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Remise des insignes de Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Anatoli Vassiliev

Cher Anatoli Vassiliev,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui, pour saluer en vous plus
qu'un metteur en scène, plus qu'un pédagogue, une figure majeure du
théâtre contemporain. Vous qui tenez tant à rendre aux mots leur place
essentielle dans l'expression dramatique, vous défiez le vocabulaire quand
il s'agit de définir votre place, votre rôle et votre aura dans l'histoire du
théâtre de notre temps.

Il y a du roman dans votre vie. D'abord chercheur dans un institut de chimie
en Sibérie, puis embarqué à Vladivostok à bord d'un navire de recherches
océanographiques, vous accostez enfin à l’Académie d'Art Dramatique de
Moscou, pour y apprendre le théâtre.

Formé aux méthodes de Stanislavski, emporté par Antonin Artaud, et
affirmé à l'épreuve de Pirandello, Dostoïevski ou Pouchkine, mais aussi de
Platon, Homère ou Molière, vous êtes le défricheur d'une voie nouvelle
dans le passionnant domaine de la direction d'acteur.

Après des débuts nomades, sans point d'attache, votre troupe pose
finalement ses valises, grâce à Youri Lioubimov, au théâtre Taganka, à
Moscou. Vous y fondez en 1987 votre théâtre école, modèle unique de
recherche et d'expérimentation pour une nouvelle esthétique théâtrale.

Dans votre « laboratoire », les comédiens ne répètent pas un rôle, mais
explorent une méthode.

Vos recherches font rapidement le tour du monde, et comédiens et
metteurs en scène arrivent de tous les pays pour participer à vos ateliers et
à vos séminaires.

Vous nous avez fait l’honneur de fixer dans notre pays de grandes étapes
de votre glorieux parcours. Familier du festival d’Avignon, vous êtes l’un de
ces grands noms qui ont contribué à faire de cette ville la capitale mondiale
du théâtre.

Le public français vous y découvre, en 1988, avec Six personnages en
quête d'auteur, de Luigi Pirandello. Vous y revenez, depuis, régulièrement,
pour servir les grands textes et créer les célébrations visuelles dont vous
avez le secret et l'incomparable maîtrise. Et parmi elles, Médée-Matériau,
de Heiner Müller, avec votre actrice fétiche, Valérie Dréville, a assurément
marqué tous les esprits. L’année dernière, vous avez investi un lieu à votre
démesure, la carrière Boulbon, pour livrer deux vastes fresques, Mozart et
Salieri, Requiem, de Pouchkine, et une mise en scène grandiose de l’Iliade,
fruit du travail de nombreux ateliers à travers le monde, de l'Italie au Japon.

Vous avez illuminé nos scènes les plus emblématiques, la Comédie
Française, en 1992, à l'invitation d'Antoine Vitez, pour Le Bal masqué de
Lermontov ; La Cartoucherie, en 1998, chez Ariane Mnouchkine, pour
l’une de vos grandes réalisations, Don Juan ou le convive de pierre,
mémorable, d'après Pouchkine.

Chacun de vos spectacles est une nouvelle expérience. Nous sommes
donc impatients de découvrir, dans quelques jours, aux Ateliers Berthier,
votre dernière création, Thérèse philosophe, nouveau fruit de votre
recherche incessante sur les formes dramatiques, dont Valérie Dréville,
qui poursuit avec vous un travail de longue date, restituera, j’en suis sûr,
comme nulle autre, les moindres intentions.

Votre présence dans le paysage théâtral français s'étend aussi à la
formation supérieure : vous êtes le responsable pédagogique du
« Département de formation et de recherche à la mise en scène » de
l'École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, depuis
son ouverture, à Lyon, en octobre 2004.

« Je ne suis libre ni de moi-même, ni de mon théâtre, ni de ma patrie »,
avez-vous dit.

Vous incarnez pourtant, à mes yeux, un créateur, un chercheur et un
passeur authentiquement libre, qui a fait du théâtre le langage même du
monde.

Anatoli Vassiliev, au nom de la République, nous vous remettons les
insignes de Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

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