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Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre National des Arts et des Lettres à Christine Spengler

Posted By admin2011 On 27 mars 2007 @ 14:47 In Discours 2007 | No Comments

Chère Christine Spengler,

Ce soir, en recevant ici, au ministère de la culture et de la communication,
la journaliste exceptionnelle et la photographe de renom que vous êtes,
c'est le talent, la compétence, l'engagement d'une vie que je salue. Mais
c'est avant tout à une lumière, à cette lumière que vous portez depuis le
début de votre carrière, à cette lumière par laquelle on distingue vos
clichés entre tous, que je veux rendre hommage. Cette lumière, vous
venez, depuis maintenant plus de trente ans, la porter sur tous les théâtres
d'ombres de notre temps, sur les obscurités, les nuits, les silences et les
drames de nos sociétés, et vous continuez de soumettre les contradictions
et les compromissions de notre époque à cette lumière cruelle, et pourtant
si belle et si nécessaire.

Votre vocation de photographe – car c'en est une – naît avec votre goût du
risque et de l'inconnu, lors d'un voyage mouvementé au Tchad. Partie à la
découverte des rebelles insurgés au Tchad avec votre frère Eric, qui vous
a offert votre premier appareil, vous êtes pris en otage pendant quelques
jours, puis libérés. La révélation que vous apporteront ces quelques jours,
vous la résumerez en ces quelques mots : "Désormais, je serai du côté des
opprimés. Je serai correspondante de guerre." Vaste programme, que vous
allez mettre à exécution immédiatement, avec une ferveur, un talent et un
succès qui ne vous quitteront plus.

Depuis cette année 1970, vous avez connu toutes les guerres, tous les
conflits, toutes les tragédies qui ont marqué cette fin de millénaire. Vos
clichés d'Irlande du Nord, du Cambodge, du Vietnam, font rapidement le
tour du monde, jetant parfois brutalement toute la lumière sur des drames
oubliés du monde entier, laissés dans l'ombre, dans l'indifférence. Votre
témoignage en noir et blanc ne laisse personne indifférent ; ce n'est pas le
succès qui vous intéresse, vous qui avez assez de familiarité avec le risque
et avec la mort, pour savoir que la réussite n’est sans doute pas une valeur
en soi. Mais la notoriété que vous avez conquise vous permet de porter
cette lumière partout où vous allez – et de fait, vous allez partout.

Toujours
présente aux côtés des opprimés et des victimes, vous serez
successivement femme voilée en Iran, recouverte du tchador, pénétrant
jusque dans la maison de l'imam Khomeiny ; puis prisonnière au Liban,
accusée d'espionnage par des combattants antisionistes ; puis, plus
récemment, une femme d'Irak parmi tant d'autres, témoignant du martyre
des civils qui constitue la réalité quotidienne d'un conflit extrêmement
meurtrier. Lorsque vous partez pour un reportage, c'est toujours pour
explorer sur le terrain, pour "aller au front", comme vous le demandiez
ingénument à Horst Faas, patron de l'Associated Press au Vietnam, un soir
de 1973 – vous aviez à peine plus de vingt ans !

Chère Christine Spengler, vous avez voulu que vos photos de guerre
portent "le deuil du monde". Elles en portent aussi, vous le savez, les
attentes, les espoirs et le désir passionné de vie et de beauté dont votre
travail témoigne tout autant. Si vous vous êtes un jour définie comme "une
photographe de guerre qui conte la vie", ce n'est pas seulement parce que
vous avez pris la résolution de faire "un contrepoint dans la beauté pour
chaque photo de deuil" que vous avez réalisée. Ce n'est pas seulement
parce que, à côté de vos reportages de guerre, vous avez signé de
magnifiques photographies de corrida, passant avec bonheur de l'arène
des guerilleros à l'arène des toreros.

Ce n'est pas seulement parce que
vous avez travaillé avec Yves Saint-Laurent et Christian Lacroix, tous
deux séduits par votre sens de l'image et de la couleur. Si vous avez su si
bien "conter la vie", c'est d'abord parce que vous avez été capable de la
voir et de la montrer au coeur même de la mort, d'apporter dans le chaos
et la barbarie que vous avez explorés cette lumière qui donne sens à
votre oeuvre, cette lumière qui fait de vous, non seulement une journaliste,
non seulement une photographe, mais aussi et avant tout une très grande
artiste de notre temps.

Christine Spengler, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier
dans l’Ordre des Arts et des Lettres.


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