide des régions, l’adoption, le 20 octobre 2005, à l’UNESCO, à la quasi-unanimité des pays du monde, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, est un acte majeur, fondateur : pour la première fois dans l’histoire, un véritable droit international de la culture apparaît, garant de la vitalité et de la singularité des créations artistiques, mais aussi du dialogue des civilisations, si nécessaire à notre temps, dont témoigne également l’ouverture du musée du Quai Branly.

Ne nous y trompons pas : aujourd’hui, il n’y a pas d’enjeu plus politique à l’échelle internationale. Dans un monde marqué par les violences, les haines, les fractures, la diversité culturelle est une valeur forte, non seulement de rayonnement, mais surtout de paix, parce qu’elle incarne l’acceptation de l’autre, la compréhension de soi, et donc des autres, de leurs différences, à la lumière de notre propre identité.La culture est donc un enjeu politique fort en Europe. Je n’hésite pas à affirmer que l’Europe,« unie dans la diversité » sera culturelle ou ne sera pas : c’est par la culture qu’il faut refonder le projet politique européen. Tel est le sens du Label européen du patrimoine, que j’ai proposé pour mettre en valeur la dimension européenne des biens culturels, monuments, sites naturels ou urbains et des lieux de mémoire. Les premiers sites devraient être labellisés le 25 mars 2007, jour du cinquantième anniversaire du Traité de Rome.

J’ai tenu à valoriser l’ensemble des métiers de la culture, particulièrement ceux du spectacle vivant, pour inciter encore davantage nos concitoyens à découvrir l’extraordinaire vitalité de la création et des activités culturelles, mais aussi, pour ouvrir tous les lieux publics du patrimoine et les écrans du service public de l’audiovisuel à toutes les expressions artistiques et culturelles.

A l’heure où plus d’un Français sur deux est internaute, et la plupart d’entre eux connectés à haut débit, à l’ère numérique où nous sommes désormais entrés de plain-pied, il y a une chance formidable à saisir pour donner un nouvel élan à l’accès de tous à la culture, en la rendant accessible en tous points du territoire.

Bien sûr, la numérisation soulève d’importants problèmes. Elle constituerait une menace grave pour la création, si aucune action appropriée de l’Etat n’était engagée. C’est pourquoi j’ai tenu à protéger la propriété intellectuelle, à défendre la liberté des auteurs, à promouvoir les offres légales d’œuvres, sans démagogie, et avec le souci de l’avenir de la création, en transposant la directive européenne relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

En réalité, la numérisation doit être une chance pour la culture. C’est pourquoi j’ai souhaité la numérisation des archives de l’Institut National de l’Audiovisuel, dont la mise en ligne connaît un très grand succès. C’est pourquoi le projet de bibliothèque numérique européenne est fondamental. L’ensemble des chantiers numériques est au centre d’une politique culturelle moderne.

C’est aussi dans cet esprit, après le succès du lancement de la TNT, que je défends au Parlement le projet de loi sur la modernisation audiovisuelle et la télévision du futur, qui vient d’être adopté par le Sénat et qui doit être discuté à l’Assemblée nationale en janvier. La multiplication par trois de l’offre gratuite de programmes de télévision pour tous les Français doit garantir que la culture n’y soit pas seulement présente, chère Catherine Clément, « la nuit et l’été ».
La culture a une importance essentielle pour l’économie de notre pays, pour son attractivité. Faut-il rappeler que la France est la première destination touristique dans le monde, que la culture en est une composante essentielle, puisqu’elle constitue une motivation déclarée pour la moitié des 75 millions de visiteurs ? Faut-il rappeler que les activités culturelles emploient près d’un demi-million de personnes dans notre pays ?

La vitalité de la création est un enjeu politique, mais aussi industriel, économique et social.
Ce qui m’anime, c’est qu’en chaque lieu en France, dans chaque ville, un spectacle soit proposé, que les artistes et les techniciens aient la possibilité de le réaliser, et que le plus grand nombre possible de Français puissent aller le voir. C’est dans cet esprit que j’ai agi pour la danse, le théâtre, les arts de la rue, le cirque, la musique, pour développer l’activité artistique, pour de meilleures conditions d’emploi pour les artistes et les techniciens, pour ouvrir les possibilités de créer, de jouer et de représenter.

C’est dans cet esprit que j’ai pris de nombreuses mesures destinées à stimuler, accompagner et encourager la création contemporaine, la création de nouveaux lieux et de nouvelles structures, à Paris comme en régions ; le lancement d’évènements-phares pour porter les couleurs de nos artistes par delà les frontières, comme la Force de l’Art au Grand Palais.

La culture est un facteur essentiel pour renforcer la cohésion et l’identité de notre société.
Il aura fallu attendre octobre 2006 pour que les cultures urbaines soient, elles aussi, accueillies au Grand Palais, non seulement pour enchanter 50 000 visiteurs, mais surtout pour montrer que la fierté nationale et internationale et la diversité culturelle et sociale ne se divisent pas. Elles s’additionnent, elles se multiplient et se nourrissent l’une de l’autre. Je crois profondément que la cohésion sociale et l’avenir de la société française passent par les cultures urbaines et leur reconnaissance, car celles-ci sont foisonnantes, créatives, et originales.

Il reste beaucoup à faire pour continuer à ouvrir l’accès à la culture. L’éducation artistique et culturelle, désormais inscrite dans le socle commun de connaissances qui définit le contenu de base de l’enseignement scolaire obligatoire, stimulée par la multiplication des jumelages et parrainages entre les lieux d’enseignement et les institutions culturelles, est une priorité politique forte à cet égard.

Bâtir un projet politique sur la culture, c’est agir pour donner confiance à la société française, dans toute la diversité des populations et des territoires qui la composent. Après l’effondrement des « grands récits », à l’heure où « l’ensauvagement du monde » succède au désenchantement du monde, c’est par la culture que la France est plus ancienne quelle ne le sait, plus grande quelle ne le croit, plus audacieuse, plus généreuse quelle ne limagine. Que la France déborde ses frontières, par son patrimoine, par ses créations. Une France qui porte dans le monde un message de respect, de dialogue, de solidarité. Un message plus que jamais nécessaire aujourd’hui pour créer une dynamique, pour refuser la spirale des peurs et des replis, pour réunir une large majorité de Français – je ne parle pas seulement d’une majorité politique – autour de valeurs communes et partagées.

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