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A Buchenwald, respecter les morts c’est se poser la question : qu’aurais-je fait ?

Posted By admin2011 On 11 avril 2010 @ 02:34 In Blog | 5 Comments

Le souvenir doit forger la volonté. Pour aujourd’hui et pour demain.

Le vrai tombeau des morts, en ce 65ème anniversaire de la libération du camp de Buchenwald, c’est le cur des vivants.

Le respect que nous devons à la mémoire des victimes de la barbarie nazie doit s’accompagner d’une question simple et brutale : qu’aurais-je fait ?

On ne partage jamais vraiment la douleur, on ne peut totalement imaginer l’atrocité de la vie quotidienne dans un camp malgré les témoignages poignants des survivants – cette cuillère de soupe que chaque affamé savait donner à plus moribond que lui – on n’arrive qu’ « après » à comprendre l’engrenage implacable de l’horreur voulue, du projet politique abject conduit avec la précision des tenants de l’enfer.

Alors, pour faire silence, pour nous recueillir, pour célébrer l’héroïsme quotidien des détenus des camps, pour faire triompher la vérité sur les falsifications de l’Histoire, pour affronter l’extrémité monstrueuse de l’homme qui rode et guette ses nouvelles proies, à nous les générations de la liberté et de la démocratie – que nous avons reçues en héritage – d’avoir l’exigence permanente de la lucidité crue et du vrai courage : Aurais-je su dire « non », au péril immédiat de mon intérêt voire de ma vie. Aurais-je été résistant ? Aurais-je tenu sous la torture ? Serais-je resté un homme là où l’on voulait faire de moi un animal ? Aurais-je trouvé l’énergie de consacrer le peu de force disponible à aider mon prochain à survivre ou à mourir dans mes bras ?

Ces interpellations ne doivent pas être des gestes à éclipses, des remords cantonnés au temps de la mémoire.

Elles doivent vivre en nous à chaque instant de notre vie.

C’est la seule manière d’apaiser la souffrance des survivants.

Pour qu’ils puissent le moment venu dormir en paix, nous devons leur donner la certitude de notre combativité permanente, de notre inlassable volonté de ne rien tolérer dès que s’enclenche l’engrenage de la barbarie.

Sur nos fronts, mais surtout dans nos crânes le « plus jamais çà » doit être le réflexe que nous offrons aux morts, aux rescapés, à leurs familles.

Il y a le soleil de la mémoire vivante. Il console, il apaise, il réconcilie. Il est le regard de l’amour de son prochain. Il est la fête de la vraie fraternité. Il donne au plus profond de soi la force de l’humanisme. Il est un élan créateur, un dépassement de soi, une nouvelle page d’histoire qu’ensemble nous devons écrire.

Il y a la lumière de la vérité. Elle doit guider nos pas dans la recherche permanente du juste, de l’humain, de l’humaniste, de l’équitable, du civilisé.

Ne rien oublier, mais construire.
Ne rien excuser, mais agir.
Ne rien pardonner, mais nous engager.

C’est pour aujourd’hui notre devoir.

Dans cette capitale européenne de la culture, dans la ville de Goethe et de Schiller, de Bach et de Liszt, au cur de cette Europe qui porte de nouveau comme un magnifique étendard les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, devant cette stèle à la mémoire des morts de Buchenwald, devant vous les rescapés et les familles des déportés, affirmer notre détermination à transmettre la mémoire et à construire la paix, la garantir, la protéger est un serment que nous avons l’obligation morale de prendre. Ensemble. Tous ensemble.

Le rappel de l’égale dignité des cultures, des religions, de l’absolue égalité des êtres humains, est le nouveau refrain du chant des partisans que nous devons chanter avec force face aux engrenages des fanatismes, des intégrismes, des racismes qui resurgissent comme d’immondes survivances de la barbarie de la 2ème guerre mondiale.

Dans l’arc en ciel des opinions et des projets politiques que toute grande démocratie a la fierté de garantir comme un bien sacré, l’Europe humaniste et culturelle est une urgence parce qu’elle est une affirmation positive de valeurs, un refus de l’anéantissement de la dignité humaine.

C’est parce que nous avons extirpé cette bête immonde qui a souillé le sol européen que notre responsabilité est lourde, immédiate et sans concession.

Je le dis devant les vétérans américains auxquels nous devons notre liberté pour leur témoigner reconnaissance et affection.

Pour nous aider à faire ce parcours avec l’allégresse et l’énergie nécessaires, je souhaite que Schiller, Victor Hugo et Goethe nous entraînent par leurs mots sur les chemins du respect, de la mémoire, de l’amitié entre les peuples scellée solidement par la réconciliation franco allemande afin que se réalisent leurs prophéties magnifiques.

Hymne à la joie de Schiller :

« Mes amis, cessons nos plaintes !
Qu’un cri joyeux élève aux cieux nos chants
de fêtes et nos accords pieux !
Joie !
Joie ! Belle étincelle des dieux
Fille de l’Élysée,
Nous entrons l’âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Tes charmes relient
Ce que la mode en vain détruit ;
Tous les hommes deviennent frères
(original de Schiller :
Ce que l’épée de la mode sépare;
Les mendiants seront frères avec les princes)
Là où tes douces ailes reposent.
Que celui qui a le bonheur
D’être l’ami d’un ami ;
Que celui qui a conquis une douce femme,
Partage son allégresse !
Oui, et aussi celui qui n’a qu’une âme
À nommer sienne sur la terre !
Et que celui qui n’a jamais connu cela s’éloigne
En pleurant de notre cercle !
Tous les êtres boivent la joie
Aux seins de la nature,
Tous les bons, tous les méchants,
Suivent ses traces de rose.
Elle nous donne les baisers et la vigne,
L’ami, fidèle dans la mort,
La volupté est donnée au ver,
Et le chérubin est devant Dieu.
Heureux, tels les soleils volent
Sur le plan vermeil des cieux,
Courrez, frères, sur votre voie,
Joyeux, comme un héros vers la victoire.
Qu’ils s’enlacent tous les êtres !
Un baiser au monde entier !
Frères, au plus haut des cieux
Doit habiter un père aimé.
Tous les êtres se prosternent ?
Pressens-tu le créateur, Monde ?
Cherche-le au-dessus des cieux d’étoiles !
Au-dessus des étoiles il doit habiter.
Joie ! Belle étincelle des dieux
Fille de l’Élysée,
Soyez unis êtres par million !
Qu’un seul baiser enlace l’univers ! »

Discours du congrès de la paix prononcé par Victor Hugo en 1849

« Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la Diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France ! (Applaudissements.)
Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être ! (Rires et bravos.) Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique, les Etats-Unis d’Europe (Applaudissements), placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu !(Longs applaudissements.)
Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle.
Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer. »

Dans cette forêt de hêtres, ce Buchenwald devenu par la faute de l’homme le siège de l’enfer le plus monstrueux, puissions nous faire nôtre avec allégresse et volonté ce vers magnifique de Goethe « Kennst du das land wo die zitronen blühen ? »

Vive notre mémoire active ! Vive l’amitié franco-allemande ! Vive l’Europe de la paix et de la fraternité ! Nous vous le devons…


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