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Inauguration du Centre national du théâtre

Madame la Ministre, Madame la Député-Maire, Chère Françoise,

Monsieur le Président, Cher Michel Dubois,

Monsieur le Directeur, Cher Jacques Baillon,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis du théâtre,

Je suis très heureux, en ce début d’année, puisqu’il est encore temps,
de vous présenter à tous mes voeux les plus sincères et les plus
chaleureux, en inaugurant avec vous ce nouveau lieu où s’installe le
Centre national du théâtre. Un nouveau lieu pour de nouveaux liens.

Cher Jacques Baillon, vous venez d’évoquer la fonction tribunitienne du
théâtre. Oui, les praticiens du théâtre et de la chose publique savent
que l’un et l’autre s’appuient sur la parole et le geste. Et en présentant
la déclaration du gouvernement sur le spectacle vivant, à l’Assemblée
nationale le 9 décembre dernier, en exposant mon ambition de replacer
la culture et les artistes au coeur de la cité, j’ai fait observer aux députés
que c’est un même mot, celui de représentation, que la démocratie et la
culture ont en partage. Un même lieu : depuis la Grèce, l’hémicycle est
commun au théâtre et à l’assemblée des citoyens. Un même bien
commun, enraciné dans une longue histoire, que vous connaissez si
bien, cher Jacques Baillon, et que vous venez d’éclairer à la lumière de
votre expérience, mais aussi de votre savoir de philosophe.

Merci, d’avoir situé d’emblée votre propos dans l’enthousiasme et dans
l’énergie de cette perspective, en rappelant ce paradoxe du spectacle
vivant, éminemment éphémère, fatalement périssable, mais
nécessairement transmissible, grâce au travail des acteurs, des
auteurs, des metteurs en scène, des techniciens, et de tous les métiers
qui permettent de créer cette rencontre entre le théâtre et son public,
cette convergence entre le texte, la parole, le geste, la scène.

La scène, que Mallarmé décrivait comme « le foyer évident des plaisirs
pris en commun, aussi et tout bien réfléchi, la majestueuse ouverture
sur le mystère dont on est au monde pour envisager la grandeur, cela
même que le citoyen, qui en aura l’idée, fonde le droit de réclamer à un
Etat, comme compensation de l’amoindrissement social » (Crayonné au
théâtre).

Oui, ce lieu se situe dans le cadre de cette ouverture au monde, de cet
échange qui demeure, plus que jamais aujourd’hui, dans la nature du
théâtre.

Ce lieu sera, vous l’avez dit, un lieu d’invention de l’avenir du théâtre, ce
« bureau de liberté », de la « prospective et de l’utopie » : j’ai beaucoup
aimé cette expression, que j’ai ressentie autant comme une référence aux
penseurs qui vous inspirent, que comme un appel à vos collaborateurs, aux
journalistes, au public, aux amateurs et aux professionnels qui tous, sont
appelés, à un titre ou à un autre, à venir ici vous consulter, vous interroger,
et que vous allez accompagner pour un bout de leur chemin.

Car la vocation de ce lieu, et le sens de son ouverture, c’est aussi le
décloisonnement, le franchissement des murs et des frontières : entre le
théâtre public et le théâtre privé, j’y suis très sensible ; entre le théâtre et les
autres expressions artistiques du spectacle vivant, je pense en particulier
aux relations avec des institutions, comme le Centre national de la danse,
ou le Centre Hors les murs, dédié aux arts de la rue et aux arts du cirque.

Le décloisonnement, au sein même du monde du théâtre, c’est ce
brassage, que vous allez organiser ici, en un « tumulte ordonné » (Louis
Jouvet).

C’est d’abord le brassage des idées, de la réflexion sur la matière théâtrale,
de la rencontre avec toutes les intelligences utiles au théâtre. Je vous fais
confiance pour faire de votre centre un lieu où les idées fourmillent, où les
informations circulent, où les expériences s’échangent.

Hölderlin, pour lequel les fleuves, les flux, sont la métaphore de la pensée
et de la création, écrit que le fleuve est un « éveilleur du matin » et qu’il
emplit « jusqu’aux ombres glacées, la maison d’enthousiasme ». Votre
Centre sera plus qu’un centre de ressources, il sera le Centre de mille
sources, où pourront venir puiser, tous les professionnels, et tous ceux qui
se destinent aux métiers du théâtre. J’ai été très sensible à votre souci des
jeunes compagnies et des générations émergentes du théâtre.

Vous savez que ce thème, et celui de la formation, est l’un de ceux que j’ai
proposés au Conseil national des professions du spectacle, pour structurer
son travail de cette année, qui doit aboutir, avec le concours de tous nos
partenaires, à la consolidation d’un système pérenne, pour la
reconnaissance durable de tous les métiers du spectacle vivant et de
l’audiovisuel dans notre pays. Le développement de l’emploi culturel, vous
le savez, est l’une de mes préoccupations principales. Je souhaite que votre
Centre soit le lieu de valorisation des formations et de l’emploi dans les
métiers du théâtre, dans l’esprit de cette véritable bible, de ce guide
annuaire du spectacle vivant qui est le livre, sinon de chevet, du moins de
bureau, de tout professionnel et bien sûr, du ministre y compris.

Ce lieu de décloisonnement sera un lieu créateur de liens. Il n’est rien de
plus précieux dans l’univers actuel du spectacle vivant que la continuité des
liens forgés au cours de votre histoire et des liens nouveaux que vous
créerez ici, des liens gardiens de la mémoire des lieux, des idées et des
gens, riches des trésors, des expériences accumulées, transmises de
générations en générations de professionnels. L’innovation ne surgit pas
d’une table rase. La transmission des savoirs sur les savoirs et les savoirfaire
du théâtre est au coeur de votre mission.

Vous l’avez évoqué, et je veux y revenir un instant. Longtemps, le théâtre
s’est installé dans les marges, il s’est parfois disséminé dans des lieux peu
exposés à la vue des médias, hors des circuits marchands. Tant mieux, en
un sens, puisque le théâtre n’est pas une marchandise. Evidemment. Je
souscris à cela, et mon action le montre chaque jour. Mais vous avez
évoqué l’audiovisuel, en touchant là, vous le savez, un sujet qui me tient
beaucoup à coeur. Baudrillard et Virilio ont raison, lorsqu’ils montrent que le
théâtre, tout comme la danse, a ceci d’exceptionnel dans l’art, qu’il n’est
possible que par le travail du corps. Le mythe d’Antigone est d’abord le
corps d’Antigone. Et au sein d’une réalité qui devient de plus en plus
virtuelle, le théâtre aura toujours cette puissance qui lui permet, au sens
propre, d’incarner les mythes. Mais il faut réfléchir, lorsque l’on veut
replacer les artistes au coeur de la cité, à l’érosion symbolique qui menace
l’art des marges. Je compte beaucoup à cet égard sur vos réflexions, sur
vos propositions, et, dès la semaine prochaine, je vous donne rendez-vous,
pour approfondir cette question essentielle des relations entre le théâtre et
l’audiovisuel, au théâtre de l’Athénée pour le débat que vous organisez. Je
sais que vous donnez ici l’exemple en rendant accessible à tous un fonds
remarquable de films de théâtre.

Cette question est essentielle au rayonnement de votre art. Dans le monde
d’aujourd’hui, ce rayonnement est aussi européen et international. Je sais
l’importance que vous attachez aux échanges internationaux. Le théâtre,
parce qu’il fait partie du patrimoine de l’humanité, est exemplaire de la
diversité des expressions artistiques et de la diversité culturelle. Le théâtre
est au coeur de notre action pour la protéger, pour la défendre, pour aider à
son épanouissement et promouvoir les échanges et la coopération
internationale, afin de faire vivre le dialogue des cultures si nécessaire à
notre temps. Cette année, la communauté internationale doit adopter à
l’automne la Convention internationale sur la diversité culturelle, qui créera
une base juridique nouvelle, qui légitimera le droit des Etats de mener des
politiques culturelles, selon des règles spécifiques, différentes de celles de
l’Organisation mondiale du commerce et de l’accord général sur le
commerce et les services.

En rejoignant l’Institut international du théâtre, organisation associée à
l’Unesco, qui fédère un très grand nombre d’institutions théâtrales et
d’artistes du monde entier, le Centre national du théâtre apportera une
contribution importante à ce combat décisif.

Lieu de rayonnement, lieu de décloisonnement, lieu de nouveaux liens, lieu
de transmission, lieu de dialogue et de rencontre exemplaire de la place des
arts de la scène au coeur de la culture et de la cité : tels sont les voeux,
telles sont les ambitions, que je forme en ce début d’année, pour 2005 et
pour les années qui viennent, pour le Centre national du théâtre.

Je vous remercie.

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