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Remise des insignes dans l’ordre des arts et des lettre à Robert Hirsch au théâtre de Paris

Cher Robert Hirsch,

C’est un très grand honneur, pour moi, de vous rendre hommage ce soir,
au théâtre. Vous êtes l’un de nos plus grands comédiens, un monstre
sacré qui fait trembler les planches, et réveille les classiques. Vous habitez,
avec le même talent, avec, également, cette fougue et cette gestuelle
inimitables qui sont devenus votre signature, les personnages les plus
divers, tantôt aérien, virevoltant, bondissant, tantôt grave, mystérieux,
torturé. Votre père, diamantaire, a ciselé en vous un joyau pur, brut, et
unique.

Vous sortez du Conservatoire d’art dramatique après avoir fait la preuve de
la diversité exceptionnelle de vos talents, la danse, le chant, et surtout la
comédie, puisque vous obtenez les premiers prix de comédie classique et
de comédie moderne. Vous êtes reçu à l’Opéra, mais, aux chaussons et
aux collants, vous préférez le manteau d’Arlequin, et vous entrez à la
Comédie Française dès 1948.

La Maison de Molière devient rapidement la vôtre, et vous y apportez un
souffle nouveau. Tourbillon élastique, fantasque et impertinent, vous
revisitez Molière, Labiche, Feydeau, Beaumarchais, Marivaux,
Shakespeare et Rostand. Vous incarnez le plus léger et le plus mémorable
des Arlequins, dans Le Prince travesti et La Double Inconstance, et le plus
acrobatique des Scapin dans Les Fourberies, dont vous concevez aussi les
décors et les costumes – ainsi que ceux de Tartuffe.

Sur scène, vous faites tomber, avec Jacques Charon, en tout premier, bien
sûr, mais aussi avec Jean Le Poulain, une pluie d’étoiles, d’étincelles et de
rires, grâce à votre extraordinaire complicité. Avec Jean Meyer, mais aussi
Jeanne Moreau et Denise Gence, vous formez un ensemble hors pair de
talents et d’amis, et vous faites du bar La Régence votre seconde maison,
en y improvisant les sketches les plus fous.

On vous confie des rôles plus complexes, des compositions plus
appuyées. Dans Un Fil à la patte, en 1961, vous campez un Bouzin ahuri,
irrésistible, et maladroit, et la même année vous incarnez un Néron
fiévreux et ravagé de tics, dans Britannicus. Deux ans plus tard, vous livrez
une interprétation saisissante de Raskolnikov, le meurtrier ordinaire de
Crime et châtiment, avant de vous glisser dans la peau de Richard III, dans
la pièce de Shakespeare.

« Il peut tout jouer », disait de vous l’écrivain et critique Jean-Jacques
Gautier, qui vous tenait, à juste titre, pour l’un des plus grands. Sans doute
parce que vous n’êtes véritablement heureux que sur les planches : « Je
ne suis bien que lorsque je joue. J’éprouve sur scène une sorte d’euphorie
qui me ragaillardit », dites-vous, et je puis vous dire, en tant que
spectateur, combien nous la ressentons !

Cette euphorie, que vous savez communiquer et partager avec votre
public, cet humour pétillant, insolent, qui a habité notamment votre
parodie inoubliable de la sociétaire, à la soirée d’adieu de Louis Seigner,
ne vous ont jamais quitté.

Vous décidez, en 1974, de refermer derrière vous les portes de la maison
de Molière, dont vous êtes sociétaire honoraire, après 25 ans de succès
et de triomphes, après avoir interprété tous les rôles, classiques et
modernes, après avoir conquis un public immense.

Un public fidèle, également, puisqu’il vous plébiscite dans Chacun sa
vérité, de Luigi Pirandello, au théâtre de l’Odéon, dans Mon Faust, de
Paul Valéry, au Rond-Point. Moi, Feuerbach, de Tankred Dorst, dans
lequel vous incarnez un vieil acteur sorti d’une clinique psychiatrique, qui
veut jouer aux jeunes premiers, est également un immense succès.

Pendant 18 ans, vous jouez donc Jamiaque, Pirandello, Guitry, Valéry, et
pas une fois vous n’êtes revenu vers le répertoire classique. Seul Francis
Huster vous convainc en 1992 d’incarner Oronte dans le Misanthrope,
qu’il met en scène au Théâtre Marigny.

Dans En attendant Godot, en 1997, vous jouez Pozzo, avec dans la
poche la copie d’une lettre de Beckett à Michel Polac, à propos de la
pièce. L’année suivante, vous revenez au répertoire comique, en campant
un snob pathétique et fardé, drapé dans sa robe de Sardanapale et droit
dans ses babouches, débordant de fierté et de suffisance, dans la pièce
Un bel air de Londres, de Dion Boucicault, dont vous avez tiré un véritable
festival de cocasserie. En 2002, vous êtes Georges Pitou, secrétaire
complice des derniers mois de Sarah Bernhardt, incarnée par Fanny
Ardant, dans Sarah, du canadien John Murrell, mis en scène par Bernard
Murat. Vous y trouvez un rôle à la mesure de votre fantastique talent de
composition, un talent couronné notamment de trois Molières.

Un talent dont vous nous avez fourni ce soir une nouvelle preuve
éblouissante, en Gardien, dans la magnifique pièce de Harold Pinter,
adaptée par Philippe Djian, mise en scène par Didier Long, aux côtés de
Samuel Labarthe et Cyrille Thouvenin. Tour à tour pathétique et fier,
victime et manipulateur, timide et sans-gêne, vous nous donnez à voir,
une fois encore, toute la richesse de votre jeu, et l’étendue de votre génie,
dans cette pièce formidable, à mi-chemin entre le rire et l’angoisse.

Oui, vous savez tout jouer, et pour les amoureux du théâtre, Richard III,
Raskolnikov, Arlequin, Arturo Ui, Pozzo, Oronte, Scapin, Néron, Sosie,
Tartuffe, Bouzin, Debureau, ont les traits que vous leur avez donnés, les
silhouettes que vous leur avez dessinées, les gestes et les tics dont vous
les avez affublés, pour notre plus grand plaisir. Avant de prononcer la
formule rituelle qui doit clore cet hommage, permettez-moi, en mon nom
personnel, comme en notre nom à tous, de vous remercier, du fond du
coeur, et de vous dire qu’avec tout votre public, nous vous aimons.

Cher Robert Hirsch, au nom de la République, nous vous faisons
Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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