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Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur à Jannis Kounellis à Rome

Cher Jannis Kounellis,

Si votre nom reste lié à l’Arte Povera, vous êtes surtout un grand créateur.

Votre travail et votre talent, dans leur expression, dans leur rayonnement,
comme dans leur inspiration, dépassent de très loin les limites des clans et
des écoles.

Votre nom figure en très gros caractères dans toutes les annales de l’art
moderne, depuis presque un demi-siècle et vous êtes sans doute, avec
Warhol, Johns, Twombly, Beuys, Merz, Nauman, Serra et quelques autres
encore, un des héros majeurs de cette épopée.

Vous avez fait l’objet d’expositions de premier plan à Moscou, New York,
Chicago, Madrid. En France, vous avez été accueilli en 1977 au Musée
d’Art Moderne de la Ville de Paris, en 1987 au Centre Georges Pompidou,
en 1997 au musée d’Art contemporain de Bordeaux, en 2002 à la galerie
Lelong à Paris et l’année dernière au Musée d’Art Moderne de Saint
Etienne.

Des reines se déplacent pour vous, des présidents de la République
inaugurent vos oeuvres nouvelles. On serait tenté de dire que vous êtes
« un classique », mais on ferait erreur. Au fond, qui êtes-vous Jannis
Kounellis ?

Êtes-vous grec ? Italien ? Êtes vous un Athénien de Rome, un Romain du
Pirée ? Romain, vous l’êtes depuis 50 ans, quand vous avez fait le choix de
vous installer ici alors que vous veniez de quitter la Grèce. Vous n’aviez
alors que 20 ans. C’est à Rome que vous fréquentez l’Académie des
beaux-arts et que vous présentez, en 1960, votre première exposition
personnelle, l’Alfabeto di Kounellis dans la célèbre galerie Tartaruga,
creuset de l’avant garde, avant d’exposer dans tant d’autres galeries
romaines.

Mais grec évidemment, universellement grec serait-on tenter de dire : Grec
du Pirée, de la mer, d’Ithaque, de l’Odyssée, des nostoï, des départs, des
retours, des voyages de héros qui tentent de regagner leur patrie. Jannis
Kounellis, vous êtes un infatigable voyageur qui, sitôt rentré, repart
toujours. Vous êtes grec comme Jean Racine ou Nietzsche étaient grecs
eux aussi, universellement grecs.

Jannis Kounellis, êtes-vous peintre ? Êtes vous sculpteur ? Plusieurs de
vos toiles ont été exposées à travers le monde, notamment à la FIAC.
Pourtant, ces oeuvres, splendides, sont sans doute trop rares pour exprimer
toute la créativité, toute la maîtrise de votre art.

Comprendre Kounellis, c’est interpréter la matière. Celle que vous sculptez
pour décrire la réalité en utilisant le charbon, la laine, le feu, les animaux
vivants. Eléments chtoniens, substances singulières, simples, pour exprimer
la réalité dans toute sa complexité, c’est-à-dire dans toute sa simplicité…

« L’art est très simple… un homme est simple » aimez vous à rappeler.

Aux côtés de la matière intervient l’espace, source d’inspiration dans
laquelle vous puisez inlassablement. Vos oeuvres envahissent le cadre,
obligeant le spectateur à entrer dans l’oeuvre, à y être intégré : l’espace
comme cadre, le cadre comme matière.

Dès lors, comment ne pas évoquer, dans votre travail, le théâtre, l’opéra, la
scène, les planches, les formes agencées, les signes disposés, les
mystères organisés : un jour, vous avez révélé n’avoir assisté, au cours de
votre vie, qu’à trois représentations d’opéras : Rigoletto à Athènes avec
votre mère, Elektra à Berlin, Erwartung et deux autres oeuvres lyriques de
Schoenberg à Amsterdam. Dans les deux derniers cas, vous avez signé
l’espace scénique.

Revenons un instant sur votre parcours : Vous exposez pour la première
fois en 1960 à la galerie La Tartaruga alors que la culture italienne, après
les années de lutte anti-fascisme et revenue du néoréalisme, s’efforce de
récupérer le retard causé par le provincialisme culturel de l’entre-deux guerres.

En 1964, vos oeuvres sont exposées à la Galerie Arco di Alibert,
puis, en 1969 à L’Attico de Fabio Sargentini pour la célèbre installation
« Les Chevaux ». Entre ces deux dates, en 1967, vous collaborez à
l’exposition collective Arte Povera à Gênes où vous vous liez durablement à
ce qui constituera le noyau dur de l’Arte Povera. En 1972, vous participez
pour la première fois à la Biennale de Venise et en 1977 vous exposez pour
la première fois en France, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

On
vous retrouve ensuite plusieurs fois en France ainsi qu’à Chicago, Turin,
Naples, Amsterdam, Milan, Madrid, Magdeburg, Minneapolis, Helsinki,
Sydney, Oxford et Londres. Plus récemment, vos oeuvres ont été exposées
au Mexique, en Argentine et en Uruguay.

Vous êtes aujourd’hui à Rome, dans le cadre de l’exposition « Luce di
Pietra » lancée par l’Ambassade de France, qui met en scène et en lumière
l’art de quatorze artistes français et italiens dans les monuments français de
Rome. Vous avez osé le dialogue avec Michel-Ange dans le fameux cortile
qu’il a dessiné, pour une installation majeure, dont les murs de ce sublime
Palais Farnèse, qui en gardera, j’en suis sûre, une trace indélébile dans
toutes les mémoires des amoureux de Rome.

Je suis particulièrement heureux aujourd’hui, qui est aussi, par un curieux
hasard, la date de votre anniversaire, de vous remettre la plus haute
distinction de la République française.

Jannis Kounellis, au nom du Président de la République et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous remettons les insignes de
chevalier de la Légion d’honneur.

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