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Agir c’est partager la fierté

Posted By admin2011 On 9 novembre 2010 @ 10:38 In Blog | 4 Comments

Remise du prix « Doha Capitale Culturelle Arabe » à Abd Al Malik et Renaud Donnedieu de Vabres

Monsieur l’Ambassadeur, cher Mohamed, Madame la Directrice Générale de l’UNESCO, chers amis,

Remercier le Qatar pour l’honneur qui m’est fait, te remercier, cher Mohamed, de m’avoir permis d’exprimer mon admiration et mon affection à un grand artiste français, Abd Al Malik, en liant nos sorts, grâce à ce prix, autour du commun culturel entre le monde arabe et la France, c’est affirmer une volonté, c’est tout simplement agir.

C’est bâtir un véritable arc en ciel, où se conjuguent les talents, les origines, les perspectives, les contraires et les différences, au lieu de laisser s’antagoniser les peurs, les rancurs, les mépris et les haines, qui sont la réponse de plus en plus ordinaire et banale à la crise, le terreau nauséeux dans lequel prospèrent intégrisme, fanatisme et racisme.

C’est construire le « monde-pont » cher au grand poète arabe, Adonis, que je cite :
« Le MONDE-PONT est pareil à la poésie, nous emportant loin de nous-mêmes pour nous rendre plus proche à la fois de notre être profond et des autres. Il est symbolisé géographiquement et culturellement par notre Méditerranée, notre mer-mère commune dont je crois voir les deux rivages se rencontrer dans l’acte de création comme se rencontrent les deux lèvres, ou comme se nouent les deux bras autour d’un même corps, une création qui dit à chacun de nous : tu seras toi-même seulement dans la mesure où tu seras l’autre. »

Agir, c’est partager la fierté, c’est faire rayonner le meilleur de chacun, c’est ouvrir la dynamique de la fraternité par l’hospitalité des lieux, l’audace de la rencontre, la morale de l’énergie, de la création, de la découverte, du respect. Il faut vivre les lieux, incarner les fonctions, habiter les symboles. C’est cela qui porte leur énergie initiale au paroxysme.
Dire cela, à l’ambassade du Qatar, c’est naturellement célébrer l’uvre de Pei et de Jean-Michel Wilmotte pour la création du Musée d’Art Islamique de Doha, c’est attendre avec impatience celle de Jean Nouvel, à Doha pour le Musée National du Qatar.

Mais c’est aussi pour moi évoquer la couverture de la cour Visconti du Louvre qui accueillera grâce à Rudy Ricciotti un magnifique département des Arts de l’Islam, c’est rendre concrète la présence de notre premier Musée National à Lens comme à Abu-Dhabi, c’est se rappeler avec joie et émotion, Cher Abd Al Malik, l’ouverture du Grand Palais aux cultures urbaines ! « Rue au Grand Palais » Ce n’était pas une provocation mais une main tendue. Une réconciliation…

C’est là que nous nous sommes connus, un an après les violences qui avaient marqué les banlieues, où j’avais voulu dédier l’un de nos phares les plus emblématiques de la fierté française à la jeunesse, au rap, au hip-hop, au skate, au graff, aux battles pour que tous ensemble, quelle que soit notre couleur de peau, notre religion ou notre vie personnelle, nous puissions vivre joyeusement notre devise républicaine.

Vous m’avez dédicacé une photo de votre concert avec cette légende maxime :
« Dans le jardin, les fleurs sont multiples, mais l’eau est une . »
« Nous sommes tous issus de la même lumière. »

Evoquer tout cela grâce à toi, cher Monsieur l’Ambassadeur, cher Mohamed, ce n’est pas ressentir une bouffée de nostalgie.
Bien au contraire. C’est prendre l’engagement d’avoir en permanence de beaux réflexes, à chaque fois qu’une perspective se dégage, qu’un choix est à faire, qu’une option est à retenir.

Faire vivre la diversité, c’est chanter le respect, créer de vraies passerelles entre les cultures, entre les époques, entre les religions. Ce n’est pas une posture à éclipses liée aux responsabilités temporaires. C’est une respiration quotidienne. Ce doit être un réflexe exigeant, une ambition permanente.
C’est certainement également une urgence, si l’on veut éviter les incendies, les engrenages et les violences. Cela doit concerner ainsi bien les écoles dans les quartiers de nos villes que les palais prestigieux.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, pour l’ouverture du nouveau Royal Monceau, propriété du Qatar, j’ai été heureux et fier avec Alexandre Allard de pouvoir accueillir dans la galerie Art District, première du genre dans un palace à Paris, l’uvre de Jean-Michel Basquiat, grâce au concours amical d’Enrico Navarra, fier et heureux que les photos exposées dans les chambres soient un voyage dans la création mondiale.

C’est ainsi que si nous avons l’honneur de nous occuper de l’avenir de l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde, nous y ferons une Villa Medicis qui, dans un même élan fera rayonner les talents français et s’ouvrira sur le monde en étant le point de rencontre des mécènes, des fondations, des artistes, des maîtres d’art, des collectionneurs et des amateurs d’art de tous les pays.

Cette main que nous devons tendre, ce cur que nous devons tous ouvrir, c’est partout où cela est possible.

Le prix que vous nous remettez, Monsieur l’Ambassadeur, met en lumière la volonté particulièrement forte des autorités du Qatar de bâtir la paix et le développement sur l’intelligence, l’éducation, la culture, le respect du passé, des traditions mais aussi la fièvre et l’audace de l’avenir.

Arc électrique des sensibilités et des libertés.
Arc en ciel des talents.
Dialogue des racines, de l’énergie et de la création.

Autant de valeurs et de symboles que porte comme un étendard avec panache Abd Al Malik.

Aujourd’hui où sort votre nouvel album, « Château Rouge » et quelques jours après avoir reçu le prix « Edgar Faure » pour votre livre « la guerre des banlieues n’aura pas lieu », publié aux éditions du Cherche Midi, j’ai choisi de vous citer, j’allais dire d’essayer de vous déclamer tant vos propos sont à la fois un chant, un hymne et une devise !
Je vous ai entendu dire dans une interview cette phrase magnifique et courageuse : « je ne constate pas l’obscurité, j’allume une bougie ».

Voici le texte de l’homme engagé, de l’artiste exceptionnel que vous êtes et que le Qatar met aujourd’hui à l’honneur grâce à une belle complicité qui me relie à vous, Monsieur l’Ambassadeur, ou plutôt qui me relie à toi, cher Mohamed.

« Comment faire pour que, dans un monde globalisé, sur un globe mondialisé, chacun de nous puisse être un, sans se défaire de sa différence singulière qui fait le multiple dans l’un et la beauté du lien ?

Je parle de donner une âme au village global.
Donc, si je parle de moi, je parle de ma cité.
Et si je parle de ma cité, je parle de la France.
Et si je parle de la France, je parle de l’Europe.
Et si je parle de l’Europe, je parle de l’Afrique.
Et si je parle de l’Afrique, je parle du monde.
C’est par ce que ce qui est vrai pour un être est vrai pour un pays.
Et ce qui est vrai pour un pays est vrai pour l’Humanité.
Maintenant, imaginez un être sans âme…
Imaginez un être sans vertu.
Imaginez un être sans générosité, un être sans principe, un être sans éthique, un être sans bravoure, un être sans justice, un être sans regret, un être sans respect, un être sans cause, un être sans rai
son, un être sans mémoire, un être sans sagesse, un être sans savoir, un être sans devoir, un être sans art, un être sans musique, un être sans mystique avec ou sans Dieu.
Imaginez un être sans cur, un être sans amour.
Imaginez un être-animal féroce, drapé dans les oripeaux de l’humanité.
C’est peut-être moi, c’est peut-être vous, c’est peut-être nous, et nos actes témoignent toujours, pour ou contre nous-mêmes.

L’histoire, ou le cheminement, d’un individu particulier est notre histoire à tous,
puisque l’on pleure tous salé,
puisque l’on saigne tous rouge.
L’événement historique est à l’anecdotique ce que le tremblement de terre est au battement des ailes d’un papillon.

C’est le pourquoi de mon récit,
et les questions que se posent – et que nous posent ! – mes personnages sont des réponses que je me suis moi-même donné à force de vivre.
Pour me bouger, pour me lever et essayer d’atteindre l’inaccessible étoile.
Les plus grands voyages commencent toujours par le premier pas…

Je parle de ma voix, je pars de ma voie, celle que j’ai choisie pour être moi, pour être en paix avec moi
et avec les autres, puisque nous devons vivre ensemble.
Voilà mon propos : c’est à chacun de trouver la voie qui lui correspond pour une solution commune.
Et je témoigne simplement, je parle de la réalité de ma voie.
Je parle de la vérité d’un Islam vécu dans le cadre d’un cheminement harmonieux, humblement et authentiquement spirituel.
Et si l’humanisme est la nécessité du collectif et le respect de l’individu, alors l’Islam est un humanisme.
Mais, encore une fois, à chacun sa voie !
Ce sont les mêmes objectifs que l’on doit avoir en partage.
Objectif commun et règle de vie commune : Liberté, Egalité, Fraternité.
C’est la République qui donne le cadre dans lequel chacun pourra sainement trouver sa voie.
C’est la République qui orchestre la concordance des différences.
Etre universel, c’est s’appuyer sur des références peut-être différentes, mais avoir les mêmes idéaux.
Il ne s’agit pas de trouver le remède miracle mais de trouver l’harmonie, entre nous, afin que nous puissions tous ensemble trouver des solutions.
Et l’orage a beau gronder de plus en plus fort de l’autre côté du périphérique, je ne cherche qu’à atteindre celui qui gronde à l’intérieur de moi.
Parce que les lieux ne sont que des métaphores des êtres qui y vivent.
J’insiste. Comprenez bien : un message de paix dans les banlieues est un message universel.
Si vous n’avez pas compris mon récit, voilà ce qu’il signifie !

Qu’on se reconnaisse ou pas, on est tous ces jeunes dans ces cages d’escaliers, tous ces fidèles qui sortent de la mosquée, tous ces jeunes diplômés au chômage, tous ces jeunes qui crachent leur douleur et leur rage dans des disques de rap, tous ces parents brisés par la vie (et accablés par tous ceux qui ergotent sur leur prétendue démission) : puisque nous sommes tous objectivement la France !
Mais on en flicaille certains, toujours les mêmes, pour être sûr, pour vérifier s’ils correspondent à une identité nationale qu’on peine à définir, qu’ils instrumentalisent pour parler de l’immigration, des banlieues et de l’Islam.

Cest l’arbre qui cache la forêt de la crise, de la solidarité qu’on délocalise au fin fond de l’oubli en même temps que les entreprises qui ferment, en même temps que tous ceux qui, avec tout ça, finiront par crever pour de bon.
Et tout va tellement vite…

La crise économique n’est qu’une conséquence d’une crise bien plus profonde.
C’est l’Humanité qui est en crise.
Vidée de l’intérieur, elle devient avide à l’extérieur, monstrueuse et sans cur.
On est par rapport à ce qu’on a.
Les centres-villes représentent le Nord et l’Occident,
Et les banlieues le Sud et les damnés de la terre.
Ce qui est vrai pour un être est vrai pour le monde, on est d’accord.
Si l’on arrive à pacifier l’être, à résoudre cette crise intérieure, à combler ce vide essentiel, on aura les outils au-dedans pour que le changement se fasse au-dehors.
Brandir la littérature comme on brandirait un fusil et tirer en l’air : PAN ! J’ai votre attention ?
S’arrêter un instant, s’asseoir sereinement sous l’arbre à parole.
Ecouter, donc, et prendre de la distance tout en étant là, tout en restant là.
De la tenue…intellectuelle, de la retenue…émotionnelle.
Et témoigner, partager, s’apaiser les uns les autres, apaiser les uns et les autres.

La banlieue sera peut-être demain le lieu du début et de la fin de la quête de tous ceux qui sont à la recherche de la paix perdue.
Ces quartiers, que l’on accuse d’être à l’origine de tous les maux qui gangrènent notre société, seront peut-être le lieu où tous viendront chercher le salut.
Et parce que le spirituel ne se traduit pas nécessairement par du religieux, alors, c’est sûr, tout le monde s’y rendra dans cette cité qui sera redevenue alors un peu grecque…
C’est ce à quoi je m’attelle, ce qui me met en mouvement en tant qu’homme, en tant qu’artiste et en tant que citoyen.
La guerre des banlieues n’aura pas lieu… (insh’Allah !)


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