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Ouverture du colloque « la culture est-elle encore un enjeu politique ? » à la Cinémathèque française

Monsieur le Président Directeur général de Radio France, Cher Jean-Paul
Cluzel,

Monsieur le Président d’Arte, Cher Jérôme Clément,

Monsieur le Directeur de France Culture, Cher David Kessler,

Monsieur le Directeur général de la Cinémathèque, Cher Serge Toubiana,

Mesdames, Messieurs,

Qu’Arte et France Culture posent à tous ceux qui, dans notre pays, font
profession de penser, la question de la place de la culture dans le débat
public est utile, nécessaire, indispensable. Permettez-moi de vous dire
d’emblée que j’attends beaucoup de vos débats et de vos réflexions
d’aujourd’hui. Je veux y apporter mon témoignage, celui de l’action.

D’autant que votre sondage confirme ce que beaucoup d’entre nous savent
et disent depuis longtemps : la culture figure, après l’économie et
l’environnement, mais au même titre que la politique étrangère, au premier
rang des préoccupations des Français et des attentes qui sont les leurs,
dans la perspective de l’élection présidentielle. Si la culture est ainsi en
tête, du moins dans les esprits, c’est qu’elle est au coeur de la vie, au coeur
de la société. Je crois profondément que la culture doit être au coeur d’un
projet d’avenir pour la France.

Alors, tout d’abord, à votre question, « la culture est-elle encore un enjeu
politique ? », évidemment, ma réponse est oui. André Malraux eût été
stupéfait que l’on puisse poser la question, lui qui a construit, auprès du
général de Gaulle, le ministère dont j’ai aujourd’hui la charge, non
seulement, selon la belle expression de Pierre Moinot, « à partir de presque
rien et contre presque tous » ; mais en lui donnant une âme, une ambition
majeure, un destin capable de transformer une société, et qui continuent de
nous inspirer chaque jour.

Je tiens à rappeler ici les termes mêmes du décret du 24 juillet 1959 qui a
créé le ministère des Affaires culturelles :
« rendre accessibles les oeuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la
France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste
audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des oeuvres de
l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. » Si votre question est si utile et si
nécessaire aujourd’hui, c’est que se sont écoulées, précisément depuis la
disparition d’André Malraux, ce que j’appellerais les « Trente Glorieuses »
de la culture. Et s’agissant de l’accès à la culture, cet objectif concerne
aussi au premier chef le domaine de la communication.

Que nous apprennent ces « Trente Glorieuses », et que nous confirme
aussi votre sondage ? Ce que je constate chaque jour depuis plus de
deux ans et demi : n’en déplaise à certains, c’est que la culture n’est
plus un enjeu partisan, un facteur de clivages. Devenue un sujet de
consensus, opinion partagée par 54 % des personnes interrogées, elle
ne saurait redevenir un enjeu politicien.

Cela nous engage, cela m’engage, en tant que responsable politique,
d’autant plus à faire de la culture une priorité du débat et de l’action
politiques.

Passer de la « culture pour tous » à la « culture pour chacun », c’est
l’enjeu politique décisif de notre politique culturelle aujourd’hui et
demain.

Que la culture soit une attribution régalienne de l’Etat, nul ne le conteste
plus aujourd’hui. Depuis 2002, le budget de la culture n'a cessé
d'augmenter et cette augmentation s'est accélérée depuis 2004. Alors,
le terme, le slogan, le fantasme de désengagement, que j'entends
parfois agiter, ici ou là, il ne se traduit ni dans les chiffres ni dans
l'action.

L’enjeu politique aujourd’hui, c’est de continuer à soutenir cet effort, d’en
faire une exigence, de maintenir cet engagement. Il ne s’agit pas tant de
le « sanctuariser » – terme qui peut apparaître défensif – que d’adopter
une vision offensive, dynamique, et non pas statique. Cette conception
de l’engagement de l’Etat qui est la mienne permet d’exercer un effet de
levier, une véritable capacité d’entraînement, un potentiel de
développement de l’ensemble des acteurs de la politique culturelle, et je
veux parler, bien sûr, du rôle essentiel des collectivités territoriales, qui
sont, il faut le rappeler, à l’origine des deux tiers des dépenses
publiques en matière de culture, mais aussi des contributeurs privés.

C’est un acquis récent, que nous devons à notre législation, et à
l’application que nous en faisons, sur le mécénat et les fondations ; leur
part n’est plus taboue, congrue, frileuse, elle participe pleinement de
cette addition des énergies, sans réduire en quelque façon la
responsabilité et l’impulsion des acteurs publics.

L’enjeu politique clé de la culture aujourd’hui, c’est la diversité culturelle.
Dans un monde où 85% des places de cinéma vendues le sont pour des
films produits à Hollywood, mais où, pour la première fois, les
spectateurs des films français sont plus nombreux hors de nos frontières
que dans nos salles ; dans un monde où nous parvenons à relocaliser
les tournages en France, grâce aux crédits d’impôts et à l’aide des
régions, l’adoption, le 20 octobre 2005, à l’UNESCO, à la quasiunanimité
des pays du monde, de la Convention sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles, est un acte
majeur, fondateur : pour la première fois dans l’histoire, un véritable droit
international de la culture apparaît, garant de la vitalité et de la
singularité des créations artistiques, mais aussi du dialogue des
civilisations, si nécessaire à notre temps, dont témoigne également
l’ouverture du musée du Quai Branly.

Ne nous y trompons pas : aujourd’hui, il n’y a pas d’enjeu plus politique
à l’échelle internationale. Dans un monde marqué par les violences, les haines, les fractures, la diversité culturelle est une valeur forte, non
seulement de rayonnement, mais surtout de paix, parce qu’elle incarne
l’acceptation de l’autre, la compréhension de soi, et donc des autres, de
leurs différences, à la lumière de notre propre identité.La culture est
donc un enjeu politique fort en Europe. Je n’hésite pas à affirmer que
l’Europe,« unie dans la diversité » sera culturelle ou ne sera pas : c’est
par la culture qu’il faut refonder le projet politique européen. Tel est le
sens du Label européen du patrimoine, que j’ai proposé pour mettre en
valeur la dimension européenne des biens culturels, monuments, sites
naturels ou urbains et des lieux de mémoire. Les premiers sites
devraient être labellisés le 25 mars 2007, jour du cinquantième
anniversaire du Traité de Rome.

J’ai tenu à valoriser l’ensemble des métiers de la culture,
particulièrement ceux du spectacle vivant, pour inciter encore davantage
nos concitoyens à découvrir l’extraordinaire vitalité de la création et des
activités culturelles, mais aussi, pour ouvrir tous les lieux publics du
patrimoine et les écrans du service public de l’audiovisuel à toutes les
expressions artistiques et culturelles.

A l’heure où plus d’un Français sur deux est internaute, et la plupart
d’entre eux connectés à haut débit, à l’ère numérique où nous sommes
désormais entrés de plain-pied, il y a une chance formidable à saisir
pour donner un nouvel élan à l’accès de tous à la culture, en la rendant
accessible en tous points du territoire.

Bien sûr, la numérisation soulève d’importants problèmes. Elle
constituerait une menace grave pour la création, si aucune action
appropriée de l’Etat n’était engagée. C’est pourquoi j’ai tenu à protéger
la propriété intellectuelle, à défendre la liberté des auteurs, à promouvoir
les offres légales d’oeuvres, sans démagogie, et avec le souci de l’avenir
de la création, en transposant la directive européenne relative au droit
d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

En réalité, la numérisation doit être une chance pour la culture. C’est
pourquoi j’ai souhaité la numérisation des archives de l’Institut National
de l’Audiovisuel, dont la mise en ligne connaît un très grand succès.
C’est pourquoi le projet de bibliothèque numérique européenne est
fondamental. L’ensemble des chantiers numériques est au centre d’une
politique culturelle moderne.

C’est aussi dans cet esprit, après le succès du lancement de la TNT,
que je défends au Parlement le projet de loi sur la modernisation
audiovisuelle et la télévision du futur, qui vient d’être adopté par le Sénat
et qui doit être discuté à l’Assemblée nationale en janvier. La
multiplication par trois de l’offre gratuite de programmes de télévision
pour tous les Français doit garantir que la culture n’y soit pas seulement
présente, chère Catherine Clément, « la nuit et l’été ».

La culture a une importance essentielle pour l’économie de notre pays,
pour son attractivité. Faut-il rappeler que la France est la première
destination touristique dans le monde, que la culture en est une
composante essentielle, puisqu’elle constitue une motivation déclarée
pour la moitié des 75 millions de visiteurs ? Faut-il rappeler que les
activités culturelles emploient près d’un demi-million de personnes dans
notre pays ?

La vitalité de la création est un enjeu politique, mais aussi industriel,
économique et social.

Ce qui m’anime, c’est qu’en chaque lieu en France, dans chaque ville,
un spectacle soit proposé, que les artistes et les techniciens aient la
possibilité de le réaliser, et que le plus grand nombre possible de
Français puissent aller le voir. C’est dans cet esprit que j’ai agi pour la
danse, le théâtre, les arts de la rue, le cirque, la musique, pour
développer l’activité artistique, pour de meilleures conditions d’emploi
pour les artistes et les techniciens, pour ouvrir les possibilités de créer,
de jouer et de représenter.

C’est dans cet esprit que j’ai pris de nombreuses mesures destinées à
stimuler, accompagner et encourager la création contemporaine, la
création de nouveaux lieux et de nouvelles structures, à Paris comme en
régions ; le lancement d’évènements-phares pour porter les couleurs de
nos artistes par delà les frontières, comme la Force de l’Art au Grand
Palais.

La culture est un facteur essentiel pour renforcer la cohésion et l’identité
de notre société.

Il aura fallu attendre octobre 2006 pour que les cultures urbaines soient,
elles aussi, accueillies au Grand Palais, non seulement pour enchanter
50 000 visiteurs, mais surtout pour montrer que la fierté nationale et
internationale et la diversité culturelle et sociale ne se divisent pas. Elles
s’additionnent, elles se multiplient et se nourrissent l’une de l’autre. Je
crois profondément que la cohésion sociale et l’avenir de la société
française passent par les cultures urbaines et leur reconnaissance, car
celles-ci sont foisonnantes, créatives, et originales.

Il reste beaucoup à faire pour continuer à ouvrir l’accès à la culture.
L’éducation artistique et culturelle, désormais inscrite dans le socle
commun de connaissances qui définit le contenu de base de
l’enseignement scolaire obligatoire, stimulée par la multiplication des
jumelages et parrainages entre les lieux d’enseignement et les
institutions culturelles, est une priorité politique forte à cet égard.

Bâtir un projet politique sur la culture, c’est agir pour donner confiance à
la société française, dans toute la diversité des populations et des
territoires qui la composent. Après l’effondrement des « grands récits »,
à l’heure où « l’ensauvagement du monde » succède au
désenchantement du monde, c’est par la culture que la France est plus
ancienne qu'elle ne le sait, plus grande qu'elle ne le croit, plus
audacieuse, plus généreuse qu'elle ne l'imagine. Que la France déborde
ses frontières, par son patrimoine, par ses créations. Une France qui
porte dans le monde un message de respect, de dialogue, de solidarité.

Un message plus que jamais nécessaire aujourd’hui pour créer une
dynamique, pour refuser la spirale des peurs et des replis, pour réunir
une large majorité de Français – je ne parle pas seulement d’une
majorité politique – autour de valeurs communes et partagées.

Je vous remercie.

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