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Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Jean-Calude Malgoire

Cher Jean-Claude Malgoire,

Je suis très heureux de vous distinguer ce soir au Théâtre des Champs-
Elysées, pour honorer en vous un instrumentiste de grand talent, un
musicologue éminent, pionnier du renouveau de la musique baroque, un
passionné de la première heure, qui a largement contribué à la
redécouverte, en France, de tout un pan de l’histoire de la musique.

Vous avez exhumé, pour notre plus grand bonheur, des oeuvres
oubliées de ce répertoire, que vous avez fait connaître dans le monde
entier.

Je remercie le Directeur Général du Théâtre des Champs Elysées,
Dominique Meyer, et le Président de la Caisse des dépôts et
consignations, Monsieur Francis Mayer, de l’accueil qu’ils nous
réservent ce soir. Vous aimez ce lieu prestigieux, vous y avez vécu des
heures mémorables depuis votre prime jeunesse professionnelle, et
puisque l’on peut commencer à parler de vos 50 ans de vie musicale :
c’est ici que vous avez initié à la musique symphonique des générations
de jeunes mélomanes avec l’Orchestre de la Société des Concerts du
Conservatoire ; c’est ici que vous avez accompagné la dernière
production des Ballets du Marquis de Cuévas ; c’est ici que vous avez
vécu, en soliste, les premières heures de gloire de l’Orchestre de Paris
avec Charles Münch et Herbert von Karayan, c’est ici que vous êtes
revenu, en 1992, puis au cours des années suivantes, pour la reprise de
cette Alceste de Lully, enregistrée en 1976, qui nous a réjouis ce soir
une fois encore ; pour d’excellentes productions des derniers opéras de
Mozart et de toutes les grandes oeuvres de Monteverdi ; puis il y eut
Rinaldo, car vous avez été le premier, avant nos amis Anglais, à
enregistrer intégralement cet opéra de Haendel sur instruments anciens
et il y aura en 2006 Les Indes Galantes de Rameau qui, très tôt dans
votre carrière, ont assuré votre gloire.

Quiconque retrace l’aventure de votre vie demeure stupéfait devant
l’enchaînement, à un rythme accéléré, des musiques très diverses que
vous avez fait connaître aux publics du monde entier.

Vous débutez vos études musicales en Avignon, votre ville natale. Vous
entrez ensuite au Conservatoire de Paris, où vous obtenez les premiers
prix de hautbois et de musique de chambre.

A vingt ans, vous entamez une brillante carrière d’hautboïste dans des
orchestres symphoniques et rejoignez l’Orchestre de Paris en 1967
comme corniste soliste. Mais vous aspirez alors à autre chose, depuis que
vous avez entendu, trois ans plus tôt, Charles Ravier introduire des
instruments anciens lors d’une représentation. C’est une révélation pour
vous : vous entamez des recherches musicologiques sur le répertoire
baroque et, profitant de l’ouverture d’un pôle parisien de la maison de
disque américaine CBS, friande de musique historique, vous enregistrez
le volume de la Grande Ecurie de Philidor, que vous aviez déniché à la
Bibliothèque nationale, et qui vous inspire le nom de l’ensemble que vous
créez pour l’occasion. Née en 1966, La Grande Ecurie, grâce notamment
au génial Maurice André, vous fait largement connaître et vous ouvre les
portes du marché mondial : en 1970, vous donnez déjà une centaine de
concerts par an.

Vous vous méfiez du concept d’authenticité musicale, vous concevez
votre travail de musicologue plutôt comme une « enquête policière », qui
accumule des éléments, des « faisceaux d’indices » susceptibles
d’éclairer la façon dont étaient interprétées en leur temps les oeuvres du
répertoire baroque.

Archéologue de la musique, vous vous heurtez au début aux réticences
du public et vous devez développer, en plus de votre talent d’artiste, de
très hautes qualités pédagogiques. « Le passage à un autre type
d’interprétation est quelque chose de très brutal, qui a été ressenti comme
tel », avez-vous dit récemment. En 1979, fort de votre minutieux travail
d’enquête, vous interprétez Les Quatre Saisons de Vivaldi au Festival de
Strasbourg, bouleversant non seulement la conception du son, mais aussi
celle du jeu scénique et, plus simplement, de l’esthétique. Le public
n’applaudit pas, vous expliquez votre démarche, il vous demande de jouer
à nouveau.

Vous quittez l’orchestre de Paris en 1974, pour vous consacrer
entièrement à la direction d’orchestre et à vos recherches musicologiques.

Vos premiers enregistrements d’oeuvres lyriques vous ouvrent les portes
des grandes maisons d’opéra européennes : Copenhague, Stockholm,
Covent Garden, l’Opéra national de Paris, Karlsruhe, Palerme, l’Opéra
royal de Madrid. Vous poursuivez parallèlement vos enregistrements chez
CBS/SONY et Audivis et sortez plus de 140 disques, dont de nombreuses
premières mondiales. Cette oeuvre magnifique, vous la réalisez, pour
l’essentiel, avec l’orchestre de la Grande Ecurie.

Votre expérience avec Charles Münch à l’Orchestre de Paris vous a
fortement marqué : « On ne pouvait pas prévoir ce qui allait se passer
quand il dirigeait », avez-vous dit. Vous en avez retiré une passion pour le
direct, le « live », pour ce moment singulier de la représentation. En 1981,
vous avez déjà enregistré plusieurs opéras de Lully, Rameau, Haendel et
Campra. Lorsque vous prenez la tête de l’Atelier lyrique de Tourcoing,
vous y voyez une occasion unique de mettre en pratique ces expériences
de studio, qui, pour vous, restent de la théorie. En 25 ans, vous produisez
plus de 140 opéras de tous les genres en les donnant trente à quarante
fois. « Une excellente utilisation de l’argent public », comme vous le dites !

Vos productions sont récompensées deux fois par le Prix du meilleur spectacle lyrique de l’année : Le Couronnement de Poppée de Monteverdi
en 1983 et la trilogie Mozart/Da Ponte en 1995.

L’importance de cette activité discographique et la place que vous avez
prise dans le renouveau baroque, sont telles que l’on vous catalogue trop
souvent dans ce seul répertoire, mais vous n’avez pas limité votre champ
de recherches à la seule musique du passé : vous avez mené une activité
très diversifiée et ouverte sur la création d’aujourd’hui, notamment à
l’Ensemble Européen de Musique Contemporaine de Bruno Maderna.

La musique est pour vous un « plan de vie », une « raison de vivre
extraordinaire », parce qu’elle est une langue universelle, et qu’elle est un
fabuleux trait d’union entre le passé, le présent, et le futur : « La musique
occidentale, avez-vous déclaré, comme la peinture d’ailleurs, est une
espèce de miracle de civilisation parce qu’on peut suivre depuis les
chansons de troubadours jusqu’à Boulez et ceux qui lui succèdent, un
enchevêtrement d’écoles avec des points forts extraordinaires, mais
jamais de relâchement, du XIe au XXIe siècle. »

Ce « plan de vie », vous souhaitez par-dessus tout le faire partager et
vous tenez à faire de l’Atelier lyrique de Tourcoing un terrain d’envol
privilégié pour les nouvelles générations d’artistes. Plusieurs chanteurs de
haut niveau y ont en effet été révélés, qui poursuivent aujourd’hui des
carrières internationales.

Je ne peux oublier deux autres aspects de votre vie : pendant plus de dix
ans, vous avez présidé le Centre de Musique Baroque de Versailles, qui a
réalisé sous votre vigilante attention et poursuit aujourd’hui une oeuvre
remarquable en faveur de la redécouverte et du rayonnement du
patrimoine musical de la France. Je dois également remercier deux
personnes qui vous sont plus proches que toute autre et qui sont
associées étroitement à l’oeuvre de votre vie : votre fille Florence
Malgoire, excellente violoniste baroque de notre temps qui demeure fidèle
à tous vos projets et votre épouse, Renée Malgoire qui, depuis près de 30
ans, aussi bien comme déléguée artistique de la Grande Ecurie que de
l’Atelier Lyrique de Tourcoing, qui accompagne avec clairvoyance et
précision votre si belle carrière.

Oui, cher Jean-Claude Malgoire, vous faites partie de ces musiciens rares
et précieux, dont l’enthousiasme, la passion et le talent peuvent
embrasser avec le même génie, pour mieux nous le faire partager, près
de mille ans de l’histoire de la musique.

Jean-Claude Malgoire, au nom de la République, nous vous faisons
Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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