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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Sylvie Joly

Chère Sylvie Joly,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui rue de Valois. Votre
humour, votre tempérament, votre charisme, votre esprit et votre amour
des mots, avec lesquels vous jouez allègrement, ont fait de vous une
grande dame de la scène française, une artiste unique, attachante, dont
les faux grands airs masquent à peine une réelle générosité. Vous avez
largement contribué à donner ses lettres de noblesse à l’humour au
féminin, ouvrant la voie à des générations de comédiennes.

De l’humour, de la personnalité, et de l’audace, vous n’en avez
certainement jamais manqué, et si les nombreuses institutions
religieuses que vous avez fréquentées pendant votre jeunesse n’ont
pas décelé à l’époque la grande artiste qui pointait derrière l’élève
dissipée, vous pouviez toujours compter sur vos amies d’enfance, parmi
lesquelles celle qui devint plus tard Madame Jacques Chirac, pour vous
fournir les cours que vous aviez manqués !

Ce goût des mots, du jeu et de l’emphase, vous l’avez sans doute
affermi grâce à votre première profession d’avocate, que vous avez
exercée pendant cinq ans, le temps de faire plaisir à votre père qui vous
rêvait en actrice principale à la barre, alors que votre imagination
voguait déjà vers d’autres scènes.

Vous décidez d’abandonner votre carrière d’avocate après ces cinq
années, afin de vous consacrer entièrement à votre passion pour les
planches et vous vous lancez dans un apprentissage intensif de l’art de
la scène, au Cours Simon tout d’abord, mais aussi au « Petit
Conservatoire de la chanson », et au cours de music-hall de l’Olympia.

Quelques bonnes fées ont veillé sur vous, notamment Tania Balachova,
qui vous permit d’interpréter La matinée d’un homme de lettres, d’après
Tchekhov, et Mireille, qui avait le don de révéler le meilleur de chacun ;
« Toi, tu parles » disait-elle. Et vous êtes effectivement montée sur
scène pour parler, lors de spectacles d’abord improvisés, dès le début
des années 70, dont vous redoutiez, avec votre soeur Fanny, et votre
frère Thierry, co-auteurs, qu’ils ne fassent rire que votre famille, mais
qui ont marqué en réalité le début d’une grande histoire d’amour avec le
public.

Le public vous a effectivement adoptée dès votre premier spectacle,
enlevé, décalé et irrésistible, Show bourgeois, donné en première partie
d’un récital de Georges Brassens à Bobino.

Les succès s’enchaînent ensuite, avec le désopilant J’peux pas jouer, à
l’Olympia, écrit avec votre soeur Fanny, puis Heula c’travail, avec votre
soeur et votre frère, tout comme La vie, c’est pas d’la rigolade, et Sylvie
Joly au Palais des Glaces. Henri Mitton co-écrit Ne riez jamais d’une
femme qui tombe, et, avec Fanny et Thierry Joly, Je suis votre idole, que
vous jouez et chantez au Casino de Paris, toujours avec le même succès.

Seuls votre frère et votre soeur pouvaient écrire La si jolie vie de Sylvie
Joly, votre spectacle en partie autobiographique, dont la reprise à
l’Olympia, dans la mise en scène de François Bourcier, a été nommé
meilleur spectacle comique aux Molière en 1995. Ce dernier réalisa
également La Cigale et la Joly, qui a également été nommé Molière du
meilleur « one man show » en 1999.

Vous travaillez donc « en famille », fidèle à ceux qui ont su vous donner, à
travers tous ces spectacles, ce ton si particulier, à mi-chemin entre
tendresse et cruauté, et inventé cette galerie de personnages, tous plus
fous les uns que les autres, de Madame Touchard à La mère super
dépassée, en passant par la fabuleuse Catherine, la formidable Catherine,
mère et épouse bouffie de prétention, qui n’a qu’un secret, qui est aussi le
vôtre : « Je suis moi, c’est tout. »

Votre dernier spectacle, La Cerise sur le gâteau, concentre tout votre art,
absurde, insensé, hilarant, et prend des airs de comédie musicale,
puisque vous y livrez un répertoire de chansons que vous conserviez
précieusement depuis le Petit Conservatoire de Mireille. Vos personnages
sont toujours aussi illuminés, de la Baronne du XVIe qui rackette les
adolescents du quartier pour leur dérober leurs vêtements de marque, à la
patiente dépressive d’un psychiatre alcoolique, en passant par une grand-mère
empêtrée dans son fauteuil roulant.

Snobs, paumées, agressives, frustrées, hystériques, gouailleuses,
souvent fragiles, toujours loufoques, vos héroïnes habitent un univers
débridé, coloré, un monde parallèle dans lequel le public plonge avec
délectation et ressort ébloui, et hilare.

Vous vivez mille vies sur scène, comme à l’écran, puisque vous vous êtes
illustrée dans de très nombreux rôles à la télévision et au cinéma, où,
depuis vos débuts, vous avez prouvé que l’expression « second rôle » est
particulièrement mal choisie en ce qui vous concerne : vous avez tourné
avec les plus grands réalisateurs, et notamment avec Jean-Pierre Mocky,
aux côtés de Michel Serrault, dans Le Miraculé, avec Bertrand Blier dans
Les Valseuses, Préparez vos mouchoirs et Calmos, avec Henri Verneuil
dans 588 rue du Paradis, mais aussi avec Claude Lelouch dans Les
Misérables et Jean-Marie Poiré pour Les Visiteurs II.
Votre talent n’a d’égale que votre générosité puisque vous n’avez jamais
hésité à mettre le pied à l’étrier de jeunes artistes, comme Pierre
Palmade, dont vous avez signé la mise en scène pour le spectacle Ma
mère aime beaucoup ce que je fais, au Point Virgule.

Libre, ouverte, curieuse et audacieuse, vous avez également ouvert, et
tenu, un dépôt-vente de vêtements de luxe à Paris, le Saint Frusquin,
peut-être parce que pour vous, à l’image de ces femmes dont vous
croquez les travers et les folies dans vos spectacles, ces vêtements qu’on
a abandonnés parce qu’on les trouve vieux, bizarres, criards, tristes,
vieillis, importables, recèlent des trésors, et des histoires extraordinaires.

Oui, vous vivez mille vies à la fois, avec cette énergie et cet bonne
humeur incomparables qui ont fait de vous une véritable diva de l’humour
français.

Chère Sylvie Joly, au nom de la République, nous vous faisons chevalier
dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

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