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Notre ville est en deuil

Jean Royer !

Notre ville est en deuil.

Les citoyens de Tours, dans l’arc-en-ciel de leur diversité, vous saluent avec une immense émotion. Celle qu’inspirent dans un même élan l’admiration, la reconnaissance et même l’affection, ce qui est rare dans la vie d’une cité, ce qui est exceptionnel dès qu’il est question de vie politique et de responsable public.

Notre pays ressent qu’une grande figure de l’Histoire de France quitte la bataille des idées, des convictions, des projets, des valeurs, des débats salutaires parce qu’enflammés.

Jean Royer, vous avez été un Homme d’Etat proche de chacun.

C’est donc toute une foule rassemblée autour de vous, de votre famille, dans cette magnifique cathédrale, qui souhaite vous dire : Merci.

Une foule dont la beauté, la force et la ferveur sont en fait une fois de plus portées, habitées et inspirées par l’élan, la fougue et la générosité qui étaient les vôtres.

Vous aimiez abolir toute distance, faire vivre à chaque instant notre devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité, arborée comme un blason personnel exigeant le respect dû à chacun, riche ou pauvre, savant ou ignorant, jeune ou vieux, valide ou invalide.

Vous aimiez passionnément convaincre, entraîner, provoquer même pour faire céder les conformismes, les conservatismes, les frilosités.

« Les vents empêchent les eaux du lac de pourrir » disait Thucydide. Le souffle de votre passion a bousculé les uns, galvanisé les autres, impressionné chacun, quelle que soit sa propre conviction, car votre personnalité était vraie, franche, authentique, directe. Vous étiez respecté, car votre caractère était trempé, sincère, ouvert. Même s’il n’était pas facile de vous faire changer d’avis, votre écoute n’était pas une ruse mais un principe éthique, le reflet de votre attachement au peuple, qu’il faut savoir entendre pour mieux le conduire.

Lorsque vous plaidiez pour notre ville, pour un projet qui vous tenait à cur, lorsque vous évoquiez les grands dossiers du monde et les priorités politiques de la France, il était difficile voire impossible de vous dire non, tant vous aimiez pousser le cri d’Antigone:  » tout, tout de suite ou alors je refuse ! »

Travailleur infatigable et doué d’une immense culture, vous connaissiez vos dossiers avec une précision redoutable, qui vous permettait d’avoir préventivement réfuté toutes les objections. Et si vous ne parveniez pas immédiatement à vos fins, vous agissiez directement, ne cédant jamais aux esprits démagogues ou étriqués. Apporter un résultat concret aux Tourangeaux, créer une dynamique positive pour de nombreux Français, étaient des maîtres-mots et des impératifs qui vous permettaient de dépasser contingences et réalités fâcheuses.

Détourner un fleuve, rénover un quartier ancien emblématique, décider de créer une école supérieure, bâtir les fameux pavillons du maire, élargir les frontières de notre ville, promouvoir les équipes sportives, construire un barrage, endiguer le capitalisme financier et commercial, autant d’exemples qui prouvent que rien ni personne ne vous a jamais empêché d’agir, d’entreprendre, de réaliser.

Le vrai ruban rouge de votre Légion d’Honneur, ce sont en fait les innombrables rubans tricolores que vous aimiez couper pour ouvrir une nouvelle réalisation, sans jamais vous arrêter d’imaginer, de lancer, de créer, tant vous ressentiez l’exigence de résultats espérés par vos concitoyens.

Vous n’avez jamais attendu de reconnaissance, même si l’élection – vous avez été Maire pour 6 mandats municipaux et Député pour les 10 premières législatures de la Vème République – a été pour vous plus qu’une juste récompense. La confiance du peuple était pour vous plus qu’une réussite personnelle, c’était un principe vital, une incitation à continuer d’agir, de réformer.

Jean Royer, vous avez magnifiquement incarné les valeurs décrites par le Général de Gaulle dans « le Fil de l’Epée » :

 » Face à l’événement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Son mouvement est d’imposer à l’action sa marque, de la prendre à son compte, d’en faire son affaire. Et loin de s’abriter sous la hiérarchie, de se cacher dans les textes, de se couvrir des comptes rendus, le voilà qui se dresse, se campe et fait front. Non qu’il veuille ignorer les ordres ou négliger les conseils, mais il a la passion de vouloir, la jalousie de décider. Non qu’il soit inconscient du risque ou dédaigneux des conséquences, mais il les mesure de bonne foi et les accepte sans ruse. Bien mieux, il embrasse l’action avec l’orgueil du maître, car s’il s’en mêle, elle est à lui; jouissant du succès pourvu qu’il lui soit dû et lors même qu’il n’en tire pas profit, supportant tout le poids du revers non sans quelque amère satisfaction. Bref, lutteur qui trouve au-dedans son ardeur et son point d’appui, joueur qui cherche moins le gain que la réussite et paie ses dettes de son propre argent, l’homme de caractère confère à l’action la noblesse; sans lui morne tâche d’esclave, grâce à lui jeu divin du héros. »

Votre voix résonne dans nos curs malgré le silence de la mort.

Les grandes orgues étaient pour vous le passionné de politique un instrument familier, où vous saviez parfaitement jouer de tous les registres et de tous les claviers avec comme seule partition, la fougue, la foi, le travail, la ferveur.

Lorsque vous montiez à une tribune sans notes, chacun célébrait la virtuosité de votre talent, fruit d’une grande réflexion nourrie par l’Histoire, mais aussi enrichie par la multitude des contacts directs, simples, chaleureux que vous saviez avoir dans la rue, dans votre bureau, sur un chantier, dans un atelier, à 6 heures du matin, comme tard le soir.

Chez vous, l’autorité et la responsabilité n’allaient pas de pair avec l’éloignement, la distance ou le mépris. Votre vision stratégique était enrichie par les échanges quotidiens et chaleureux avec le peuple de Tours, le peuple de France, qui ressentaient pour vous un vrai respect, même s’ils conservaient, comme chaque Français digne de ce nom, leur liberté de critique citoyenne !

Lorsque nous recevions vos paroles, vous faisiez de nous, non pas de simples auditeurs, subjugués par votre talent oratoire, mais d’authentiques combattants. Je n’utilise pas le terme de militant car il fait référence aux partis que vous n’avez jamais vraiment aimés, sauf lorsqu’il s’est agi d’être au côté du Général de Gaulle au sein du Rassemblement du Peuple Français.

Jean ROYER, vous avez aimé l’indépendance et la liberté parce qu’il s’agissait pour vous d’un moteur vital, de votre oxygène politique, de votre éthique et de votre manière personnelle de suivre l’exemple du Général de Gaulle.

Vous avez toujours choisi vos équipes avec le souci de l’authentique, de l’humain, avec la recherche inlassable d’hommes et de femmes, disponibles, ouverts, généreux. Vous avez aussi attiré de nombreuses personnalités fortes venues de larges horizons de la société, réunies et mobilisées par votre capacité d’entraînement et votre goût de l’action concrète et du résultat.

Personne de l’extérieur n’était en mesure de vous imposer quoi que ce soit ! Votre légendaire répartie était une sorte d’arme préventive !

En vous remettant la légion d’honneur le 3 mars 1988 à l’Assemblée nationale, Alain Peyrefitte a rappelé cette réplique extraordinaire. En réunion publique, on vous demande un jour : « mais alors, si vous êtes élu, où allez-vous siéger dans l’hémicycle ? » Et vous répondez du tac au tac : « si on ne me donne pas de siège, je resterai debout. »

Vous avez été un enseignant, un maire, un député, un ministre, un homme, debout.

Exigeant pour lui-même. Exigeant pour répondre aux attentes de son prochain. Exigeant pour faire rayonner Tours et la Touraine. Exigeant pour incarner la fierté française.

Dans le même discours, Alain Peyrefitte rappelle un extrait des paroles du Général de Gaulle à Tours en mai 1958 devant 30 000 personnes : « Nous continuons de faire notre devoir; nous l’avons toujours fait. Et quand on nous fermera les yeux, nous ne demanderons pas d’autre récompense ».

Vous saluer aujourd’hui, c’est essayer de porter haut le sens du devoir, de l’honneur, du travail, du dévouement, de l’intérêt général. C’est faire vivre votre mémoire pour continuer le chemin de l’action sans être un chaînon manquant.

Vous saluer aujourd’hui, c’est vous dire merci.

Pour ce que vous avez été. Pour ce que vous resterez pour nous. Une personnalité forte, hors du commun, passionnée, humaine et enracinée dans les valeurs de notre République et de notre terre.

Un élu, un ministre dont nous avons été et resterons fiers.

Le vrai tombeau des morts, c’est le cur des vivants. Jean Royer nous vous aimons.

Pour vous dire personnellement merci, vous qui m’avez dit au pied de ma permanence de la rue Nationale avec chaleur et gravité « je vous serre la main » le soir où je vous ai succédé à l’Assemblée Nationale, j’ai choisi dans l’Anthologie de la Poésie Française du Président Pompidou, qui vous a fait 2 fois ministre, quelques vers d’Apollinaire :

« …
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention
De l’Ordre de l’Aventure

Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure

Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons nous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité

Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l’illimité et de l’avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés

Voici que vient l’été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
O Soleil c’est le temps de la raison ardente
Et j’attends

Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu’elle prend afin que je l’aime seulement
… »

2 Réponses à “Notre ville est en deuil”

  1. Léandre Pourcelot a écrit:

    Jean Royer vient de nous quitter après un lent effacement. Sa disparition est ressentie douloureusement par tous ceux qui l’ont connu. Il a été un homme au tempérament bien trempé qui avait une ambition pour sa ville, pour les tourangeaux et pour la France.
    Il était porteur de dynamique et d’espoir. Il savait convaincre et aller jusqu’au bout de ses idées. Les tourangeaux lui doivent beaucoup et saurons se souvenir de ce véritable homme d’état qui les a guidés pendant de nombreuses années.

  2. JFS a écrit:

    Bel éloge mérité pour M. Jean Royer. Il restera pour beaucoup le Maire de Tours qui aura compté pour sa ville !

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