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Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Jean Amadou

Cher Jean Amadou,

Je suis très heureux, en vous accueillant ici aujourd'hui, de rendre
hommage, au ministère de la culture et de la communication, à un grand
amoureux de la langue française, mais aussi, à un observateur
particulièrement avisé de la vie politique de notre pays, à un commentateur
particulièrement acéré de l’actualité et des évolutions de notre époque.

Vous avez, en effet, repris, avec bonheur, le flambeau de la grande
tradition des chansonniers, celle de Béranger, de Désaugiers, de Gustave
Nadaud, de Jean Rigaux, d'Aristide Bruant, des Hydropathes et du Chat-
Noir, que vous avez prolongée, renouvelée et adaptée à l’ère télévisuelle.

Vous vous inscrivez dans cette tradition bien française, et même bien
parisienne, qui plonge ses racines dans la légèreté et la finesse de l'ironie
voltairienne, mais aussi, dans l'audace critique des mazarinades. Et votre
verve satirique, critique et humoristique se nourrit de cette tradition, mais
également de votre amour passionné et ardent pour la langue française,
pour la précision de ses traits, pour l’ampleur de ses ressources, pour la
vivacité de son impertinence, lorsqu’il s’agit, sur scène, sur les ondes ou
sur les écrans, de décortiquer et de passer au crible les personnages et les
événements qui font l’actualité, mais qui font aussi, à travers le prisme de
votre regard et l’acuité de vos piques, plus souvent qu’à leur tour, rire ou
sourire.

Vous avez commencé votre carrière comme comédien, sur les planches
des théâtres et de la plupart des cabarets parisiens. Votre formation vous a
appris, très tôt, à jouer, à jongler avec les mots, à fouiller les richesses de
notre langue, et vous a donné le goût du dialogue, de la réplique, du jeu
verbal. Votre passion pour la langue française ne s'est jamais démentie ;
parmi les nombreux prix qui vous ont été attribués, vous avez reçu, en
2001, le Prix Richelieu, décerné chaque année par la Délégation générale
à la langue française à un journaliste témoignant, "par la qualité de son
propre langage, de son souci de défendre la langue française".

Parmi les
prix que vous avez reçus, je relève aussi les noms de Rabelais, de
Courteline, d’Alphonse Allais et d’Antoine Blondin, qui furent chacun à leur
époque et dans leurs propres styles, des maîtres, des orfèvres, des
références et sans doute pour vous aussi des sources jaillissantes et
inépuisables d’inspiration en matière d’humour, d’ironie, de truculence,
d’invention et de maîtrise de la langue.

Vous avez porté partout cet amour de la langue, que vous faites partager
à vos spectateurs, auditeurs, téléspectateurs, et lecteurs, dans
l’ensemble des métiers, très divers, et des lieux, extrêmement variés, où
vous avez exercé vos talents, que ce soit, par exemple, comme
chroniqueur sportif, en commentant le Tour de France, le Tournoi des
cinq nations, la Coupe d’Europe de football, pour France Inter et le
quotidien L’Equipe ou encore, comme dialoguiste pour le cinéma ou la
télévision.

Chaque semaine, chaque dimanche, pendant des années, vous avez
animé l’Oreille en coin sur France Inter, puis votre voix, si connue, si
familière, aura accompagné des millions d'auditeurs sur les ondes
d'Europe 1. Votre timbre de velours, qui triomphait en même temps à la
radio, au théâtre et à la télévision, résonne toujours avec l'accent de cette
présence souriante et chaleureuse, qui rythme les matins et les jours, en
ponctuant les situations absurdes, cocasses, burlesques, sans lesquelles
notre monde ne tournerait pas rond.

Votre passion de la langue, votre virtuosité du mot juste, du bon mot, du
bretteur qui touche là où vous savez que ça fait rire, et que ça fait mal,
vous l'avez mise au service d'une description très fine, souvent très drôle
et très caustique, de notre vie politique, mais aussi médiatique, des
grands et des petits événements qui défraient la chronique. Il faut dire que
vous en êtes un expert, puisque vous êtes d'abord un amateur, au sens
du plus fort de ce terme, et un connaisseur éclairé de l'histoire
contemporaine. Vous connaissez même, paraît-il, tous les ministres et
secrétaires d'Etat de la Troisième République – ce qui relève de l'exploit !

Ce savoir historique, doublé de votre longue expérience de journaliste,
vous donne une force de rappel et de recul sur les péripéties et les
personnages, qui contribue à faire de vous un critique toujours audacieux,
toujours pertinent, parfois impertinent, mais jamais destructeur, des
habitudes et des vicissitudes du monde politique français. Au-delà du
caractère léger et enjoué de vos émissions de radio ou de télévision,
comme C'est pas sérieux, et l’inoubliable Bébête Show où, avec vos
compères Jean Roucas et Stéphane Collaro, vous preniez un malin plaisir
à transformer le Président Mitterrand en grenouille, mais aussi avec
L'oreille en coin, au-delà même de la satire et du pamphlet, dans lesquels
vous excellez, vous avez su, pour reprendre le titre de l'un de vos
premiers ouvrages, "regarder la France au fond des yeux". Des yeux
pleins de malice, de vivacité et d’ironie.

Homme de lettres, d’humour, de goût et d’esprit, c’est pour votre
contribution à notre culture, mais aussi et surtout pour tout le bonheur que
vous avez offert aux Français qui vous ont écouté, lu, regardé, qui ont ri
ou souri avec vous et grâce à vous, que je tiens à vous exprimer
aujourd'hui, cher Jean Amadou, la reconnaissance et l’affection de nos
concitoyens.

Jean Amadou, au nom de la République, nous vous faisons officier dans
l’ordre des Arts et Lettres.

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