Rubrique ‘Discours rue de Valois’

Cérémonie officielle avec Carolos Papoulias, Président de la République hellénique, d'apposition de la plaque «Patrimoine européen» sur l'Acropole à Athènes

26 mars 2007

Monsieur le Président de la République hellénique,

Monsieur le Ministre, cher Georges Voulgarakis,

Excellences,

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement honoré, ému et reconnaissant de prendre la parole
aujourd’hui, ici, devant vous, en ce lieu fondateur de la culture et de
l'identité européennes. « Il y a un lieu où la perfection existe ; il n’y en a pas
deux, c’est celui là ». L’émerveillement d’Ernest Renan demeure plus
éternel et plus actuel que jamais, près d’un siècle et demi après qu’il lui eut
inspiré sa fameuse Prière sur l’Acropole. Cette révélation de la grandeur et
de la beauté, chacun des voyageurs et des citoyens qui viennent ici, selon
l’expression de Chateaubriand « chercher les Muses dans leur patrie »
peut l’éprouver. Un demi siècle après la signature du Traité de Rome, qui
créa la Communauté européenne, c’est ici, où tout a commencé, où la
communauté que nous continuons à bâtir ensemble, plonge ses racines les
plus profondes.

Oui, la Grèce a inventé l’Europe, qui fut d’abord une légende et un mythe,
un rêve et une utopie, avant d’entrer dans l’histoire, de prendre corps et
chair, de devenir réalité, force profonde et projet.

Ici, depuis plus de vingt-cinq siècles, la poésie a rencontré la philosophie, la
science, la culture et la démocratie. Cet esprit commun qui nous rassemble
n'est pas une conception unique et figée du monde, mais au contraire une
passion de la recherche, de la découverte, de la connaissance et du
dialogue. André Malraux faisait dire, ici même, à l'esprit de la Grèce, en lui
rendant hommage sous la nuit étoilée, il y a près d’un demi siècle, ces
quelques mots qui nous éclairent aujourd’hui, sous le soleil de midi : «

J'ai
cherché la vérité, et j'ai trouvé la justice et la liberté (…) ». Et d’ajouter :
« l'Acropole est le seul lieu du monde hanté à la fois par l'esprit et par le
courage ».

Virtuosité de l'intelligence, générosité du coeur, force de la création et de
l’action : seule la Grèce pouvait donner à l'esprit européen ces qualités si
rares, et si précieuses. Puissent-elles à nouveau nous inspirer aujourd’hui !

C’est dire combien l'Acropole méritait d’être le premier lieu inscrit sur la liste
du patrimoine européen, et la dimension hautement symbolique de cette
inscription que vous allez dévoiler dans un instant. Haut lieu de culture, de
mémoire et de patrimoine, ce site est aussi et surtout l'un des foyers
majeurs de la conscience européenne, de cet esprit qui a fait de l'Europe
ce qu'elle est devenue, qui fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui,
et qui forgera nos desseins communs.

Comme à l'abbaye de Cluny, nous sommes côte à côte, ensemble, pour
exprimer que ce label est plus qu’un symbole plus qu’un signe de

Découvrir aujourd'hui cette plaque, c’est marquer à la fois l’ancienneté et la
modernité de notre communauté de destin. Comme l'écrit Jacqueline de
Romilly, « quand je prononce le nom de l'Europe, j'ai l'impression que
quelque chose de moi va vers Athènes ». Tous les Européens peuvent se
reconnaître dans cette conviction, qui est un appel à poursuivre, à
approfondir et à enrichir la construction de l’Europe, par la culture.

Je vous remercie.

Dévoilement d’une plaque dédiée au centenaire de l’institut Français d’Athènes à Athènes

26 mars 2007

Monsieur l’Ambassadeur de France, Cher Bruno Delaye

Monsieur le Directeur de l’Institut, Cher Alain Fohr,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux que ma visite à Athènes, à l'invitation de mon
collègue, Giorgos Voulgarakis, Ministre de la culture de la République
hellénique, m’offre l'occasion de vous saluer, et de m'associer à la
célébration du centenaire de l'Institut français d’Athènes. Que Bruno
Delaye, Ambassadeur de France en Grèce, et Alain Fohr, Directeur de
l’Institut, soient chaleureusement remerciés pour leur accueil dans ce lieu
de rencontre des cultures grecque et française !

Nul n’ignore la riche histoire de cet établissement. Pour ma part, je sais
combien l’Institut français a accompagné l'édification de la Grèce
contemporaine, et je connais le rôle majeur qu'il a tenu, et continue de tenir
dans le cadre des relations franco-helléniques.

Témoin, voire acteur privilégié des moments les plus glorieux et parfois,
hélas, des pages les plus douloureuses de l’histoire de ce pays, l'IFA – que
d'aucuns nomment encore "Academia" – doit à Octave Merlier, son
fondateur emblématique, et Directeur pendant plus de 30 ans, puis à ses
différents successeurs, d'avoir su illustrer avec éclat la force des liens qui
unissent la France et la Grèce. Des liens fondés sur l’amitié, la passion,
l’intelligence, la création et l’ouverture réciproques. Des liens fondés sur
une riche histoire commune et résolument tournée vers l’avenir. Des
milliers d'étudiants ont été accueillis dans cet Institut et ses annexes, et
nombre de personnalités, parmi lesquelles plusieurs membres de l'actuel
Gouvernement grec, y ont suivi une partie de leurs études.

Ce lien, c’est aussi une chance pour l’apport de la Grèce à la francophonie,
pour l’amour de la langue, des idées, des projets que nous avons en
partage.

Je tiens à saluer tout particulièrement le travail admirable réalisé par Alain
Fohr, Conseiller culturel à l’Ambassade de France, qui s’est dépensé sans
compter pour faire, avec ses équipes, de l’Institut un pôle majeur
d’échanges et de débats à Athènes, et plus largement en Grèce.

Au moment où nous lançons le Label du patrimoine européen, et où,
aujourd'hui même, l'Acropole est brillamment mise en lumière, je suis fier
de constater que la plupart des Grecs considèrent l'Institut français
d'Athènes comme un élément de leur patrimoine culturel national. C'est
dire, Mesdames et Messieurs les représentants de cette belle maison,
combien vous pouvez être honorés de la confiance que l'on place en
vous. Je sais que vous ne ménagez aucun effort pour vous en montrer
dignes.

Je souhaite donc, en dévoilant cette plaque, rendre hommage à tous vos
prédécesseurs, mais aussi vous témoigner ma confiance et mon estime
pour l’oeuvre que vous poursuivez aujourd’hui.

Vous pouvez être fiers de ce lieu, du coeur qui y bat et de l’esprit qui y
règne !

Je vous remercie.

Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Nikos Aliagas

26 mars 2007

Cher Nikos Aliagas,

Je suis très heureux de saluer aujourd’hui en vous une grande personnalité
des médias, un journaliste à l’esprit curieux et ouvert, et un passeur
admirable des cultures française et grecque.

Votre destin hors norme débute à Paris, où vous voyez le jour. « Il reste
toujours quelque chose de l’enfance », écrit Marguerite Duras. De l’univers
de vos parents, tailleurs, vous ne faites pas une vocation, mais vous
gardez un goût immodéré pour l’élégance en toutes circonstances, qui est
devenue votre marque de fabrique à l’écran. De vos premières passions,
Claude François, les costumes pailletés, le chant, la musique et la scène,
nous pouvons mesurer aujourd’hui l’influence sur tout votre parcours.

De votre double culture franco-grecque, nourrie et forgée dans votre famille
et au pensionnat grec de Châtenay-Malabry, où vous rencontrez votre père
spirituel, l’Archimandrite Dionisos, vous retenez une profonde conscience
humaniste et européenne. C’est cette culture européenne, que vous
incarnez éminemment, qui a fait de vous le co-Président, aux côtés de mon
collègue Jean-François Lamour, du jury du concours européen « Envie
d’agir », qui récompensait en 2005 de jeunes porteurs de projets. Et c’est
cette même envie de partager et de transmettre votre expérience concrète
de la richesse d’une double culture qui vous a poussé, au lendemain des
émeutes qui ont secoué les banlieues en 2005, à publier un article dans Le
Figaro, dans lequel vous avez rappelé combien il est essentiel de connaître
ses racines pour avancer dans la vie.

Oui, de l’enfance il reste toujours quelque chose.

Et d’abord cette audace et ce charisme à toute épreuve, qui ont tracé, à
grande vitesse, votre double destin journalistique et artistique. A 18 ans
seulement, parallèlement à vos études de littérature à la Sorbonne, vous
devenez journaliste pour RFI, où vous tirez les dépêches de la nuit. Vous
animez ensuite les matinales sur Radio France et sur Radio Notre Dame,
pendant deux ans, aux côtés de Monseigneur Lustiger. Vous éditez
également, pendant cinq ans, depuis la Sorbonne, et sur vos propres
deniers, un magazine culturel et littéraire franco-hellénique.

Parlant couramment le français, le grec, l’anglais, l’espagnol et l’italien,
vous êtes rapidement et justement repéré par Euronews. A 24 ans tout
juste, vous couvrez les conflits au Kosovo, et interviewez Madeleine
Albright, Yasser Arafat, mais aussi le nouveau Président de la République
de Grèce, Costis Stephanopoulos, une semaine après son élection en
1994. A votre demande, l’interview se déroule en grec et en français.

Plus
tard, c’est aussi en français que vous réalisez la dernière interview de
Mélina Mercouri avant sa disparition. Gérard Deck, ancien Directeur de la
rédaction d’Euronews, saluait votre « don de sensibiliser le public à
l’actualité européenne ».

Vous présentez le journal sur TMC depuis la rédaction d’Euronews,
lorsque vous devenez chroniqueur, puis rédacteur en chef de l’émission
« Union libre », sur France 2, avec Christine Bravo. Vous êtes, dans le
même temps, rédacteur et présentateur en chef du journal télévisé de
20h30 sur la chaîne grecque Alter Chanel.

Inlassable, infatigable, toujours avide de relever de nouveaux défis, vous
vous lancez en 2001, sur TF1, dans la présentation d’émissions de
divertissement, et notamment la Star Academy, qui réalise chaque année
des records d’audience. Vous transformez tout ce que vous tentez en
magnifique réussite, et le succès de l’émission « 50 minutes inside », dont
TF1 vous a récemment confié la présentation, ne me démentira pas.

Vous présentez également, depuis 2005, une émission culturelle sur LCI,
« Ça donne envie », dans laquelle vous avez déjà donné la parole à de
nombreuses personnalités confirmées et à des jeunes talents du monde
culturel, d’Éric-Emmanuel Schmitt à Bianca Li, de Michel Onfray à Marie-
Claude Pietragalla. Vous poursuivez, à l’écran, vos amours littéraires, qui
nourrissent, en privé, vos conversations passionnées avec vos amis
Vassili Vassilikos – présent parmi nous, que je salue – Aris Fakinos, Jean-
Christophe Rufin, ou encore Patrick Poivre d’Arvor.

L’amour de la scène vous a également suivi pendant toutes ces années,
et vous l’avez mûri aux côtés de vos amis les plus fidèles, Stéphane
Cosnefroy, Nicolas Chabane, et, hasard ou juste retour des choses,
Claude François Junior. Vous avez fait vos premières armes dans la
musique avec eux, à vos vingt ans, et vous ne les avez jamais quittés
depuis. C’est d’ailleurs Nicolas Chabane qui vous offre votre première
occasion de vous faire dénicheur de talents, lors d’un festival dédié aux
Beatles. Le chanteur du groupe manquant à l’appel, vous plongez dans le
métro, pour trouver un guitariste qui s’improvise remplaçant. C’est le
premier de la longue liste de talents qui ont fait leurs débuts sur scène
grâce à vous !

Avec Stéphane Cosnefroy, vous organisez aujourd’hui des concerts au
profit de l’association Terry le petit ange, pour les enfants atteints du
cancer. Vous avez également créé un Festival de jazz, à Fiskardo, en
Céphalonie, face à Ithaque. Vous vous attachez enfin à mettre en lumière,
et à mieux faire connaître les nouveaux talents de la scène grecque.

Car vous êtes avant tout un fantastique passeur de cultures, entre la
France et la Grèce. En 2004, lors de votre participation à la cérémonie
des Jeux Olympiques d’Athènes, vous choisissez de vous adresser au
stade en français. Et inversement, vous avez fait chanter Patrick Bruel en
grec, dans une adaptation inédite de Casser la voix. Depuis deux ans,
vous écrivez chaque semaine, dans le Journal du dimanche grec, des
chroniques de la vie en France.

Vous avez participé à de nombreux évènements culturels francophones,
les États généraux de la francophonie, le Festival du film francophone, et
le Centenaire de l’Institut français de Thessalonique. Grand admirateur
également de l’engagement de l’Académicienne Jacqueline de Romilly en
faveur de l’enseignement du grec ancien, vous l’avez accompagnée,
l’année dernière, dans le lancement de son appel à témoignages auprès
de jeunes adolescents.

Vous vous êtes rendu, à ses côtés, à l’Institut de France, le 17 avril
dernier, pour remettre les prix aux dix jeunes lauréats du concours.

Je salue aujourd’hui un homme d’engagements, intuitif et audacieux,
travailleur et généreux, disponible, et ouvert. Un homme à l’énergie
extraordinaire, qui s’investit dans des projets aussi nombreux que divers,
au gré de sa curiosité sans fin et de sa belle sensibilité.

Nikos Aliagas, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Remise des insignes de Commandeur dans l’Ordre national de la Légion d’Honneur à Mikis Theodorakis à Athènes

26 mars 2007

Cher Mikis Théodorakis,

C’est un grand plaisir, et une immense fierté pour moi de rendre
aujourd’hui, ici, à Athènes, l’hommage de la France à un homme à
l’itinéraire exceptionnel, qui incarne éminemment, aux yeux du monde
entier, le long chemin que la Grèce de l’après-guerre a dû faire pour
conquérir sa liberté et sa dignité, et retrouver ainsi sa place en Europe et
dans le monde.

Nous célébrons ce soir la force de la culture, et je dirais même les armes
de la culture : la culture comme force, la culture comme arme. Car c’est
bien par la culture que vous êtes entré dans l’histoire. C’est par la culture
également que vous avez forgé votre lien avec la France, et que vous avez
exprimé votre foi dans l’avenir d’une Europe unie et forte.

La culture a toujours été pour vous un combat, contre les dictatures, contre
l’aliénation de l’homme, contre les conformismes. La culture est une
résistance, une andistasi, dont vous symbolisez la force, à la fois par votre
parcours politique, par vos créations artistiques et par vos engagements
francophiles.

Le combat pour la liberté, contre les forces de l’oppression, vous l’avez
porté pendant la Seconde Guerre mondiale, et vous l’avez poursuivi durant
la Guerre civile, où vous avez fait surgir l’idée de résistance culturelle.

Cette résistance culturelle, vous l’avez par la suite toujours déployée
comme l’étendard des valeurs démocratiques. Mais, en ces années
sombres de la Guerre civile, le combat était aussi physique, comme ce jour
où, après avoir été battu et laissé pour mort, vous vous êtes réveillé à la
morgue. Suivent l’exil, et la déportation à Ikaria et Makronissos : la
souffrance, la maladie, la torture, auxquels votre corps et votre esprit
réussissent à résister.

Dans les années qui suivent, vous devenez un acteur de premier plan de la
vie politique grecque, en présidant notamment les « Jeunesses
Lambrakis ».

Alors que la junte des colonels plonge la Grèce dans la dictature et la
terreur, vos chansons sont interdites et vous êtes arrêté, emprisonné,
maltraité, ce qui suscite l’indignation internationale. C’est finalement la
France qui a le privilège de vous accueillir pour un exil libérateur, pendant
lequel vous poursuivez votre combat contre la junte.

À votre retour, la Grèce vous fait un triomphe, celui qu’elle doit à son
héros national. Depuis, aux yeux de vos compatriotes et du monde entier,
vous incarnez l’esprit grec, une idée forte de l’indépendance, un refus de
l’affadissement des valeurs, de l’aliénation des êtres, de
l’appauvrissement des rêves.

Je suis fier de rappeler que la France a su se tenir à vos côtés lors de ces
terribles épreuves. Elle vous offre d’abord, en 1954, une bourse pour
poursuivre vos études à Paris, auprès d’Olivier Messiaen et d’Eugène
Bigot. Vous y perfectionnez votre formation classique qui vous amènera à
écrire, plus tard, de la musique de chambre, des oratorios, des
symphonies, des opéras. Puis elle permet de vous arracher, en avril 1970,
aux chaînes de la Junte des Colonels, et elle vous accueille à nouveau à
Paris où Maria Farantouri et Petros Pandis, popularisent vos chansons,
qui transposent les vers des plus grands poètes grecs et renouvellent la
musique de votre pays. C’est à cette époque que vous vous liez à Pablo
Neruda et que vous composez votre célèbre Canto General, c’est à la
même époque que vous composez la musique du célèbre film de Costa
Gavras État de siège, et que vous faites la connaissance de nombreuses
personnalités françaises des arts, des lettres ou de la politique. C’est en
France, également, que naissent vos enfants.

Vos chansons sont devenues des hymnes pour tous les amoureux de la
liberté. Vos créations musicales ont en effet toujours porté votre combat.
Vous luttez toujours avec vos propres armes, les mots et la musique,
incarnant les paroles d’Odysseas Elytis :
Instruis-toi
Et bagarre-toi
À chacun selon ses armes.

Votre art a fait évoluer, progresser toutes les formes musicales. La
diversité et la richesse de votre oeuvre s’étendent également à la poésie,
au récit en prose, à la philosophie, à la musicologie et à l’essai politique.

C’est en apportant la poésie au peuple par votre musique que vous avez
fait de l’art une arme de liberté. Vous avez ainsi mis en musique et révélé
les vers de Yannis Ritsos ( je songe au fameux Epitaphios), d’Odysseas
Elytis ( comment ne pas se souvenir de l’admirable Axion Esti), de Tasos
Livaditis, de Kostas Varnalis, et de nombreux autre auteurs grecs, mais
aussi de Federico Garcia Lorca et de Pablo Neruda. En élaborant la
musique populaire et byzantine, vous avez permis au peuple grec de
retrouver ses sources. En lui faisant goûter sa poésie, vous lui avez rendu
sa fierté. Quelle émotion d’entendre les salles, les stades et les
amphithéâtres reprendre en choeur les vers des poètes éclairés par votre
musique ! Quelle émotion de retrouver les voix de vos interprètes, celle de
Maria Farantouri, celle de Grigoris Bithikotsis, de Petros Pandis et de tous
ceux qui ont transmis votre oeuvre en accompagnant les combats d’un
peuple.

Si vos chants ont toujours été associés aux luttes du peuple grec, votre
musique s’est également déployée hors de ces frontières, grâce à des
chefs d’oeuvre du cinéma (ceux de Michel Cacoyannis, bien sûr, Électre,
Zorba) et à des reprises par des orchestres de l’Europe et du monde
entier. De l’autre côté de la mer Égée, avec Omer Zulfu Livaneli, vous
avez chanté votre amitié pour la Turquie, terre dont votre mère Myrto était
une réfugiée. C’est la dimension universelle de votre musique que
l’UNESCO a consacrée, en vous décernant son prix de la Musique en
2005.

Si la musique est pour vous le langage universel de la liberté, elle est
aussi un élément cardinal de votre francophilie. Aujourd’hui, votre voix
rejoint souvent celle de la France pour s’élever contre toutes les formes
d’assujettissement culturel, et toutes les barbaries. Cette volonté
d’indépendance, cette capacité à dire « non », cet esprit européen de
liberté est l’un des socles de l’amitié franco-hellénique, dont vous êtes un
héros contemporain.

Je tiens enfin à saluer votre souci d’établir une tradition familiale de
francophilie. Il y a, m’a-t-on dit, au Lycée franco-hellénique d’Athènes, une
jeune Myrto, dont le grand-père est musicien, et qui déclare aimer le
français « parce que c’est une langue mélodique » !

Votre vie, marquée par l’engagement, ponctuée par la souffrance, lie
intimement votre oeuvre prolifique, et vos combats politiques. Le combat
d’un peuple « mordant l’obstination à pleines dents » – pour reprendre les
vers de Yannis Ritsos – représente pour vous celui de tous les peuples :
« J'ai toujours rêvé d'une Europe des sciences, des arts, des grandes
conquêtes sociales, de la démocratie et de la paix, de l'Europe des forces
du travail et de la culture. De l'Europe des peuples. »

Mikis Théodorakis, au nom du Président de la République, et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous remettons la cravate de
Commandeur de la Légion d’Honneur.

Inauguration du Théâtre des Louvrais rénové à Pontoise

23 mars 2007

Monsieur le Député, Président du Conseil Général, cher François Scellier,

Monsieur le Vice-président du Conseil Régional, cher Francis Parny,

Monsieur le Député-Maire, cher Philippe Houillon,

Monsieur le Président de la Communauté d'Agglomération, cher Dominique
Lefebvre,

Monsieur le Préfet, cher Christian Leyrit,

Monsieur le Président du conseil d'administration, cher Bernard Toublanc,

Monsieur le Directeur, cher Jean-Joël Le Chapelain,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis particulièrement heureux de vous retrouver ce soir, pour inaugurer le
théâtre des Louvrais enfin reconstruit et rendu au public. Ce terme
d'inauguration n'est pas le plus approprié : car le théâtre des Louvrais n'a, en
fait, jamais vraiment cessé d'exister. Grâce au courage et à la détermination de
toute l'équipe de l'Apostrophe Scène Nationale, que je veux saluer très
chaleureusement ici, les spectacles prévus ont été maintenus coûte que coûte,
dans des conditions que l'on sait difficiles, afin que la saison ne soit pas
interrompue. L'enjeu de ce véritable combat contre la fatalité était de taille : au-delà
de l'organisation, des difficultés pratiques et financières, il s'agissait
d'assurer à tout prix la continuité du service public, d'empêcher que la culture
ne cède à la violence.

Au moment où le théâtre des Louvrais a été victime, en effet, de cette
explosion de violence qui a touché les banlieues, en cette nuit de novembre
2005, nous avons été très nombreux à nous sentir touchés, ébranlés,
profondément blessés ; je suis venu sur place dès le lendemain du drame,
comme Dominique Lefevbre et Philippe Houillon, pour assurer tout d'abord les
équipes de l'Apostrophe de ma solidarité et du soutien de l'Etat, mais aussi
pour manifester que, dans cet acte, dans cet incendie volontaire d'un théâtre,
c'était une certaine conception de la société qui se trouvait mise en danger,
une certaine vision de la culture, et que nous nous devions de réagir
collectivement.

Le rappel de ces évènements douloureux permet de mieux mesurer la
signification et l'importance de l'événement que nous vivons ce soir : la
réouverture du théâtre des Louvrais est une victoire, une victoire sur les
difficultés nombreuses rencontrées depuis l'incendie, mais aussi, à plus long
terme, je l'espère, une victoire sur la division, sur la violence, sur les
incompréhensions, sur les fractures de notre société. La culture est une force
de réconciliation.

Je veux remercier et féliciter tous ceux, ici présents, qui ont contribué à cette
victoire, élus et responsables politiques, personnels du théâtre et de la
l'Apostrophe Scène Nationale, comédiens et techniciens, architectes et
scénographes. Avec eux, nous pouvons souhaiter à ce lieu qui ouvre de
nouveau ses portes au public de faire avancer, dans la ville de Pontoise et au
sein de ce département, les valeurs de paix, de solidarité, d'écoute et
d'entente. Le théâtre a toujours joué un rôle important dans les évolutions
sociales, dans les mutations et les progrès de notre pays ; la scène constitue
un lieu exceptionnel pour susciter le débat et le dialogue, un moyen pacifique
et profondément efficace de faire avancer les causes importantes, celles de la
liberté, de l'égalité, de la fraternité. Je ne doute pas que le théâtre des
Louvrais continuera à assumer pleinement ce rôle pour contribuer à
construire l'avenir de notre pays !

C'est en tous les cas dans cette perspective que s'est effectuée sa
reconstruction ; pour cette raison, je suis particulièrement heureux de voir
qu'elle a été l'occasion, non seulement d'améliorations techniques et
scéniques significatives, mais aussi d'un développement important de
l'accessibilité à tous les publics : désormais, les personnes à mobilité réduites
ou les personnes malentendantes pourront bénéficier pleinement, dans des
conditions optimales, des richesses de la saison théâtrale proposée par
l'Apostrophe. C'est sous le signe de cette ouverture, ouverture à tous les
publics et à toutes les sensibilités, que nous célébrons aujourd'hui
l'inauguration de ce nouveau théâtre des Louvrais.

Je vous remercie.

Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur à Jannis Kounellis à Rome

22 mars 2007

Cher Jannis Kounellis,

Si votre nom reste lié à l’Arte Povera, vous êtes surtout un grand créateur.

Votre travail et votre talent, dans leur expression, dans leur rayonnement,
comme dans leur inspiration, dépassent de très loin les limites des clans et
des écoles.

Votre nom figure en très gros caractères dans toutes les annales de l’art
moderne, depuis presque un demi-siècle et vous êtes sans doute, avec
Warhol, Johns, Twombly, Beuys, Merz, Nauman, Serra et quelques autres
encore, un des héros majeurs de cette épopée.

Vous avez fait l’objet d’expositions de premier plan à Moscou, New York,
Chicago, Madrid. En France, vous avez été accueilli en 1977 au Musée
d’Art Moderne de la Ville de Paris, en 1987 au Centre Georges Pompidou,
en 1997 au musée d’Art contemporain de Bordeaux, en 2002 à la galerie
Lelong à Paris et l’année dernière au Musée d’Art Moderne de Saint
Etienne.

Des reines se déplacent pour vous, des présidents de la République
inaugurent vos oeuvres nouvelles. On serait tenté de dire que vous êtes
« un classique », mais on ferait erreur. Au fond, qui êtes-vous Jannis
Kounellis ?

Êtes-vous grec ? Italien ? Êtes vous un Athénien de Rome, un Romain du
Pirée ? Romain, vous l’êtes depuis 50 ans, quand vous avez fait le choix de
vous installer ici alors que vous veniez de quitter la Grèce. Vous n’aviez
alors que 20 ans. C’est à Rome que vous fréquentez l’Académie des
beaux-arts et que vous présentez, en 1960, votre première exposition
personnelle, l’Alfabeto di Kounellis dans la célèbre galerie Tartaruga,
creuset de l’avant garde, avant d’exposer dans tant d’autres galeries
romaines.

Mais grec évidemment, universellement grec serait-on tenter de dire : Grec
du Pirée, de la mer, d’Ithaque, de l’Odyssée, des nostoï, des départs, des
retours, des voyages de héros qui tentent de regagner leur patrie. Jannis
Kounellis, vous êtes un infatigable voyageur qui, sitôt rentré, repart
toujours. Vous êtes grec comme Jean Racine ou Nietzsche étaient grecs
eux aussi, universellement grecs.

Jannis Kounellis, êtes-vous peintre ? Êtes vous sculpteur ? Plusieurs de
vos toiles ont été exposées à travers le monde, notamment à la FIAC.
Pourtant, ces oeuvres, splendides, sont sans doute trop rares pour exprimer
toute la créativité, toute la maîtrise de votre art.

Comprendre Kounellis, c’est interpréter la matière. Celle que vous sculptez
pour décrire la réalité en utilisant le charbon, la laine, le feu, les animaux
vivants. Eléments chtoniens, substances singulières, simples, pour exprimer
la réalité dans toute sa complexité, c’est-à-dire dans toute sa simplicité…

« L’art est très simple… un homme est simple » aimez vous à rappeler.

Aux côtés de la matière intervient l’espace, source d’inspiration dans
laquelle vous puisez inlassablement. Vos oeuvres envahissent le cadre,
obligeant le spectateur à entrer dans l’oeuvre, à y être intégré : l’espace
comme cadre, le cadre comme matière.

Dès lors, comment ne pas évoquer, dans votre travail, le théâtre, l’opéra, la
scène, les planches, les formes agencées, les signes disposés, les
mystères organisés : un jour, vous avez révélé n’avoir assisté, au cours de
votre vie, qu’à trois représentations d’opéras : Rigoletto à Athènes avec
votre mère, Elektra à Berlin, Erwartung et deux autres oeuvres lyriques de
Schoenberg à Amsterdam. Dans les deux derniers cas, vous avez signé
l’espace scénique.

Revenons un instant sur votre parcours : Vous exposez pour la première
fois en 1960 à la galerie La Tartaruga alors que la culture italienne, après
les années de lutte anti-fascisme et revenue du néoréalisme, s’efforce de
récupérer le retard causé par le provincialisme culturel de l’entre-deux guerres.

En 1964, vos oeuvres sont exposées à la Galerie Arco di Alibert,
puis, en 1969 à L’Attico de Fabio Sargentini pour la célèbre installation
« Les Chevaux ». Entre ces deux dates, en 1967, vous collaborez à
l’exposition collective Arte Povera à Gênes où vous vous liez durablement à
ce qui constituera le noyau dur de l’Arte Povera. En 1972, vous participez
pour la première fois à la Biennale de Venise et en 1977 vous exposez pour
la première fois en France, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

On
vous retrouve ensuite plusieurs fois en France ainsi qu’à Chicago, Turin,
Naples, Amsterdam, Milan, Madrid, Magdeburg, Minneapolis, Helsinki,
Sydney, Oxford et Londres. Plus récemment, vos oeuvres ont été exposées
au Mexique, en Argentine et en Uruguay.

Vous êtes aujourd’hui à Rome, dans le cadre de l’exposition « Luce di
Pietra » lancée par l’Ambassade de France, qui met en scène et en lumière
l’art de quatorze artistes français et italiens dans les monuments français de
Rome. Vous avez osé le dialogue avec Michel-Ange dans le fameux cortile
qu’il a dessiné, pour une installation majeure, dont les murs de ce sublime
Palais Farnèse, qui en gardera, j’en suis sûre, une trace indélébile dans
toutes les mémoires des amoureux de Rome.

Je suis particulièrement heureux aujourd’hui, qui est aussi, par un curieux
hasard, la date de votre anniversaire, de vous remettre la plus haute
distinction de la République française.

Jannis Kounellis, au nom du Président de la République et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous remettons les insignes de
chevalier de la Légion d’honneur.

Colloque « Dialogues Européens » à la Villa Médicis à Rome

22 mars 2007

Monsieur le Directeur de l’Académie de France à Rome, cher Richard
Peduzzi,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’ouvrir aujourd’hui ces Dialogues européens auxquels
je vous ai invité, dans ce lieu emblématique de la fécondité des échanges
culturels et de la force du rayonnement des arts et de la culture.

Vous le savez, cette semaine marque le cinquantième anniversaire du
Traité de Rome. J’ai souhaité mettre tout particulièrement la culture à
l’honneur, pour cette célébration, parce que je suis profondément
convaincu que, cinquante ans après sa création, l’Europe connaît
aujourd’hui une nouvelle étape dans son développement, dans laquelle la
culture doit occuper la première place.

C’est ce que Milan Kundera exprime en ces termes : « l’ambition
européenne est avant tout une ambition culturelle ». Et d’ajouter cette
définition – que je ferais volontiers mienne – de l’identité de l’Europe : « le
maximum de diversité dans le minimum d’espace ».

Pourquoi une ambition culturelle ? Il pourrait sembler paradoxal en effet de
vouloir construire aujourd’hui l’Europe de la culture, tant l’Europe a été celle
des artistes, des créateurs, des écrivains, des penseurs, bien avant que
d’être celle du charbon et de l’acier.

Le lieu magnifique dans lequel nous avons la chance d’être réunis
aujourd’hui en est un témoin éclatant : s’ils pouvaient parler, ces murs nous
conteraient la longue histoire de l’amitié franco-italienne, une amitié fondée
sur l’art, et la culture, une amitié forgée par les échanges, et l’inspiration
mutuelle. Hector Berlioz, Georges Bizet, Claude Debussy, Charles Garnier,
Jean-Baptiste Carpeaux, Charles Gounod, Eric Tanguy, François Bon,
Jean-Michel Othoniel et tant d’autres ont puisé en ces lieux leur inspiration,
leur force créatrice, l’émergence de leur oeuvre et de leur message.

Compositeurs, peintres, graveurs, sculpteurs, architectes, et, plus
récemment, écrivains, cinéastes, plasticiens, designers, photographes,
scénographes, restaurateurs d'oeuvres d'art et historiens de l'art, ont parfait
ici leur formation, dans cet esprit de partage et d’ouverture qui est depuis
l’origine celui de cette prestigieuse Académie.

Oui l’Europe de la culture fut, est, et sera toujours un fait, concret, pour
tous les créateurs, qui la vivent au quotidien. Patrice Chéreau, et de
nombreux autres artistes, ont exprimé cette profonde conscience mais
surtout cette expérience concrète de l’Europe, lors des Rencontres pour
l’Europe de la culture, que j’ai tenu à organiser à Paris, les 2 et 3 mai 2005.

Georges Lavaudant, vous en êtes un autre exemple éclatant, vous qui
avez dirigé pendant dix ans le Théâtre de l’Odéon, Théâtre de l’Europe,
avec pour mission de favoriser le travail en commun des metteurs en
scène, des comédiens, des auteurs et autres praticiens européens de
l'art dramatique, en vue de créer des oeuvres nouvelles et de vivifier le
patrimoine artistique de l'Europe.

Vous l’avez, chère Barbara Cassin, brillamment exprimé, dans le
registre du vocabulaire philosophique, dans votre Dictionnaire des
intraduisibles, en montrant que les langues et les pensées ne vivent et
ne se comprennent que par comparaison, rencontre, vol, et interférence.

La culture européenne est elle aussi un palimpseste. « On ne comprend
une identité qu'à partir d'ailleurs, dites-vous. Au fond, on ne parle bien
sa langue qu'en la comparant avec une autre langue ». Sans doute
peut-on dire de même de la culture et c’est, au fond, je crois, ce qui fait
aujourd’hui la force et la vitalité du message de l’Europe.

Mais le référendum sur la constitution de 2005, en France comme aux
Pays-Bas, a montré combien nos concitoyens ont le sentiment de voir
leur identité diluée dans la mondialisation. Cela veut dire que pour aller
de l’avant, pour s’ouvrir à l’autre, il faut que les peuples européens se
sentent assurés et rassurés dans leurs racines nationales et
comprennent que l’Europe peut les aider à conserver leur identité face
aux risques de l’uniformisation du monde. Oui, l’Europe est une force.

Il y a donc un lien direct entre cette nouvelle étape de la construction
européenne et la victoire que nous avons remportée grâce à la
détermination de la France et à la mobilisation de l’Europe, avec
l’adoption, en moins de deux ans, à la quasi-unanimité de la
communauté internationale, de la Convention sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles dans le cadre de
l’Unesco, qui vient d’entrer en vigueur dimanche 18 mars.

Dans la lettre qu’il a adressée ce même jour, que je n’hésite pas à
qualifier d’historique, au Directeur général de l’Unesco, le Président de
la République a exprimé toute l’importance qu’il accorde à cette étape
majeure, symbolique, fondatrice dans les relations internationales :
« Faire vivre cette convention sera pour l'Unesco une grande et haute
mission, et pour la France une priorité. Nous nous y emploierons avec
toute la détermination qu'exige la défense de la diversité des cultures et
du dialogue des civilisations au service de la paix et du progrès
humain. »

Cette convention grave, dans le marbre du droit international, le fait que
les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Elle
garantit le droit des États et de la Communauté européenne à soutenir
les politiques culturelles, face aux règles du libre-échange. Elle scelle,
de façon très concrète, la devise plus que jamais actuelle, un demisiècle
après la signature ici, à Rome, du pacte fondateur de l’Union
européenne, « Unie dans la diversité ».

Là, réside, nous en sommes tous conscients, le noeud de la construction
de l’identité européenne aujourd’hui. Nous devons, pour reprendre l’expression de Paul Ricoeur, qui est aussi l’un de vos thèmes de
réflexion et, je l’espère, de proposition, de cet après-midi, « réussir à
différer ensemble». Je suis profondément convaincu et je sais que vous
partagez cette conviction que c’est par la culture que nous donnerons
une âme à l’Europe, c’est par elle que nous cultiverons la conscience
partagée d’appartenir à une même communauté de destin, dans la
diversité de nos identités.

Partager sans appauvrir, réunir sans unifier, tel est le grand défi que
nous devons relever aujourd’hui, et les Rencontres de mai 2005 ont été
l’occasion de poser les premiers jalons concrets de cette Europe de la
culture que nous appelons de nos voeux. J’y reviendrai tout à l’heure de
façon plus détaillée, mais permettez-moi d’évoquer la création du Label
du patrimoine européen, qui vise à mettre en lumière les hauts lieux de
mémoire et de création, les sites et les monuments emblématiques de
l’identité européenne, qu’ils évoquent notre passé commun ou qu’ils
représentent l’avenir que nous bâtissons ensemble.

J’ai proposé d’inscrire trois sites français sur la liste du patrimoine
européen, qui illustrent à mes yeux les différentes lectures de ce
nouveau label : l’Abbaye de Cluny, la Cour d’Honneur du palais des
papes, à Avignon, la maison de Robert Schuman à Scy-Chazelles. Et
c’est la Place du Capitole qui est retenue par et pour l’Italie.

J’ai dévoilé lundi la première plaque à l’abbaye de Cluny, en présence
de plusieurs de mes collègues, et je participerai à Athènes, lundi
prochain, à la cérémonie de lancement du Label en Grèce à l’Acropole,
aux côtés de mon collègue grec.

Je pense que c’est par des initiatives de cette nature que nous ferons
ressentir au public le plus large cet esprit européen, cette identité
culturelle, qui lie nos destinées depuis tant de siècles et qui demeure
plus jamais une réponse nécessaire, urgente et positive aux défis de la
mondialisation.

Je vous remercie de l’apport de vos idées, de votre réflexion, de vos
dialogues à cette oeuvre qu’il est de notre responsabilité historique
d’approfondir, de poursuivre et de réussir ensemble.

Remise des insignes d’Officier de la Légion d’Honneur à Richard Peduzzi à Rome

22 mars 2007

Cher Richard Peduzzi,

Vous avez dit : « Je n’ose imaginer ce que serait un monde sans culture,
sans l’éducation permanente de l’oeil et de l’âme, sans l’exercice quotidien
de la pensée et du regard ».

C’est sans doute pour cela que l’identité visuelle de l’Académie de France à
Rome a changé avec vous : quatre simples carrés de couleur, partout
dorénavant présents et déclinés dans cette Villa que vous dirigez depuis
juillet 2002.

Quatre simples carrés ?

Ils révèlent en vérité votre attachement à la simplicité apparente, au détail
subtil, à la franchise et à l’organisation millimétrée. D’ailleurs, vous récusez
l’expression « flou artistique » pour lui préférer l’expression « flou
administratif » !

Quatre couleurs ?

Les quatre couleurs primaires qui permettent de dépeindre votre palette de
talents, de votre personnalité, si difficiles à résumer.

Vous êtes mondialement connu pour votre talent artistique de scénographe
et décorateur pour le cinéma, le théâtre et l’opéra. Les plus grandes
scènes, les plus grands festivals du monde vous ont déjà accueillis : Aixen-
Provence, Vienne, Villeurbanne, Bruxelles, Nanterre, Milan, Avignon,
Berlin, Paris, Salzbourg, Marseille, Hambourg et évidemment Bayreuth
avec votre « indicible complice » Patrice Chéreau ou votre ami Luc Bondy.

De La Dispute au légendaire Ring du centenaire du festival de Bayreuth, de
la Reine Margot à L’Homme blessé, du Wozzeck au Châtelet à Lulu à
l’Opéra de Paris – Lulu qui est d’ailleurs le nom de votre chien, mascotte de
la Villa Médicis-, votre oeuvre a déjà marqué l’histoire de l’art. Et ce n’est
pas fini !

En mai prochain à Vienne, le Roi Lear encore avec Luc Bondy et De la
Maison des morts toujours avec Chéreau.

Et puis, le 8 décembre, il y aura l’ouverture de la saison à la Scala à la
demande de Stéphane Lissner avec Patrice Chéreau et Daniel Barenboïm,
sans parler des projets au Metropolitan Opéra de New-York.

Votre style a bien sûr évolué tout au long de votre carrière. Vos décors
complexes, pleins de détails et de constructions périlleuses tout autant
qu’audacieuses, sont devenus des façades plus simples d’apparence.

Les
matières, les couleurs, les lignes très pures, les lignes de rupture forment
aujourd’hui des grandes caractéristiques du « style » Peduzzi.

Vous travaillez beaucoup sur les façades, les cloisons, les parois, sans
doute trouvez-vous dans celles de la Villa Médicis des sources
d’inspiration : château fort, château Renaissance, antiques plaqués,
enduits patinés ; la Villa est réellement un décor de théâtre en quatre
dimensions, marqué par le travail du temps, aux sources d’inspirations
multiples, aux styles mélangés, aux ajouts et rajouts qui se succèdent au
fil des siècles et des inspirations.

Vous-même vous avez contribué en effet à faire vivre ce monument, ce
plus beau palais de Rome : il suffit de regarder la salle de cinéma, la
bibliothèque ou les éclairages pour s’en apercevoir. Là encore, vous
utilisez des lignes simples pour vous jouez de la complexité du lieu, de
son histoire. Et c’est là votre deuxième facette.

Votre autre activité artistique est en effet de scénographier musées,
bibliothèques, expositions, où vous dessinez des meubles, sobres et
confortables, aux lignes caractéristiques, aux matières brutes, en
apparence seulement, pour des ministres, des chefs d’entreprises, pour la
bibliothèque de l’Opéra de Paris, l’Alliance française à New-York et, bien
évidemment, pour la Villa Médicis. C’est une activité annexe car vous
manquez de temps, même si vous ne prenez jamais de vacances, si ce
n’est pour dessiner, écrire, peindre. Et le dessin, c’est le fondement de
votre travail, de votre talent, de votre oeuvre, de votre vie.

Le dessin est pour vous la base de tout. Sans cesse un carnet à la main,
toujours en mouvement, vous observez sans en avoir l’air et vous
dessinez sans hâte, faussement distrait, l’oeil ouvert à tout. On vous parle,
vous regardez par-dessus l’épaule, toujours à l’affût, toujours prêt à
dessiner. C’est ce que vous appris votre maître, aujourd’hui disparu,
Charles Auffret. Dans son école, vous apprenez à voir, même si vous
dites de lui : « Son regard sur les sculptures était tellement fort, intense,
qu’il ne pouvait sans doute pas le partager avec grand monde. A coté, je
me sentais minuscule, incapable d’une telle sensibilité ». Je crois que
votre maître pourrait dire la même chose de vous aujourd’hui. A sa
rencontre, vous vous détournez d’une carrière de dessinateur ou de
peintre « pur », pour vous consacrez à la scénographie, à l’intersection de
tous les arts. D’ailleurs, vous serez le scénographe de l’hommage à
Charles Auffret que l’Académie de France à Rome présentera en mai
prochain.

Vous avez réalisé tant de muséographies célèbres, à l’Institut du Monde
arabe, à l’Exposition universelle de Séville, pour le musée d’Orsay, ou des
expositions au Grand Palais avec Henri Loyrette, ancien pensionnaire de
la villa, qui dit si justement de vous que vous travaillez « par affinité
sentie ». Là encore, de nombreux autres projets s’annoncent, puisque
vous venez d’être retenu pour revoir la muséographie du Musée national
du Risorgimento de Turin.

Cette activité d’artiste, même si le mot, je le sais, vous dérange, vous la
menez de front depuis 17 ans, avec une carrière de dirigeant d’institution
culturelle. D’abord, à l’école nationale supérieure des arts décoratifs de
1990 à 2002, puis, après que Bruno Racine fut nommé à la présidence du
Centre Pompidou, vous lui succédez à la direction de ce lieu magnifique
qui convient parfaitement à l’expression de vos multiples talents.

Votre art de la scénographie est, par définition, à la croisée de tous les
autres qu’il met en scène et en valeur. Vous devez dialoguer, échanger,
créer, avec les musiciens, les écrivains, les metteurs en scène, les
architectes, les sculpteurs, les peintres, les artisans de toutes sortes que
vous aimez tant. Vos interlocuteurs italiens, comme vos pensionnaires,
trouvent en vous un homme de dialogue, d’écoute et de conseils dans
chacune de leurs disciplines, un véritable accoucheur de talents,
transmetteur de passion et d’énergie.

Je tiens à rendre hommage à votre action, de digne successeur d’Ingres
et de Balthus, à la tête de cette si belle institution, navire amiral des
échanges artistiques entre la France et l’Italie, que vous avez su placer au
coeur de la vie culturelle romaine et européenne.

Vos expositions marquent les esprits et particulièrement l’esprit de ce lieu.
Je pense, par exemple, à l’exposition que vous avez consacrée il y a deux
ans à l’oeuvre d’Anselm Kieffer, dont l’univers était magnifiquement mis en
valeur dans les galeries de la Villa Médicis, et le sera prochainement sous
la verrière du Grand Palais ; et à la très belle exposition que vous avez
consacrée l’an passé aux costumes de scène et aux esquisses de trois
grands précurseurs de l’espace théâtral et cinématographique, Luciano
Damiani, Lila De Nobili et Piero Tosi.

Dans l’esprit de la mission Malraux, qui modernisa la Villa en 1971, en lui
donnant le double objectif de « participer aux échanges culturels et
artistiques », par « des expositions, des concerts, des projections
cinématographiques, des colloques ou séminaires sur des sujets relevant
des arts, des lettres et de leur histoire », et d’accueillir « de jeunes artistes
ou chercheurs pour leur permettre de poursuivre leurs travaux, études et
recherches et d'acquérir un complément d'information », vous en avez fait
un lieu idéal pour favoriser les confrontations, les expressions, et réfléchir
sur les évolutions de nos sociétés. Vous en avez fait un lieu ouvert sur
Rome et ouvert aux Romains. Vous en faites un laboratoire vivant de
l’Europe de la culture, et c’est pour cela que j’ai choisi de célébrer ici,
aujourd’hui et demain, le 50e anniversaire du Traité de Rome.

Enfin, je veux évoquer l’homme que vous êtes et la générosité qui vous
caractérise. Souvent, vous avez des coups de coeur, et alors vous voulez
donner leur chance à ce que vous aimez, à ceux que vous aimez, votre
respect et votre compréhension intimes et infinies pour le travail des
artisans et des artistes de tous les métiers, qu’ils soient décorateurs de
théâtre ou jardiniers de la villa Médicis, forgent cet élan du coeur et de
l’esprit qui est un appel à l’expression de tous les talents.

Cher Richard Peduzzi, au nom du Président de la République, en vertu
des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la
Légion d'Honneur.

Conférence de presse de lancement de la manifestation Luce di Pietra, en présence de Francesco Rutelli, du Maire de Rome, Walter Veltroni, de Henry-Claude Cousseau, commissaire général de l’événement et de nombreux artistes – Palais Farnèse à Rome

22 mars 2007

Monsieur le Vice-Président du Conseil, Ministre de la culture,

Monsieur l’Ambassadeur de France,

Messieurs les commissaires de l’exposition,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux de célébrer, à Rome, le cinquantième anniversaire du
Traité, et de lancer l’initiative du Label du patrimoine européen aux côtés
de mon ami Francisco Rutelli, Vice-Président du Conseil et Ministre de la
culture.

Et je tiens tout d’abord à vous remercier, Monsieur l’Ambassadeur, de nous
accueillir dans ce merveilleux Palais Farnèse, pour le lancement de « Luce
di Pietra » dans les hauts lieux du patrimoine de Rome, dont la France est
fière d’avoir la charge et d’assurer le rayonnement, avec des artistes dont
la renommée transcende les frontières.

La manifestation « Luce di Pietra » nous offre une magnifique illustration de
la fécondité et de la richesse des projets issus de la collaboration entre nos
deux pays. EIle est aussi emblématique du lien entre le patrimoine et la
création qui doit animer les politiques culturelles. La création illumine le
patrimoine. Il s’agit de la plus belle des résonances.

Je tiens à remercier chaleureusement les commissaires, Henry-Claude
Cousseau et Marcello Smarelli, qui ont invité parmi les plus grands artistes
français et italiens.

Ce sont quelques-uns des monuments les plus chargés d’art et d’histoire
qui sont revisités par nos artistes, mettant ainsi en exergue la place
nouvelle qu’occupe l’art contemporain dans la ville éternelle.

Je suis particulièrement heureux que certains de ces sites,
exceptionnellement ouverts au public à cette occasion, puissent être
restitués aux Romains le temps de cette exposition, marquant ainsi l’amitié
et la coopération entre nos deux pays, mais aussi la force de l’attachement
des citoyens de toute l’Europe à leur patrimoine.

Demain, je représenterai le Président de la République française au
Palais du Quirinal pour l’inauguration, par le Président de la République
italienne, de l’exposition « 50 ans du Traité de Rome », pour laquelle la
France a tenu à prêter une oeuvre majeure, Le Penseur de Rodin. Ce
cinquantième anniversaire du Traité de Rome revêt pour moi une
signification particulière.

Cinquante ans après la signature du Traité de Rome, nous avons devant
nous une nouvelle étape de la construction européenne, une étape
majeure, dont il appartient à notre génération d’inventer les formes et de
réaliser les solidarités concrètes. Il faut pour l’Europe une ambition
nouvelle. La culture est le vecteur de cette ambition. Elle l’est, car faire
vivre notre patrimoine, l’animer et le faire rayonner renforce l’identité de
chacun et permet d’aller vers l’autre ; car se sentir et enraciné et fier de
cet enracinement, est la meilleure réponse aux replis frileux, aux
communautarismes, à la peur de l’autre. Oui, la diversité et l’identité
sont des forces positives qui animent l’Europe. Elles sont les
déterminants de la confiance, les ressorts de nouveaux projets.

J’ai pu, hier soir, à mon arrivée à la Villa Médicis, dans ce lieu chargé
d’une histoire commune à nos deux pays, insister sur l’importance de la
place à accorder à la culture dans cette Europe que nous construisons
ensemble. La Villa Médicis est emblématique de ce que doivent devenir
les lieux de culture et de patrimoine : des lieux de vie, des lieux de
création. Il faut que chaque lieu de patrimoine s’imprègne de l’esprit de
la Villa Médicis ; soit à sa manière une Villa Médicis.

L’Europe et la culture doivent revenir au centre du débat public.
Le projet qui porte l’idée européenne depuis un demi-siècle souffre sans
doute d’un défaut d’attention à notre héritage culturel, alors même que la
réalité de l’Europe a été culturelle, bien avant d’être économique ou
politique. Si l’Europe a souvent conquis les raisons, elle doit encore
gagner le coeur de nos concitoyens. Or, l’unité et la diversité sont depuis
l’origine les deux fondements de la construction européenne, et ce sont
des fondements dont nous savons aujourd’hui qu’ils sont d’abord
culturels.

Seule une Europe des projets culturels est capable de graver dans les
esprits et les coeurs l’unité de l’Europe.

Je tiens à remercier chaleureusement mon collègue, Francesco Rutelli,
pour le soutien sans faille qu’il a accordé au nouveau label du
patrimoine européen, cette initiative, et je me réjouis que la place du
Capitole, site d’exception, hautement symbolique de l’Europe, reçoive le
label du Patrimoine européen. Cette proposition de l’Italie témoigne
brillamment de sa foi en l’avenir de ce classement, et de sa fierté d’y
figurer.

L’Europe de la culture, c’est aussi la circulation, la découverte et la
connaissance des artistes, des oeuvres et des idées. L’Europe est un
formidable creuset de cultures, d’expressions, de représentations, de
talents. En cette aube du XXIe siècle, qui est celui d’une véritable
révolution des technologies de communication, cette circulation est
facilitée, démultipliée, à l’ère numérique, et c’est une grande chance
pour la valorisation de la diversité culturelle. C’est une chance si les
pays et leurs responsables politiques s’unissent pour impulser cette
dynamique nouvelle.

Dans le cadre de cette ambition nouvelle, je pense en particulier à la
mise en place d’un réseau de librairies européennes, sur le modèle du
réseau de salles de cinéma « Europa cinémas », et dont le fonds de
commerce serait composé d’oeuvres d’autres pays européens, traduites
et en langue originale. Ce réseau pourrait être adossé à un observatoire
européen de la traduction.

C’est par la culture que nous donnerons une âme à l’Europe, c’est par
elle que nous cultiverons la conscience partagée d’appartenir à une
même communauté de destin.

Vive l’Italie ! Vive l’amitié franco-italienne ! Vive l’Europe de la culture !

Je vous remercie.

Clôture du colloque « Dialogues européens » à la Villa Medicis à Rome

22 mars 2007

Monsieur le Directeur de la Villa Médicis, cher Richard Peduzzi,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux de clore cette journée d’échanges consacrée aux
dialogues européens, que j’ai tenu à organiser pour la célébration des
cinquante ans du Traité de Rome.

Vos réflexions ont été passionnantes, et ont touché, il me semble, au coeur
des nouveaux enjeux auxquels il nous appartient de répondre aujourd’hui,
l’éducation en premier lieu. Cette éducation à l’esprit humaniste qu’a forgé
notre continent au fil des siècles, et que nous devons transmettre à notre
tour. Cette éducation à l’Europe, à sa force, à sa culture, à sa richesse, à
sa diversité, qui est le ferment de notre cohésion de demain.

Cinquante ans après la signature du Traité de Rome, il nous appartient de
faire vivre cet héritage dont nous sommes les dépositaires, de le faire vivre,
mais aussi de le conquérir, pour le transmettre à nouveau à nos
concitoyens. Cet héritage est donc d’abord un projet, qui ne prendra tout
son sens que s’il est fondé sur la culture.

C’est l’Europe des projets concrets que nous devons bâtir, et je suis très
heureux que nombre de ces projets prennent corps aujourd’hui.

Une étude réalisée ce mois-ci par l’Institut Ipsos et le ministère de la
Culture et de la Communication montre que, pour la majorité des
Européens interrogés, l’Europe ne représente pas, pour leur pays, un
risque de perte d’identité propre, mais qu’elle permet, bien au contraire, au
patrimoine de leur pays, de bénéficier de plus de protection et de chances
de rayonnement.

Dans le domaine de la culture, et du patrimoine, l’Europe est donc
comprise, vécue, comme une chance immense, et je crois que c’est là un
terreau fantastique pour nourrir et développer le sentiment d’appartenance
à une identité et un espace culturels communs chez nos concitoyens. Les
citoyens italiens et français sont, avec les Finlandais, les plus convaincus
de cette incidence extrêmement positive de l’Europe sur leur patrimoine.

Je souhaite que le Label du patrimoine européen, que je lancerai tout à
l’heure aux côtés de mon collègue Francisco Rutelli, renforce encore ce
sentiment. En mettant en valeur des lieux essentiels de notre histoire et de
notre culture communes, nous voulons faire comprendre au public le plus
large la substance de l'esprit européen, une sorte d'esprit de famille, dont
les racines plongent au sein même des fiertés nationales, qui sont légitimes
et qu’il convient d’honorer. L’Abbaye de Cluny, où j’ai apposé lundi dernier
la première plaque du Label, la Place du Capitole à Rome, et l’Acropole à
Athènes seront ainsi, pour reprendre la célèbre formule d’André Malraux,
« les jalons successifs et fraternels de l’immense rêve éveillé que poursuit
l’Europe depuis des siècles. »

Et ces siècles de rêve, nous devons mieux les faire connaître, pour mieux
les partager, dans leurs chapitres les plus glorieux, mais aussi dans leurs
pages les plus sombres. Oui, l’Europe fut d’abord une légende et un mythe.

Un rêve et une utopie. Puis elle entra dans l’histoire et devint réalité, force
profonde et projet. Elle a pris corps et chair. Elle partit à la conquête des
mers et des continents. Elle inventa la démocratie. Elle se fit la guerre à
elle-même tout au long des siècles, mais elle proposa plus tard la paix
perpétuelle. Ce destin commun, qui a forgé notre continent, nous nous
proposons aujourd’hui de le raconter dans un Dictionnaire historique de la
civilisation européenne, avec l’aide d’un comité de rédaction européen.

C’est un très beau projet, qui permettra, j’en suis certain, de sensibiliser un
vaste public à notre histoire collective, à notre destin commun.

Les dialogues européens, thème des rencontres d’aujourd’hui, sont des
dialogues que nous devons nouer à tous les niveaux. L’Europe est, depuis
toujours, celle de la circulation, du dialogue et du partage des idées, des
oeuvres et des projets.

Parmi les propositions retenues à l’issue des Rencontres pour l’Europe de
la culture, que j’ai organisées à Paris en mai 2005, il en est une qui me tient
particulièrement à coeur : la création d’un réseau de librairies européennes,
sur le modèle d’Europa Cinéma. Ces librairies s’engageraient à présenter
un fonds significatif d’oeuvres européennes traduites ou en langue originale,
pour mettre davantage en lumière auprès des lecteurs la richesse littéraire
de notre continent.

Je souhaite que l’Italie, grand pays de littérature,
s’associe étroitement à ce projet, véritable invitation à la découverte et au
voyage, ainsi que nous y invite votre grand essayiste Claudio Magris – que
j’ai rencontré en septembre 2006, pour la Journée européenne des langues,
au Centre Pompidou – dans ses passionnantes lectures et relectures des
plus grandes pages de notre littérature européenne.

Oui, l’Europe est une chance immense. Elle n’est plus l’Europe qui menace,
qui effraie, elle est l’Europe qui protège, qui conserve, qui transmet.

Depuis
la prise en compte de la dimension culturelle dans le Traité de Maastricht en
1992, depuis le protocole sur le service public de radiodiffusion annexé au
Traité de Rome par le Traité d’Amsterdam de 1997, l’Union européenne a
su, sans perdre sa mission première qui, dans le secteur culturel, consiste à
promouvoir la libre circulation des oeuvres, permettre le développement des
politiques nationales. Elle participe ainsi pleinement à l’attractivité des
territoires.

Il en va ainsi, pour la France, de la validation en mars 2006, de l’ensemble
du dispositif de soutien à l’industrie cinématographique et audiovisuelle.

Cette décision, essentielle pour la viabilité du dispositif français de soutien
au cinéma et à l’audiovisuel, participe pleinement, comme celle validant le
crédit d’impôt à l’industrie phonographique, de la diversité culturelle
européenne qui doit encourager la multiplication des contenus.

Cette décision fait suite à la validation par la Commission, en avril 2005, du
système français de financement mixte de l’audiovisuel public par la
redevance et la publicité, décision qui confirme l’application du principe de
subsidiarité en matière de financement du secteur public.

Sur ce sujet de l’audiovisuel public, je pense qu’une initiative doit être
prise au niveau communautaire, afin que l’identité et la spécificité de
l’audiovisuel public soient encore mieux reconnues. Quel vecteur serait en
effet meilleur que celui-là pour l’accès du plus grand nombre à la culture ?

Je propose qu’à l’occasion de quelques grands évènements européens, les
journées européennes du patrimoine par exemple, des télévisions publiques
européennes puissent s'unir afin de retransmettre de tels évènements.

Je veux enfin saluer le travail de la Commission et du Parlement européens
sur la renégociation de la directive sur la télévision sans frontières, qui sera
probablement adoptée par le Conseil en mai prochain. L’élargissement de
son champ d’application aux services non linéaires est un élément tout à fait
fondamental pour la diversité culturelle à l’heure où les contenus se
dématérialisent, ce qui constitue d’ailleurs une chance, si elle est régulée,
pour leur diffusion.

Avec cette dématérialisation des contenus, nous sommes entrés dans une
ère où la communication n’a jamais été aussi facile, aussi rapide et,
paradoxalement, où les incompréhensions entre les cultures et les
civilisations n’ont jamais été aussi fortes.

Vous avez abordé cet après-midi la question cruciale du rôle de l’Europe
dans le monde, des valeurs qu’elle porte au-delà de ses frontières, du poids
que peut prendre son message et d’abord celui, universaliste, des droits de
l’homme. Je suis convaincu que, sur ce terrain également, la culture doit
occuper une place de tout premier rang. C’est pourquoi je propose la
création d'un mandat européen pour l'envoi de professionnels de la relance
des institutions culturelles, dans les pays en crise. « Nos soldats sont
ensemble au Liban, nos artistes doivent être ensemble au Liban », comme
l’exprime si bien Francisco Rutelli. Parce que les dialogues européens sont
aussi ceux que nous parviendrons à nouer au-delà des frontières de
l’Europe, pour construire la paix et porter les valeurs qui font de l’Europe un
espace ouvert à l’universel.

Je vous remercie.