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CLOTURE DU COLLOQUE « IMAGES DE LA CATHEDRALE DANS LA LITTERATURE ET DANS L’ART"

Monseigneur,

Monsieur le Président, cher Michel Maupoix,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être parmi vous pour clôturer ce colloque passionnant, qui a embrassé, pendant trois jours, des siècles d’histoire des Idées, d’histoire de l’esprit, de l’art et de la littérature. Merci tout d’abord à l’association « Rencontre avec le patrimoine religieux », et à son président, Michel Maupoix, que je salue, d’avoir mis en place ces trois journées d’échanges et de rencontres. Votre association mène depuis 14 ans des actions essentielles à destination des professionnels comme du grand public, au niveau local et régional, en faveur de la connaissance, de la diffusion et de la valorisation du patrimoine religieux, dont la Région Centre est particulièrement riche. Un patrimoine qui est au cœur de notre histoire, de notre culture, qui a contribué à forger notre identité au cours des siècles. La cathédrale Saint-Gatien de Tours, qui mêle brillamment des éléments de styles roman, gothique, rayonnant et flamboyant, et Renaissance, en est un vibrant symbole.

La France en a pris conscience très tôt, puisque les cathédrales figurent parmi les premiers édifices classés « monuments historiques» dès le XIXe siècle par Prosper Mérimée, secondé de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc. Elles ont été également parmi les tout premiers monuments inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, avec la cathédrale de Chartres, dès 1979.

Lieux de mémoire, dépositaires des souvenirs, sacrés et profanes, accumulés au cours des siècles par un diocèse, constructions audacieuses, qui défient le ciel et le temps, et dont les cryptes, les puits, semblent plonger dans la nuit des temps, jusqu’aux racines de l’humanité et au cœur du divin, les cathédrales, ont nourri l’imaginaire collectif, et les plus belles pages de nos écrivains, comme les plus belles oeuvres de nos artistes. Rodin, Courbet, Monet, Matisse, Victor Hugo, Chateaubriand, Huysmans, Proust, Balzac, Claudel, Aragon mais aussi André Malraux et Charles Péguy, pour ne citer qu’eux, en ont exalté la grandeur et sondé les mystères.

Les cathédrales sont des monuments de proximité, elles sont familières. Le chant de leur office ponctuait jadis le déroulement de la journée. Les futurs clercs se pressaient dans leur école attenante, sous la direction du chancelier. Victor Hugo a merveilleusement décrit la foule pittoresque qui animait Notre-Dame de Paris, trouvant l’asile dans ses cloîtres, véritables cours des miracles, au milieu des artisans, des travailleurs manuels, des ouvriers, bâtisseurs d’immortalité.

« Maisons du peuple », ainsi que les surnomma Michelet, les cathédrales étaient aussi les édifices de la lumière et des ténèbres, de la foi et des mystères, renfermant dans leurs reliquaires et leurs châsses, les précieux restes des serviteurs de Dieu, et des trésors liturgiques, objets de pèlerinage, tels que le voile de la Vierge donné par Charles le Chauve, à Chartres, ou encore la Vierge noire offerte par Saint Louis, au Puy.

Le romantisme, comme vous l’avez montré, a largement contribué à nourrir cette interprétation symbolique et sa poésie mystique. Le Génie du christianisme, de Chateaubriand, a établi des correspondances entre les siècles, entre les forêts, « premiers temples de la Divinité » et « les voûtes ciselées en feuillages, ces jambages, qui appuient les murs et finissent brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des voûtes, les ténèbres du sanctuaire, les ailes obscures, les passages secrets, les portes abaissées » des églises gothiques.

Mais Victor Hugo préféra à cette métaphore forestière la personnification qui fit de Notre-Dame un mythe vivant, grouillant, un personnage de roman à part entière. Charles Péguy lui-même, ne s’adressa-t-il pas à la cathédrale de Chartres, en faisant de la cathédrale une reine fière et altière, aux vertus bien humaines ?

« Nous arrivons vers vous de l’autre Notre-Dame,

De celle qui s’élève au coeur de la Cité

Dans sa royale robe et dans sa majesté,

Dans sa magnificence et sa justesse d’âme. »

Du chœur au cœur, les cathédrales se sont imposées, au fil des siècles, comme de grandes dames de l’art et de la littérature, fascinant toujours les fidèles comme les visiteurs. Elles incarnent, peut-être plus que tout autre monument, si ce n’est l’éternité, du moins la continuité entre les siècles et les hommes. « Les siècles, écrit encore Chateaubriand, évoqués par ces sons religieux, font sortir leurs antiques voix du sein des pierres, et soupirent dans la vaste basilique ».

C’est la main de l’homme que nous voyons dans ces édifices, tout autant que la gloire de Dieu. Comme l’écrit John Ruskin, dans La Bible d’Amiens, traduite et annotée par Marcel Proust : « Dans la vieille architecture chrétienne toutes les parties de lédifice doivent être lues à la lettre : la cathédrale est pour ses constructeurs la Maison de Dieu, elle est entourée, comme celle dun roi terrestre, de logements moindre pour ses serviteurs; et les glorieuses sculptures du chœur, celles de son enceinte extérieure, et à lintérieur, celles de ses boiseries que, presque instinctivement, un curé anglais croirait destinées à la glorification des chanoines, étaient en réalité la manière du charpentier amiénois de rendre à son Maître Charpentier la maison confortable, et non moins de montrer son talent natif et sans rival de charpentier devant Dieu et devant les hommes. »

Source de rayonnement, mais aussi enjeu de pouvoir, fierté de la cité, elle figurait souvent sur le sceau municipal, et les habitants gravaient les hauts faits, les mythes fondateurs de leur ville dans la pierre, comme à Metz, où l’on peut voir, dans la crypte Sud de Saint-Etienne, l’effigie du « Graouilly », monstre que le premier évêque de la ville, Saint Clément, avait noyé dans la Seille.

Cet attachement profond des habitants d’une ville pour leur cathédrale est encore bien vivant, tout comme l’attirance qu’elles exercent sur les touristes français et étrangers, et la cathédrale Saint-Gatien de Tours en est un exemple éclatant. Sa construction, au VIe siècle, par Grégoire de Tours, sur les bases d’une église primitive, dura en réalité dix siècles, puisque le couronnement des tours ne s’effectua que dans la première moitié du XVIe siècle. Dix siècles de travaux pour tous les Tourangeaux qui la virent s’élever peu à peu, dix siècles que ses pierres nous racontent aujourd’hui, témoins de toute l’histoire de la ville. C’est pourquoi le Premier Ministre Dominique de Villepin a décidé de mesures supplémentaires en faveur de cette cathédrale, en consacrant 1 460 000 euros pour la restauration de la façade Ouest.

Oui, les cathédrales méritent toute notre attention, et tous nos efforts. Edifices souvent fragiles, de par l’audace qui, bien souvent, a présidé à leur construction, de par leurs vastes proportions, également, qui appellent des travaux très fréquents, successivement sur leurs différentes parties.

Devenues propriété de l’Etat lorsque la Révolution a aboli le concordat de 1516, qui liait la monarchie à l’église catholique, elles ont été affectées aux « Beaux-Arts » par le Président Fallières en 1912. La liste en était établie par référence aux sièges métropolitains déterminés par le concordat napoléonien. A ces 83 cathédrales, on ajouta, après la chute de lempire allemand, celles de Strasbourg et de Metz, puis deux cathédrales doutre-mer : Basse-Terre et Saint-Denis-de-la Réunion. Les « cathédrales » au sens « administratif » du terme sont donc ces 87 édifices, tous classés monuments historiques, et non les cathédrales construites postérieurement à l’acte de 1912, ou érigées tardivement en siège métropolitain (comme la basilique de Saint-Denis).

La création du comité du patrimoine cultuel, en juin 2002, marque la conviction forte des pouvoirs publics que le patrimoine religieux représente l’une des composantes majeures de notre héritage commun, non seulement français, européen, mais aussi universel. Parce que dans ces monuments sont inscrits tous les témoignages de notre vie artistique, intellectuelle, et spirituelle, longtemps fondus dans une vision unitaire de l’histoire du monde.

Si l’Etat, propriétaire ne couvre pas les dépenses liées à l’utilisation cultuelle des édifices, il assume la charge des travaux liés à leur conservation et à leur restauration.

Nos cathédrales sont des monuments majeurs de l’Etat, et contrairement au scénario catastrophe imaginé, avec beaucoup de talent, d’humour et d’ironie, par Laurence Cossé dans son roman Le Mobilier National, je peux vous assurer qu’aucun agent du ministère de la Culture et de la Communication, comme le serine la vaine et vieille antienne du désengagement de l’Etat, ne fomente actuellement un plan pour les détruire, faute de budget !

L’Etat n’a pas non plus l’intention de transférer les cathédrales aux collectivités territoriales, et encore moins de les vendre ! La liste des monuments proposés pour un transfert de propriété à titre gratuit, fixée par décret en juillet 2005, est close, et elle ne comprend aucune cathédrale.

La préservation, l’entretien et la restauration des cathédrales, n’a rien d’une simple nostalgie, elle est un véritable enjeu pour notre économie et l’attractivité de nos territoires, un facteur de création d’emplois important, et donc une politique du présent et de l’avenir. C’est pourquoi elle mobilise une part considérable des moyens financiers de la direction de l’architecture et du patrimoine du ministère de la Culture et de la Communication.

La direction de larchitecture et du patrimoine consacrait jusquen 2004 en moyenne 36 M€ par an à la restauration des cathédrales, auxquels il convient dajouter 6 M€ de crédits dentretien courant. Les financements les plus conséquents concernent actuellement les cathédrales dAmiens, Bourges, Chartres, Paris, Quimper et Reims mais toutes les cathédrales font régulièrement lobjet de travaux ou détudes plus ou moins importants.

Pour cette fin dannée 2006 et pour 2007, près de 59 M€ seront consacrés aux seules opérations de restauration « lourde » des cathédrales, sur une dotation exceptionnelle consacrée aux monuments historiques de lEtat (hors opérations exceptionnelles, telles que Chaillot, le Grand-Palais, Versailles), et 8 M€ pour les travaux dentretien.

Le Premier ministre Dominique de Villepin a annoncé, en septembre, lors de sa visite à la cathédrale d’Amiens, des décisions nouvelles – le dégel de crédits et la création d’une recette pérenne annuelle – qui permettront, entre fin 2006 et début 2007, de mettre 140 M€ supplémentaires à disposition des chantiers de restauration.

Les chantiers des collectivités territoriales et des propriétaires privés bénéficieront pleinement de cet abondement, grâce aux redéploiements qu’il permettra.

C’est un geste très fort, qui montre bien la priorité stratégique et politique de l’Etat en faveur de la préservation et de la valorisation de notre patrimoine.

Les cathédrales sont les musées les plus riches, les plus ouverts, jamais offerts à nos concitoyens, et il nous revient d’en faire des lieux vivants, où les artistes contemporains doivent pouvoir s’exprimer, par le biais de commandes publiques, dans les pas de leurs illustres prédécesseurs. J’ai ainsi eu l’occasion d’annoncer, lors de mon dernier déplacement à Reims, la commande de vitraux passée à Gerhard Richter, dans la continuité de l’œuvre de Chagall.

Et parce que notre patrimoine est notre bien le plus précieux, il est notre affaire, notre responsabilité à tous. Sa préservation, sa transmission seront le fruit de l’addition de toutes les énergies. C’est dans cet esprit que le ministère de la Culture travaille en concertation avec tous les acteurs, et en particulier les collectivités territoriales, mais aussi les mécènes, pour réunir toutes les compétences et les contributions utiles, afin de léguer intact aux générations futures le trésor de pierre, de culture et de lumière, constitué par nos cathédrales.

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