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Colloque « Dialogues Européens » à la Villa Médicis à Rome

Monsieur le Directeur de l’Académie de France à Rome, cher Richard
Peduzzi,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’ouvrir aujourd’hui ces Dialogues européens auxquels
je vous ai invité, dans ce lieu emblématique de la fécondité des échanges
culturels et de la force du rayonnement des arts et de la culture.

Vous le savez, cette semaine marque le cinquantième anniversaire du
Traité de Rome. J’ai souhaité mettre tout particulièrement la culture à
l’honneur, pour cette célébration, parce que je suis profondément
convaincu que, cinquante ans après sa création, l’Europe connaît
aujourd’hui une nouvelle étape dans son développement, dans laquelle la
culture doit occuper la première place.

C’est ce que Milan Kundera exprime en ces termes : « l’ambition
européenne est avant tout une ambition culturelle ». Et d’ajouter cette
définition – que je ferais volontiers mienne – de l’identité de l’Europe : « le
maximum de diversité dans le minimum d’espace ».

Pourquoi une ambition culturelle ? Il pourrait sembler paradoxal en effet de
vouloir construire aujourd’hui l’Europe de la culture, tant l’Europe a été celle
des artistes, des créateurs, des écrivains, des penseurs, bien avant que
d’être celle du charbon et de l’acier.

Le lieu magnifique dans lequel nous avons la chance d’être réunis
aujourd’hui en est un témoin éclatant : s’ils pouvaient parler, ces murs nous
conteraient la longue histoire de l’amitié franco-italienne, une amitié fondée
sur l’art, et la culture, une amitié forgée par les échanges, et l’inspiration
mutuelle. Hector Berlioz, Georges Bizet, Claude Debussy, Charles Garnier,
Jean-Baptiste Carpeaux, Charles Gounod, Eric Tanguy, François Bon,
Jean-Michel Othoniel et tant d’autres ont puisé en ces lieux leur inspiration,
leur force créatrice, l’émergence de leur oeuvre et de leur message.

Compositeurs, peintres, graveurs, sculpteurs, architectes, et, plus
récemment, écrivains, cinéastes, plasticiens, designers, photographes,
scénographes, restaurateurs d'oeuvres d'art et historiens de l'art, ont parfait
ici leur formation, dans cet esprit de partage et d’ouverture qui est depuis
l’origine celui de cette prestigieuse Académie.

Oui l’Europe de la culture fut, est, et sera toujours un fait, concret, pour
tous les créateurs, qui la vivent au quotidien. Patrice Chéreau, et de
nombreux autres artistes, ont exprimé cette profonde conscience mais
surtout cette expérience concrète de l’Europe, lors des Rencontres pour
l’Europe de la culture, que j’ai tenu à organiser à Paris, les 2 et 3 mai 2005.

Georges Lavaudant, vous en êtes un autre exemple éclatant, vous qui
avez dirigé pendant dix ans le Théâtre de l’Odéon, Théâtre de l’Europe,
avec pour mission de favoriser le travail en commun des metteurs en
scène, des comédiens, des auteurs et autres praticiens européens de
l'art dramatique, en vue de créer des oeuvres nouvelles et de vivifier le
patrimoine artistique de l'Europe.

Vous l’avez, chère Barbara Cassin, brillamment exprimé, dans le
registre du vocabulaire philosophique, dans votre Dictionnaire des
intraduisibles, en montrant que les langues et les pensées ne vivent et
ne se comprennent que par comparaison, rencontre, vol, et interférence.

La culture européenne est elle aussi un palimpseste. « On ne comprend
une identité qu'à partir d'ailleurs, dites-vous. Au fond, on ne parle bien
sa langue qu'en la comparant avec une autre langue ». Sans doute
peut-on dire de même de la culture et c’est, au fond, je crois, ce qui fait
aujourd’hui la force et la vitalité du message de l’Europe.

Mais le référendum sur la constitution de 2005, en France comme aux
Pays-Bas, a montré combien nos concitoyens ont le sentiment de voir
leur identité diluée dans la mondialisation. Cela veut dire que pour aller
de l’avant, pour s’ouvrir à l’autre, il faut que les peuples européens se
sentent assurés et rassurés dans leurs racines nationales et
comprennent que l’Europe peut les aider à conserver leur identité face
aux risques de l’uniformisation du monde. Oui, l’Europe est une force.

Il y a donc un lien direct entre cette nouvelle étape de la construction
européenne et la victoire que nous avons remportée grâce à la
détermination de la France et à la mobilisation de l’Europe, avec
l’adoption, en moins de deux ans, à la quasi-unanimité de la
communauté internationale, de la Convention sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles dans le cadre de
l’Unesco, qui vient d’entrer en vigueur dimanche 18 mars.

Dans la lettre qu’il a adressée ce même jour, que je n’hésite pas à
qualifier d’historique, au Directeur général de l’Unesco, le Président de
la République a exprimé toute l’importance qu’il accorde à cette étape
majeure, symbolique, fondatrice dans les relations internationales :
« Faire vivre cette convention sera pour l'Unesco une grande et haute
mission, et pour la France une priorité. Nous nous y emploierons avec
toute la détermination qu'exige la défense de la diversité des cultures et
du dialogue des civilisations au service de la paix et du progrès
humain. »

Cette convention grave, dans le marbre du droit international, le fait que
les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Elle
garantit le droit des États et de la Communauté européenne à soutenir
les politiques culturelles, face aux règles du libre-échange. Elle scelle,
de façon très concrète, la devise plus que jamais actuelle, un demisiècle
après la signature ici, à Rome, du pacte fondateur de l’Union
européenne, « Unie dans la diversité ».

Là, réside, nous en sommes tous conscients, le noeud de la construction
de l’identité européenne aujourd’hui. Nous devons, pour reprendre l’expression de Paul Ricoeur, qui est aussi l’un de vos thèmes de
réflexion et, je l’espère, de proposition, de cet après-midi, « réussir à
différer ensemble». Je suis profondément convaincu et je sais que vous
partagez cette conviction que c’est par la culture que nous donnerons
une âme à l’Europe, c’est par elle que nous cultiverons la conscience
partagée d’appartenir à une même communauté de destin, dans la
diversité de nos identités.

Partager sans appauvrir, réunir sans unifier, tel est le grand défi que
nous devons relever aujourd’hui, et les Rencontres de mai 2005 ont été
l’occasion de poser les premiers jalons concrets de cette Europe de la
culture que nous appelons de nos voeux. J’y reviendrai tout à l’heure de
façon plus détaillée, mais permettez-moi d’évoquer la création du Label
du patrimoine européen, qui vise à mettre en lumière les hauts lieux de
mémoire et de création, les sites et les monuments emblématiques de
l’identité européenne, qu’ils évoquent notre passé commun ou qu’ils
représentent l’avenir que nous bâtissons ensemble.

J’ai proposé d’inscrire trois sites français sur la liste du patrimoine
européen, qui illustrent à mes yeux les différentes lectures de ce
nouveau label : l’Abbaye de Cluny, la Cour d’Honneur du palais des
papes, à Avignon, la maison de Robert Schuman à Scy-Chazelles. Et
c’est la Place du Capitole qui est retenue par et pour l’Italie.

J’ai dévoilé lundi la première plaque à l’abbaye de Cluny, en présence
de plusieurs de mes collègues, et je participerai à Athènes, lundi
prochain, à la cérémonie de lancement du Label en Grèce à l’Acropole,
aux côtés de mon collègue grec.

Je pense que c’est par des initiatives de cette nature que nous ferons
ressentir au public le plus large cet esprit européen, cette identité
culturelle, qui lie nos destinées depuis tant de siècles et qui demeure
plus jamais une réponse nécessaire, urgente et positive aux défis de la
mondialisation.

Je vous remercie de l’apport de vos idées, de votre réflexion, de vos
dialogues à cette oeuvre qu’il est de notre responsabilité historique
d’approfondir, de poursuivre et de réussir ensemble.

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