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Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Tibet

Cher Gilbert Gascard ou plutôt Cher Tibet,

Je suis très heureux de vous accueillir ce soir pour honorer en vous un
illustre représentant de ce neuvième art qui nous réunit ce soir, un
dessinateur de grand talent dont les héros peuplent aujourd’hui le
Panthéon des personnages de bande dessinée.

En 2000, Patrick Gaumer vous consacrait un ouvrage, La Fureur de rire.

Et c’est en effet cette fureur, cet amour du rire, celui que vous avez en
vous-même, celui que vous avez su déclencher chez des générations de
lecteurs, qui vous anime depuis toujours, qui vous caractérise, qui fait
que l’on revient sans cesse vers vous, vers vos albums, avec bonheur et
gratitude.

Vous êtes né à Marseille, et c’est votre frère aîné, encore tout jeune, qui,
ayant du mal à prononcer « Gilbert », vous donne le surnom de
« Tibet ». C’est sous ce sobriquet enfantin que vous connaîtrez la gloire.

A dix ans, vos parents déménagent pour Bruxelles, et vous rejoignez
alors cette patrie, s’il en est, de la bande dessinée. Un art dans lequel
vous êtes vraiment tombé quand vous étiez petit, puisque à 16 ans
seulement, vous entrez au studio bruxellois de Walt Disney pour
rejoindre les jeunes talents de l’édition belge de Mickey Magazine. Votre
route croise alors celle de André-Paul Duchâteau, le sphinx du
magazine, qui s’ingénie à proposer, dans chaque numéro, des jeux et
des énigmes aux enfants.

En 1949 naît sous votre plume Dave O’Flynn, un détective privé de
choc, qui devient le héros d’une série policière publiée dans le magazine
Héroïc-Albums. L’année suivante, vous devenez maquettiste illustrateur
au journal Tintin. Vous réalisez votre première histoire complète en
quatre planches, Yoyo s’est évadé, sur un scénario de André-Paul
Duchâteau.

En 1952, l’éditeur souhaite que des animaux viennent grossir les rangs
des héros de Tintin. Vous imaginez alors un western animalier, Les
aventures de Chik Bill en Arizona, dont les personnages prendront
rapidement les visages humains que nous connaissons. Dans les
premiers épisodes de la série aujourd’hui culte – les passionnés le
savent – les deux complices du jeune cow boy Chik Bill, Petit Caniche, le
jeune indien, et Dog Bull, le shérif de Wood City, flanqué de son adjoint
Kid Ordinn, appartenaient donc réellement à la race canine !

De La Bonne Mine de Dog Bull à Maligne Claire, la Mata Hari jaune, en
passant par Le Roi d’Esclosh, Le Faux Mage de Hollande, Le Persan à
sonnettes et A la recherche du taon perdu, vous avez imposé un style
reconnaissable entre tous, un mélange d’humour et d’aventures,
savamment relevé de jeux de mots, que vos lecteurs assidus guettent
avec dévotion.

Toujours avec la collaboration de André-Paul Duchâteau, vous publiez
votre première aventure à suivre, une série chevaleresque, dans le
périodique flamand Ons Volkske : Les aventures de Conrad.

Puis votre complice de la première heure, grand maître de l’énigme et roi
du mystère, imagine avec vous en 1955 un jeune personnage, Ric
Hochet, crieur de journaux puis reporter à La Rafale, et détective amateur.

La série connaît un immense succès. Ric Hochet est depuis longtemps
notre frère, notre ami, notre héros, celui qui nous a accompagnés,
d’année en année. L’année dernière, nous fêtions ses cinquante ans et,
avec Silence de mort, le soixante-dixième album de la série. Droit,
courageux, intrépide, malin, votre héros incarne tous nos rêves
d’aventures et de justice. Ric Hochet est indémodable, parce qu’il est vrai,
parce qu’il est simple, parce qu’il est du côté de l’enfance.

Parce que vous
avez su l’entourer de tant de personnages, du commissaire Bourdon, à
Nadine, son éternelle petite fiancée, en passant par le lunaire et lunatique
professeur Hermelin, sans oublier les « méchants », le Bourreau, l’ennemi
juré, et Lambert, le journaliste peu regardant de Paris-Night. Plus qu’une
galerie de personnages, vous avez créé une véritable famille, un univers,
à la fois stable et bondissant, qui nous offre en même temps, et c’est cela
qui est merveilleux, des repères et des surprises.

Une fresque murale est réalisée à la gloire de Ric Hochet, dans la petite
rue bruxelloise du Bon Secours, non loin de la maison qui vous a vu
grandir, et depuis 2002, la commune de Roquebrune-sur-Argens, sur la
Côte d’Azur, où vous passez vos vacances, compte un boulevard Ric
Hochet ! Quelle plus belle preuve de la vie, du souffle, de la force de
caractère que vous avez su donner à ce « journaliste détective », tel qu’il
est décrit sur sa plaque, désormais élevé au rang de figure historique !

Vous avez créé de très nombreux personnages, et, parmi eux, la Famille
Petitoux, mais aussi Globul le Martien et Alphonse, avec René Goscinny,
Mouminet et Junior – président du Club des Peur-de-Rien – avec Greg, et
les 3 A, avec Mittéï et André-Paul Duchâteau. Génie dans l’art de donner
vie à des êtres sortis tout droit de votre imagination, vous excellez aussi
dans l’art de croquer les traits de vos contemporains, illustres ou amis,
dont vous glissez les caricatures avec beaucoup de malice, au détour de
vos albums.

Votre « fureur de rire » a toujours un sens, une cible, une insolence, une
jeunesse, une vraie liberté, et si les « grands de ce monde » en ont pris
pour leur grade dans la Tibetière, qui a fait de vous le Saint-Simon de la
bande dessinée, c’est le coeur et la générosité qui percent sous la
jubilation de la satire, ce même coeur que vous avez donné à tous vos
personnages. Des personnages qui, même s'ils courent d'un bout à l'autre
de la planète, même s'ils s'aventurent dans tous les couloirs de
l'imaginaire, même s'ils s'élancent vers tous les mystères, restent
humains, et donc très proches de nous. Comme vous, qui n'avez cessé de
nous émerveiller. Simplement. Naturellement. Avec cet humour, cet art du
trait et cette invention qui sont les vôtres.

Gilbert Gascard, au nom de la République, nous vous faisons Officier
dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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