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REMISE DES INSIGNES DE COMMANDEUR DANS L'ORDRE DES ARTS ET DES LETTRES AU CARDINAL JEAN HONORE

Éminence,

En vous retrouvant ici aujourdhui, je viens dabord saluer un grand écrivain et un intellectuel hors pair. Dans vos mémoires « La grâce d’être né », ne dites-vous pas vous-même : « La lecture et lécriture mont procuré bien des heures de détente et deplaisir. Dès lenfance, il fallait me forcer pour que je quitte le coinde la cheminée où lhiver je mabsorbais dans un livre ». Je viens aussi saluer le biographe de Newman, le théologien de la refonte du Catéchisme de lÉglise Catholique.

Mais celui que je rencontre dabord en vous, cest lhomme de Dieu, le prêtre, lévêque, qui a faitde sa vie un don total au service des hommes et des femmes de sontemps. Il serait naturellement absurde de dissocier les deux, puisquevotre travail décrivain, de théologien et de chercheur a toujours procédé du même appel, de la même vocation profonde, que les différentes charges pastorales que vous avez assumées.

Cest dans tous les aspects de votre vie que vous avez vécu, intensément, votre sacerdoce. N’avez-vous pas dit :
« Une vocation d’homme ou de femme, c’est la vie tout entière qui la révèle ».

Dès vos premières années, vous avez ressenti, dans cette "passion dapprendre" que vous avez toujours éprouvée, ce "frémissement", ce "pressentiment", comme vous lavez si bien exprimé, par lequel vousvous sentiez appelé à mettre cette passion – et le talent qui nallait pas tarder à laccompagner – au service de la foi, de lÉglise et de vos frères.

Cet appel, vous lavez vécu comme un "défi" ; enacceptant de le relever, vous avez choisi, librement, de vous engager tout entier, avec confiance, dans une véritable aventure spirituelle.Cette aventure vous conduira rapidement, dès votre ordination, à un service bien particulier, celui de lenseignement. Vous qui aviez lapassion dapprendre, vous allez acquérir pour longtemps celle denseigner, dexpliquer, de faire comprendre et de faire aimer. Cest sans aucun doute de cette expérience fondatrice que lécrivain Jean Honoré a su tirer cette clarté dexpression, ce style didactique, cette écriture si pure, si riche et si transparente à la fois, qui sera lamarque de fabrique de vos nombreux ouvrages.

Cest fort de cette expérience denseignant que vous vous trouvez confronté aux difficultés, aux incertitudes, aux crises de la transmission qui marquent si profondément la deuxième moitié du XXe siècle. Vous êtes le responsable national de la catéchèse, au moment du débat difficile sur lenseignement de la foi, qui agite lÉglise au début des années soixante ; vous êtes Recteur de lUniversité Catholique dAngers lorsqu’éclate le grand bouleversement de mai 68. Et en 1984, vous interviendrez dans le débat sur la loi Savary, en expert informé etconscient des grandes problématiques de léducation, pour défendre fermement la liberté de lenseignement.

Cest enrichi deces expériences fécondes que vous entrez dans cette nouvelle aventure àlaquelle vous êtes appelé, le 17 décembre 1972, lors de votre ordination épiscopale. Cette charge nouvelle, vous la prenez à bras lecorps, dans le diocèse dÉvreux dabord, puis, de 1981 à 1997, à latête du diocèse de Tours. Comme vous lavez raconté dans vos mémoires,la tâche qui pèse sur un évêque est souvent bien lourde : elle demande une très grande disponibilité, une "prévenance égale pour tous", une attention constante à des problèmes très divers.

Il faut dailleurs souligner tout ce que vous avez apporté à notre ville et àla Touraine pendant les nombreuses années où vous avez été en charge dudiocèse de Tours : je veux en particulier rappeler la visite du PapeJean-Paul II en 1996, que vous aviez proposée et organisée à loccasion du quinzième centenaire de la mort de saint Martin de Tours, votre lointain prédécesseur dans ce siège darchevêque. Durant cette visite particulièrement marquante, vous aviez ménagé une rencontre entre lePape et les "blessés de la vie" ; cette initiative assez exceptionnelle montre bien lattention infinie que vous portiez, à limage de Saint Martin, aux plus petits, aux plus faibles, aux malades et aux souffrants, aux victimes innombrables de toutes les formes deprécarité. À travers tout votre épiscopat, vous navez cessé dillustrer cette définition, que proposait Jean-Paul II en 2003, deuxans après vous avoir créé cardinal : "LÉvêque doit être toujours davantage un signe lumineux du Christ. En se comportant comme un père,un frère et un ami de tout homme, il sera, auprès de chacun, serviteur de lÉvangile du Christ pour lespérance du monde."

Lannonce de lÉvangile sera en effet au cœur de votre épiscopat : le ministère épiscopal est un ministère de la parole, de lenseignement, que vous assumerez toujours pleinement. Devenu évêque, vous avez gardé le même souci des problèmes de la transmission, en présidant, pendant des années cruciales, la Commission épiscopale du Monde Scolaire et Universitaire et le Comité National de lEnseignement Catholique, puis en devenant consulteur à Rome pour la Congrégation de lEnseignement Catholique. Cest donc tout naturellement que Jean-Paul II, en 1987,vous désigne pour participer à la rédaction du Catéchisme de lÉglise Universelle ; avec lui, et en collaboration avec six autres évêques,vous élaborerez, pendant cinq années, louvrage qui permet maintenant àtous, croyants et incroyants, de connaître précisément et concrètementle contenu de la foi catholique. Véritable outil dunité, de connaissance et douverture, il amplifie votre souci pastoral detémoigner de la foi, avec clarté et en vérité, pour trouver dans cetémoignage le fondement dun dialogue authentique, franc et lucide,avec les femmes et les hommes de notre temps, dans la diversité de leurs parcours, de leurs histoires et de leurs questions. Vous avez su en particulier échanger avec les jeunes, avec tous les jeunes, les comprendre sans caricatures et leur parler sans complaisance, pour leurdélivrer cet appel à lespérance et à la vie, que vous aspirez tant àleur transmettre. Vous réalisiez ainsi, vous qui avez toujours dit que lépiscopat nest que le prolongement du sacerdoce, cette très belle phrase de François Mauriac : "Être prêtre, cest précisément cela,quil ny ait plus une créature vers laquelle on ne puisse aller, avec laquelle on ne se trouve de plain-pied."

Ce même Mauriac,dans son Journal, écrivit un jour son admiration pour votre talent de biographe : au sein même de la vie très active de lévêque, le penseur et le chercheur nont en effet jamais cessé de grandir en vous ; vos travaux sur Newman, théologien anglican majeur, converti au catholicisme en 1845, dont la fameuse formule : « Moi-même et monCréateur » vous font dire : « La foi chrétienne a son credo dont ildira que le mystère du Christ est la "vérité centrale". Mais celanempêche pas quelle implique et quelle contient lassurance quilnest pas dauthenticité pour lexpérience religieuse sans la fermecertitude de la finitude du moi et de la souveraine grandeur de Dieu. » Vos nombreuses interventions dans des colloques et des conférences témoignent encore du même intérêt pour la rencontre et le dialogue. À travers létude de cette figure exceptionnelle, dont vous êtes devenuun spécialiste incontesté, cest en effet la question du dialogue œcuménique et inter-religieux qui se joue, question particulièrement décisive pour notre temps. Vos travaux de recherche et décriture, loinde se résumer à un simple passe-temps dérudit, sinscrivent donc de manière parfaitement cohérente dans vos préoccupations de pasteur,dhomme de Dieu et dhomme de bien.

Monseigneur, vous avez connu de près les débats qui ont secoué la société française à propos de la laïcité ; eh bien, sans enfreindre la laïcité, le ministre de laRépublique que je suis na pas peur de vous le dire : nous avons besoin, aujourdhui plus que jamais, de voix comme la vôtre, pour aborder avec sérénité et responsabilité les problèmes essentiels qui seposent à notre société. Vous venez nous rappeler que les racines dudialogue, de la paix, de la solidarité entre les hommes, sont, non seulement culturelles, mais profondément spirituelles, quelles engagent chacun de nous au plus profond de ce que vous avez appelé "lhonneur dêtre homme". Vous venez nous rappeler à lurgence de cesdevoirs, à la nécessité de tout faire pour servir ceux qui nous entourent, pour faire progresser le bien dans notre monde et pour préserver lhumanité dans lhomme. En cela, vous faites véritablement œuvre de culture, au sens le plus haut de ce terme, et nous nous rejoignons dans cette mission que Malraux a assignée au ministre de laculture, dans ce combat pour préserver les forces de la vie contre loubli et la mort – ce même combat, profondément spirituel, de la"culture de vie" contre la "culture de mort", auquel le pape Jean-PaulII appelait tous les hommes.

Vous avez dit un jour que,"lorsque vous vous retourniez sur les routes de votre passé", vous éprouviez "une émotion mêlée de gratitude". Soyez sûr que cette gratitude est largement partagée aujourdhui, par ceux qui vous entourent, et par tous ceux qui vous connaissent ; à mon tour, je veux vous exprimer mon admiration, ma reconnaissance, et celle de la France.

Jean Honoré, au nom de la République, nous vous faisons Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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