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Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’Honneur à Manuel Legris

Cher Manuel Legris,

Vous le savez mieux que personne, la danse est un art de la lumière ; et
cette lumière vous habite depuis toujours. C'est elle qui, dès vos premières
années, à l'âge où les enfants en sont généralement à leurs premières
découvertes, vous donnait la certitude que votre vie serait vouée à la
danse, aux vibrations de la musique, qui sont, selon vos propres mots, "la
sève même de votre art".

C'est par ce feu que vous portez que l'on vous distingue très rapidement.

Le moins qu'on puisse dire, en effet, c'est que vous n'êtes pas resté
longtemps dans l'obscurité : à douze ans, vous entrez à l'Ecole de danse
de l'Opéra de Paris, à seize, vous en sortez pour rejoindre le corps de
ballet. Je sais que certains de vos condisciples d'alors étaient déjà
subjugués par la qualité et le brio de votre batterie !

Sous les feux de la rampe, vous ne tardez pas étinceler : vous êtes nommé
"coryphée" à dix-sept ans, "sujet" à dix-huit. Et le 11 juillet 1986, à l'âge de
22 ans, alors que vous n'étiez pas encore premier danseur dans le Ballet
de l'Opéra, Rudolf Noureev, directeur de la danse de l’Opéra de Paris, vous
nomme danseur étoile sur la scène du Metropolitan Opera de New-York,
où vous veniez d'être acclamé dans le rôle de Jean de Brienne dans
Raymonda. Ce fait, rarissime dans l'histoire de l'Opéra, est emblématique
de votre personnalité exceptionnelle : Noureev ne vous nommait pas
danseur étoile, il reconnaissait en vous cette étoile que vous portiez depuis
vos débuts, cette étoile qui fait la pureté inimitable de votre danse, cette
étoile qui ne vous a jamais quitté.

Toute votre vie a consisté à entretenir, à développer et à partager cette
lumière. Cela n'a pas été sans peine et sans efforts : vous dites aimer le
travail et en avoir besoin, et il en a certes fallu pour pousser à un tel point
de perfection cette technique précise et aérienne, cette virtuosité dont vous
avez sans cesse repoussé les limites. "Plus l’art est contrôlé, limité,
travaillé, et plus il est libre", affirmait Igor Stravinski ; nul doute que c'est ce
travail incessant, cette maîtrise technique incomparable, qui confèrent à
votre danse cette richesse infinie d'expression, cette empathie profonde et
toujours renouvelée avec les rôles, les personnages et les écritures
chorégraphiques les plus variés. La lumière qui vous habite, vous l'avez
développée au fil des années, et c'est par votre persévérance que vous
avez peu à peu conquis ce sens extraordinaire du mouvement, ainsi que la
trompeuse facilité avec laquelle vous passez du grand répertoire à la
création contemporaine, faisant vôtres le vocabulaire du ballet classique
comme l'inspiration des chorégraphes d'aujourd'hui.

Si en effet votre lyrisme naturel, ainsi qu'une présence élégiaque très
personnelle, ont fait de vous dès vos débuts l'interprète idéal, et
reconnu, des princes et des jeunes premiers tourmentés, les
chorégraphes les plus renommés, de William Forsythe à John
Neumeier, de Jiri Kylian à Jerome Robbins, ne cessent aujourd'hui de
vous solliciter pour une palette presque illimitée de rôles, et vous
participez à la plupart des entrées au répertoire et des créations de
l'Opéra de Paris.

Vous vous attachez vous-même à susciter de nouveaux défis, à aller audevant
des chorégraphes et des créations. Au-delà des prouesses
techniques dont vous avez le secret, vous mettez votre sensibilité et
votre talent d'interprétation au service des personnages que vous
incarnez, avec un souci d'excellence qui ne s'est jamais démenti.

Vous avez été pour Roland Petit le Don José passionné, physique et
sensuel des Variations sur Carmen, qui resteront un moment fort de
votre parcours dans ces dernières années. C'est pour vous et Laurent
Hilaire que Maurice Béjart a monté de nouveau, en 2003, Le chant du
compagnon errant. Je n'oublie pas non plus votre collaboration
remarquable avec Jiri Kylian, dont vous êtes un des danseurs-fétiches,
dans la création de Il faut qu'une porte… , en 2004 ; ni, la même année,
votre magnifique rencontre avec l'univers de Trisha Brown, dans O
composite.

Derrière la liste, de plus en plus longue, de votre répertoire, on peut lire
un même désir, celui de votre passion. Cette lumière qui vous habite,
vous n'avez eu de cesse de la communiquer, de la diffuser, de la
transmettre. Vous contribuez au rayonnement de l'Opéra national de
Paris depuis longtemps maintenant ; vous êtes également allé porter
votre flamme bien au-delà de nos frontières, de la Scala de Milan au
Metropolitan de New-York, du Wiener Stadtsopern de Vienne au Bolchoï
de Moscou et au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Vous êtes
l'invité permanent des plus prestigieuses compagnies : le Royal Ballet
de Londres, le New-York City Ballet, le Ballet national de Cuba, le Tokyo
Ballet, les Ballets de Monte-Carlo. Au Ballet de Hambourg, John
Neumeier crée spécialement pour vous Spring and Fall, A Cinderella
Story, et le Ballet de Stuttgart vous offre le rôle-titre dans Oneguin ;
vous avez été sept fois l'hôte du World Ballet Festival de Tokyo, et l’un
des plus grands photographes japonais, Kishin Shinoyama, vous a
consacré un ouvrage de référence, Manuel Legris à l'Opéra de Paris.

Communiquer votre passion pour les oeuvres qui vous tiennent à coeur :
c'est cela encore qui vous animait dans La Dame aux camélias, entrée
la saison dernière au répertoire du Ballet de l'Opéra de Paris. Vous
excellez dans cette oeuvre, qui vous permet d'exploiter votre sens aigu
du duo. Car la lumière de votre danse, vous aimez plus que tout la
partager avec une partenaire. La parfaite harmonie que vous déployez
avec Aurélie Dupont dans La Dame aux camélias vient compléter la liste
des duos prestigieux que vous avez formés avec d'autres étoiles de
l'Opéra de Paris, et avec les plus grandes danseuses du monde.

Cette lumière, enfin, il ne vous suffit pas de la partager avec votre
public, avec vos partenaires ; votre ambition est de la rendre contagieuse, de la communiquer à d'autres danseurs issus de la
nouvelle génération. En 1996, vous avez créé avec Monique Loudières
un groupe de jeunes danseurs auxquels vous voulez offrir l'opportunité
de se confronter aux rôles de solistes, aux grands chorégraphes et à la
jeune création. Vous avez aujourd'hui plus de la moitié de votre vie
professionnelle devant vous, et je sais que cette volonté de former, de
transmettre, vous inspire déjà de très nombreux projets pour l'avenir. La
passion qui vous a habité tout au long de votre vie vous a forgé très
naturellement une âme de coach, comme vous le dites vous-même, une
âme d'entraîneur, profondément animée du désir de porter la lumière qui
a traversé votre brillante carrière et de perpétuer cette flamme au sein
de l'Opéra national de Paris.

Vous êtes devenu depuis longtemps, et je ne doute pas que vous le
resterez, un exemple, un modèle, une véritable étoile pour tous ceux qui
pratiquent et tous ceux qui aiment la danse. Avec une grande simplicité,
vous avez eu un jour cette phrase : "Comment ne pas être heureux
quand on est habité par une passion qui vous comble à ce point? " Vous
pouvez être sûr que votre passion n'a pas comblé que vous, que vous
avez su transmettre très largement votre flamme à vos partenaires, et
votre bonheur à votre public. Je ne fais aujourd'hui qu'exprimer toute la
reconnaissance, toute la gratitude qu'a suscitées cette immense
générosité, qui fait de vous, non seulement l’un des meilleurs danseurs
du monde, mais l’homme et l’artiste exceptionnels que vous êtes.

Manuel Legris, au nom du Président de la République et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier de la
Légion d’honneur.

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