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80ème anniversaire de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille

Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Madame le Maire,

Monsieur le Président, cher Hervé Bourges,

Monsieur le Ministre, cher Philippe Vasseur,

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Je voudrais tout d’abord, Madame le Maire, vous remercier de votre
invitation à partager, avec les Lillois, avec tous les anciens élèves et
les élèves de l’Ecole supérieure de journalisme, ce moment
particulièrement émouvant et chaleureux qui est à la fois un point
d’orgue, un prélude et une fête.

Le point d’orgue de Lille 2004, vous l’avez rappelé puisque, depuis
le 6 décembre 2003, Lille est capitale européenne de la culture.

Depuis bientôt un an, la capitale de la Région Nord-Pas-de-Calais,
cité chargée d’histoire, jeune et vivante métropole européenne, vit
chaque jour à l’heure de la culture, de la joie, de la fraternité, dans
l’ouverture, dans l’échange avec vos voisins de Belgique, de
Grande-Bretagne, et jusqu’à nos amis de Gènes.

Lille 2004 incarne l’attachement de cette région à ses racines, à son
héritage et à son avenir européen. Lille 2004 incarne cette
conviction que nous partageons : la culture et la
communication sont au coeur, je dirais même qu’elles sont la force
motrice de notre identité nationale et de notre rayonnement
international.

Lille 2004, – et je tiens à rendre hommage, Madame le Maire, à
votre engagement européen – , prouve le mouvement vers l’Europe
de la culture, dont le Président de la République Jacques Chirac fait
l’un des grands axes de son action internationale.

Une Europe ouverte sur le monde, qui porte les valeurs du
pluralisme et de la diversité, qui sont au coeur de la francophonie,
Monsieur le Président, dont vous êtes le premier ambassadeur et
l’avocat le plus convaincant.

Car la francophonie se retrouve autour de notre langue, bien sûr.
Mais c’est aussi une culture et un ensemble de valeurs, au premier
rang desquels, la liberté, l’égalité, la fraternité, qui impliquent la
tolérance et le dialogue des cultures.

Parce qu’une langue est bien plus qu’un simple mode de
communication : elle est l’élément essentiel d’une certaine vision
du monde, d’une certaine idée de l’homme.

L’avenir de cette vision et de cette idée ne se joue évidemment
pas seulement en France et en Europe. Elle se joue, notamment,
dans tous les pays francophones.

Un Français épris des cultures du monde et qui fut l’un de mes
illustres prédécesseurs, André Malraux, estimait que la France
n’est jamais aussi grande dans l’Histoire que lorsqu’elle est la
France « pour les autres », c’est-à-dire engagée dans un combat
qui la dépasse et qui a une portée humaniste et universelle.

Ce combat commun, il est le nôtre aujourd’hui, pour défendre la
diversité et promouvoir le pluralisme.

Notre rencontre est un prélude et une fête, puisque c’est la séance
solennelle de rentrée de l’Ecole supérieure de journalisme, et nous
aurons la chance d’entendre dans un instant la leçon inaugurale de
Monsieur le Président Diouf, et nous aurons la joie de célébrer
cette jeune et dynamique octogénaire, dont vous êtes tous les
enfants et les petits-enfants.

Mais je vous demande en cet instant, de partager une pensée pour
vos confrères en journalisme, Georges Malbrunot et Christian
Chesnot, qui sont encore, pour le 85ème jour, retenus en Irak,
avec leur chauffeur Syrien Mohamed Al Joundi, pris en otage, pour
avoir simplement fait leur métier, votre métier ou futur métier.

Oui, votre métier, Mesdames et Messieurs, est au coeur du combat
de chaque jour contre la violence, contre les stéréotypes, contre
l’uniformisation du monde, contre la manipulation des hommes et
des idées, un combat de chaque jour pour la liberté.

C’est pourquoi j’ai souhaité aujourd’hui rendre solennellement
hommage à ce métier qui est bien plus qu’une profession, une
vraie passion de l’information, de l’événement, de l’Histoire.

Quelques années avant la fondation de votre école, Albert Londres
écrivait : « votre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire
du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

Ces plaies, elles sont aujourd’hui nombreuses et profondes. Elles
sont à vif, dans un monde où la violence, où toutes les violences,
les conflits, les tragédies, se heurtent aux prises de conscience et
aux mobilisations déclenchées par le talent, le courage,
l’engagement de celles et de ceux qui mettent des mots, des
images et des sons sur les souffrances, et aussi sur les espoirs de
ceux qui, sans eux, seraient condamnés au silence.

C’est grâce à votre engagement, grâce à la présence des
journalistes, des reporters et des photographes sur les terrains les
plus dangereux que nous mesurons à quel point dans le monde
actuel, l’image, la parole, la photo, le film, sont déclencheurs de
paix, de droit, de confrontations démocratiques, ou au contraire,
facteurs de discordes, d’affrontements ou de haines.

C’est dire toute l’importance pour notre pays, et pour la
francophonie, comme pour tous ceux qui partagent nos valeurs, de la chaîne d’information internationale, qui est une nécessité
stratégique. Une nécessité qui n’enlève rien, bien au contraire, au
rôle de TV5, qui fête, cette année aussi, son anniversaire : son
vingtième anniversaire. Je veux associer à mon propos la mémoire
de Serge Adda, le Président de TV5 International, un humaniste
rayonnant et attachant, un méditerranéen, un passionné d’Afrique,
de francophonie et de communication.

Je le redis ici, la vocation de la chaîne internationale, ce n’est pas
d’être la voix de la France. C’est d’être la voix de la liberté et des
valeurs que nous avons en partage. Au premier rang desquelles la
liberté de la presse.

Benjamin Constant a écrit que la liberté de la presse était « le droit
des droits », oui, sans doute le premier, le tout premier avec, bien
sûr, le droit à la vie. La mémoire de tous les journalistes disparus,
désormais inscrite sur le parvis des Droits de l’Homme, au
Trocadéro à Paris, c’est aussi la mémoire de tous ces combattants
de la liberté, de la liberté de l’esprit.

Comme le proclame l’article XI de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « La libre communication
des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l’homme ».

Je tenais à rappeler la force de cette liberté, au regard des
sacrifices qu’elle a coûtés, au moment de célébrer avec vous ce
80ème anniversaire.

Car, les pionniers qui ont fondé votre école, la plus ancienne école
de journalisme, l’avaient certainement présente à l’esprit, comme
tous ceux qui se sont engagés ensuite dans la Résistance.

Car cet anniversaire coïncide avec un autre : il y a soixante ans,
selon l’expression d’un très grand Lillois, le Général De Gaulle, la
France « tourne l’une des plus grandes pages de son histoire »,
et, avec les ordonnances du 26 août 1944, la liberté et
l’indépendance de la presse sont rétablies.

Le combat pour les libertés et l’engagement professionnel ne
faisaient qu’un.

Votre école est fidèle à cet héritage. Dans cet héritage, je veux voir
d’abord aujourd’hui le professionnalisme et son exigence.

Bien sûr, vous êtes recrutés par un concours difficile, très sélectif.
Et votre formation vous donne une certification de qualité très
appréciée. Mais votre métier est surtout un engagement personnel.

On n’est pas journaliste de 8 heures à 18 heures. On l’est
constamment quand l’information, l’événement, l’actualité,
l’exigent.

En ce sens, comme l’a écrit Hubert Beuve-Mery : « Le journalisme,
c’est le contact et la distance », avec cette actualité, avec ce flux
permanent des images et des informations, qui rend plus que
jamais nécessaire les formations qui sont dispensées ici,
formations générales et initiales, formations spécialisées dans les
différentes branches, par exemple, du journalisme scientifique ou
du journalisme agricole, formation continue, tout au long de la vie,
car on ne naît pas journaliste, on le devient.

L’initiative de la création de votre école suscita à l’époque, nombre
d’interrogations et de critiques dans le monde, que l’on n’appelait
pas encore, le monde des médias. Un monde où le journaliste était
autant aventurier qu’écrivain. Un monde où, quelques années plus
tôt , Proust, dans un morceau d’anthologie, décrit le sentiment qui
est le sien d’ouvrir le journal et d’y découvrir son article, en
imaginant la communion de pensée qui l’unit, en une « aurore
innombrable » aux dix mille lecteurs du Figaro de l’époque.

Nous ne sommes plus au temps de Proust.

La presse écrite est aujourd’hui bousculée, malmenée, par de
nouvelles habitudes de consommation, par l’essor des nouvelles
technologies, par l’immédiateté de l’instant, qui privilégient le fait
brut, plutôt que le commentaire, l’analyse et la réflexion ; par la
culture de la gratuité, par le marketing qui préfère le produit
formaté par le marché à l’expression de la pensée, qui, elle, est
contraire à l’uniformisation du discours.

Il appartient aux écoles de journalisme, et le succès de votre école
leur montre la voie, d’adapter la formation aux bouleversements
des techniques, des connaissances, et d’un monde qui est devenu
celui des médias.

Nous avons précisément besoin de la capacité du journaliste à
hiérarchiser et à problématiser les évènements et les enjeux. C’est
dire l’importance de son rôle et de sa place au coeur de la société
d’aujourd’hui.

Une société où la liberté d'expression est vécue par le journaliste,
non comme un simple principe, mais comme une pratique du
quotidien. Ce rôle confère à la profession sa grandeur et aussi ses
servitudes. Car la liberté d’expression ne doit pas s’analyser
uniquement comme un privilège du journaliste, mais aussi comme
un droit du public à recevoir une information pluraliste. Le ministre
de la communication que je suis ne l’oublie pas et y veillera.

Laissez-moi vous dire à ce sujet que je ne crois pas à certaines
analyses contemporaines, sur l’inexorable déclin de la qualité de
l’information et du débat public.

Je crois au contraire qu’au sein d’un environnement bouleversé
par l’avènement des nouvelles technologies, dans un monde où
les sources d’information sont devenues quasiment infinies,
seules la mise en perspective de l’information, sa vérification et
son authentification scrupuleuse, sa lecture critique et sa
hiérarchisation permettent au lecteur de lui donner un sens et
font la richesse irremplaçable de l’information écrite. Ce travail du
journaliste participe à la formation du citoyen, en lui offrant
pleinement la possibilité de s’inscrire dans la vie de la cité.

Depuis sa création, votre école a placé le souci de l’éthique au
coeur de son enseignement et de son rayonnement.

Nous vivons dans un monde de violences. Nous entrons dans le
siècle de l’éthique.

Et je sais la place que prennent dans votre formation, la réflexion
et les échanges sur la déontologie des journalistes, qui est une garantie de fiabilité et de qualité de l’information. Elle assure la
fidélité du lecteur et apparaît ainsi comme le plus sûr moyen de
lutter contre l’érosion du lectorat que connaît aujourd’hui la
presse quotidienne.

La liberté d'informer comporte des « devoirs et responsabilités »,
inscrits notamment dans les règles établies par la loi du 29 juillet
1881, fondatrice de la liberté de la presse.

Au-delà des dispositions législatives encadrant la liberté de
communication, la déontologie vise à rappeler les principes et
règles de conduite auxquels doit obéir l'activité de journaliste.

Les règles d'éthique professionnelle doivent contribuer à
accompagner le journaliste dans son activité quotidienne en fixant
les lignes directrices de sa mission d'information du public :
garantir une indépendance à l'égard de toute pression financière
ou morale, assurer une information exacte, honnête et complète et
veiller au respect des personnes.

Au coeur du métier de journaliste, les formations dispensées dans
les écoles jouent un rôle primordial dans l’apprentissage des
pratiques déontologiques, en adéquation avec l’évolution des
valeurs de la société et des exigences du public.

Je suis l’élu d’une ville, Tours, qui accueille l’une de ces écoles.
Toutefois, les journalistes, même s’ils n’ont pas bénéficié d’une
formation initiale dispensée par les écoles, peuvent y avoir accès
dans le cadre de la formation continue.

Sans une formation commune, nourrie et solidaire, proche de la
réalité quotidienne du métier, le journaliste perd sa spécificité, au
risque de compromettre sa crédibilité.

L’École supérieure de journalisme de Lille, forte de son expérience
octogénaire, a non seulement pleinement assumé ce rôle mais lui
a également conféré une dimension internationale.

Cette dimension crée une formidable attente dans le monde entier
à votre égard. Cette attente, je l’ai ressentie au cours de ce
moment particulièrement émouvant, où, avec le Président
Bourges, nous avons remis à Shanghaï, il y a trois semaines, des
diplômes à des cadres dirigeants de l’un des plus importants
groupes de médias de Chine, formés à Lille.

Je forme le voeu qu’à la mondialisation de l’information réponde
une mondialisation de la déontologie, permettant un partage des
valeurs communes de la profession qui concourent, au quotidien,
au combat pour la démocratie.

C’est aussi le sens de votre rayonnement international. Et je note
qu’Hamid Karzaï, par exemple, l’actuel chef d’Etat Afghan, s’initia,
chez vous, avec dix autres résistants, au reportage télévisuel, afin
de transmettre des images du conflit à l’Occident.

Et je me félicite que votre école soit au coeur du réseau
international, qui porte le beau nom de Théophraste, et qui fédère
dans l’espace francophone, les formations au journalisme.

Avant d’entendre la leçon inaugurale du Président Diouf, c’est
précisément sur un sage conseil du fondateur de La Gazette que
je souhaite clore ce propos : « en une seule chose ne cèderai-je à
personne, dans la recherche de la vérité ».

Je vous remercie.
Renaud Donnedieu de Vabres

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