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Elévation d’Agnès Varda à la Dignité de Grand-Officier dans l’Ordre National du Mérite à La Nouvelle Orléans

Chère Agnès Varda,

C’est un très grand plaisir pour moi, de vous rendre cet hommage inédit,
entre ciel et terre, à l’image de votre oeuvre unique, et inclassable, qui suit le
fil de votre inspiration vagabonde, et des rencontres prestigieuses qui ont
jalonné votre chemin.

Elève de Gaston Bachelard à la Sorbonne, étudiante à l'École du Louvre,
vous vous lancez dans votre première passion, la photographie, aux côtés
de Jean Vilar, au Théâtre National Populaire, deux ans après la création de
son désormais célèbre Festival d’Avignon. Vos clichés de Maria Casarès et
de Gérard Philipe vous valent votre première reconnaissance, et lorsque
vous décidez de vous essayer à la réalisation, c’est avec deux acteurs du
TNP alors débutants, Sylvia Monfort et Philippe Noiret. Votre premier longmétrage,
La Pointe courte, a pour monteur un jeune homme nommé Alain
Resnais.

Vous naviguez ainsi, dès vos débuts, pionnière de la réalisation féminine,
dans une constellation de futurs monstres sacrés du cinéma français.

Vous
connaissez rapidement de très beaux succès, Cléo de 5 à 7 décroche le Prix
Méliès en 1961, et Le Bonheur le Prix Louis Delluc, en 1965. Vous passez
d’un genre à l’autre, réalisant, avec la même aisance, des films de
commande pour les Châteaux de la Loire ou la Côte d’Azur, et un récit
onirique, Les Créatures, mettant en scène Catherine Deneuve et Michel
Piccoli. Vous suivez vos désirs et vous vous laissez happer par toutes les
surprises que vous réserve la vie. De passage à San Francisco, vous êtes
présentée à un dénommé Varda, un Oncle d’Amérique, peintre original, dont
vous faites immédiatement le sujet d’un film, Oncle Yanco, avant de réaliser
un documentaire sur les Black Panthers.

Instinctive, spontanée, vous êtes passée maître dans l’art du collage et des
associations d’idées, du coq-à-l’âne et des films gigognes. La rue du
quatorzième arrondissement où vous vivez, et vos voisins, vous inspirent en
1975 vos Daguerréotypes. Une vieille photo de 1954, oubliée dans une porte
de vos placards, vous souffle, en 1982, l’idée de votre film Ulysse, épopée
sur les chemins de vos souvenirs. En 1987, c’est Jane Birkin qui devient
votre muse, et vous faites de ses multiples visages autant de miroirs qui
vous reflètent, dans le « portrait-collage » Jane B. par Agnès V. Jacques
Demy, votre compagnon qui fut aussi votre plus fidèle complice, vous inspire
également un magnifique triptyque, Jacquot de Nantes, Les Demoiselles ont
eu 25 ans, et L’Univers de Jacques Demy.

Sans toit ni loi reconstitue des bribes de vie d’une jeune sans domicile
morte de froid, brillamment interprétée par Sandrine Bonnaire. Le film
remporte le Lion d'or à Venise, et le Prix Méliès en 1985. Dans Les
glaneurs et la glaneuse, en 1999, vous partez sur les traces de ces
glaneurs des temps modernes, qui récupèrent les restes, les rebuts, d’une
société consumériste, pour se nourrir, ou pour créer. Le film, magistrale
mise en abîme de votre métier de réalisatrice, vous voit, à votre tour,
devenir une glaneuse d’images, d’idées, d’instants de vie, que vous
assemblez et collez à votre manière, pour livrer des oeuvres uniques.

Ce goût pour les reconstitutions, les patchworks d’histoires, et pour les
mises en abîme du septième art, nous le retrouvons dans le film
inoubliable que vous avez réalisé, en 1995, pour célébrer un siècle de
cinéma. Michel Piccoli offre un visage à ce centenaire effrayé à l’idée
d’oublier ses meilleurs moments, qui convoque une pléiade d’acteurs et
d’actrices plus prestigieux les uns que les autres, pour les lui faire revivre.

Vous seule pouviez réaliser ce tour de force, ce tour de passe-passe,
cette plongée au coeur de cet art auquel vous avez consacré toute votre
vie. Cette passion, vous avez su la transmettre à vos deux enfants,
Mathieu Demy, comédien de grand talent, et Rosalie Varda, costumière et
décoratrice dont nous pouvons admirer la magie et la fantaisie dans les
dîners d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes, et à la Plage des
Palmes.

En 2001, l’ensemble de votre carrière est couronnée d’un César, mais loin
de vous l’idée de vous reposer sur ses lauriers. En 2006, avec l’exposition
L’île et elle, vous envahissez la Fondation Cartier de vos installations, de
vos photographies et de vos vidéos, pour un hymne à l’île de Noirmoutier.

Et en janvier dernier, vous avez peuplé le Panthéon des visages
saisissants de héros discrets, des histoires extraordinaires d’hommes
ordinaires, qui ont choisi, pendant la Seconde guerre mondiale, de sauver
des femmes, des hommes, des enfants, des familles entières persécutés
pour le seul crime d’être nés Juifs. Votre installation, en hommage aux
Justes de France, poursuit aujourd’hui, avec nous, son voyage de l’autre
côté de l’Atlantique, où je souhaite qu’elle touche un très vaste public.

Je salue aujourd’hui une réalisatrice aussi libre qu’exigeante, une
photographe inspirée, et une « glaneuse » de génie, qui nous a entraînés
sur les chemins bohèmes de son imagination, pour nous offrir une
oeuvre libre, personnelle, sensible et poétique.

Agnès Varda, au nom du Président de la République, et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous élevons à la dignité de Grand
Officier dans l’Ordre national du Mérite.

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