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Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Yannick Alleno

Cher Yannick Alléno,

En vous honorant aujourd’hui, c’est un parcours exceptionnel que j’ai tenu
à mettre en lumière ; car vous avez conquis très vite, à un âge que l’on
peut sans hésiter qualifié de jeune une reconnaissance nationale et
internationale pour votre place de tout premier plan dans le monde de la
haute cuisine ; c’est aussi un parcours emblématique, celui d’un chef qui
incarne cette tradition, cette culture de la cuisine, qui fait intégralement
partie de notre patrimoine et qui, au-delà même de la réputation, de
l’image, incarne à merveille l’excellence, le savoir-faire, l’art de vivre le
rayonnement culturel et artistique de notre pays dans le monde entier.

Oui, c’est non seulement un chef, un artisan, un grand professionnel, un
très grand cuisinier, que je mets à l’honneur, mais surtout, un véritable
artiste, maître de son art, car la cuisine est assurément l’un des beaux-arts,
art plastique, art du goût, art des saveurs ; variant la tradition et la création.

Et vous culminez aujourd’hui avec brio dans cet art, cette harmonie du
choix des produits, de la justesse de cuisson, de la beauté des
présentations, de l’émotion presque indicible de la dégustation réussie,
quand une recette, un plat, créés, interprétés par vous et votre équipe,
sous votre direction, racontent une histoire unique, à mille autre pareille, à
celui ou celle qui a la chance, le plaisir et la joie de la découvrir et de la
partager.

Et le récit, que vous interprétez avec tant de talent sous les ores, les stucs
et les marbres du Meurice, non loin d’ici, face au jardin des Tuileries,
s’enracine sans doute profondément dans le terroir de la Lozère de votre
enfance, dans ces hautes terres où l'on sait affronter à la nature pour en
tirer la force de travail, le meilleur d'elle, de soi, autour de la table garnie de
votre grand-mère Zélie, qui tient, là haut sur les causses, un bar-épicerie-dépôt
de pain, où vous faites vos premières armes et où, déjà, la cuisine
est resté au centre de tout. Puis, ce sont vos parents qui vous rapprochent
de Paris, de sa banlieue, des bars-tabacs restaurants, Suresnes,
Montrouge, Montreuil, Puteaux, où, la tarte au prune de votre mère fait déjà
des merveilles.

La cuisine est votre royaume. A l’âge des culottes courtes, des rêves
d’aventures, où vos petits camarades veulent être Pompiers, Platini ou
rien, vous voulez déjà vous coiffer d’une toque blanche, ornée d’un liseré
bleu blanc rouge.

Les mises en garde que vous prodiguent vos parents sur ce qu’il en coûte
de sacrifices, d’énergie, de travail pour en arriver là ne vous découragent
pas, bien au contraire.

C'est après un CAP et un BEP à l’excellente section hôtelière du lycée
professionnnel Santos Dumont de Saint Cloud, que vous commencez
votre apprentissage, d'abord en pâtisserie avec Jacky Fréon, à l'Hôtel
Lutétia – prochainement dévolu à être classé au titre des Monuments
Historiques – , puis à l'hôtel Royal Monceau où vous travaillez en cuisine,
auprès de Gabriel Biscay (meilleur ouvrier de France 1982).

En 1990, vous devenez chef de partie à l’hôtel Sofitel Sèvres, auprès de
Roland Durand (meilleur ouvrier de France 1982) puis de Martial
Henguehard (meilleur ouvrier de France 1992).

Deux ans plus tard, vous entrez pour la première fois à l'Hôtel Meurice,
toujours comme chef de partie, auprès de Marc Marchand.

En 1994, vous remportez la première place au prestigieux prix
international Auguste Escoffier à Nice. Vous devenez, la même année,
adjoint chez Drouant de Louis Grondard (Meilleur Ouvrier de France
1979). Il sera votre maître. Il vous initie, pendant 5 ans, aux secrets les
mieux gardés de la grande cuisine et notamment celui-ci : ce qui est
primordial, dans un plat réussi, c’est ce qui ne se voit pas, cette somme
de détails, d’expériences accumulées, d’attentions cachées, de
précisions, d’exigences, de rigueur millimétrée, qui garantissent le
meilleur.

A l'occasion du concours des Bocuses d'Or, qui est à l’art de la cuisine ce
que le prix Nobel est aux sciences physiques, vous obtenez un Bocuse
d'argent. Vous voilà donc, en quelque sorte, vice champion du monde
culinaire, pour un lieu noir et un pigeon à votre manière.

Dès lors, vous abordez la voie royale.

Aidé et soutenu par Paul Bocuse, vous vous retrouvez pour la première
fois à la tête d'un restaurant, « Les Muses » à l’Hôtel Scribe.

Là, seul maître à bord, vous donnez toute votre dimension, toute votre
envergure, toute votre ambition, au service d’une cuisine structurée qui
assume avec fierté, en les adaptant avec subtilité, son héritage, son
patrimoine, ses traditions. Vous rejoignez la constellation des chefs étoilés
au guide Michelin en obtenant, dès 1999, votre première étoile.

En septembre 2003, le Meurice, entièrement rénové ouvre ses portes.
Vous vous retrouvez ainsi, des années après, en tant que chef de cette
maison d’exception, luxueuse et prestigieuse, où l’attention portée au
client et la qualité des produits et du service vous guident constamment.

Très vite, vous imposez votre forte personnalité, votre technique culinaire
sans défaut et votre incomparable talent.

En août 2004, grâce à une carte en perpétuelle évolution proposant, au
gré des saisons, des plats aussi différents que le homard bleu piqué à la
verveine, le grenadin de veau fermier, le chaud-froid de sole, la gelée de
bulots aux langues d’oursins, ou encore la guimauve à la Chartreuse
verte, vous décrochez une autre étoile. Seconde étoile pour vous,
seconde étoile pour le Meurice !

Dès 1995, lorsque vous présentez à Louis Grondard chez Drouant, votre
crème d’écrevisse au vin de Condrieu, il s’exclame que c’était un plat de
trois étoiles…

En 2007, vous obtenez la consécration suprême en obtenant cette
troisième étoile. C'est évidemment un rêve magnifique de cuisinier, c’est
une source de fierté pour vous et tous ceux qui vous ont fait confiance et
vous admirent, comme votre épouse Isabelle et vos fils Thomas et
Antoine, c’est aussi la récompense des efforts et des talents que vous
avez su fédérer, entraîner, stimuler autour de vous, dans cette
somptueuse maison.

C’est en dialoguant avec une célèbre gastronome japonaise, Kazuko
Masui, que vous dévoilez une part de votre personnalité et de votre art
dans le magnifique ouvrage que vous avez publié avec elle chez Glénat,
4 saisons à la table n° 5. Et, pour nous mettre l’eau à la bouche, avant le
succulent buffet que je vous remercie de nous avoir préparé, j’ajoute enfin
que vous avez, me dit-on, le projet de préparer un nouveau livre avec une
étoile qui s’est illustrée, elle, dans un autre domaine artistique…

Aujourd'hui, je suis particulièrement fier de vous conférer une nouvelle
étoile, celle qui symbolise l’accession au grade de chevalier dans l’ordre
des arts et des lettres.

Cher Yannick Alleno, au nom de la République, nous vous faisons
chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres.

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