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Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Muriel Robin

Chère Muriel Robin,

C’est un grand plaisir de vous accueillir aujourd’hui ici, pour honorer en
vous une très grande artiste. Vous dites souvent : « Je n’y suis pour rien, je
suis née drôle. » Ce don, qui sonne comme une fatalité, vous avez eu
l’audace de le prendre à bras-le-corps, vous l’avez travaillé, pour en faire
un atout immense. Vous avez très vite compris que le rire est la meilleure
arme contre les tensions, les incompréhensions, les petitesses
quotidiennes, les mesquineries, qui risqueraient, sinon, de tutoyer le drame,
l’horreur, ce que Cioran appelait « l’inconvénient d’être né ».

Mais la vie, vous la croquez à pleines dents. Le rire dépasse, réconcilie, il
masque, aussi, et cela, vous l’avez saisi très jeune. Cette vocation de
funambule, de clown en équilibre au-dessus d’un gouffre, qui sait grimacer
et doit parfois, pour dissiper le malaise, faire rire « pour ne pas mourir », je
vous cite, a nourri nombre de vos sketches, aujourd’hui cultes, comme vos
talents de comédienne.

Ces talents, je l’ai dit, sont précoces. Ils vous poussent à quitter, toute
jeune, votre ville natale, Saint-Étienne, pour apprendre le théâtre à Paris.

Vous remportez, la même année, les deux concours les plus prestigieux, le
Conservatoire, et l’École de la rue Blanche. Vous choisissez le premier, où
vous suivez la classe de l’éblouissant Michel Bouquet, votre mentor, votre
« père de théâtre », qui vous a toujours fait confiance, et dont vous
recherchez encore les conseils. C’est la première des trois plus belles
rencontres qui ont jalonné votre carrière.

Roger Louret est la deuxième. Dès le début des années quatre-vingts, le
metteur en scène vous offre vos premiers rôles dans sa compagnie, à
Monclar d’Agenais, dans le Lot-et-Garonne. Il devient par la suite l’horloger,
le maître du temps, qui règle celui tous vos spectacles.

La troisième, c’est celle de votre alter ego, votre double, votre plus grand
complice, Pierre Palmade, que vous croisez un soir, en 1988, au caféthéâtre
Le Tintamarre, alors que, tout juste sortie du Petit Théâtre de
Bouvard, vous vous apprêtez à partir tenter votre chance au Canada.

Trois semaines plus tard, vous êtes à Paris, sur scène, toujours au
Tintamarre, pour un nouveau spectacle, écrit avec lui, Les Majorettes se
cachent pour mourir, qui vous vaut une nomination aux Molières. Le
tandem fonctionne, vous ciselez, à quatre mains, des répliques
foudroyantes, devenues cultes, de véritables scènes de théâtre, dont la
brièveté n’a d’égale que l’intensité et la densité.

C’est le début d’une grande histoire d’amour ininterrompue avec le
public, qui vous applaudira de plus belle à chacun de vos nouveaux
rendez-vous, Un point c’est tout, en 1989, Tout m’énerve, l’année
suivante. En 1992, vous affrontez le redoutable Guy Bedos, pour un duo
explosif, qui obtient la Victoire de la musique du meilleur spectacle
comique. Vous remplissez les plus grandes salles, le Casino de Paris
avec Tout Robin, l’Olympia et le Zénith avec Muriel Robin, nouveau
spectacle, et enchaînez les succès, tandis que vos sketches deviennent
cultes. L’addition, le répondeur, Pépette, le testament, autant de
moments vécus, autant de tranches de vie à peine décalées, autant
d’instants « t » où tout semble sur le point de basculer dans l’absurde, la
folie, la crise.

Vous passez maître dans l’art de jouer les excentriques survoltées, les
femmes au bord de la crise de nerfs, aux répliques cinglantes, et au
verbe haut en couleurs. Vous épinglez ces petitesses, ces mesquineries
humaines, et nos lâchetés ordinaires avec une finesse, et une énergie
rares. Vous maniez l’exorcisme et la catharsis avec une grande habileté,
avec une grande tendresse, aussi, et beaucoup de compréhension.

C’est là sans doute la clé de votre succès, jamais démenti. « On n’est
jamais à l’abri d’une folie, d’une violence, d’une mort intérieure », avez-vous
déclaré. Et cette violence, ce gouffre présent en chacun de nous,
vous le frôlez, vous le taquinez, vous le moquez, pour mieux le
domestiquer, le surmonter, le sublimer.

Cette force, cette énergie, ce don pour l’écriture et la mise en scène,
nous vous en sommes tous reconnaissants. Vous en avez fait bénéficier
vos amis, Elie Semoun, pour son spectacle Elie et Semoun, Mimie
Mathy, pour J’adore papoter avec vous, et, bien sûr, Pierre Palmade,
pour le diptyque Ils s’aiment et Ils se sont aimés, avec Michèle Laroque.

Le nouveau millénaire est synonyme pour vous de nouvelles
expériences, d’une véritable renaissance. Vous tombez le masque de
clown, en faisant vos adieux à ce type de scène, à l’Olympia, à la fin de
votre tournée triomphale pour votre spectacle Toute seule comme une
grande.

En 2000, Mehdi Charef vous offre un très beau rôle dramatique dans le
film Marie-Line, où vous déployez toute la subtilité de votre jeu. Deux
ans plus tard, vous retrouvez les planches pour la pièce La Griffe, un
brillant huis clos familial dans une station service, sur fond de
mesquinerie, de jalousies contenues et d’espoirs frustrés. Du rire aux
ricanements grinçants, de la comédie grand public au drame, vous
savez tout interpréter, comme en témoignent, vos rôles plus récents
dans la comédie Saint-Jacques … La Mecque, de Coline Serreau, et
dans le téléfilm noir, Marie Besnard, l’empoisonneuse.

Mais la scène et le public vous manquent, et vous faites votre grand
retour en 2005, au Grand Rex, pour un spectacle étonnant, et
détonnant, Au secours ! Bien loin d’appeler à l’aide, vous y êtes au
contraire plus resplendissante que jamais, en meneuse de revue, la
taille corsetée, entourée de sept danseurs. Vous emportez votre public,
avec la vitalité que l’on connaît, dans l’histoire de Lisa, une jeune femme
qui monte une comédie musicale, « Blanche-Neige et les sept boys ».

Lisa, cette femme battante, travailleuse, qui cache ses angoisses, ses
blessures et ses drames intimes sous une apparence survoltée.

Cette hypersensibilité, à peine voilée par vos différents masques, vous
la partagez avec votre personnage. C’est sans doute, aussi, ce que le
public aime particulièrement en vous, cette générosité, cet engagement
de tous les instants en faveur des causes les plus nobles, aux côtés des
Restos du coeur, notamment, dont vous êtes l’une des marraines les
plus fidèles, aux côtés de la Chaîne de l’espoir, également, que vous
avez soutenue pour la construction d’un hôpital à Kaboul.

En vous distinguant aujourd’hui, je tiens à saluer, à titre personnel
comme au nom de la France, une artiste de grand talent, qui sait nous
faire passer du rire aux larmes, en incarnant toute la palette, toutes les
facettes des émotions humaines, et une femme de conviction, qui
touche les coeurs et les esprits de nos concitoyens, une femme engagée
dans la lutte contre les souffrances, les discriminations, les intolérances
de notre temps, et qui sait que l’humanisme est un combat de chaque
jour.

Muriel Robin, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier
dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

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