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Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre national de la Légion d’Honneur au brodeur François Lesage

Cher François Lesage,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui, dans ces salons de la
rue de Valois, pour honorer en vous l’un des brodeurs les plus talentueux
et les plus renommés de l’univers de la Haute Couture. Vous êtes
dépositaire d’un savoir-faire ancestral, exceptionnel, et soucieux de sa
transmission comme de son renouvellement. Au Japon, vous seriez élevé
au rang de Trésor national vivant !

Tout commence en 1924, lorsque votre père Albert Lesage et votre mère
Marie-Louise Favot acquièrent l'atelier du brodeur Albert Michonet.

Débute
alors une collaboration étroite avec les plus grands noms de l'époque :
Jeanne Paquin, Paul Poiret, Redfern, Madeleine Vionnet ou encore Elsa
Schiaparelli.

Dès votre plus jeune âge, vous êtes donc le témoin complice et émerveillé
des prouesses techniques et esthétiques que vos parents réalisent, dans
les coulisses feutrées du monde prestigieux de la Haute Couture.

Après un apprentissage au sein de l'atelier familial, vous vous envolez pour
les États-Unis pour ouvrir un atelier sur l’avenue la plus célèbre de l’Ouest
américain, Sunset Boulevard, où le savoir-faire et la virtuosité que vous
avez acquis en France vous ouvrent rapidement les portes des studios de
Hollywood. Mais le décès de votre père met fin à cette aventure, et en
1949, vous rentrez à Paris, pour épauler votre mère dans la gestion de
l'atelier. Vous prenez en charge les destinées de votre célèbre maison, et
vous créez vos propres collections d'échantillons, très vite appréciées par
Pierre Balmain, Balenciaga, Robert Piguet, Jacques Fath, et bien d'autres
grands noms de la haute couture.

C'est au cours des années soixante que votre talent, votre créativité et
votre audace s’épanouissent et s'émancipent du poids de la tradition.

Vous
expérimentez avec succès des matériaux nouveaux, des traitements
audacieux de matières plus classiques, des dispositions inusitées qui
révèlent une autre approche du relief. Les modèles de cette époque offrent
un cadre idéal à vos compositions graphiques et vous comptez encore une
fois les plus grands parmi votre clientèle : Lanvin, Givenchy, Dior, Grès,
Patou, ou encore Yves Saint Laurent.

Pendant les années soixante-dix, en renouant avec les collections
thématiques chères à Schiaparelli, vous développez les broderies sur
jersey et vous inventez de nouvelles techniques, comme les motifs
prédécoupés fixés grâce à des films thermoplastiques. Yves Saint Laurent
et toute la Haute Couture à sa suite, stimulés par vos créations, font de
vos ateliers l’antre d’où surgit l’alchimie unique, et magique, de leurs
oeuvres, rehaussées de votre génie.

En 1982, vous entamez une collaboration avec les couturiers américains
Calvin Klein, Bill Blass, Geoffrey Beene, et Oscar de la Renta, et vous
établissez de nouveaux dialogues fructueux avec Karl Lagerfeld et
Christian Lacroix.

Orfèvre du vêtement, passé maître dans cet art qui allie aux exigences du
Beau les nécessités d’une patience infinie, vous réalisez, pour tous ces
couturiers, de véritables trésors, qui demandent des centaines d'heures
de travail. Votre oeuvre fait l’objet, à la fin des années quatre-vingts, de
plusieurs expositions monographiques : au Fashion Institute of
Technology de New York en 1987, au Musée de la mode et du costume
au Palais Galliera en 1988, à la Fashion Foundation de Tokyo en 1989,
puis au Musée d’Art du Comté de Los Angeles en 1991.

Vous renouvelez votre art en permanence, au fil des partitions que vous
tendent les nouveaux créateurs, tels Thierry Mugler, ou encore Jean-Paul
Gaultier, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix.

Vous réalisez également de nombreuses autres commandes spéciales :
ainsi, à l'occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse en 1997, vous
brodez la chasuble et la mitre du pape Jean-Paul II ; vous réalisez aussi
les costumes d'Erik Orsenna et de Roman Polanski, pour leurs réceptions
respectives à l'Académie française à l’Académie des Beaux-Arts.

Soucieux de transmettre votre savoir-faire inégalé, et conscient qu’un
« pays qui perd son artisanat est un pays qui meurt », pour reprendre vos
propres termes, vous ouvrez en 1992 une Ecole de broderie, devenue
l’une des plus cotées au monde. Vous devenez, peu de temps après,
membre du Conseil des métiers d’art, mis en place par le ministère de la
Culture et de la Communication, pour veiller à la préservation de ces
métiers, qui font l’excellence et le prestige de notre pays.

Généreux et toujours prêt à aider les jeunes talents, vous soutenez des
associations à vocation sociale, comme celle de Gérard Garouste, « La
Source », en leur offrant généreusement vos créations.

En 2002, votre maison entre dans la galaxie Chanel, et vous devenez
pour Karl Lagerfeld un partenaire irremplaçable : « Je ne conçois pas de
mode sans broderie, dit-il. Ni de broderie sans Lesage. » Vous n'en restez
pas moins le fournisseur de tous les grands couturiers.

Pour chaque collection, vous et votre équipe mettez au point une centaine
de nouvelles broderies, qui viennent s’ajouter aux quelque quarante mille
échantillons créés depuis 1858, où les amoureux du « vintage » puisent
leur inspiration. Classés par saison ou par couturiers, ils constituent la
plus grande collection de broderie de couture au monde. Véritable caverne d’Ali Baba, qui renferme tout un pan de la mémoire de la Haute
Couture, la Maison est aussi riche de plus de soixante tonnes de
fournitures, des motifs de jais datant de 1870, au cristal irisé, aux
cabochons, aux strass, et aux perles de verres des années folles.

Vous êtes l’un des plus grands artisans de la mode. Vous êtes l’interprète
des plus célèbres couturiers. Vous êtes un créateur inspiré. Vos doigts
magiques font naître des ciels de paillettes, des rideaux d’or, ou des
pluies de perles, chefs-d’oeuvre précieux et uniques, véritables tableaux
mouvants.

Vous êtes l’un des artisans de cette Beauté dont la France est
l’ambassadrice dans le monde.

François Lesage, au nom du Président de la République, et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons officier de la Légion
d'honneur.

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