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« Une vie » de Simone Veil est un phare allumé pour réveiller les consciences

Posted By admin2011 On 1 novembre 2007 @ 00:00 In Blog | 5 Comments

L’effroi se mêle à l’admiration en lisant le magnifique récit de Simone Veil. Avec pudeur mais vérité, maîtrise des sentiments éprouvés mais violence non feinte face à la barbarie des camps, cette autobiographie est un hymne à la résistance humaine, à la force intérieure, au courage, avec l’humilité de constater qu’un destin tient parfois au hasard, à une page non écrite d’une complicité humaine s’imposant dans sa complexité comme dépassant la relation entre le bourreau et la victime.

Au fur et à mesure que l’on rentre dans « l’enfer », le silence se fait, tant la simplicité des mots tranche avec l’horreur ressentie. A l’image de ce coup de massue que l’on reçoit en visitant à Auschwitz les pavillons présentant vêtements et effets personnels des déportés, dans une atmosphère où la monstruosité dont a été capable l’Europe apparaît dans sa brutalité indicible. Ou pour être plus précis et plus juste, dont certains individus abjects ont souillé l’humanisme et l’esprit même de notre civilisation judéo-chrétienne.

Quelle superbe force d’âme faut-il avoir pour mettre à l’honneur les Justes qui furent une exception glorieuse mais rare… Avec le souci de la réalité, même quand elle bouscule les certitudes et le prêt-à-penser. Je n’oublierai jamais son discours au Panthéon lors de la cérémonie voulue par le Président Chirac en hommage aux Justes de France, que le Ministère a organisée le 18 janvier dernier. Son témoignage était magnifique, en harmonie avec l’intelligence et la sensibilité extrêmes de la réalisation d’Agnès Varda, qui a su faire dialoguer la bonté des uns et la monstruosité des autres. Dans un face à face saisissant.

« Certains Français se plaisent à flétrir le passé de notre pays. Je n’ai jamais été de ceux-là. J’ai toujours dit, et je le répète ce soir solennellement, qu’il y a eu la France de Vichy, responsable de la déportation de 76 000 Juifs, dont 11 000 enfants, mais qu’il y a eu aussi tous les hommes, toutes les femmes, grâce auxquels les trois quarts des Juifs de notre pays ont échappé à la traque. Ailleurs, aux Pays-Bas, en Grèce, 80% des Juifs ont été arrêtés et exterminés dans les camps. Dans aucun des pays occupés par les nazis, à l’exception du Danemark, il n’y a eu un élan de solidarité comparable à ce qui s’est passé chez nous. »

Y a-t-il plus beau chant d’amour à son pays ? Quelle transcendance de la souffrance endurée…

Simone Veil est une femme libre, rayonnante de son destin parfaitement assumé, même si les blessures d’une telle vie ne peuvent jamais disparaître. Il faut un caractère particulièrement construit pour « revivre » avec l’art de l’humour, de la drôlerie et des jeux de l’esprit qui l’animent, sans oublier la capacité très politique à dire, à exprimer, et le cas échéant à décrocher des flèches, lorsque la médiocrité, la lâcheté ou la veulerie règnent en maître de l’actualité.

Simone Veil peut être chaleureuse et d’une générosité exceptionnelle, et monter au créneau pour répliquer, porter la contradiction, indiquer le chemin avec une efficace fermeté. Sa douceur et son charme féminin confortent une rare autorité naturelle, jalonnée par l’Histoire qu’elle traverse et qu’elle façonne tout à la fois au cours d’une vie particulièrement active et riche. C’est une femme de conviction et d’engagement, qui dit avec panache ce à quoi elle croit. Et qui sait manifester sa tendresse à ceux qu’elle aime.

Aujourd’hui, pour témoigner et mobiliser les consciences, elle s’est livrée, en acceptant par l’écrit de faire ressurgir des époques que l’Histoire retient comme ayant fait naître le crime contre l’Humanité.

« Vivre avec », c’est pour Simone Veil l’éternel défi, doublé parfois d’un sentiment d’injustice, lorsque est évoquée la situation des résistants : « Eux sont dans la position des héros, leur combat les couvre d’une gloire qu’accroît encore l’emprisonnement dont ils l’ont payée ; ils avaient choisi leur destin. Mais nous, nous n’avions rien choisi. Nous n’étions que des victimes honteuses, des animaux tatoués. Il nous faut donc vivre avec ça, et que les autres l’acceptent. »

« Deux mille cinq cents survivants sur 78 000 Juifs français déportés. Il n’y a que la Shoa. L’atmosphère de crématoire, de fumée et de puanteur de Birkenau, je ne l’oublierai jamais. Là-bas, dans les plaines allemandes et polonaises, s’étendent désormais des espaces dénudés sur lesquels règne le silence ; c’est le poids effrayant de vide que l’oubli n’a pas le droit de combler, et que la mémoire des vivants habitera toujours. »

Il appartient aux générations « d’après » de porter comme un étendard ce cri humaniste, plein d’une révolte intacte et d’un pardon impossible.

Ce livre nous y invite. Il mérite d’être lu et médité par la jeunesse de France et d’Europe, pour qu’elle fête la paix et traque toutes les résurgences du fanatisme, de l’intégrisme, de l’antisémitisme et du racisme. C’est un vrai devoir civique permanent et malheureusement toujours d’actualité. Une fois de plus, l’action est le seul remède, l’unique issue possible…


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