Imprimer cet article - Envoyer à un ami

Soirée célébrant le vingtième anniversaire du Musée d’Orsay

Madame la Directrice des Musées de France, chère Francine Mariane-Ducray,

Monsieur le Président du Musée d’Orsay, cher Serge Lemoine,

Messieurs les Présidents,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir pour célébrer ce très grand
moment. Il y a vingt ans, jour pour jour, ici même, ce grand musée ouvrait ses
portes.

Vingt ans ! C’était hier. Et pourtant, que de travail accompli depuis ! J’y
reviendrai. Vingt ans, personne ne me contredira : c’est le bel âge. A vingt ans,
on est adulte, mais on est jeune encore, on a la vie devant soi, des projets, des
envies, des coups de foudre.

Adulte, le musée l’est assurément. Et c’est même une authentique institution,
un « vaisseau amiral ». La magnifique gare d’Orsay, il est vrai, faisait déjà
partie du paysage parisien, dans lequel elle se fond admirablement, ancrée le
long de la Seine, à proximité immédiate du Louvre ou encore du Grand-Palais.

Difficile d’échapper au génie des lieux et à un voisinage aussi prestigieux. Peu
après son inauguration, le 14 juillet 1900, le peintre Detaille s’exclama
d’ailleurs : « la gare est superbe, elle a l’air d’un palais des Beaux-Arts » !

Mais, au-delà de ce bâtiment unique, Orsay, est une grande institution
culturelle, une référence, un musée qu’on nous envie dans le monde entier, un
musée qui suscite, tous les jours depuis vingt ans, l’émerveillement d’un public
enthousiaste, nombreux, cosmopolite. 55 millions de visiteurs en ont franchi les
portes depuis son ouverture.

Les chiffres donnent le vertige ! Ils sont à la mesure de ce XIXe siècle, auquel
le musée est tout entier consacré. Un siècle fascinant, intense, mouvementé,
et dont témoigne l’histoire même de ce site : en 1810, on y projette un palais,
destiné par Napoléon à un ministère des Relations extérieures – ce que, entre
parenthèses, le musée d’Orsay, aujourd’hui, est aussi un peu à sa manière.

Puis, en 1835, on prend la décision d’installer dans le palais du quai d’Orsay la
Cour des comptes et le Conseil d’Etat. Mais, en 1871, un incendie ravage le
bâtiment. Il faudra du temps pour trouver la vocation de ce lieu si vaste.

Un
musée, déjà, se profile à l’horizon : l’Union centrale des arts décoratifs y verrait
bien un grand musée dédié à ces arts qu’elle défend, et qui connaissent alors
un bel essor, et, là encore, le musée d’Orsay comblera ses voeux, à sa
façon, plus d’un siècle plus tard. Finalement, ce sera une gare. Mais une gare,
n’est-ce pas une invitation au voyage ?

Baudelaire, justement, dont un peu de l’âme subsiste ici (je pense à l’Atelier du
peintre, par Courbet, où le poète est représenté), Baudelaire, disais-je, appelait
de ses voeux, au milieu des années 1840, un « avènement du neuf ».

N’est-il
pas, au fond, la figure tutélaire de cette institution, lui qui célébra, avec le génie
que l’on sait, le peintre de la vie moderne. Et de fait, à côté de la peinture, de la
sculpture, ce sont aussi des disciplines nouvelles comme la photographie ou le
cinéma, qui prennent toute leur place à Orsay et qui célèbrent l’alliance entre
l’art et l’industrie. Baudelaire, encore, qui écrivait : « Pour être juste, c'est-à-dire
pour avoir sa raison d'être, la critique doit être partiale, passionnée,
politique, c'est-à-dire faite à un point de vue qui ouvre le plus d'horizons. »

Ouvrir le plus d’horizons, c’est bien, en définitive, la mission, cher Serge
Lemoine, du musée d’Orsay.

Il faut dire que le XIXe s’y prête admirablement. Il fourmille de génies qui relatent
la légende dorée de la modernité : visiter Orsay, c’est entamer un parcours qui
mène de Delacroix à Cézanne, de Degas à Gauguin, de Préault à Rodin, de
Pradier à Maillol, de Seurat à Matisse. Mais à vingt ans, on est parfois pétri de
contradictions qui ne sont qu’apparentes. C’est l’enthousiasme qui règle nos
pas : on s’extasie devant Rodin, mais on ne s’interdit pas d’aimer Les Romains
de la décadence de Thomas Couture. A Orsay, le kitsch débridé du Chevalier
aux fleurs de Rochegrosse côtoie les pages silencieuses de Vuillard. Le musée
rassemble, avec intelligence, les générations et les esthétiques qu’on avait trop
longtemps opposées. Non pas, j’insiste, par un rassemblement hétéroclite, mais
bien par une grande parade d’oeuvres majeures, différentes, surprenantes,
savamment choisies et qui vous tiennent en haleine.

Avec le recul, on se dit que ceux qui ont cru à ce nouveau musée ont eu un
remarquable pressentiment. Il y avait place, en effet, pour un musée qui fasse le
lien entre les collections du Louvre d’un côté, et celles du Centre Georges
Pompidou de l’autre. Comment interpréter un tel succès, pourquoi le XIXe siècle
nous séduit-il autant ? N’est-ce pas une certaine fascination pour une époque
d’expansion incroyable, de foisonnement artistique sans pareil, pour un siècle
épique, contrasté, qui marie la pierre et le fer, l’éloquence bruyante et satisfaite
des Expositions universelles à la douloureuse question ouvrière ?

L’Histoire
forme, à Orsay, une toile de fond, un horizon qui ordonne le propos. Qui n’a été
saisi devant la charge politique d’un Daumier ? Devant la silhouette dégingandée
et sournoise de Ratapoil ou les trognes, toutes plus dérangeantes les unes que
les autres, des Parlementaires du « juste milieu » ? L’austérité du portrait du
président Grévy par Bonnat succède aux figures sensibles de Carpeaux : ce sont
deux mondes, à si peu de temps d’intervalle ! Maximilien Luce nous offre le
spectacle silencieux d’une rue à Paris en 1871 : les fusillés sont à terre, sous un
joyeux soleil de mai. Le néo-impressionnisme flirte avec l’anarchisme.

A vingt ans, on oublie un peu vite que l’on a des parents. On s’émancipe, on vit
sa vie. Et pourtant, Orsay est d’abord une bouture, si vous me permettez
l’expression. Je m’explique : il n’y a aucune génération spontanée dans ce
musée, dont le noyau des collections a été formé par celles du musée du Louvre
voisin, à l’époque trop à l’étroit. Cette bouture a porté ses fruits. Au moment où le
Louvre se projette à Lens, au moment où se concrétise le projet de Centre
Georges Pompidou à Metz, j’y vois la preuve que ce que d’aucuns peuvent
ressentir comme une amputation est en fait un sillon fertile, qui offre les chances
d’un renouveau.

C’est une magnifique occasion de revisiter notre patrimoine, de
le redécouvrir dans un nouveau contexte, dans une situation toute autre qui lui
offrira un sens encore différent. Je note avec plaisir que l’ouvrage de Jean
Jenger, Orsay, de la gare au musée, a été réédité. Il faudra écrire un jour, dans le
détail, la passionnante histoire de la constitution des collections d’Orsay, des
repérages des oeuvres en réserve, dans les musées et les autres institutions, de
cette exploration d’un XIXe siècle qui était encore méconnu. Saluera-t-on jamais
assez, par exemple, l’immense et patient travail conduit sur le patrimoine sculpté
du XIXe siècle, avec tous ces plâtres sortis des réserves, ces marbres
dépoussiérés, restaurés, identifiés, sauvés ? A cet égard, Orsay a véritablement
contribué à des relectures et à des redécouvertes. Bien des musées, aujourd’hui,
ont accepté d’exposer des nus impeccables de Pradier, des allégories bavardes
ou des bustes des célébrités de la IIIe République.

Tout ce travail d’enquête,
préalable à la constitution des collections, a permis de réécrire tout un chapitre
de l’histoire de l’art.

La « bouture » que j’évoquais, c’est aussi celle des collections impressionnistes,
qui étaient à l’étroit au Jeu de Paume. Ici, sous cette verrière et cette lumière
extraordinaires, elles ont trouvé un écrin d’exception, à leur hauteur.

Oui, la greffe a pris, et la formidable construction intellectuelle du musée d’Orsay
s’est développée, et ramifiée : la littérature, la musique y ont trouvé leur place,
contribuant à cette pluridisciplinarité à laquelle tous aspiraient. Vingt ans après
l’ouverture du musée, qui pourrait remettre en cause le bien fondé de la création
pionnière du service culturel ? Dans un monde qui cherche ses repères, les outils
de mise en perspective historique sont fondamentaux : les cours, les
conférences, les grands débats d’histoire culturelle, sociale, d’histoire littéraire ou
musicale, tout cela participe de l’identité du musée.

Porté sur les fonts baptismaux en 1986, le musée a été conçu en réalité bien
avant. Ce grand projet a été mené à bien grâce à l'intervention et au soutien
constants de l'État, en la personne de trois Présidents de la République :
Georges Pompidou, qui en a conçu l’idée, Valéry Giscard d'Estaing, qui l’a
rendue possible en traçant les contours et en définissant la programmation, et
François Mitterrand, qui l'a confirmé et inauguré. Cette convergence de volontés
est remarquable. Mais je n’oublie pas le rôle de certains de mes prédécesseurs,
et en particulier celui de Jacques Duhamel, l'initiateur, Jean-Philippe Lecat, que
je suis très heureux de saluer, Jack Lang et François Léotard, qui en
accompagnèrent la naissance.

Car si les moins de vingt ans peuvent croire que le musée d’Orsay a toujours fait
partie du paysage parisien, rappelons que la gare a échappé de peu à la
démolition au début des années soixante-dix. D’abord inscrit sur l'inventaire
supplémentaire des Monuments Historiques en 1973, le bâtiment a été classé en
1978.

Je tiens également à souligner combien l’Établissement public mis en place pour
la construction du musée fut efficace. Ceux qui en prirent les rênes avaient la foi
des convertis : Jean-Philippe Lachenaud, président, et Jean Jenger, directeur,
puis Jacques Rigaud, président, et la regrettée Madeleine Rebérioux, vice-présidente
de 1981 à 1986. Le défi était de taille : le musée ne devait pas renier
la gare, l’un et l’autre devaient coexister et dialoguer harmonieusement.

Le défi
fut relevé par l’équipe de maîtres d’oeuvres (ACT Architecture), retenue en 1978,
et Gae Aulenti, chargée de l’aménagement intérieur en 1980, y apporta sa note
personnelle. N’oublions pas Michel Laclotte, chef du département des peintures
du Louvre, qui a pensé et conçu le projet, assurant la cohérence et la mise en
oeuvre du programme muséographique, avec la collaboration d'une équipe de
spécialistes qu'il a constituée à ses côtés pour définir notamment les limites
chronologiques, et dont on ne dira jamais avec quelle passion, quelle conviction
elle s’y est investie. Je n’ignore pas non plus tout ce que le musée doit à vos
prédécesseurs, cher Serge Lemoine, je veux parler de Françoise Cachin, qui a
dirigé le musée de 1986 à 1994, et d’Henri Loyrette, qui prit la relève de 1994 à
2001.

Faut-il dresser la liste des expositions mémorables qui ont ponctué la vie du
musée et qui reflètent à leur manière les ressources inépuisables des équipes du
musée ? Je me risque à n’en citer que quelques-unes. En 1987, l’architecture
était à l’honneur avec Chicago, naissance d’une métropole, la photographie en
1994 avec Nadar ; Cézanne en 1998, Burne -Jones l’année suivante, Manet-
Velasquez en 2002, dont on se souvient encore, les Origines de l’abstraction en 2003. Toutes ont trouvé leur public, toutes ont fait avancer la recherche, toutes
ont contribué au rayonnement du musée.

Oui, le bilan de ces vingt années d’existence est plus que positif, il est
encourageant pour l’avenir. L’âge adulte, ce fut le changement de statut, à
compter du 1er janvier 2004, quand le musée est devenu un Etablissement public
à caractère administratif. Les perspectives sont nombreuses : deux des galeries
situées derrière la grande horloge vont être réaménagées dans les collections
permanentes pour présenter les sculptures animalières de Pompon et de Bugatti,
ainsi que les silhouettes du Chat noir.

Dans les années qui viennent, le musée, qui vient de renouveler son atelier
destiné aux enfants, et se prépare à ouvrir un nouvel espace tactile, va se doter
d'un nouveau site Internet, aux capacités techniques et aux offres plus larges.
Pour continuer à se développer, le musée va redéfinir les espaces du pavillon
Amont, avec un gain de 800 mètres carrés. Cela donnera, je le sais, un nouveau
souffle aux collections qui continuent de s’enrichir. Heureux hasard du calendrier,
le musée recueille la formidable donation Rispal, un ensemble tout à fait
exceptionnel de mobilier et d’objets Art Nouveau.

Car le musée d’Orsay est aussi l’oeuvre, en partie, de ses mécènes et de ses
donateurs. Je voudrais en particulier insister sur le rôle fondamental de nos
partenaires japonais, qui font preuve d’une très grande générosité pour les
musées français, et notamment le journal Yomiuri Shimbun, avec lequel a été
signée, hier, une promesse de don pour ce chef-d'oeuvre de Fernand Khnopff,
L'Encens. Je me réjouis du développement des liens tissés de longue date qui se
concrétisent à nouveau de cette manière pour les vingt ans du musée. Je ne
saurai assez les en remercier.

Je voudrais enfin saluer le travail accompli par la Société des Amis du musée
d'Orsay, grâce à laquelle, depuis 1980, six ans avant l'ouverture du musée, tant
d'oeuvres ont rejoint les collections nationales, dont celle que vous offrez
aujourd'hui : un tableau peint en 1910 par André Devambez, Le Seul Oiseau qui
vole au-dessus des nuages et qui est un témoignage supplémentaire de la
qualité de votre action.

Des acquisitions prestigieuses, un accrochage en mouvement, une
programmation sans ornière, et grâce à vous, cher Serge Lemoine, ouverte aux
correspondances et aux résonances avec les créateurs de notre époque, une
pédagogie adoptée à notre temps, un musée accueillant à tous les publics, voilà
une bonne façon de franchir le cap des vingt ans et de tracer l'avenir.

Je vous remercie.

Laisser une réponse