Rubrique ‘Discours 2006’

Inauguration de l’église Saint-Pierre à Firminy

29 novembre 2006

Monsieur le Sénateur-Maire de Saint-Etienne, Président de Saint-Etienne Métropole,
cher Michel Thiollière,

Monsieur le Député-Maire de Firminy, cher Dino Cinieri,

Madame la Vice-Présidente du Conseil régional de Rhône-Alpes, chère Bernadette
Laclais,

Monsieur le Conseiller général chargé de la culture, cher André Cellier,

Monsieur le Préfet,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être le ministre des créateurs et des architectes.

Inaugurer
aujourd’hui à vos côtés cette église, qui se dresse fièrement au coeur de Firminy,
plus de cinquante ans après son inscription dans le plan d’urbanisme de Firminy
Vert, et plus de trente ans après le lancement du chantier, c’est apporter, tous
ensemble, le point d’orgue à la symphonie architecturale orchestrée par Le
Corbusier, dès 1958.

Depuis l’unité d’habitation jusqu’au stade, qui portent aujourd’hui son nom, depuis la
maison de la culture jusqu’à cette église, où que notre regard se porte, nous
percevons l’empreinte géniale, le style unique, la grande liberté de cet artiste
visionnaire, qui voulait faire de Firminy, selon ses propres mots, un haut lieu des
corps et des esprits.

Ce moment, et ce lieu, revêtent pour moi une signification très particulière. J’ai tenu,
vous le savez, à marquer, jeudi dernier, la commémoration du trentenaire de la
disparition d’André Malraux. Par ses écrits, par son engagement dans la Résistance,
puis auprès du Général de Gaulle, par la création du ministère des Affaires
culturelles, par son amitié, également, avec Le Corbusier, il fut un véritable
précurseur. Il ne sépara jamais, à juste titre, la connaissance, la préservation, la
restauration des monuments historiques, son combat pour les « secteurs
sauvegardés », du développement et du soutien de la création la plus
contemporaine.

La création des « maisons de la culture » reste, encore aujourd’hui,
son grand oeuvre, et une source d’inspiration quotidienne. Parce qu’elles préfigurent,
au fond, nos grands musées d’art contemporain, nos scènes nationales, parce
qu’elles annoncent – la Maison de la culture de Firminy en est un très bel exemple –
ces lieux pluridisciplinaires et transdisciplinaires, qui diffusent, partout, les arts et la
création, et, enfin, parce qu’elles sont le coeur indispensable et déterminant de la
Cité, elles sont la plus belle illustration de cette conviction que « l’Etat n’est pas fait
pour diriger l’art, mais pour le servir ».

Oui, l’architecture est au coeur de la culture, elle est au coeur de la cité, au coeur de
la ville, et d’un projet pour la ville.

Dans l’émouvant hommage qu’André Malraux rendit à Le Corbusier, le 1er
septembre 1965, dans la Cour carrée du Louvre, et que je veux vous citer
aujourd’hui, il le décrivait ainsi : « Ce qui le peint, c'est : "La maison doit être l'écrin
de la vie". La machine à bonheur. Il a toujours rêvé de villes, et les projets de ses
"cités radieuses" sont des tours surgies d'immenses jardins. Cet agnostique a
construit l'église et le couvent les plus saisissants du siècle. Il disait, à la fin de sa
vie : "J'ai travaillé pour ce dont les hommes d'aujourd'hui ont le plus besoin : le
silence et la paix". »

Ce silence, et cette paix, nous les retrouvons aujourd’hui dans cette église
enfin achevée. Le Corbusier n’a pas seulement changé l’architecture. Il a
changé notre vision de l’architecture. Il a changé notre vision de la cité, notre
vision du monde, notre vision de la ville et de la vie.

Achever, et inaugurer aujourd’hui son oeuvre nous rappelle, à tous, la dette
immense que nous avons envers ces génies visionnaires, qui ont
profondément modifié le visage de nos territoires, et insufflé la culture et la
beauté dans toutes nos régions. Cet exemple parmi tant d’autres montre à
quel point l’ambition initiale du créateur des Maisons de la culture, sa vision
de la démocratisation culturelle, est atteinte, et même bien au-delà. Il ne s’agit
plus, comme le disait Malraux, en inaugurant les maisons de la culture, que
« ce qui se passe d’essentiel à Paris » se passe « en même temps » dans les
régions.

Il s’agit bien aujourd’hui que ce qui se passe d’abord dans nos régions, ce qui
se passe ici, à Firminy, à Saint-Etienne, en termes de création artistique et de
diffusion culturelle, puisse aussi se passer à Paris, puis en Europe et dans le
monde.

Je tiens à remercier chaleureusement, pour leur enthousiasme et leur
dynamisme, l’association Le Corbusier pour l’église de Firminy Vert, et son
Président, Dominique Claudius-Petit, à l’origine du projet, qui s’inscrit
pleinement dans la volonté et l’héritage de l’action de son père Eugène
Claudius-Petit, en poursuivant le Sillon qu’il a tracé ici, comme Maire, pendant
dix-huit ans, comme ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, et
comme parlementaire. Oui, aujourd’hui, nous nous souvenons de Claudius
« la conscience, l’entreprenant, l’engagé, le fraternel, l’écoutant », celui qui
s’est battu sans compter depuis 1940 pour ouvrir deux chantiers que nous
continuons amener à bien l’aménagement du territoire et la construction de
l’Union européenne.

Je tiens à remercier aussi, la Fondation Le Corbusier,
légataire universel de l’oeuvre de l’architecte, et son Président Jean-Pierre
Duport. Je salue également l’engagement, l’action déterminée, et la passion
constante du Député-Maire de Firminy, Dino Cinieri. La qualité et la
détermination de la politique conduite par la Ville de Firminy, mais aussi par
Saint-Etienne Métropole, en faveur de la préservation, de la restauration et –
fait rare – de l’achèvement de ce prestigieux héritage architectural, ont été
décisives pour mener à bien cette vaste et noble entreprise. Je me félicite de
l’engagement de l’Etat à vos côtés, depuis de si nombreuses années.

C’est
grâce à cette fructueuse addition des énergies que le legs de Le Corbusier
connaît aujourd’hui une véritable renaissance et prend tout son sens.
Cet héritage qui est aussi un projet. Il sera ce que vous en ferez. Je sais
qu’une concertation se tiendra très prochainement, entre la Mairie et
l’association Le Corbusier pour l’église de Firminy, au sujet de l’usage de ce
lieu, dans le respect de la laïcité républicaine qui n’est pas la négation de la
religion mais le respect mutuel. Je ne doute pas qu’elle fera naître des
projets, et ouvrira des perspectives et des horizons à la hauteur de ce lieu
d’exception.

Peu de villes concentrent un tel patrimoine, témoin de l’excellence de
l’architecture moderne en France. Nous devons mobiliser tous nos efforts
pour le protéger, le faire vivre, et mieux en partager toute la richesse, toute la
diversité, tout le potentiel, toute l’énergie.

Je constate qu’une démarche collective, émanant de plusieurs villes de
France et du monde entier, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en
Argentine et en Inde, toutes possédant un riche patrimoine Le Corbusier, a
été entreprise afin de demander le classement au patrimoine mondial de
l’UNESCO.

Le dossier « L’oeuvre de Le Corbusier dans le monde » vient d’être examiné,
mercredi 22 novembre, au ministère de la Culture et de la Communication par
le Comité national des biens français du patrimoine mondial, qui a reconnu sa
très grande qualité. Il appartient à présent à la France de décider du dossier
qui sera proposé, au nom de notre pays, à l’inscription sur la liste universelle
du patrimoine mondial auprès de l’UNESCO, au début de l’année 2007. Et
l’arbitrage à rendre sera d’autant plus difficile, d’autant plus délicat, que la
qualité de votre dossier est exceptionnelle.

Vous pouvez être fiers aujourd’hui de mettre en lumière l’oeuvre magnifique
que nous a léguée cet architecte majeur du XXe siècle, et les grands projets
que vous avez conçus pour animer, au XXIe siècle cet écrin rénové d’un
souffle nouveau.

Ces monuments emblématiques sont en effet les témoins de notre histoire,
Malraux disait « les jalons successifs et fraternels de l’immense rêve éveillé
que poursuit la France depuis mille ans ». Ils tiendront leurs promesses s’ils
offrent aussi de nouvelles chances, de nouveaux chemins d’accès à la culture
pour tous et d’ouverture sur le monde pour chacun.

Je vous remercie.

Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Etienne Daho

28 novembre 2006

Cher Etienne Daho,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui rue de
Valois, à l’heure où nous fêtons les vingt ans d’un album culte, Pop Satori,
qui vous a véritablement révélé au grand public, et a donné le coup d’envoi
d’une « Dahomanie » dont nous pouvons tous témoigner aujourd’hui. Je
sais que votre concert exceptionnel à l’Olympia pour le festival des
Inrockuptibles a rencontré un très grand succès et je regrette de n’avoir pu
venir vous écouter.

Votre voix claire et douce, votre personnalité lumineuse, mystérieuse,
captivent les Français, qui ont tous fredonné avec vous, dès 1986, Epaule
Tattoo et Duel au Soleil, et vous ont sacré chef de file de la mouvance pop
française dès les années quatre-vingts.

Cet immense succès est le fruit de votre passion de toujours et de votre
engagement sans faille pour la musique. Il est l’expression de cet univers
unique, que vous avez su créer et partager avec nos concitoyens, un
univers qui a exprimé, reflété l’âme même d’une époque, la nôtre, en
créant, en revisitant, mélangeant, fusionnant, pour faire surgir votre son
reconnaissable entre mille, le « son Daho ». Il est issu à la fois de l’héritage
rock des Velvet Underground, de Lou Reed et de Nico, de la mouvance
punk, des rythmes entraînants des Beach Boys, et des tubes des artistes
légendaires de la Motown, le tout battant au rythme des premières
pulsations de la musique électronique.

Votre univers, vous en avez dessiné les premiers contours, dès votre
enfance, sous le soleil d’Oran, l’oreille collée à un jukebox Wurlitzer. Puis,
dès la fin des années soixante-dix, à Rennes, capitale musicale, creuset du
rock français, qui voit s’épanouir des talents tels que Franck Darcel, mais
aussi Jacno et Elli Medeiros, vos premiers compagnons de routes, présents
parmi nous ce soir, et que je tiens à saluer. C’est au Festival Les
Transmusicales que vous avez découvert la scène avec votre groupe
« Entre les deux fils dénudés de la dynamo ».

Au début des années quatre-vingts, vous vous envolez pour Paris, et pour
vos premiers succès nationaux, avec vos deux premiers albums
Mythomane, et La Notte la Notte, qui remportent un grand succès critique,
et attirent vos premiers fidèles.

Avec Tombé pour la France, vous donnez le ton. Exigeants, éclectiques,
ouverts, votre style et vos inspirations revendiquées, brandies, battent
au rythme de notre temps, offrent un nouveau souffle à la chanson
française et touchent le coeur d’un public très large. Votre duo avec
Françoise Hardy, – qui nous fait l’honneur d’être parmi nous ce soir, et à
laquelle je tiens à témoigner toute mon admiration – Et si je m’en vais
avant toi, la ballade en hommage à l’égérie warholienne, La Ballade
d’Eddie S., la reprise de Gainsbourg, Chez les yé-yé, et celle de Syd
Barrett, Arnold Layne, composent un tableau fascinant, disparate, un
instantané de toutes les influences de cette période particulièrement
effervescente et électrique.

De ces métissages féconds naît en 1986 une « illumination », votre
album Pop Satori, qui vous propulse au rang de véritable icône de la
pop. Vous emportez tout le public dans ce « flash », brillamment décrit
par Jack Kerouac dans Satori à Paris, et que vous avez vécu en
découvrant les nuits, les fêtes, les lumières de Paris, de Londres, de
Rome ou d’Ibiza, que vous avez éclairées, exprimées, mieux que
personne, mais aussi réinventées et renouvelées, en chansons, en
images, en musique, dans le coeur de chacun d’entre nous.

Vous avez en effet réussi à transformer la « Dahomanie » frénétique,
intimidante, en vraie complicité avec nous tous, votre public fidèle et
passionné, qui plébiscite chacun de vos albums. Si l’album Pour nos
vies martiennes, enregistré à Londres en 1988, est disque d’or le jour de
sa sortie, Paris, ailleurs, trois ans plus tard, l’est avant même sa sortie.

La magnifique chanson Saudade résonne encore dans toutes nos têtes.
Vous avez conquis l’Outre-Manche, avec votre album Reserection, où
vous avez partagé l’affiche de la légendaire émission Top of the Pops,
avec, notamment, Oasis, et David Bowie. Vous avez également séduit
l’Espagne, où la reprise par Luz Casal de Duel au soleil, Un nuevo dia
brillara, a remporté récemment un immense succès.

Que vous mêliez, comme dans l’album Eden, en 1996, les rythmes et
les sons groove, jungle, pop et bossa nova ; que vous livriez un album
plus épuré, plus sobre, plus intime, avec Corps et armes, en 2000 ; que
vous retrouviez les tonalités rock de vos débuts, avec Réévolution, en
2003 ; que vous montiez sur scène, pour interpréter Le condamné à
mort de Jean Genet , aux côtés d’acteurs et d’actrices aussi illustres que
Rufus, et Jeanne Moreau ; que vous chantiez aux côtés de Jane Birkin,
pour la chanson La Grippe, ou encore, très récemment, avec Dani, pour
la sublime chanson Comme un boomerang, écrite par Serge
Gainsbourg, c’est toujours la même rencontre avec le public. C’est
toujours la même ferveur, que vous savez retrouver, provoquer, en
étonnant sans cesse, en portant toujours plus loin, toujours plus haut
votre exigence artistique et esthétique, en ouvrant toujours de nouvelles
portes dans cet univers si singulier qui est le vôtre, dans cette bulle où
vous avez su nous faire entrer, pour nous faire partager votre oxygène,
votre talent.

Vous nous avez embarqués, à vos côtés, pour un Week end à Rome,
« en bagnole de fortune, variette mélo à la radio », vous nous avez fait
danser « pieds nus sous la lune, sans foi ni toit ni fortune », vous avez
poussé pour nous les portes de « ce night club où le jazz est prisé », pour découvrir l’Epaule tattoo, vous nous avez fait vivre les Heures
hindoues, vous nous avez plongés dans Le Grand Sommeil, pour nous
faire marcher, funambules, « au bord des toits, des océans »,
hypnotisés par votre voix, entraînés par vos rythmes, charmés par la
poésie de vos mots.

Votre insatiable curiosité musicale, vos multiples inspirations, votre vraie
liberté, votre sensibilité, votre sincérité, votre générosité authentiques
font de vous l’un de nos plus grands artistes et l’un de ceux qui ont
conquis durablement le coeur des Français.

Avant de prononcer la formule rituelle qui doit clore cet hommage, au
nom de la France, je veux, en mon nom personnel, vous dédier ces
quelques vers, que vous reconnaîtrez – ils sont de Paul Eluard :

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
(…)

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
(…)

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.

Etienne Daho, au nom de la République, nous vous faisons Officier dans
l’Ordre des Arts et des Lettres.

Remise officielle de la Châsse limousine de l’Adoration des mages acquise par l’Etat pour le musée national du Moyen-Age – Thermes et hôtel de Cluny, grâce à CNP Assurances

28 novembre 2006

Monsieur le Ministre, cher Edmond Alphandéry,

Monsieur le Président du Directoire de CNP Assurances, cher Gilles
Benoist,

Monsieur le Président de l’Association pour le Rayonnement du Musée
national du Moyen Âge, cher Christian Giacomotto,

Madame la Directrice, chère Elisabeth Taburet-Delahaye,

Madame la Directrice des Musées de France, chère Francine Mariani-
Ducray,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être présent parmi vous aujourd’hui pour ce moment
d'une rare émotion : la présentation d'une oeuvre majeure qui rejoint les
collections du Musée national du Moyen Âge, cette châsse consacrée à
l’Adoration des Mages, exceptionnelle par son iconographie et la qualité de
sa réalisation.

Ce prestigieux reliquaire a appartenu au célèbre collectionneur viennois du
XIXe siècle, Frédéric Spitzer, avant de passer entre les mains d’amateurs
installés à Berlin, Bâle et New York. Après ces tribulations, la châsse a
réapparu sur le marché de l’art parisien en 2004, ce qui a permis à l’Etat de
l’acquérir, grâce au mécénat de CNP Assurances. Reconnue « bien
d’intérêt patrimonial », l’oeuvre a bénéficié des dispositions légales en
faveur du mécénat.

Madame Taburet-Delahaye ne me contredira pas, je pense, si je dis que
cette châsse présente toutes les caractéristiques des meilleures
réalisations de l’émaillerie limousine au tournant des XIIe et XIIIe siècles.

Elle en est, assurément, l’un des plus beaux exemplaires. Elle est, en effet,
exceptionnelle par la profondeur et l’étendue de la gamme colorée, par le
mouvement alerte et convaincant de la narration, comme par le soin
apporté à la réalisation de la gravure et des têtes appliquées en demi-relief,
typiques de l’oeuvre de Limoges des années 1200.

Cette oeuvre n’est pas seulement l’une des plus belles, elle est aussi l’une
des plus anciennes parmi les châsses consacrées à l’Adoration des mages,
comme l’a confirmé l’analyse du Laboratoire de la Direction des musées de
France. Parmi les exemplaires les plus proches connus de nos jours, on
peut citer la châsse acquise par le British Museum en 1955 ou celle que
conservait l’église de Linard (dans la Creuse), aujourd’hui au Walters Art
Museum de Baltimore.

Les musées français ne conservaient jusqu’ici aucune châsse limousine
consacrée au thème de l’Adoration des mages. Cette oeuvre fera donc
date dans l’histoire des acquisitions de ce musée qui conserve, avec le
Louvre, l’une des plus belles collections de pièces de « l’oeuvre de
Limoges », selon l’expression utilisée au Moyen Âge pour désigner la
fabrication, dans cette ville, du XIIe au XIVe siècles, d’objets de cuivre
émaillé champlevé. Elle trouve désormais sa place dans cette riche
collection aux côtés, notamment, de l’Adoration des mages provenant
de l’autel majeur de Grandmont et de la grande châsse illustrant
plusieurs épisodes de l’Enfance du Christ.

Je le disais, cette acquisition est le fruit de la générosité de CNP
Assurances. Par la loi du 1er août 2003 relative au mécénat et aux
fondations, le rôle essentiel des entreprises dans cette grande cause
d’intérêt général qu’est la protection de notre patrimoine est pleinement
reconnu. Cette loi a également complété la notion de trésor national, par
celle de « bien culturel » dont l’acquisition présente un « intérêt
patrimonial majeur ».

Notre patrimoine national rassemble et doit continuer à rassembler tous
les jours davantage les efforts de toutes les composantes de notre
société, qu’il s’agisse des collectivités publiques, des entreprises
privées, ou des initiatives individuelles.

Je suis donc très heureux, ce soir, de pouvoir rendre un hommage
particulier à la générosité de CNP Assurances. Son implication dans
cette opération majeure est d’autant plus remarquable qu’elle est tout à
fait exceptionnelle, puisque le mécénat de cette société est
traditionnellement tourné vers la solidarité.

Spécialisée dans le domaine de la santé, la Fondation CNP Assurances
soutient en effet depuis longtemps la lutte contre la douleur. La
Fondation CNP Assurances intervient également dans les domaines de
la promotion de l’éthique et de l’amélioration de la qualité des services
aux personnes, et elle exerce par ailleurs ces engagements dans une
logique de développement durable.

Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Monsieur Gilles Benoist,
Président du Directoire de CNP, et je le remercie d’avoir contribué à
enrichir et à embellir les collections du musée national du Moyen Âge.
Je voudrais également saluer Monsieur Edmond Alphandéry, Président
du Conseil de surveillance, qui nous fait le plaisir d’être parmi nous
aujourd’hui.

Je tiens à les remercier tout particulièrement pour ce geste exceptionnel,
en faveur de l’acquisition de cette oeuvre majeure du patrimoine
français.

Je souhaite enfin témoigner toute ma reconnaissance à Monsieur
Christian Giacomotto, président de l’Association pour le rayonnement du
musée national du Moyen Âge (ARMMA), et rappeler que son
intervention s’est révélée déterminante pour l’acquisition de cette oeuvre.

L’ARMMA est aujourd’hui l’une des sociétés d’amis de musées les plus
dynamiques. Je tiens à féliciter, Monsieur le Président, pour le rôle actif
que vous jouez dans l’animation de l’association et le soutien à la
politique d’acquisition et de restauration de ce musée, comme pour vos
initiatives destinées à accroître le rayonnement de l’établissement.

Nous devons ainsi à l’ARMMA de nombreux enrichissements majeurs,
parmi lesquels, et pour ne rappeler que les plus récents, un manuscrit
enluminé d’un livre d’Heures attribué à Hugueniot de Langres, une
magnifique statuette en bois de noyer polychrome représentant un jeune
évêque, un groupe sculpté normand de L’Annonciation, une
remarquable représentation provenant d’Allemagne du Sud du Christ
des Rameaux. Toutes ces oeuvres étaient présentées dans l’exposition
qui vient tout juste de s’achever, en hommage à Viviane Huchard, qui
rassemblait les plus belles acquisitions de la période où elle dirigea ce
musée.

Notre grand musée national du Moyen Âge, Hôtel et Thermes de Cluny
poursuit aujourd'hui, sous la direction dynamique d'Elizabeth Taburet-
Delahaye, que je tiens à saluer, cette politique complète
d'enrichissement des collections publiques, de production scientifique de
haut niveau et de développement de liens très proches avec les publics.

Je vous remercie.

Cérémonie de remise des diplômes aux Maîtres d’art 2006

27 novembre 2006

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’accueillir aujourd’hui la nouvelle promotion des onze
maîtres d’art, qui compte cette année deux femmes, ce qui est assez rare
pour être souligné.

Que de chemin parcouru depuis 1994 et les premières nominations des
maîtres d’art par le ministre de la Culture, inspirées par les Trésors
nationaux vivants du Japon ! Oui, nos maîtres d’art sont bien nos Trésors
nationaux vivants, dont la richesse et la rareté résident dans leurs mains
mêmes, ces mains qui détiennent des savoir-faire d’excellence, une
habileté exceptionnelle et, pour reprendre la belle expression de Liliane
Bettencourt, qui oeuvre pour leur promotion, une « intelligence »
extraordinaire. Comme les Trésors nationaux japonais, nos maîtres d’art
sont investis d’une mission : veiller à la transmission de cet héritage
inestimable, au renouvellement, à la réinvention permanente de leurs
techniques.

Je tiens à ce que ce système de transmission « à la française », qui a su
conserver toute son originalité, soit mis à l’honneur, même si certains
grands savoir-faire ne sont pas encore représentés, tels que l’horlogerie ou
la lustrerie. Je souhaite à ce sujet confier une mission au Conseil des
métiers d’art, dont je salue chaleureusement les 19 nouveaux membres qui
nous ont rejoints.

J’aimerais que nous réfléchissions à de nouveaux critères
de sélection des maîtres d’art, afin de mieux prendre en compte la grande
richesse et la belle diversité des savoir-faire français, qui compte
notamment de grands restaurateurs d’oeuvres d’art, de hauts représentants
de la gastronomie, des arts de la table et de la mode.

Je suis très attentif à la préservation de ces métiers d’exception, des
métiers qui portent haut, dans le monde entier, la beauté, la qualité et
l’excellence qui ont fait, et continuent de faire le prestige des arts et du
savoir-vivre français. Je crois en leur valeur, précieuse, essentielle, parce
que je crois profondément à l’amour du travail bien fait, à la patience, à
l’exception et à l’unique, dans un siècle qui tend à l’uniformité et au
zapping, dans un monde qui privilégie le jetable et l’industriel. Vous avez
en ce sens une responsabilité immense, celle de transmettre ce goût du
rare et de l’effort pour y parvenir, cet amour du geste et de ce temps long
qui est celui de la véritable création.

Qu’est-ce que l’art, si ce n’est, comme
le disait Georges Duby, une « […] habilité dans la mise en oeuvre des
pratiques par quoi l’homme assure sa prise sur le monde » ? Et qu’est-ce
qu’un maître, si ce n’est celui qui ouvre les regards sur ce monde et
enseigne cette habileté ?

Oui, les métiers d’art sont l’une de nos plus grandes richesses, et il nous
appartient de les transmettre, de les préserver, et de porter la lumière
sur ces maîtres qui sont de véritables créateurs, et dont les oeuvres
rayonnent en France comme à l’étranger. Nous devons soutenir tous les
professionnels qui relèvent des défis dans leurs entreprises, qui
s’intéressent à la recherche, expérimentent des nouveaux matériaux ou
de nouvelles technologies, pour trouver des applications novatrices.

C’est pourquoi je me félicite que soient nommés quatre chefs d’atelier
d’entreprises du luxe membres du Comité Colbert, qui regroupe 70
entreprises françaises prestigieuses. Je tiens à saluer chaleureusement
l’engagement des personnes qui font le renom de ces grandes maisons.
Les entreprises du luxe sont de véritables ambassadrices pour
l’ensemble des maîtres d’art qui constituent une « compagnie »
prestigieuse, mais qui doit sortir de la confidentialité. Elles sont aussi
des entreprises au coeur de la cité, soucieuses de former des jeunes
talents pour pérenniser leurs techniques, pour faire vivre leurs ateliers
exceptionnels.

Cette année, les quatre chefs d’atelier de maisons prestigieuses ne
percevront pas d’allocation, mais choisiront chacun un élève pour lui
transmettre leur savoir, leur expérience, afin qu’il devienne, à son tour,
hautement qualifié.

Ce système de transmission à taille humaine des savoir-faire, dont je
souhaite conserver la dimension « sur mesure », qui le rend unique, doit
pouvoir se développer. J’ai demandé à mes services, non seulement
d’augmenter le nombre des dispositifs de transmission des savoir-faire
en région, mais aussi de se rapprocher du ministère de l’Education
nationale afin de poursuivre notre collaboration. Identifier nos formations
respectives et les passerelles entre les deux ministères, et donner ainsi
des perspectives d’avenir aux jeunes en fin de Troisième, telles sont les
priorités que nous nous sommes fixés. Les certificats d’aptitude
professionnelle (CAP) sont également une chance, insuffisamment
connue, pour les jeunes de se qualifier et de découvrir des métiers
passionnants.

Dans les cinq ans à venir, le nombre de départs à la retraite des
formateurs sera conséquent, et nous devons nous donner les moyens
d’assurer la relève. Il faut, ne l’oublions pas, dix ans de formation pour
obtenir la qualification d’excellence que réclament les entreprises du
luxe, comme les antiquaires, les décorateurs, les collectionneurs ou
encore les ateliers dont le ministère de la Culture et de la
Communication a la charge.

Je tiens donc à insister sur le caractère impératif de la formation et de la
transmission, et j’invite les maîtres d’art à jouer leur rôle de pédagogue.

Je souhaite que les écoles d’art les accueillent afin de mieux faire
connaître ces métiers qui offrent de grandes satisfactions.

Dans cette perspective, j’ai annoncé, lors de la remise du « Prix pour
l’intelligence de la main » de la Fondation Bettencourt-Schueller, qu’une
campagne d’information, à destination des jeunes, serait orchestrée par les trois ministères concernés : l’Education nationale, l’Artisanat et, bien
sûr, la Culture et la Communication.

Je profite de cette cérémonie pour rappeler que le ministère de la
Culture et de la Communication dispose d’ateliers intégrés, dont les
techniciens d’art sont aussi l’âme de nos établissement les plus
prestigieux, et notamment de nos grands musées nationaux, de la
Bibliothèque nationale, du Mobilier national et des Savonneries, et de la
Manufacture nationale de Sèvres. Toutes les directions de mon
ministère sont mobilisées pour assurer l’avenir de ces métiers, pour les
pérenniser et leur proposer des débouchés sous forme de commandes,
de restaurations ou d’ acquisitions.

Je vous invite à poursuivre, vous aussi, votre quête de la beauté en
sachant qu’elle n’est pas acquise pour toujours, mais qu’elle est,
particulièrement dans vos métiers, un pari sur l’avenir.

En présence du président d’honneur, M. Etienne Vatelot, luthier, et du
vice-président du conseil des métiers d’art, je vais demander à chacun
des nouveaux maîtres d’art, à l’appel de son nom, de bien vouloir me
rejoindre sur l’estrade :
Yves Benoît, avec vous nous plongeons dans l’univers feutré du textile,
et du velours d’Amiens. Gaufreur, imprimeur et façonneur de velours,
vous êtes aussi un chercheur infatigable qui redécouvre, à partir
d’archives, des techniques et des outils oubliés, que vos créations
exclusives et votre sens de l’innovation font renaître et ne cessent de
réinventer.

Christopher Clarke, vous êtes un véritable homme-orchestre, non
seulement parce que, facteur d’instruments anciens à clavier, vous avez
déjà créé 33 instruments neufs, et restauré 50 instruments historiques,
mais aussi parce que votre art nécessite des compétences aussi bien en
ébénisterie qu’en mécanique, en maîtrise du son qu’en accordage, ou
encore en travail des métaux, même précieux, de l’ivoire, de l’os, du
bois, des peaux et des étoffes.

Bernard Dejonghe, votre virtuosité s’exerce sur ces matières nées de la
fusion, que sont le verre et la céramique. Vous en tirez des formes
pures, primitives, qui touchent comme aux sources de l’homme et de
l’art, aux « racines du monde », pour reprendre votre expression.

Gérard Desquand, ce sont les racines des familles que vous gravez sur
du métal précieux, puisque vous êtes l’un des rares spécialistes
héraldistes en France. Par votre geste, précis, minutieux, vous scellez
tout le souvenir, la mémoire, l’attachement à l’histoire, la fierté, aussi,
d’une famille.

Isabelle Emmerique, vous avez fait de la laque, matière exigeante et
délicate, votre mode d’expression privilégié. Vous en avez renouvelé la
technique et la perception, pour nous livrer des oeuvres légères et libres,
qui en dégagent toute la sensualité.

Pietro Seminelli, vous êtes un orfèvre du pli, qui ouvre ou referme,
cache ou dévoile les espaces, comme il cache ou dévoile le « tissu de l’âme », et celui du monde, selon Leibniz. Panneaux coulissants,
paravents, rideaux, vos plissés sont des oeuvres uniques, dynamiques,
des symphonies de transparence et de lumière dont vous êtes le chef
d’orchestre inspiré.

René Tazé, vous avez accueilli, dans votre atelier, des artistes aussi
prestigieux que Gérard Titus Carmel et Zao Wou Ki, qui ont trouvé en
vous un imprimeur taille doucier de très grand talent, attentif à leurs
attentes, et qui partage leur sensibilité.

J’accueille maintenant les quatre chefs d’ateliers de l’industrie du luxe.
Jean-Marie Delhoume, vous modelez cette matière vivante et exigeante
qu’est le cuir, pour confectionner des bagages, des sacs et de la petite
maroquinerie destinés aux défilés de prêt-à-porter de la grande maison
Louis Vuitton, mais aussi pour des projets en collaboration avec les plus
grands designers. César, Philippe Starck, Christian Liaigre, ont déjà
trouvé en vous le partenaire essentiel à la réalisation des formes surgies
de leur imagination.

Martine Houdet, la tulle, la soie, l’organza, le satin, le tweed n’ont aucun
secret pour vous. Vous êtes de ces mains qui ne sont « petites » que
par le nom que le temps leur a donné. Chez Chanel, à partir des plus
belles matières, et des croquis du génial Karl Lagerfeld, vous créez des
objets de rêve, auxquels brodiers, plumassiers ou fleuristes apportent
les dernières touches.

Arnaud Philippe, vous domptez les peaux de crocodile, de buffle ou de
porc, pour leur faire épouser les formes les plus diverses, des sacs au
gainage de moto, de la mallette de violon à l’étui à guitare, autant
d’objets emblématiques des savoir-faire ancestraux comme de la
créativité de la maison Hermès.

Serge Vaneson, vous ciselez le cristal de Baccarat pour réaliser des
oeuvres extraordinaires, féeriques, des oeuvres prestigieuses ou
mythiques, que vous faites renaître parfois, à partir d’archives. Les
artistes font également très souvent appel à vos talents exceptionnels.

A tous, je souhaite redire notre reconnaissance et notre admiration, et
rappeler que la France peut s’enorgueillir de vos talents.

Dîner patrimoine culinaire et gastronomique à l’Institut européen d’histoire et des culture de l’alimentation, Université François Rabelais de Tours

24 novembre 2006

Cher Jean Bardet,

Monsieur le Maire, cher Jean Germain,

Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’industrie de l’Indreet-
Loire, cher Roger Mahoudeau,

Monsieur le Président de l’Université François Rabelais, cher Michel
Lussault,

Monsieur le Président de l’Université Paris-Sorbonne, cher Jean-Robert Pitte,

Messieurs les Présidents,

Messieurs les Professseurs,

Monsieur le Directeur de l’Institut européen d’histoire et des cultures de
l’alimentation, cher Francis Chevrier,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

C’est un véritable plaisir que d’être présent à votre table ce soir, et je vous
remercie de m’y avoir convié.

Merci à vous, cher Jean Bardet, qui êtes un maître, d’avoir réuni des
cuisiniers aussi talentueux que Michel Troisgros, Olivier Roellinger, Stéphane
Raimbault, Alain Senderens, Patrick Jeffroy, Stéphane Carrade, et Sang-
Hoon Degeimbre.

Votre assemblée illustre à merveille cette passion – que, nous comprenons
d’autant mieux que nous la partageons – pour la gastronomie française, dont
vous avez, cher Jean-Robert Pitte, brillamment dressé l’histoire et la
géographie, dans l’ouvrage éponyme.

Mon plaisir d’être parmi vous ce soir mêle les joies du palais et celles de
l’esprit, puisque la gastronomie fait, bien sûr, partie de la culture, et, plus
sûrement encore, de la culture française. Elle est un art que nous envient
tous les pays, une haute expression de notre culture et de notre art de vivre.

Et quelle plus belle ville pouvions-nous rêver pour célébrer l’art culinaire que
Tours, et l’Université qui porte le nom de ce grand amoureux de notre
patrimoine culinaire que fut François Rabelais ?

« Car je suis né et ai été
nourri jeune au jardin de France : c'est Touraine », écrit ce chantre
incomparable de la gastronomie française.

La culture, les cultures de l’alimentation, sont aussi anciennes et riches
d’enseignements que l’histoire des hommes.

Les goûts, les saveurs, les coutumes alimentaires font partie intégrante du
quotidien des hommes et de l’identité des peuples. Ils forgent nos
représentations, nos modes de vie, ils font aussi notre fierté. A ce titre ils sont
de formidables sujets d’études, et je suis ravi que le Forum organisé par
votre Institut offre l’occasion à nos plus éminents spécialistes de dresser une
sociologie de notre table, dans l’esprit de Brillat-Savarin, lorsqu’il écrit dans
son fameux traité relevé, savoureux, et haut en couleurs, La Physiologie du
goût : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es » .

Le fameux adage tiré de cet ouvrage publié en 1825 n’a rien perdu de
sa force, et vibre même d’une ardente actualité, à l’heure de la
mondialisation, qui fait peser sur nous le risque d’un affadissement
général, d’une uniformisation de nos alimentations, d’une banalisation.

Mais le thème retenu cette année pour le Forum attire notre attention
également sur le rôle essentiel qu’ont eu, et que continuent à avoir « les
échanges, les influences et les convergences » des cuisines du monde.

A cet égard, nos cuisines sont sans doute l’une des plus belles
illustrations d’une mondialisation faite d’apports, d’inspirations,
d’échanges, dans le respect des traditions et des identités de chaque
culture. Et si ces dialogues ne sont pas neufs – nombre d’aliments
traditionnels, à l’instar de nos pommes de terre, nous viennent d’outre-océan
– ils n’ont jamais été aussi féconds qu’aujourd’hui, en ce siècle
qui a fait de l’ouverture à l’autre et de la diversité des exigences,
toujours renouvelées.

Je tiens donc à féliciter chaleureusement l’Université François Rabelais
et l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation, son
Directeur, Francis Chevrier et l’ensemble de votre équipe. Par vos
actions, par vos recherches, vous donnez à l’art culinaire la place qui est
la sienne, au coeur de notre patrimoine, de notre identité, de notre
culture et de notre savoir-vivre.

Vous avez attiré récemment mon attention sur le projet de candidature
de la gastronomie française au patrimoine mondial immatériel de
l’UNESCO. Cette idée me paraît excellente et elle s’inscrit en effet
pleinement dans l’esprit de la convention de l’UNESCO pour la
sauvegarde de ce patrimoine. Mes services, et plus particulièrement la
direction de l’architecture et du patrimoine, et la délégation au
développement et aux affaires internationales, sont à votre disposition
pour vous aider à constituer le dossier argumentaire qui appuiera votre
projet, et pour vous assister dans toutes les démarches que vous
entreprendrez pour porter cette candidature.

Je suis certain que les échanges qui ont eu lieu et qui se poursuivent
lors de ce Forum contribueront à mettre en lumière la place essentielle
qu’occupent la culture et l’art culinaires au sein de notre patrimoine et de
nos créations.

Je vous remercie.

Hommage à André Malraux – 30e anniversaire de sa disparition – Ouverture de la Journée d’Etude

23 novembre 2006

Entendre sa voix, sa voix grave et ample, son souffle profond, son timbre si particulier, sa
parole forte et libre vibrer, encore aujourd’hui, et défier le temps :

« En face de l’inconnu certains de nos rêves n’ont pas moins de signification que nos
souvenirs… »

« Les grands rêves poussent les hommes aux grandes actions ».

« L’importance que j’ai donné au caractère métaphysique de la mort, m’a fait croire obsédé
par le trépas. Autant croire que les biologistes voués à l’étude de la naissance cherchent des
places de nourrices. La mort ne se confond pas avec mon trépas. »

« Peu importe que l’on n’approuve pas mes réponses, du moment que l’on ne peut ignorer
mes questions… »

« Il faut réveiller les gens…bouleverser leur façon d’identifier les choses. Il faudrait créer des
images inacceptables que les gens écument. Les forcer à comprendre qu’ils vivent dans un
drôle de monde. Un monde pas rassurant. Un monde pas comme ils croient… »

Trente ans après, la voix porte, le mythe est vivant, dans l’unité de la pensée et de l’action
d’un homme, qui apparaît devant nous, avec la mobilité de son visage, la vivacité de son oeil
qui cligne, la profondeur de son regard, dardé vers le ciel, une cigarette qui ne s’éteint
jamais, tombe en cendres sur son stylo, avant de s’élever à nouveau en volutes, en spirales
successives, au rythmes des gestes incessants de ses grandes mains fines, d’où émerge un
doigt pointé vers son interlocuteur, qui revient vers son visage, la pensée effervescente, les
citations qui fusent, le verbe éblouissant, le sourire énigmatique et complice, l’attention
constamment en éveil …

Rendre aujourd’hui un hommage particulier à André Malraux, prend un sens tout à fait
spécial pour moi. Parce qu’il était de ces hommes qui nous marquent à jamais comme ils
marquent les siècles, par leur esprit, par leur oeuvre, par leur courage, par leur audace, par
leur génie. Par la trace de son écriture, la profondeur de son oeuvre littéraire, par
l’engagement et le courage qui furent le sien tout au long de sa vie, contre le colonialisme, le
fascisme, le nazisme, et toutes les formes d’injustice, de torture des corps et des
consciences, mais aussi, bien sûr, par son action, auprès du général de Gaulle, à la tête du
ministère des Affaires culturelles, dont nous lui devons la création. Une action qui continue à
nous inspirer aujourd’hui, parce qu’elle fut l’expression d’un amour réel pour le patrimoine et
pour les créateurs, d’une passion sans borne pour les arts, d’une quête permanente de
l’esprit, de visions fulgurantes des actions à mener pour encourager et célébrer, partout où
elles se trouvent, les manifestations du beau, du talent et du génie.

Mais aussi pour stimuler
les rencontres, provoquer les chocs, prolonger les ouvertures, fussent-elles insolites,
inédites, ou dérangeantes.

En ce sens, nous savons aujourd’hui qu’André Malraux fut un précurseur. Il montra la voie, il
ouvrit le chemin de tous ceux qui lui succédèrent au ministère, devenu celui de la Culture et
de la Communication. Et pas seulement parce que son ambition visionnaire, conjuguée aux
fondations qu’il a posées, et à l’édifice qu’il a construit, auguraient du développement des
politiques culturelles à venir, sur l’ensemble de notre territoire. Son engagement constant et
quotidien en faveur de la connaissance, de la préservation et de la restauration des
monuments historiques ; l’invention de l’Inventaire, mais aussi son attention à la création
contemporaine.

Son combat pour les « secteurs sauvegardés », qui permit de sauver, parmi
tant d’autres coeurs historiques de nos villes, le quartier du Marais, à Paris ; mais aussi la
création des « maisons de la culture », qui sont, au fond, la préfiguration de nos grands
musées d’art contemporain, de nos scènes nationales, et surtout de ces lieux
pluridisciplinaires et transdisciplinaires, qui diffusent, partout, les arts et la création ; enfin, ce
qui est moins connu, son enthousiasme pour le mécénat ; bref, sa conviction que « l’Etat
n’est pas fait pour diriger l’art mais pour le servir », et les grands chantiers qu’il a ouverts,
continuent, en revêtant des formes nouvelles, à éclairer ce que nous faisons aujourd’hui.

Oui, André Malraux a posé des jalons essentiels, mais, au-delà, si j’ai tenu à marquer cette
commémoration, c’est parce qu’à mes yeux son oeuvre, sa pensée, son action, sont à
l’origine d’un tournant fondamental, fondateur même : à la source de sa politique culturelle,
qu’il a imaginée, qu’il a inventée, et qu’il a nourrie bien longtemps avant de devenir ministre,
réside une idée, une intuition, je dirais même une foi profonde, lumineuse, une conviction
intime : c’est que l’art est une dimension fondamentale de l’homme, de l’humain, une
manifestation même de son essence, par définition universelle. Comme le souligne
magistralement Henri Godard dans son introduction à la très belle édition récente des Ecrits
sur l’art dans la Pléiade : « Au terme de son parcours, Malraux a dégagé les raisons les plus
profondes du privilège que nous accordons tous, plus ou moins consciemment, à l’art dans
notre civilisation. Nous reconnaissons en lui, non moins que dans le rire, dans le langage, ou
dans le soin que nous prenons de nos morts, une part essentielle de l’humanité qui nous lie
à l’espèce, depuis son origine et sur toute l’étendue de la terre. »

Cette croyance profonde dans le caractère humain, universel, des arts et de la culture, n’a
rien d’anodin. Elle irradiera véritablement l’action et l’oeuvre d’André Malraux, et elle aura
des conséquences majeures, au premier rang desquels l’entrée de la culture dans la sphère
politique, dans l’intérêt général, dans la Cité. « La politique et la culture telles qu’il les
conçoit, écrit Janine Mossuz-Lavau, naissent de la même source » face à la violence du
monde, aux intégrismes et aux fanatismes, la culture est une offre de réconciliation pour le
respect de l’autre qu’elle génère.

La deuxième conséquence, qui déterminera plus d’un demi-siècle de politique culturelle, et
qui possède aujourd’hui une brûlante actualité, c’est que l’art, essence de l’homme, doit être,
par définition, accessible à tous les hommes. C’est le sens de cette remarque de Maurice
Blanchot, que Henri Godard a placée en exergue de son introduction :

« Que l’art et tout l’art
soit livré à chacun, à tout instant, c’est l’événement considérable que Malraux nous a rendu
perceptible et d’où il a tiré, pour la création artistique, une vue et une exigence nouvelles. »

Oui, c’est un événement considérable, parce qu’il augure de soixante ans d’efforts pour faire
surgir la culture dans tous les foyers, dans tous les coeurs, dans tous les esprits, et nous
connaissons tous la définition, si belle et si féconde, si efficace aussi, qui résume à elle seule
cette vaste ambition, et la première mission, fondatrice, et toujours actuelle, du ministère des
Affaires culturelles :

« rendre accessibles les oeuvres capitales de l’humanité, et d’abord de
la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience à
notre patrimoine culturel et favoriser la création des oeuvres de l’art et de l’esprit qui
l’enrichissent. »

Oui, l’art est un droit, une conquête, une liberté, pour tous, et l’Etat doit
veiller à la protection de ce droit, au respect de cette conquête.

Je tiens à souligner une dernière conséquence, qui aura également une portée retentissante,
et dont nous ne cessons de nous inspirer, à l’aube de ce nouveau siècle dont l’impératif est
la diversité culturelle : si l’art est universel, s’il est l’expression de l’humanité en l’homme,
alors nous devons nous ouvrir aux expressions de toutes les civilisations, parce qu’elles
expriment chacune des points de vue sur l’univers, parce qu’elles opposent à leur
compréhension comme à leur incompréhension de ce qui les entourent des formes
proprement humaines, et libres, des formes qui, pour certaines d’entre elles, résistent au
temps, résonnent de la même force à travers les siècles, et, selon sa très belle formule, se
métamorphosent en anti-destin. Parce que, écrit-il aussi, « Notre art me paraît une
rectification du monde, un moyen d’échapper à la condition d’homme. »

Si André Malraux a exalté l’universalité de l’homme et de l’expression artistique, il a eu
également la prescience de la dimension culturelle, voire spirituelle, de la mondialisation, la
conscience du fondement culturel du projet européen, et l’intuition de la valeur, de la force et
de la pérennité culturelles de la nation. Dans son très bel Appel aux intellectuels, lancé
depuis la salle Pleyel, en 1948, et qui est devenu la postface des Conquérants, il s’adresse à
« la première génération d’héritiers de la terre entière ». Mieux vaut le citer, plutôt que de le
paraphraser :

« D’âge en âge, des civilisations successives, qui s’adressent à des éléments
successifs de l’homme, se superposent ; elles ne se rejoignent profondément que dans leurs
héritiers. »

Mais celui qui prit conscience, avant tant d’autres, des dangers de l’idéalisme
communiste, comme des menaces des impérialismes et des hégémonies, distingua
l’internationalisme de l’universalité, le libéralisme de la liberté, et le nationalisme de la nation.

Ce texte, pour moi l’un de ses plus émouvants, si extraordinairement moderne, clame, avec
des accents prophétiques, l’amour de l’art et de la nation, l’amour de l’homme et de la liberté.

« Quand la France a-t-elle été grande ? demande-t-il, Quand elle n’était pas retranchée sur
la France. Elle est universaliste. » Il aimait dire que « la France n’a jamais été aussi grande
que lorsqu’elle l’était pour les autres », et que la culture a précisément pour objet, pour
mission, pour promesse, de « faire prendre conscience aux hommes de la grandeur qu’ils
ignorent en eux. »

Par sa foi en l’homme, par sa foi en l’art, André Malraux nous a rendus responsables des
oeuvres de toute l’humanité, une responsabilité qu’il a revendiquée pour préserver les
temples d’Abou Simbel menacés par la construction du barrage d’Assouan, posant ainsi la
première pierre de ce qui deviendra le patrimoine de l’humanité, classé par l’Unesco. Il
affirme, le premier, que « […] la première civilisation mondiale revendique publiquement l’art
mondial comme son indivisible héritage ».

André Malraux a donné sa signification la plus forte à la notion même de patrimoine, celle de
l’âme d’un pays, d’une civilisation. Avec lui, la culture n’est pas un supplément d’âme. Elle
est l’âme même. Elle est la vie, au-delà même de la mort. Les châteaux, les cathédrales, les
monuments, les musées, mais aussi les perspectives les plus familières, comme il l’a si
brillamment proféré, en défendant la loi qui porte aujourd’hui son nom, depuis la tribune de
l’Assemblée nationale, surplombant Clio et sa tablette, et la Renommée et sa trompette,
devant les députés éberlués, sont devenus « les jalons successifs et fraternels de l’immense
rêve éveillé que poursuit la France depuis mille ans. »

L’architecture participe également de cette vision, et c’est le sujet qui nous intéresse
aujourd’hui. C’est un sujet peu étudié, mais c’est un sujet essentiel à défricher, et je remercie
le Comité d’histoire, je vous remercie toutes et tous, d’y consacrer cette journée.

Je laisse bien évidemment le soin aux chercheurs de mettre en lumière cette facette
méconnue de l’action d’André Malraux, et je serai très attentif à leurs interventions. Je
voudrais simplement souligner, en tant que ministre de la Culture et de la communication,
combien son héritage est précieux. Certes, Eric Lengereau a montré que le ministère des
Affaires culturelles était parfois tenu isolé de la mobilisation du gouvernement français face à
l’urbanisation croissante de l’après-guerre, et à la modification des paysages ruraux et
urbains. André Malraux considérait l’architecture avant tout comme un art, avant d’être un
élément déterminant de l’amélioration du cadre de vie des citoyens et de l’aménagement du
territoire.

Mais, encore une fois, à la tête du ministère des Affaires culturelles, il fut à l’origine de tant
de mesures phares, de gestes fondateurs, d’impulsions fondamentales qui rapprochèrent
sensiblement l’art de bâtir de l’urbanisme et du cadre de vie, en préfigurant la mission et la
portée qui sont les siennes aujourd’hui. La grande loi de 1962, sur les « secteurs
sauvegardés », fut une avancée décisive en ce sens, en élargissant la protection des
monuments historiques à leur environnement, aux immeubles qui forment autour d’eux des
ensembles homogènes. Aux chefs-d’oeuvre, on ajouta les « vieilles pierres », à
l’enthousiasme propre au sublime on ajouta l’affection, l’attachement, la sensibilité naissante
pour notre patrimoine national, dans sa diversité, que le tourisme, le développement des
échanges, et la démocratisation de la culture se hâtèrent d’amplifier, et d’apporter au
rayonnement et à l’attractivité de notre pays.

Avant de céder la parole aux spécialistes, permettez-moi de vous lire quelques lignes, tirées
de ce qui est, à mes yeux, l’un des plus beaux discours de cet orateur hors pair qu’était
André Malraux. Il a été prononcé le premier septembre 1965, en hommage à Le Corbusier,
qui venait de disparaître, ce génie de l’architecture qui fut aussi son ami.

« Sa phrase fameuse: « Une maison est une machine à habiter » ne le peint pas du tout. Ce
qui le peint, c'est : « La maison doit être l'écrin de la vie ». La machine à bonheur. Il a
toujours rêvé de villes, et les projets de ses « cités radieuses » sont des tours surgies
d'immenses jardins. Cet agnostique a construit l'église et le couvent les plus saisissants du
siècle. Il disait, à la fin de sa vie:

« J'ai travaillé pour ce dont les hommes d'aujourd'hui ont le
plus besoin: le silence et la paix ». […] Cette noblesse parfois involontaire s'accommodait
fort bien de théories souvent prophétiques et presque toujours agressives, d'une logique
enragée, qui font partie des ferments du siècle. Toute théorie est condamnée au chefd'oeuvre
ou à l'oubli. Mais celles-là ont apporté aux architectes la grandiose responsabilité
qui est aujourd'hui la leur, la conquête des suggestions de la terre par l'esprit. Le Corbusier a
changé l'architecture – et l'architecte. C'est pourquoi il fut l'un des premiers inspirateurs de ce
temps. »

Ne pourrait-on pas, aujourd’hui, en dire autant d’André Malraux pour la culture, car lui aussi,
fut notre inspirateur, et je vous remercie de vous en souvenir particulièrement aujourd’hui. Je
sais que certains parmi vous ont été les témoins et les acteurs de sa vie, de son oeuvre, de
son action.

Pour Malraux, l’homme ne pouvait qu’être incarné dans le temps ; l’art fondé sur un dialogue
entre les hommes et les oeuvres ; l’architecture sur un dialogue entre les hommes et les
pierres ; un dialogue qui dessine, par la culture, par la politique, le chemin, l’élévation, l’âme
même de l’humanité à travers les siècles. Il ne séparait pas l’éthique de l’esthétique. La
politique, de la vie. Pour moi, au-delà d’une morale humaniste de l’action, il nous a légué sa
vision de la condition humaine. Celle d’un homme toujours porté, au-delà de ses propres
limites, à se dépasser, à transformer son destin individuel en volonté collective. Cela
demeure pour moi, non seulement un guide dans l’action, mais une véritable exigence, et
pour nous tous, sans doute, une espérance.

Congrès de la Fédération nationale de la presse française (FNPF) à Strasbourg

23 novembre 2006

Madame le Sénateur-Maire, chère Fabienne Keller,

Monsieur le Président de la Communauté urbaine de Strasbourg,

Monsieur le Vice-Président du Sénat, Président du Conseil général du Bas-
Rhin, cher Philippe Richert,

cher Robert Grossman,

Monsieur le Président de la Fédération Nationale de la Presse Française,
cher François d’Orcival,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être présent parmi vous, à Strasbourg, pour le 15e
congrès de la Fédération nationale de la presse française, pour réfléchir
avec vous à l’avenir de l’écrit. Je tiens à remercier chaleureusement votre
président, François d’Orcival, de m’y avoir associé, et de m’avoir permis de
revenir dans cette belle ville de Strasbourg.

Une ville, chère Fabienne Keller, au carrefour de l’Europe, dont elle abrite
le Parlement, une ville chargée d’art et d’histoire, dont je salue la grande
vitalité culturelle, le dynamisme créatif, comme la richesse patrimoniale,
avec notamment sa « Grande île » inscrite au patrimoine mondial de
l’UNESCO.

Oui, Strasbourg a su faire de la culture, de son patrimoine unique, de ses
monuments, de ses musées, de ses lieux de spectacle vivant, de ses
créations, un axe majeur de son développement et de son rayonnement.

Strasbourg est aussi une ville symbolique de ce combat, de cet
engagement, de cette passion qui nous réunit aujourd’hui, pour la liberté
d’expression, pour la qualité de l’information et la vitalité de la presse.

Une ville, enfin – et Robert Grossman pourrait vous en parler, lui qui a écrit
le très beau livre Le Choix de Malraux, l’Alsace, une seconde patrie – une
ville, disais-je, qui a marqué le destin de ce grand homme dont nous
célébrons aujourd’hui le trentenaire de la disparition, André Malraux, qui
fut, aux côtés du général de Gaulle, dès 1945, ministre de l’Information,
avant de créer le ministère de la Culture, comme ministre d’Etat, en 1959.

Souvenons-nous tous ici, particulièrement aujourd’hui, que sous le nom de
Résistance du Colonel Berger, il créa la brigade Alsace-Lorraine, et à la
tête de ces volontaires venus de Corrèze, aux côtés des troupes de Leclerc
et de la population de la ville, il défendit Strasbourg, qui fut libérée le 23
novembre 1944, il y a exactement 62 ans aujourd'hui. C’est à Strasbourg
également, qu’il a assisté, aux côtés du Général de Gaulle, à la création du
Rassemblement du Peuple Français, le 7 avril 1947.

A Paris, j’ai ouvert ce matin le ministère de la Culture et de la
Communication au public, pour une exposition exceptionnelle en
hommage à sa mémoire, à tout ce qu’il nous a légué, et d’abord son
oeuvre foisonnante et multiple, ainsi que les principes fondateurs, les
visions créatrices de notre politique culturelle, mais aussi un sens de
l’histoire et du tragique que des Alsaciens et des Strasbourgeois ont
éprouvé dans leur chair.

Malraux avait eu très tôt une intuition profonde du rôle capital de la
presse, des journaux, dans la liberté et la conscience des peuples. Dès
1925, il créa, avec Paul Monin, le quotidien L’Indochine, dénonçant les
abus, la censure, les tortures, les scandales, puis, clandestinement,
L’Indochine enchaînée.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsque le Conseil national
de la Résistance dut décider l’adoption de « mesures à appliquer pour la
libération du territoire », il donna une place de tout premier rang à « la
pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression – la liberté de la
presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des
puissances d’argent et des influences étrangères. ».

Cette presse de l’après-guerre était une « presse de combat », ainsi que
la qualifia André Malraux, une presse de conquête, éperdue de cette
liberté qui « existe pour et par ceux qui l’ont conquise ». Aujourd’hui
comme hier, la presse écrite est fille, et soeur de cette liberté si chèrement
acquise, elle est un pilier de notre démocratie, et cela seul justifie
l’ampleur de l’engagement de l’Etat à son égard.

Je tiens à vous dire tout d’abord combien je crois moi aussi profondément
en la presse, combien je tiens à sa liberté, et combien je veux m’engager
pour son avenir. Ma responsabilité de ministre de la Culture et de la
Communication, ma conviction intime, et mon engagement d’homme
politique me portent en effet à ne pas céder à une vision pessimiste de
l’avenir, à ne pas rejoindre le choeur des Cassandre, mais bien au
contraire à être profondément convaincu que la presse française, de par
ses qualités intrinsèques, est amenée à jouer un rôle de tout premier plan
dans le nouveau paysage des médias.

Face au déferlement des informations, face à la recherche effrénée de
l’immédiat, de l’instantané, face au flux des images et des émotions, face
aux flots de voix anonymes qui veulent se faire entendre sur les blogs,
face à la rumeur, à l’inexactitude, face à la spontanéité, à la facilité, à la
culture du zapping, nos concitoyens auront de plus en plus besoin de vos
analyses, de votre recul, de votre rigueur, de vos vérifications, de votre
intelligence de l’événement, bref, de votre métier. Internet ne sonne pas le
glas de la presse, bien au contraire les talents, le professionnalisme et
l’authentification sont plus que jamais des impératifs et des urgences.

La confiance n’empêche pas la lucidité et je mesure tout à fait les
difficultés qui touchent ce secteur essentiel. Je veux donner les moyens à
la presse d’affronter un avenir où elle a toute sa place. Telle est ma
détermination. Telle est ma conception de ma mission. Je sais aussi les
efforts que vous déployez pour relever les défis qui sont ceux de votre
secteur aujourd’hui. L’histoire de la presse écrite est faite de conquêtes nouvelles, d’adaptations permanentes, de réactivité féconde, par
lesquelles elle a toujours su montrer combien elle était indispensable à
nos concitoyens, au débat public, à notre démocratie, mais aussi
compatible, ou plutôt complémentaire avec d’autres moyens d’expression
et de diffusion des idées.

Depuis votre dernière rencontre à Bordeaux il y a trois ans, les défis que
votre profession doit relever se sont précisés, les mutations qui traversent
le secteur se sont accélérées et le sentiment de l’ampleur de la tâche à
accomplir a pu, légitimement, grandir.

Pour réussir son avenir, la presse doit surmonter bien des difficultés,
notamment économiques, auxquelles elle est aujourd’hui confrontée, et
que vous connaissez mieux que personne. En France, ces difficultés
connaissent une intensité nouvelle. Elles sont associées aux inquiétudes
que suscitent l’essor des gratuits, d’Internet et des médias mobiles. Elles
sont liées aussi aux empiètements de la « blogosphère » sur l’autonomie
du champ journalistique, à la baisse de la diffusion payée, à la très forte
concurrence sur le marché publicitaire, et au renouvellement du lectorat.

Je suis donc très heureux que votre Fédération, représentative des
différentes facettes de ce secteur, l’information spécialisée, la presse
quotidienne nationale, régionale et départementale, la presse magazine et
d’opinion, et de leurs différents enjeux, les réunissent, pendant ces
journées de réflexion, afin de jeter, ici, à Strasbourg, les bases de cette
« reconquête de l’écrit ». Tel est bien le sujet en effet.

Notre société des écrans demeure une civilisation de l’écrit, et cela ne va
pas de soi, car c’est le fruit du travail, des efforts, du professionnalisme de
la communauté que vous représentez. Votre enthousiasme pour la
défense de vos métiers, votre énergie, votre engagement en faveur de la
presse, il est de mon devoir de les relayer, de les appuyer, de les
encourager. Je tiens à dire ici que l’Etat a été, est, et sera à vos côtés
pour accompagner les évolutions que vous conduisez, que vous
connaissez, que vous anticipez.

Oui, l’Etat a un rôle majeur à jouer. Sans réglementations et interventions
appropriées de l’Etat, la presse, comme la diversité culturelle, ne peuvent
pas exister. Et la presse vivra, avec l’aide de l’Etat, avec les ressources,
qu’elle saura mobiliser, non seulement financières, mais aussi
intellectuelles, humaines, créatives, avec le soutien de ses lecteurs, elle
vivra bien plus longtemps que les préconisations éphémères d’un
énième rapport qui n’engage que ses auteurs.

Avec un budget total de 274 millions d’euros, le projet de loi de finances
pour 2007 représente, à périmètre constant, un montant de crédits
supérieur de plus de 22% aux moyens consacrés à la presse écrite il y a
encore deux ans. Comme en 2005 et en 2006, j’ai voulu que ces crédits
appuient prioritairement les efforts engagés par le secteur pour conforter
durablement les conditions de son indépendance économique et de son
développement futur, qu’il s’agisse de la modernisation des entreprises,
d’actions innovantes, ou de la recherche d’une plus grande autonomie
financière. Et cette autonomie est la garantie même de sa liberté, et du
pluralisme. Si la concentration excessive ne peut que nuire à ces dernières, n’oublions pas, et le rapport Lancelot de décembre 2005 l’a
rappelé, que la constitution d’entreprises puissantes, de groupes de
presse plurimédias, permet aussi de créer les conditions financières d’une
plus grande autonomie.

Je tiens à insister sur le fait que, dans le contexte budgétaire que nous
connaissons, l’effort de l’Etat est un effort majeur. Mais, l’Etat sait que la
constance du soutien est décisive et son engagement financier massif,
année après année, entend accompagner les réformes structurelles que
vous mettez en oeuvre.

Engager des moyens financiers conséquents et déterminer clairement
quelle est la priorité de la politique publique en faveur de la presse, tels
sont, aujourd’hui, les éléments indispensables à l’efficacité de l’action de
l’Etat. Or, cette efficacité ne pourra porter ses fruits que si elle est
directement utile au développement de vos titres.

A cette fin, plusieurs mesures seront adoptées, avant la fin de l’année,
dans le domaine fiscal. Pour répondre à la faiblesse chronique des fonds
propres des entreprises de presse, qui obère bien souvent leur capacité
d’investissement, un mécanisme de réduction d’impôt permettra de
faciliter l’investissement dans le capital des entreprises de presse.

De même, le système spécifique de provision pour investissements dit du
« 39 bis » sera adapté pour mieux répondre aux besoins des entreprises.

Le régime actuel, qui arrive à échéance à la fin de l’année, sera prorogé
jusqu’en 2010.

Par ailleurs, désormais les dons aux journaux d’opinion tant des
particuliers que des entreprises pourront se voir appliquer la déduction
fiscale autorisée au titre du mécénat culturel. Cette disposition n’implique
pas l’adoption d’un texte en loi de finances. Il s’agit d’une interprétation
désormais officielle et je veux vous lancer un appel solennel aujourd’hui
ici à Strasbourg : créez une fondation de la presse française, faites
connaître cette disposition à vos lectorats présents et à venir afin qu’ils
participent directement au soutien des titres qu’ils aiment. Bien sûr
chaque titre est libre de créer sa propre fondation mais réfléchissez à
cette idée de fondation de la presse française d’opinion. Je suis prêt à
contribuer à sa réalisation.

Plus généralement, l’action publique doit avoir pour exigence une grande
réactivité afin de répondre, de manière adaptée, à des besoins en
constante redéfinition. La modernisation du secteur constitue à l’évidence
le défi primordial que la presse doit absolument relever, pour conforter ou
restaurer les conditions de son indépendance économique et de son
développement futur.

Oui, je le redis, je crois profondément que la presse écrite a un avenir.

L’avènement du numérique oblige la presse à se réinventer. Les
réflexions de tous les horizons sont précieuses pour cette mutation et je
pense en particulier aux travaux novateurs du Centre National pour le
Développement de l’Information, implanté à Lyon.

L’avenir de la presse papier est indissociablement lié à l’avenir de sa
distribution. L’Etat soutient la nécessaire modernisation du circuit de
distribution de la presse, avec le souci d’intégrer tous les maillons de la
chaîne. En 2002, une aide a été instituée pour accompagner la
modernisation de la distribution de la presse quotidienne nationale
d’information politique et générale. Initialement prévue pour trois ans,
cette aide a été reconduite et complétée par une aide spécifique à la
modernisation du réseau des diffuseurs.

Plus largement, les pouvoirs publics s’attachent à favoriser le
développement de la diffusion, sous toutes ses formes, et notamment le
transport postal de la presse, le portage, ou encore l’expansion de la
presse française à l’étranger.

Mais, au-delà des aides publiques, en adaptation permanente, une
concertation active plus globale doit être menée sur la modernisation de
la distribution de la presse. Le système est aujourd’hui performant, mais il
doit se réformer, dans la concertation avec chacune des parties
concernées, pour pouvoir durer. Et je crois que l’avenir est, non pas à la
réduction du nombre de points de vente, mais bien au contraire à la
création de nouveaux points de vente, plus modernes, plus spécifiques
peut-être, adaptés à un univers différent, pour séduire de nouveaux
lecteurs.

L’avenir de la presse n’existe que par les lecteurs à venir. Il faut donner
aux jeunes l’envie de lire la presse. C’est pourquoi j’ai souhaité que soit
poursuivi l’effort pour accroître la diffusion de la presse auprès des
jeunes lecteurs. Nous avons isolé, à cette fin, une enveloppe de
3,5 millions d’euros en 2005. Son montant a été porté à 4 millions en
2006 et ce niveau est maintenu en 2007. L’objectif est de faire émerger
des projets innovants – je pense par exemple à certaines nouvelles
formules d’abonnement qui ont été expérimentées et ont montré leur
pertinence – et de contribuer à leur financement.

Nous en sommes tous conscients, la modernisation de la presse passe
bien évidemment par son ouverture aux nouvelles technologies de
l’information. 80 % des 18-24 ans se sont connectés à Internet au cours
du dernier mois. Ce passage décisif à l’ère numérique doit être une
réussite, j’en fais un enjeu de tout premier plan.

Je viens de défendre ces jours-ci au Sénat un projet de loi pour faire
basculer complètement et définitivement la télévision analogique à l’ère
numérique, et élargir l’offre de programmes de 6 à 18 chaînes gratuites
pour 100% des Français à l’horizon de 2011. Le passage à l’ère
numérique pour la presse écrite peut, lui aussi, susciter des craintes,
mais il représente, lui aussi, en réalité, une chance, immense, que nous
pouvons et devons saisir.

Sur ce sujet, j’ai confié une mission à une personnalité indépendante et
expérimentée dans le domaine des médias, M. Marc Tessier, qui a déjà
auditionné un certain nombre d’acteurs du secteur. Il rendra au tout début
de l’année 2007 un rapport sur les voies et les moyens qui permettront à
la presse, dans toutes ses composantes, d’envisager avec confiance et
dynamisme l’avenir dans l’univers numérique du XXIe siècle.

Dans le même esprit, le Gouvernement a défendu et continuera de
défendre le principe du taux de TVA réduit pour la presse en ligne. Cela
exige aussi de définir précisément ce qu’est un service de presse en
ligne et de faire reconnaître cette définition, qui doit faire référence au
caractère principalement textuel des contenus éditoriaux des services de
presse en ligne, afin de se distinguer des sites d’information audiovisuels
et des banques d’images d’actualité. Pour ma part, je crois profondément
aux continuités qui existent entre le support papier et le support
électronique. Je ne méconnais pas la complexité de cette problématique,
mais je sais que dans ce type de négociations, il faut faire front commun
si l’on veut réussir, et tel est bien le but qui anime votre Fédération et le fil
rouge de vos débats, tout au long de votre congrès.

Vous le savez avec
Thierry Breton, nous avons saisi la Commission européenne de ce sujet
qui a été évoqué au dernier « Ecofin ». Il y a quelques jours, Monsieur
Kovacs, commissaire européen en charge de la fisaclité a indiqué que au
plus tard le 30 juin 2007, sur la base d’une étude menée par un groupe
de réflexion indépendant, la Commission soumettra au Parlement
européen et au Conseil un rapport d’évaluation générale sur l’impact des
taux réduits, notamment en termes de création d’emplois, de croissance
économique et de bon fonctionnement du marché intérieur. J’ai obtenu
de la Commission que l’industrie des médias soit pleinement prise en
compte lors de cette évaluation et que l’approche globale qu’elle
proposera constitue une solution viable à long terme. Je vous encourage
à appuyer les efforts du gouvernement.

Chaque média, qu’il s’agisse de la presse, de la radio et de la télévision,
s’est développé et existe aujourd’hui indépendamment l’un de l’autre.

L’univers dans lequel nous vivons est saturé d’informations, qui
proviennent de la télévision, de la radio, d’Internet, et pourtant nous
éprouvons toujours le besoin impérieux de lire des journaux. Aucun
média ne peut réellement, durablement, se substituer à la presse.

Internet offre une profusion d’informations et de textes sans hiérarchie où
les rumeurs et les inexactitudes sont très nombreuses. Avec les
téléphones portables, nous sommes entrés dans l’ère de la
« communication de masse individuelle », comme l’appelle le sociologue
Manuel Castells, qui souligne qu’en moyenne un blog est créé chaque
seconde dans le monde. Dans cette « galaxie internet », la rigueur et la
précision du journaliste lui donnent tout son crédit et sont absolument
indispensables, demain encore plus qu’aujourd’hui. Plus que jamais,
l’auteur d’un article ou d’un reportage sera engagé par sa signature, qui
sera pour le public une garantie d’exactitude, au milieu d’une masse de
documents sans auteurs.

Oui, la presse, je le disais tout à l’heure, c’est avant tout un métier, des
métiers, des compétences, des passions. A cet égard, la question de la
formation est à mes yeux essentielle. J’ai rappelé, le mois dernier, à
l’occasion du soixantième anniversaire du Centre de Formation des
Journalistes, comme je l’ai fait en 2004 à Lille, et comme je le fais à
Tours, devant les étudiants de l’IUT, qui est aussi l’une des écoles reconnues par la profession, combien est primordial l’apprentissage du
décryptage, de l’analyse des évènements, de la curiosité, de la patience,
de l’ouverture et de l’esprit critique. Donnons à nos futurs journalistes le
goût et la passion de l’écrit, comme nous nous efforçons de donner à nos
jeunes concitoyens ceux de la lecture.

Mais, je tiens à le rappeler aujourd’hui devant vous, la presse, c’est
d’abord une liberté et une responsabilité.

Souvenons-nous en, dans le monde d’aujourd’hui où la liberté de la
presse demeure une conquête de chaque jour, un défi quotidien. Et sa
constance est la marque de sa force. Pourtant, nous savons que cette
force vivante est toujours fragile, toujours menacée. Oui, il ne peut y avoir
d’avenir de la presse sans liberté de la presse.

Particulièrement dans le monde où nous vivons, traversé de fractures, de
haines, de véhémences, de violences et d’intolérances. L’actualité nous
rappelle malheureusement qu’une seule phrase, qu’un seul trait, qu’une
seule image, exposés publiquement, peuvent être pris pour prétextes de
mouvements de haine en de nombreux endroits de la planète, et qu’une
tribune libre publiée dans un journal peut faire l’objet de menaces de
mort. C’est inadmissible, inacceptable, intolérable. Dans notre
démocratie, chacun, dans le respect des autres, dans la conscience de
ses responsabilités, doit pouvoir s'exprimer librement.

Mais, même dans notre République, aucun citoyen ne doit s’habituer à la
liberté de la presse, comme si elle était un acquis définitif, donné une fois
pour toutes. La liberté de la presse ne supporte pas l’indifférence. Elle
appelle l’engagement et l’action.

Je tiens à le rappeler, d’autant plus que nous abordons une année où le
débat public sera particulièrement intense dans notre pays. Et que ce
débat a besoin d’une presse d’information, il a besoin d’une presse
d’opinion forte, libre et indépendante. Le ministère de la Culture et de la
Communication est d’ailleurs mobilisé en ce moment même aux côtés de
la rédaction de ce grand quotidien qu’est Libération, pour trouver des
solutions aux problèmes qu’il rencontre. Car la liberté, l’indépendance et
le pluralisme de la presse sont essentiels au débat démocratique et à
chaque citoyen.

Vive l’écrit ! Vive la presse ! Vive l’avenir de la presse !

Signature de la charte pour le développement du mécénat culturel avec le conseil supérieur de l’ordre des experts comptables

22 novembre 2006

Monsieur le Président du Conseil supérieur de l’Ordre des Experts-comptables,

Cher Jean-Pierre Alix,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux de vous accueillir au ministère de la Culture et de
la Communication, pour marquer une première, qui est une étape
importante dans le développement du mécénat en France : la signature
d’un protocole national pour le développement du mécénat culturel
entre le ministère de la Culture et de la Communication et le Conseil
supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables, dont je tiens à saluer le
Président, M. Jean-Pierre Alix.

Avec l’Ordre des Experts-Comptables, le ministère de la Culture
et de la Communication partage en effet l'idée que le
développement économique de nos régions, que l’attractivité de
nos territoires, est indissociable de la valorisation de leur
patrimoine culturel. Nous devons donc nous mobiliser, afin
d’encourager les initiatives des entreprises, des élus locaux et de
nos concitoyens qui vont en ce sens, et de mettre en oeuvre les
solutions juridiques et fiscales adaptées.

Dans ce contexte, j’ai souhaité renforcer nos liens, sur le terrain, avec
le Conseil Supérieur de l’Ordre des experts-comptables et ses
Conseils Régionaux qui peuvent, dans leur champ d’intervention,
développer les actions de partenariat, notamment en sensibilisant les
experts-comptables, les chefs d'entreprises, les élus, les
responsables associatifs et les particuliers.

La signature de ce protocole, qui s’inscrit dans le droit fil des
collaborations que j’ai engagées l’an dernier avec l’Assemblée des
chambres françaises de commerce et d’industrie, et avec le Conseil
supérieur du notariat, ainsi que de l’ouverture, des échanges
réciproques, du dialogue constant que j’ai voulu stimuler entre le monde
de l’économie et le monde de la culture, vise donc à donner à l’Ordre
des Experts-Comptables sur l’ensemble de notre territoire un véritable
rôle de médiation en matière de mécénat culturel, en mettant l’accent
sur quatre actions prioritaires :

– la désignation d’un « correspondant mécénat » au sein de chaque
Conseil régional de l’Ordre ;

– la diffusion, auprès des chefs d’entreprises, des élus, des
responsables associatifs et des particuliers, des dispositions de la loi
du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et au
fondations, et des avantages du mécénat culturel ;

– la dynamisation des contacts entre les Conseils régionaux de l’Ordre
des Experts-Comptables et le milieu culturel de leur territoire, et la
mutualisation des meilleures expériences ;

– la mise en place d’actions de tutorat et d’accompagnement des
institutions culturelles, afin de développer et de faire connaître le
mécénat.

M. le président Jean-Pierre Alix et moi-même souhaitons que ce
protocole national inspire des conventions entre les services culturels
déconcentrés de l'Etat et les Conseils Régionaux de l’Ordre des
Experts-Comptables. Ce sera bientôt le cas, et je m’en réjouis, en
Ile-de-France, et dans la région Centre.

La culture, vous le savez, est, pour notre pays, à la fois une richesse
essentielle, un enjeu économique de première importance et un atout
déterminant du rayonnement international de la France. Elle est donc
de notre responsabilité, à tous. C’est tous ensemble – pouvoirs
publics, élus locaux, responsables économiques et culturels,
entreprises et particuliers – que nous devons travailler à la sauvegarde
et à la mise en valeur de notre patrimoine, encourager la création
artistique contemporaine, soutenir la diffusion du spectacle vivant,
favoriser enfin l’accès de tous aux oeuvres de l’esprit.

La loi du 1er août 2003, par les avantages fiscaux consentis au
bénéfice des entreprises mécènes, nous donne pour cela des moyens
nouveaux. Bien loin d’un désengagement de l’Etat, – j’en veux pour
preuves les récentes mesures en faveur du patrimoine et
l’augmentation significative du budget du Ministère de la Culture et de
la Communication, depuis trois ans et particulièrement dans le cadre
de la loi de finances pour 2007 –, il s’agit d’un appel au partenariat et à
la complémentarité pour permettre à de nouveaux projets culturels de
se développer.

La loi de 2003, que j’ai à coeur de mettre en oeuvre et de mieux faire
connaître, introduit des mesures fiscales très incitatives, qui
s’appliquent tant aux dons des particuliers qu’à ceux des entreprises :
dans le droit commun, pour les particuliers, une réduction de 66% du
montant du don plafonnée à 20% du revenu imposable. Pour les
entreprises, une réduction de 60% plafonnée à 0,5 % du chiffre
d’affaire, avec la possibilité, en cas de dépassement de ce seuil, d’un
étalement sur les cinq exercices suivants, ce qui représente, notons-le,
par rapport au régime antérieur, un quasi-doublement de l’aide fiscale.

S’ y ajoutent, pour le mécénat d’entreprise en faveur de la culture, des
dispositions particulières :

– pour l’acquisition, par les entreprises, d’oeuvres d’art contemporain,
mais aussi d’instruments de musique destinés à être prêtés à des
artistes interprètes professionnels, ou à des étudiants des
conservatoires nationaux et d’écoles et conservatoires de musique au
niveau du IIIe cycle;

– enfin, pour l’acquisition de trésors nationaux et d’oeuvres reconnues
d’intérêt patrimonial majeur : dans ce cas, la réduction sur l’impôt sur
les sociétés est de 90% du don, plafonnée à 50% de l’impôt dû, si
l’entreprise acquiert un tel bien culturel pour une collection publique.
Cette réduction est de 40% si l’entreprise acquiert ce bien pour elle-même.

Comparez le coût réel d’achat d’un trésor national pour votre
entreprise et un budget de communication, pour arriver au même
résultat d’images ! Cette mesure connaît d’ailleurs un succès
exceptionnel, non seulement auprès des grands groupes, mais aussi
de certaines PME. Je m’attache à ce qu’elle ne bénéficie pas
exclusivement aux grandes collections nationales, mais aussi aux
établissements territoriaux.

Ce cadre juridique et fiscal n’est pas figé. Les conditions d’exposition
des oeuvres originales d’artistes vivants acquises par des entreprises
ont ainsi été considérablement assouplies l’an dernier. Tout
récemment, dans le cadre de la préparation du projet de loi de
finances pour 2007, j’ai moi-même proposé une mesure qui permettrait
aux monuments historiques privés, qui sont plus de 20600 en France,
soit à peu près la moitié de notre patrimoine protégé, de bénéficier du
mécénat des entreprises et des particuliers, par l’intermédiaire
d’organismes habilités, et sous réserve, bien évidemment, de
conditions d’accessibilité au public afin que l’intérêt général, qui est au
coeur de la législation sur le mécénat, soit respecté.

Cette législation, l’une des plus incitatives au monde, connaît un
succès croissant. Au-delà des avantages fiscaux qu’elle propose et qui
demeurent insuffisamment connus, elle a créé un climat favorable à un
engagement croissant de la société civile en faveur des causes
d’intérêt général, et à un rapprochement des acteurs économiques et
des responsables culturels. Après les grands groupes dont l’action a
été pionnière, le soutien apporté par un nombre croissant de petites et
moyennes entreprises à des projets et des organismes culturels à
travers tout le territoire témoigne de cette évolution.

En 2002, moins de 2000 entreprises pratiquaient le mécénat en
France, et le montant de leurs dons représentait seulement 0,09% du
PIB contre 2,1% aux Etats-Unis ; or, elles étaient en 2005 plus de
6500 à bénéficier de la loi d’août 2003.

De même, le rôle des fondations dans notre pays est maintenant
renforcé grâce à l'amélioration de leur fiscalité, à la simplification et à
l’allègement des procédures, comme à la réduction des délais relatifs
à leur constitution. Les fondations d’entreprise, dont le statut
particulièrement souple remonte à une loi de juillet 1990, connaissent
un essor remarquable. Depuis 2003, près d’une centaine de
fondations ont été créées par des entreprises, sur un total d’un peu
plus de 210.

Quant au mécénat des particuliers, il est passé d’un peu plus d’un
milliard d’euros en 2001 à près de 1,6 milliards d’euros en 2005, soit
une progression de plus de cent millions d’euros par an.

Si ces données concernent l’ensemble des causes d’intérêt général, la
culture est, à l’instar de la solidarité, un domaine privilégié
d’intervention du mécénat. La culture est créatrice de richesse et
d’emplois, elle participe à l’attractivité des territoires, comme à la
cohésion de notre société, elle est un sujet de fierté pour tous ceux,
entreprises, particuliers et pouvoirs publics, qui en soutiennent le
développement. Je souhaite que nous puissions ensemble oeuvrer à
cette révolution des mentalités que l’application de notre législation sur
le mécénat rend aujourd’hui possible : telle est l’ambition du protocole
national pour le développement culturel que j’ai l’honneur et le plaisir
de signer aujourd’hui avec le président Jean-Pierre Alix.

Je vous remercie.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Edouardo Levante

20 novembre 2006

Cher Edouardo Levante,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui rue de Valois pour
honorer en vous un collectionneur passionné, un érudit soucieux de
partager ses savoirs, un généreux mécène et un grand ami de la
France.

Véritable citoyen du monde, de nationalité italienne, vous êtes né a
Iskenderun en Turquie, et vous avez étudié à Beyrouth au couvent
Antoura tenu par les frères lazaristes.

Vous avez longtemps été vice-consul d’Italie dans votre ville natale,
en exerçant la profession d’agent maritime.

Mais votre véritable passion est la numismatique, et plus
particulièrement les monnaies romaines du Moyen Orient. Passion qui
date des années cinquante, et de votre rencontre avec Henri Seyrig,
directeur de l’institut d’archéologie de Beyrouth, et du grand
numismate Hans Von Aulock.

Ces rencontres vous ont ouvert les yeux sur l’univers fascinant de la
monnaie, dont vous êtes devenu, non seulement un fervent
collectionneur, mais surtout un spécialiste reconnu et demandé à
travers le monde.

Et si ce sont les monnaies de Cilicie qui occupent le premier rang de
votre collection privée, vous avez réalisé, pour la Bibliothèque
Nationale, d’importants catalogues sur les monnaies de cette province
romaine, mais aussi de Pamphylie, Pisidie, Lycaonie, et Galatie. Vous
y distillez un savant mélange d’exigence, d’érudition, de précision et
de clarté, propre aux plus grands experts.

Vous êtes en effet de ces collectionneurs généreux de leur temps et
de leur science, avides de découvertes, de collaborations, et toujours
prêts à partager leurs savoirs avec le plus grand nombre.

Et quelle plus belle preuve de cette générosité, que les dons
inestimables que vous avez faits à la Bibliothèque nationale de France
? Vous avez en effet offert à nos collections publiques un superbe
médaillon de Tarse, un unicum, de l’époque de Septime Sévère, ainsi
que plus de soixante monnaies grecques.

Je salue aujourd’hui cette passion admirable qui vous anime, et qui donne
tort à notre grand écrivain, Honoré de Balzac, lequel a écrit que « rien ne
rend l’esprit étroit et jaloux comme l’habitude de faire une collection. »

Bien loin de vous enfermer, votre passion est de celles qui tissent des
liens entre les pays, entre les hommes, des liens solides et profonds,
parce que fondés sur une même curiosité, sur une même ouverture.

Edouardo Levante, au nom de la République, nous vous remettons les
insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Diane de Selliers

20 novembre 2006

Chère Diane de Selliers,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui au ministère de la
Culture et de la Communication. Vous êtes pour moi l’incarnation de
l’amour de l’art, de l’amour des mots, du travail qu’ils exigent, et de
cette exigence même. Dans le monde de l’édition, vous êtes une
orfèvre, un véritable artisan, au sens le plus noble, au sens de
l’excellence, de la patience, de la recherche de l’exception, de
l’unique, du Beau. Ces idéaux, ces valeurs, que nous partageons,
vous les portez depuis toujours.

Et quel merveilleux chemin – droit, déterminé, rigoureux – vous avez
suivi vous-même, depuis votre arrivée à Paris en 1980, où vous avez
débuté comme éditeur chez Tchou ! Vous vous êtes ensuite lancée
seule, à vos risques et périls, avec un courage – et je veux souligner
ce mot de courage, que votre élégance et votre délicatesse pourraient
faire oublier – avec un sens du défi, et une force remarquables, dans
une aventure éditoriale et littéraire qui est devenue l’honneur de
l’édition française.

Vous vouliez créer « des livres qui restent », des livres qui résistent au
temps, aux modes, des livres uniques, des livres que l’on parcourt
religieusement, des livres qui émerveillent, des livres que l’on lègue à
ses enfants, à ses petits-enfants, comme le patrimoine le plus
précieux.

Votre idée, votre vision, était simple, mais lumineuse et audacieuse :
vous avez imaginé de réunir écrivains et peintres, gens de plume et
gens de pinceaux, littérature canonique et grands artistes, dans une
collection d’une rare qualité. Les illustrations auraient pu n’être que de
simples reflets, échos, ou miroirs des textes, mais vous avez réussi,
grâce à votre sensibilité, à votre intuition, et à votre intelligence, à les
rendre indissociables, comme nécessaires à leur compréhension
mutuelle, comme si les dessins et les gravures étaient les expressions
mêmes rythmant, en formes et en couleurs, les mots, les phrases, les
vers et les rimes.

Pour parvenir à une telle harmonie, vous avez accompli un immense
travail, et mené d’immenses recherches, qui vous ont conduite jusque
dans les arcanes du Vatican, pour retrouver les 92 dessins sur
parchemin que Botticelli avait exécutés afin d’illustrer un manuscrit de
La Divine Comédie.

Vous avez sillonné l’Europe pour rechercher les oeuvres baroques
susceptibles de répondre, mot par mot, aux histoires des
Métamorphoses d’Ovide. Vous avez parcouru les musées du monde
entier pour retrouver tout ce qui, dans l’oeuvre de Delacroix, se
rattachait au thème de Faust. Combien de dessins cherchés,
retrouvés, examinés, choisis pour que le livre soit le plus beau, le plus
juste possible ?

C’est cette exigence, cette justesse, qui fait toute la beauté de vos livres.

Vous êtes présente, à chaque stade de leur élaboration, attentive au
moindre détail de la fabrication, de la maquette, de la mise en page, de la
texture, de la qualité du papier, qui participe, lui aussi, au caractère
exceptionnel de vos chefs-d’oeuvre. C’est un travail d’artisan, de
compagnon, qui met tout son art, toute sa patience, dans la réalisation de
son ouvrage.

Vous avez également fait appel aux plus grands peintres contemporains,
pour illustrer des classiques de notre littérature, et en renouveler la lecture
et la compréhension. Gérard Garouste a ainsi revisité le Don Quichotte de
Cervantès, et, plus récemment, Pat Andrea a livré une nouvelle illustration
du chef d’oeuvre de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles.

L’autoportrait au XXe siècle de Pascal Bonafoux, que vous publiez hors
collection, est un livre superbe, capital, qui expose l’un des thèmes
majeurs de l’histoire des arts plastiques, et éclaire la notion d’individualité
dans l’art, bouleversée au siècle dernier.

Vos livres ne sont pas des adaptations, mais des miracles de dialogues
artistiques, de correspondances esthétiques, au sens baudelairien du
terme, à travers le temps. Et si vous créez des oeuvres exceptionnelles,
rares, vous avez toujours le souci d’aller vers les lecteurs, tous les
lecteurs. Vous avez le souci de la découverte, du partage et des autres.

A
l’heure du zapping, du jetable, de l’éphémère, de ce que Malraux appelait
les « usines de rêve », vous nous offrez ce luxe, qui est d’abord celui de
l’esprit, vous nous offrez la beauté et la rareté, l’exceptionnel et le
précieux.

Diane de Selliers, au nom de la République, nous vous faisons chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres.