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Remise des insignes d’Officier dans l’Ordre National de la légion d’honneur à Jean-Ludovic Silicani

Cher Jean-Ludovic Silicani,

Je suis très heureux de t’accueillir ce soir rue de Valois, dans ce palais,
dans cette maison qui est en quelque sorte triplement la tienne, parce
qu’elle est la maison de la République, l’une des plus belles, l’une des plus
riches de sens, sans doute, pour le ministre que je suis, pour nous tous,
mais aussi particulièrement pour toi, parce qu’elle est celle du Conseil
d’État, dont nous sépare une simple porte, que franchit chaque année le
public lors des Journées européennes du patrimoine et que tu as toi-même
franchi et continues de franchir dans l’exercice de tes missions au service
de la République qui t’honore aujourd’hui, par ma voix ; c’est ici ta maison,
parce que tu as consacré et que tu continues de consacrer à la culture une
grande part, une part importante de ton activité, de ton engagement, de ton
intelligence.

Intelligence, ce beau mot d’intelligentia inventé par Cicéron pour traduire le
grec noêsis, qui désigne l’acte de comprendre, tel est sans doute le premier
mot qui me vient à l’esprit pour tenter de caractériser ton parcours, mais
aussi, bien sûr, ta personnalité, puisque je m’exprime en tant que ministre,
pour te rendre les honneurs que la République attache à ton mérite, à ta
vertu, à tes talents, mais également surtout en tant qu’ami.

Cette intelligence exceptionnelle, forgée, reconnue et sanctionnée par les
meilleurs écoles de la République, cette intelligence si vive, si lumineuse, si
effervescente, si chaleureuse aussi, qui m’a frappé dès notre première
rencontre, comme elle apparaît sans doute à chacun de tes interlocuteurs,
tu l’as mise tout au long de ta brillante carrière, au service des autres, au
service de ce bien commun, de cette chose publique qu’incarne l’État dans
notre pays, l’État avec une majuscule bien sûr, qui élève au rang de
symbole cette entité à la fois historique, juridique, politique, et humaine
dont tu es assurément l’un des plus dévoués et l’un des plus hauts
serviteurs dans ce pays.

Et puisque tu es major de la promotion Voltaire de l’Ecole nationale
d’administration, à laquelle je m’honore d’appartenir, avec quelques autres
ici, permets-moi d’évoquer cette citation de Voltaire, qui écrit dans son
dictionnaire philosophique : « Je n’ai jusqu’à présent connu personne qui
n’ait gouverné quelque Etat. Je ne parle pas de messieurs les ministres, qui
gouvernent, en effet, les uns, deux ou trois ans, les autres six mois, les
autres six semaines ; je parle de tous les autres hommes qui, à souper ou
dans leur cabinet, étalent leur système de Gouvernement, réformant les
armées, l’Eglise, la robe et la finance. »

Nous ne sommes plus au temps de Voltaire… Mais s’il est de nos jours,
une personne qui incarne à la fois ce que doit être en République, non
seulement la réforme, mais surtout le sens de l’Etat, c’est à dire le sens de
l’intérêt général, le sens de l’efficacité, le sens du droit et de la droiture, ce
que l’on nommait à l’âge classique le devoir d’état, tu en es l’exemple par
excellence. De notre scolarité commune rue de l’Université, de nos
échanges, de nos discussions, je retiens en particulier ta passion, ta
réflexion, tes convictions, ton dessein de rendre en quelque sorte à l’État
tout son rôle ; tout son sens, c’est-à-dire ses capacités d’action,
d’anticipation et d’adaptation, de transformation, de métamorphose face
aux mouvements, aux changements du monde et de notre société.

Mais
toujours au service d’une même exigence, d’un même principe, d’un
même cap, que tu as toujours tenu, face à l’accélération du temps, aux
pulsations des modes, à la succession des gouvernements, celui du
service public, du service de nos concitoyens. En effet, comme l’énonce la
deuxième phrase de l’article premier de la Déclaration des droits de
l’homme : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur
l’utilité commune ». Et comme l’ajoute l’article XV : « la société a le droit
de demander compte à tout agent public de son administration ».

Cette intelligence, que tu as mise au service de l’État, tu l’as vraiment, si
tu me permets d’utiliser une expression qui a fait récemment florès, grâce
à une condisciple de notre promotion Voltaire, « chevillée au corps » ; et
j’ajoute au coeur et à l’esprit.

Tu en as fait la preuve par l’action, lorsqu’ après tes quatre années
d’auditorat au Conseil d’État en tant que rapporteur à la section du
contentieux et à la section des travaux publics, président de mission
juridique et maître des requêtes, tu deviens, dès 1984, directeur auprès
du directeur général de l’agence nationale de valorisation de la recherche,
confrontée aux défis de l’élargissement et de l’approfondissement de ses
missions.

Cette intelligence au service de l’État, tu en as fait preuve encore icimême,
et j’en fus le témoin, auprès de François Léotard, dans ces murs,
lorsque tu fus nommé, à trente-quatre ans, directeur de l’administration
générale du ministère de la culture et de la communication, à la tête d’une
administration de deux mille personnes, qui gérait à l’époque quelque
douze mille agents et douze milliards de francs, et où tu as relevé avec
succès les défis de la modernisation des méthodes et des procédures,
mais aussi de la déconcentration. Ton intelligence, ta compétence, ton
sens de l’Etat expliquent que tu sois resté six années à ce poste, où l’une
des principales responsabilités est tout de même de préparer et
d’exécuter le budget du ministère, et où je crois pouvoir dire que tu as
vécu l’une des périodes les plus heureuses, les plus exaltantes de ta vie
professionnelle.

Nombreux sont celles et ceux ici qui s’en souviennent et,
dans de nombreux domaines, qu’ils s’agissent de la formation
professionnelle, de la déconcentration que j’ai évoquée, ou de l’adaptation
des statuts des établissements publics, ou encore, du décloisonnement,
avec la création de l’Ecole nationale du patrimoine et d’un corps commun,
d’une culture commune, de conservateur du patrimoine, à partir des cinq
corps de conservateur qui existaient alors, tu as jeté des fondations, des
bases solides, sur lesquelles nous continuons à nous appuyer aujourd’hui,
pour permettre à ce ministère de s’adapter aux nouveaux défis de notre
temps ; et pour en faire, non plus un ministère marginal, ce ministère du « 1% » et des fins de discours, afin que ce ministère, construit, selon la
belle expression de Pierre Moinot, « à partir de presque rien et contre
presque tous », ce ministère qui a une âme, un esprit, une haute ambition,
devienne enfin ce qu’il doit être, au coeur de l’État, conformément à sa
mission stratégique, essentielle, centrale, face aux violences et aux
fractures du monde d’aujourd’hui, face aux exigences nouvelles de la
promotion et du respect de la diversité culturelle, de la cohésion de notre
société, de la réconciliation nationale.

Je tiens à te dire ici, combien j’apprécie cette intelligence qui est la tienne
des missions de l’Etat dans le cadre des responsabilités, que tu exerces à
nouveau dans le champ de ce ministère, depuis 2001 comme Président
du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, où tu as eu le
mérite de mettre pour la première fois, autour de la même table, et en
forgeant, sinon une doctrine, en tout cas, un corpus de références
communes, les acteurs très divers, qui n’avaient jamais dialogué de la
sorte, tous ensemble, auparavant, du débat qui est aussi l’un des défis
importants que doit relever ce ministère à l’ère numérique, celui des droits
des auteurs et des créateurs.

Depuis 2005, tu présides également le Comité du fonds de modernisation
de la presse écrite, chargé de donner au ministre un avis, qu’il suit
toujours, sur les importantes aides accordées par l’Etat à la presse
d’information générale.

Enfin, comme Président du Conseil d’administration de la Réunion des
musées nationaux depuis l’an dernier, tu prépares, en consacrant toute
ton intelligence à la redéfinition et à la clarification de ses missions,
l’important contrat d’objectifs et de moyens que doit signer prochainement
avec l’État cet organisme, plus que centenaire, dont les éditions et les
expositions notamment, apportent une contribution déterminante au
rayonnement culturel de la France.

Par ton intelligence, par ton expérience, que chacun connaît ici, et dont je
tenais à mettre en relief, dans cette maison, les liens qui t’y rattachent et
qui nous rapprochent, tu es l’un des meilleurs connaisseurs et l’un des
meilleurs praticiens, non seulement de la réforme de l’Etat, et chacun sait
ici que tu as créé, sous l’autorité du Premier Ministre Alain Juppé, la
première structure transversale dédiée à cette mission au sein de
l’administration, et que tu es le co-auteur, avec Jean Picq, du fameux
rapport décapant, commandé par le Premier Ministre Edouard Balladur,
qui a contribué à inscrire durablement cette exigence dans l’agenda
politique de notre pays ; tu es aussi l’un des meilleurs connaisseurs et l’un
des meilleurs praticiens de ce que tu appelles à juste titre la grammaire de
l’Etat, ce savant mélange d’usages, de langages et de rouages, qu’il s’agit
non seulement, bien sûr, de faire fonctionner, mais aussi de rendre
performant et intelligible, à ses responsables, à ses dirigeants, à tous ses
acteurs et à l’ensemble de nos concitoyens, car dans notre démocratie le
peuple seul, et ses représentants, est souverain.

Sans doute ta formation
initiale d’ingénieur n’y est pas étrangère, qui te prédisposait, avant même
le Conseil d’État, à la construction et à la maîtrise d’édifices juridiques
subtils, d’ouvrages administratifs complexes mais solides, fiables,
durables. Je crois que si tu n’avais été un haut fonctionnaire, un grand
administrateur, et un magistrat de talent, tu serais un architecte de génie,
et je sais que l’architecture est ta passion.

J’en viens à ta qualité essentielle, qui surplombe toutes les autres, et
même ton intelligence, parce qu’elle en est la souche : c’est ta fidélité.

Fidélité à tes convictions, à tes principes, à ton travail, à ton éthique,
fidélité en amitié, j’en suis le témoin, fidélité, par-dessus tout, à ces
valeurs, du mérite, de l’effort, de la République, de cette culture, que t’ont
léguées tes parents, ta mère, institutrice, tes racines corses, cette terre de
Bocognano, à mi-chemin entre Ajaccio et Corte, dans la vallée de la
Gravone, au pied du Monte d’Oro et de ses châtaigneraies ; ton père,
directeur d’école, ton grand-père, venu de Toscane, cette autre patrie des
arts et des jardins, cultiver ceux de la préfecture d’Ajaccio, depuis cette
Méditerranée, mère de notre culture et de notre civilisation, où tu es né, à
Alger, et que tu as quittée avec tes parents à l’âge de quatre ans. Ta
mère, que je suis heureux de saluer ; ton père qui, là où il est, et c’est
aussi, sans doute, le sens de la distinction de je te décerne ce soir,
regarde avec le sourire du courage et de la fierté ce qu’il a voulu faire, ce
qu’il a fait, ce que tu as accompli, et ce que tu es devenu.

Cher Jean-Ludovic Silicani, au nom du Président de la République, en
vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la
Légion d’Honneur.

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