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Remise des insignes d’Officier de la Légion d’Honneur à Richard Peduzzi à Rome

Cher Richard Peduzzi,

Vous avez dit : « Je n’ose imaginer ce que serait un monde sans culture,
sans l’éducation permanente de l’oeil et de l’âme, sans l’exercice quotidien
de la pensée et du regard ».

C’est sans doute pour cela que l’identité visuelle de l’Académie de France à
Rome a changé avec vous : quatre simples carrés de couleur, partout
dorénavant présents et déclinés dans cette Villa que vous dirigez depuis
juillet 2002.

Quatre simples carrés ?

Ils révèlent en vérité votre attachement à la simplicité apparente, au détail
subtil, à la franchise et à l’organisation millimétrée. D’ailleurs, vous récusez
l’expression « flou artistique » pour lui préférer l’expression « flou
administratif » !

Quatre couleurs ?

Les quatre couleurs primaires qui permettent de dépeindre votre palette de
talents, de votre personnalité, si difficiles à résumer.

Vous êtes mondialement connu pour votre talent artistique de scénographe
et décorateur pour le cinéma, le théâtre et l’opéra. Les plus grandes
scènes, les plus grands festivals du monde vous ont déjà accueillis : Aixen-
Provence, Vienne, Villeurbanne, Bruxelles, Nanterre, Milan, Avignon,
Berlin, Paris, Salzbourg, Marseille, Hambourg et évidemment Bayreuth
avec votre « indicible complice » Patrice Chéreau ou votre ami Luc Bondy.

De La Dispute au légendaire Ring du centenaire du festival de Bayreuth, de
la Reine Margot à L’Homme blessé, du Wozzeck au Châtelet à Lulu à
l’Opéra de Paris – Lulu qui est d’ailleurs le nom de votre chien, mascotte de
la Villa Médicis-, votre oeuvre a déjà marqué l’histoire de l’art. Et ce n’est
pas fini !

En mai prochain à Vienne, le Roi Lear encore avec Luc Bondy et De la
Maison des morts toujours avec Chéreau.

Et puis, le 8 décembre, il y aura l’ouverture de la saison à la Scala à la
demande de Stéphane Lissner avec Patrice Chéreau et Daniel Barenboïm,
sans parler des projets au Metropolitan Opéra de New-York.

Votre style a bien sûr évolué tout au long de votre carrière. Vos décors
complexes, pleins de détails et de constructions périlleuses tout autant
qu’audacieuses, sont devenus des façades plus simples d’apparence.

Les
matières, les couleurs, les lignes très pures, les lignes de rupture forment
aujourd’hui des grandes caractéristiques du « style » Peduzzi.

Vous travaillez beaucoup sur les façades, les cloisons, les parois, sans
doute trouvez-vous dans celles de la Villa Médicis des sources
d’inspiration : château fort, château Renaissance, antiques plaqués,
enduits patinés ; la Villa est réellement un décor de théâtre en quatre
dimensions, marqué par le travail du temps, aux sources d’inspirations
multiples, aux styles mélangés, aux ajouts et rajouts qui se succèdent au
fil des siècles et des inspirations.

Vous-même vous avez contribué en effet à faire vivre ce monument, ce
plus beau palais de Rome : il suffit de regarder la salle de cinéma, la
bibliothèque ou les éclairages pour s’en apercevoir. Là encore, vous
utilisez des lignes simples pour vous jouez de la complexité du lieu, de
son histoire. Et c’est là votre deuxième facette.

Votre autre activité artistique est en effet de scénographier musées,
bibliothèques, expositions, où vous dessinez des meubles, sobres et
confortables, aux lignes caractéristiques, aux matières brutes, en
apparence seulement, pour des ministres, des chefs d’entreprises, pour la
bibliothèque de l’Opéra de Paris, l’Alliance française à New-York et, bien
évidemment, pour la Villa Médicis. C’est une activité annexe car vous
manquez de temps, même si vous ne prenez jamais de vacances, si ce
n’est pour dessiner, écrire, peindre. Et le dessin, c’est le fondement de
votre travail, de votre talent, de votre oeuvre, de votre vie.

Le dessin est pour vous la base de tout. Sans cesse un carnet à la main,
toujours en mouvement, vous observez sans en avoir l’air et vous
dessinez sans hâte, faussement distrait, l’oeil ouvert à tout. On vous parle,
vous regardez par-dessus l’épaule, toujours à l’affût, toujours prêt à
dessiner. C’est ce que vous appris votre maître, aujourd’hui disparu,
Charles Auffret. Dans son école, vous apprenez à voir, même si vous
dites de lui : « Son regard sur les sculptures était tellement fort, intense,
qu’il ne pouvait sans doute pas le partager avec grand monde. A coté, je
me sentais minuscule, incapable d’une telle sensibilité ». Je crois que
votre maître pourrait dire la même chose de vous aujourd’hui. A sa
rencontre, vous vous détournez d’une carrière de dessinateur ou de
peintre « pur », pour vous consacrez à la scénographie, à l’intersection de
tous les arts. D’ailleurs, vous serez le scénographe de l’hommage à
Charles Auffret que l’Académie de France à Rome présentera en mai
prochain.

Vous avez réalisé tant de muséographies célèbres, à l’Institut du Monde
arabe, à l’Exposition universelle de Séville, pour le musée d’Orsay, ou des
expositions au Grand Palais avec Henri Loyrette, ancien pensionnaire de
la villa, qui dit si justement de vous que vous travaillez « par affinité
sentie ». Là encore, de nombreux autres projets s’annoncent, puisque
vous venez d’être retenu pour revoir la muséographie du Musée national
du Risorgimento de Turin.

Cette activité d’artiste, même si le mot, je le sais, vous dérange, vous la
menez de front depuis 17 ans, avec une carrière de dirigeant d’institution
culturelle. D’abord, à l’école nationale supérieure des arts décoratifs de
1990 à 2002, puis, après que Bruno Racine fut nommé à la présidence du
Centre Pompidou, vous lui succédez à la direction de ce lieu magnifique
qui convient parfaitement à l’expression de vos multiples talents.

Votre art de la scénographie est, par définition, à la croisée de tous les
autres qu’il met en scène et en valeur. Vous devez dialoguer, échanger,
créer, avec les musiciens, les écrivains, les metteurs en scène, les
architectes, les sculpteurs, les peintres, les artisans de toutes sortes que
vous aimez tant. Vos interlocuteurs italiens, comme vos pensionnaires,
trouvent en vous un homme de dialogue, d’écoute et de conseils dans
chacune de leurs disciplines, un véritable accoucheur de talents,
transmetteur de passion et d’énergie.

Je tiens à rendre hommage à votre action, de digne successeur d’Ingres
et de Balthus, à la tête de cette si belle institution, navire amiral des
échanges artistiques entre la France et l’Italie, que vous avez su placer au
coeur de la vie culturelle romaine et européenne.

Vos expositions marquent les esprits et particulièrement l’esprit de ce lieu.
Je pense, par exemple, à l’exposition que vous avez consacrée il y a deux
ans à l’oeuvre d’Anselm Kieffer, dont l’univers était magnifiquement mis en
valeur dans les galeries de la Villa Médicis, et le sera prochainement sous
la verrière du Grand Palais ; et à la très belle exposition que vous avez
consacrée l’an passé aux costumes de scène et aux esquisses de trois
grands précurseurs de l’espace théâtral et cinématographique, Luciano
Damiani, Lila De Nobili et Piero Tosi.

Dans l’esprit de la mission Malraux, qui modernisa la Villa en 1971, en lui
donnant le double objectif de « participer aux échanges culturels et
artistiques », par « des expositions, des concerts, des projections
cinématographiques, des colloques ou séminaires sur des sujets relevant
des arts, des lettres et de leur histoire », et d’accueillir « de jeunes artistes
ou chercheurs pour leur permettre de poursuivre leurs travaux, études et
recherches et d'acquérir un complément d'information », vous en avez fait
un lieu idéal pour favoriser les confrontations, les expressions, et réfléchir
sur les évolutions de nos sociétés. Vous en avez fait un lieu ouvert sur
Rome et ouvert aux Romains. Vous en faites un laboratoire vivant de
l’Europe de la culture, et c’est pour cela que j’ai choisi de célébrer ici,
aujourd’hui et demain, le 50e anniversaire du Traité de Rome.

Enfin, je veux évoquer l’homme que vous êtes et la générosité qui vous
caractérise. Souvent, vous avez des coups de coeur, et alors vous voulez
donner leur chance à ce que vous aimez, à ceux que vous aimez, votre
respect et votre compréhension intimes et infinies pour le travail des
artisans et des artistes de tous les métiers, qu’ils soient décorateurs de
théâtre ou jardiniers de la villa Médicis, forgent cet élan du coeur et de
l’esprit qui est un appel à l’expression de tous les talents.

Cher Richard Peduzzi, au nom du Président de la République, en vertu
des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la
Légion d'Honneur.

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