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Remise des insignes de Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Claude Nobs

Cher Claude Nobs,

Je suis très heureux de vous honorer aujourd’hui, vous qui êtes une
mémoire vivante du jazz, une figure tutélaire de ce mouvement musical
envoûtant, mouvant et protéiforme, que vous avez largement contribué à
faire connaître et aimer en Suisse et en France, en Europe et dans le
monde entier, grâce au Festival que vous avez fondé, à Montreux. Avec
vous, cette ville magnifique, qui voit plonger les montagnes dans le Lac
Léman, résonne tous les ans des sons et des rythmes des plus grands
artistes, et rayonne aujourd’hui comme la capitale internationale du jazz.

Votre passion pour cette musique est précoce, aiguisée par les 78 tours
que votre père vous laisse écouter, juger, classer et aimer. Mais, pendant
votre enfance et votre adolescence, le jazz se dispute encore vos faveurs
avec cet autre art savoureux des couleurs et des volutes qu’est l’art
culinaire. Vous préférez alors la toque blanche aux notes bleues, et, après
un bref passage par le buffet de la gare de Spiez, vous poursuivez votre
apprentissage au prestigieux Hôtel Schweizerhof de Bâle, pour devenir un
grand cuisinier.

Mais le patron de l’Office de tourisme de Montreux vous invite à oeuvrer
pour le rayonnement de cette ville et de cette région que vous adorez, et
vous vous lancez alors dans le tourisme. Vous sillonnez l’Europe pour en
faire la promotion, avec, toujours, dans les oreilles et dans le coeur, les
musiques de vos idoles, Django Reinhardt, Duke Ellington, Ray Charles et
Aretha Franklin. A l’Association des jeunes de Montreux, dont vous êtes un
fondateur, vous organisez des « petits » concerts et rêvez à un « grand »
Festival.

Dépêché à New York par l’Office de tourisme, vous décidez de frapper à la
porte de votre label favori, l’une des plus grandes compagnies de disques,
Atlantic Records. Après avoir été reçu par le Directeur, Nesuhi Ertegun,
vous croisez Roberta Flack dans les couloirs, et vous l’invitez à la Rose
d’Or de Montreux. Elle sera la première d’une longue liste de monstres
sacrés du jazz, que vous ferez venir pour la première fois en Europe. La
deuxième n’est autre qu’Aretha Franklin.

La suite, nous la connaissons tous. Vous fondez le Festival de jazz de
Montreux, et vous vous payez le luxe, pour sa première édition, d’inviter
des artistes aussi mythiques que Charles Lloyd ou Keith Jarrett. Vous
jetez un pont entre l’Europe et les Etats-Unis, un pont d’amitié solide et
durable, autour de la passion du jazz, de cette musique par essence
festive, conviviale, envoûtante, de cette musique qui rassemble, qui
libère et qui emporte.

Ces liens se resserrent encore en 1973, date à laquelle Nesuhi Ertegun
vous nomme Directeur de Warner, Elektra et Atlantic pour la Suisse.

Atlantic produit alors des artistes qui viennent jouer à Montreux pendant
l’été.

Dans les années quatre-vingt-dix, vous partagez la direction du Festival
avec Quincy Jones. Votre manifestation, que vous avez
progressivement ouvert à de nombreux genres musicaux, attire un
public de plus en plus nombreux, et en 2004, vous accueillez 200 000
spectateurs.

Aux côtés des jeunes artistes qui y trouvent tous les ans une vitrine
d’exception pour révéler leur talent, tous les « grands » sont passés à
Montreux ou y sont même revenus régulièrement, Ray Charles, Charles
Mingus, Miles Davis, Sonny Rollins et Deep Purple, mais aussi Bob
Dylan, Ella Fitzgerald, Frank Zappa, Leonard Cohen, Johnny Cash,
Joao Gilberto, les Pretenders, Stéphane Eicher, ou encore l’Orchestre
national de Lille. Oui, avec vous, Montreux ouvre les bras aux génies du
jazz, du rap, de la musique brésilienne, du reggae, du flamenco, et de la
belle et grande diversité qui fait la richesse des musiques du monde
entier.

En fondant le Festival de Montreux, vous avez réalisé un véritable
miracle, que vous perpétuez tous les ans, offrant à un public toujours
plus nombreux le meilleur de la scène musicale internationale, un
hymne éclectique à la diversité de notre monde, un véritable creuset des
cultures et des identités, dont vous tirez, alchimiste que vous êtes, des
moments précieux et uniques.

Claude Nobs, au nom de la République, nous vous remettons les
insignes de Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

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