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Obsèques de Raymond Devos – Saint-Rémy-lès-Chevreuse

C’est aujourd’hui au nom du Président de la République et du
Gouvernement que je rends hommage à Raymond Devos.

Ce merveilleux raconteur d’histoires était d’abord un comédien hors
pair, qui jouait avec une finesse et une expressivité surprenantes de la
présence et du mouvement incomparables de son corps, de la mobilité
de ses mimiques, de ses grands yeux qui roulaient à nous en donner le
vertige.

Si son talent l’a mené de cabaret en cabaret, depuis la Compagnie
Jacques-Fabbri, où il parfait son apprentissage, et des Trois Baudets
jusqu’aux plus grandes salles et sur les écrans de télévision, c’est qu’en
se risquant à l’écriture comme à la scène, il a magnifiquement illustré
cette grande tradition française et francophone, qui réunit le bateleur et
l’auteur, le joueur et l’artiste, le jongleur et le musicien.

Le verbe pantagruélique et jubilatoire de cet ogre de la langue française
jouait merveilleusement avec ses doubles, ses triples sens, ses nonsens
et ses contresens. Parce qu’il avait par dessus tout, comme l’a
écrit Bernard Pivot, « le don des mots », ce talent, ce génie de la
création poétique, il le mettait au service de cette injonction impérieuse :
« Protégeons le rire ! » Le rire subtil, le rire du comique, celui qui se
moque de soi et non des autres, le rire surgi au détour d’une phrase, le
rire qui libère les esprits et les coeurs.

A travers ses jeux de mots et de scène, le personnage principal de ses
sketches était en fin de compte toujours le langage, dont il avait fait la
matière même de son art. Il n’avait pas son pareil pour mettre en
évidence les quiproquos, les malentendus et les pièges auxquels nous
expose le simple fait, naturel, immédiat et quotidien, de parler. De
calembour en coq-à-l’âne, il tenait des publics de plus en plus
nombreux sous la force magique de son verbe : on riait, on riait, et avec
ses histoires inénarrables, cet homme de discrétion et de pudeur nous
tendait un miroir où se donnait à voir notre humaine condition.

Du Stentor homérique, Raymond Devos avait la voix et le corps, mais
aussi le courage, l’énergie et l’ardeur, dans ses performances
scéniques, athlétiques, où il se faisait tour à tour, ou tout à la fois, mime,
clown, comédien, musicien, équilibriste, et magicien. Un Stentor qui
n’aurait jamais trouvé de Mercure à sa démesure, capable de nous
laisser, comme lui, sans le souffle, comblés, rassasiés et ravis, Sens
dessus dessous.

Son art d’acrobate ou de funambule, son art de faire jaillir l’extraordinaire,
l’absurde et l’insolite, du banal et du convenu, d’être « pris en flagrant
délire » en construisant au fil des sketches un univers décalé, incongru,
suspendu aux étranges colliers de mots qui tombaient de ses lèvres, son
art unique a créé plus qu’un style, plus qu’une école, plus qu’une
génération. Il a créé un véritable esprit « Raymond Devos », qui lui assure
une place à part, une première place, au sein du Panthéon des grands du
rire et de la poésie. Cette trace indélébile, elle continue à marquer
profondément tous ceux qui se proposent, après lui, de faire rire sur
scène, tous les humoristes de notre temps, tous les amoureux des plis et
des replis de la langue, tous ceux qui grâce à lui, ont ri jusqu’à en pleurer.

C’est pour faire vivre cet esprit que le ministère de la culture et de la
communication a créé en 2003 le Grand Prix Raymond Devos, destiné à
récompenser le travail et le talent d’un artiste contribuant au rayonnement
et à la promotion de la langue française, dont il était le président
d’honneur. Il a reconnu le talent de Fellag en 2003, puis de Jean-Loup
Dabadie en 2004, des frères Taloche en 2005 et de Pierre Palmade cette
année.

Raymond Devos disait dans l’un de ses spectacles : « qui prête à rire
n’est jamais sûr d’être remboursé ». Qu’il soit rassuré : les publics
nombreux qui l’ont toujours suivi et applaudi, ne cesseront d’acquitter leur
dette.

Avec des millions de Français que vous avez fait rire, aujourd’hui
Raymond Devos, nous vous pleurons.

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