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« Rencontres de Fès : une âme pour la mondialisation » Fès au Maroc

Monsieur le Conseiller, Cher Mohamed Kabbaj,

Monsieur le Président du Festival des musiques sacrées du monde,

Monsieur le Professeur Faouzi Skali,

Madame la Présidente, Chère Katherine Marshall,

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Il est des moments inoubliables, des moments d’intenses émotions et
de grandes joies partagées, comme ceux que nous sommes en train de
vivre. Je tiens tout d’abord à vous remercier et à remercier tout
particulièrement Monsieur le Ministre Mohammed Achaâri de m’avoir
invité aujourd’hui dans ce cadre somptueux, magique, au coeur de cette
ville de Fès qui porte en elle la prestigieuse histoire du Maroc.

Une
histoire qui a imprimé dans les pierres, les esprits et les coeurs de cette
cité, les traits d’une brillante et vibrante culture. La chaleur de votre
accueil et la force de votre amitié témoignent de la nature des liens
particuliers et anciens qui existent entre nos pays et que je ressens
personnellement et profondément, à chaque fois que je viens au Maroc.

Oui, ce sont des liens de respect, d’affection, de confiance, de
fraternité, qui nous unissent, qui nous rapprochent et qui confèrent aux
moments que nous partageons une qualité exceptionnelle, qu’il s’agisse
de nous recueillir et de vibrer ensemble à l’unisson de la virtuosité
extraordinaire des Arts Florissants de William Christie, comme hier soir,
lors du magnifique concert d’ouverture du festival, ou de construire
ensemble des projets de coopération, comme celui que nous élaborons
en faveur du rayonnement de la bibliothèque nationale du Royaume du
Maroc, ou encore, de dialoguer et de réfléchir ensemble, comme nous
avons la chance et le plaisir de le faire ce matin.

La mondialisation a-t-elle une âme ? Telle est la question, on ne peut
plus actuelle, à laquelle vous nous avez invité à réfléchir aujourd’hui, à
Fès, en ce lieu hautement symbolique de l’histoire et du rayonnement
de la culture et de la tradition marocaines, qui illustre à la fois l’héritage
et la vitalité d’une brillante civilisation et la richesse des projets d’un
grand pays moderne, largement ouvert sur le monde et résolument
tourné vers l’avenir.

Nous pouvons tenter de répondre en revenant un instant sur le concert
d’hier soir. Le philosophe Schelling disait de Mozart, ou plutôt de sa
musique, qu’elle exprimait « l’âme du monde ». C’était l’époque où Kant
imaginait et élaborait un projet de paix perpétuelle. Les philosophes des
Lumières avaient compris ce que nous éprouvions hier soir devant la
pièce écrite par Mozart pour le concert spirituel, magistralement
interprétée par les Arts Florissants, mais aussi ce que nous partagerons
sans aucun doute cet après-midi en écoutant Hassan Haffar et Omar
Sermini, venus de Syrie, et ce soir en assistant au dialogue des paroles,
des danses et des chants d’Espagne, d’Iran, d’Inde et du Mali : chacun
de ces spectacles, chacune de ses rencontres est unique. Et à chaque
fois, la musique contribue non pas à abolir les frontières, mais à les
dépasser, puisque tout en respectant, et en mettant en valeur l’identité
exceptionnelle du site unique du concert, nous percevons, ici comme
ailleurs, et sans doute plus qu’ailleurs, sa force universelle, son sens de
la solidarité humaine et de la transmission.

Oui, les musiques de Fès
s’adressent au monde entier comme à chacune et à chacun d’entre
nous. Puisque mon collègue Mohamed Achaâri est un grand poète, je
reprendrai le titre de l’un de ses livres, pour constater que nous avons
tous « Deux yeux aussi vastes que le rêve ». Et, face à la diversité et à
la profondeur des harmonies de Fès, nous sommes tous ensemble, tous
semblables. Ce qui nous rapproche est bien plus fort, bien plus grand,
bien plus évident que ce qui nous sépare : un pont jeté entre deux rives,
dans la fidélité aux enseignements que dispensèrent ici, à la Qaraouine,
l’une des plus anciennes universités du monde, parmi tant d’autres
sages illustres, Maïmonide, mais aussi Ibn Khaldoun, Ibn Arabi, Ibn Al
Banna.

Oui tel est « l’esprit de Fès », car ce Festival, et ce forum, sont bien des
lieux où soufflent l’esprit. Cet esprit est fait de cette harmonie entre
l’universalité, la singularité et la diversité, harmonie humaine autant que
spirituelle, qui s’adresse au coeur et à la raison de chaque homme
comme à l’ensemble de l’humanité.

Tel est bien le thème fédérateur choisi par le Festival de Fès cette
année : Harmonies, au pluriel. Quel plus beau mot d’ordre pour ce
nouveau monde qu’il nous appartient aujourd’hui de dessiner,
ensemble ? A l’heure où les frontières s’ouvrent, où les contours
s’estompent, où la circulation et la communication n’ont jamais été aussi
faciles, comment ne pas y voir une injonction, une exigence, une
nécessité impérieuse ? Car l’harmonie n’est pas l’unification,
l’aplanissement, l’affadissement, elle ne vise pas une tonalité unique,
une couleur neutre, une seule parole ou une seule culture. Bien au
contraire, les harmonies sont faites de diversités, de différences, de
confluences. Qu’elles viennent du corps, du coeur ou de l’esprit, elles
associent des sons, des musiques, des couleurs, des formes, qui
dialoguent et se répondent, se nourrissent et se subliment
mutuellement.

De même, les rapports entre les religions et les sociétés, entre les
pouvoirs spirituels et temporels, religieux et politiques, peuvent, doivent,
j’en suis convaincu, s’établir dans l’harmonie, en distinguant et en
respectant, la sphère de l’un et la sphère de l’autre, mais aussi les traditions collectives. Cela d’autant plus que le mondialisation est en
train de bouleverser les normes sociales et les relations de
communication. La religion revient donc à ses deux sources
étymologiques latines : relegere – recueillir, rassembler ou religare –
relier. La religion est d’abord un ensemble de relations entre les
hommes et Dieu. Elle est aussi un dépassement de soi, un
franchissement des frontières de l’individu, une ouverture au monde.

Comme l’a écrit Mohammed Bennis, né à Fès, « point de fin pour qui
élargit la source de sa soif ». Le grand mouvement spirituel prophétisé
par Malraux pour ce XXIe siècle ne doit pas se traduire par une
confusion entre pratique religieuse, engagement politique et éthique
sociale. Et ce, quelle que soit la religion et quelle que soit le pays. Car
c’est de ce terreau que se nourrissent les intégrismes, tous les
intégrismes, les violences, les replis sur soi, les incertitudes, les chocs,
les pertes de repères, les revendications identitaires qui traversent le
monde actuel. Soyons lucides et vigilants sur ce point essentiel, en
France comme au Maroc! Soyons actifs et déterminés, pour préserver
l’humanisme et l’universalisme qui doivent inspirer selon moi avec
constance, en toute circonstance, nos pratiques religieuses, mais aussi
culturelles et politiques !

Dès 1960, peu après la création du ministère de la culture en France,
l’Unesco lançait un appel pour sauver les monuments de Haute Egypte.
L’organisation internationale, qui s’efforce aujourd’hui, avec le soutien
de la France et de très nombreux pays, d’ancrer le respect de la
diversité culturelle dans le droit international, en faisant ratifier la
convention adoptée le 20 octobre dernier inventait, à l’époque, la notion
de témoignage, entre les statues et ce qu’il appelait leur âme, en
ajoutant : « Il n’est qu’un acte sur lequel ne prévale ni la négligence des
constellations, ni le murmure éternel des fleurs : c’est l’acte par lequel
l’homme arrache quelque chose à la mort ».

L’an dernier, la
communauté internationale a franchi une nouvelle étape fondatrice en
adoptant à la quai unanimité la convention internationale sur la diversité
culturelle dans le cadre de l’Unesco. Et je sais toute la part que le Maroc
a prise à cette réussite du dialogue des cultures. Je suis heureux de
vous annoncer que le projet de loi de ratification de cette convention est
inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale française la semaine
prochaine. La diversité culturelle est une valeur essentielle dans le
monde d’aujourd’hui.patrimoine commun de l’humanité, qui a permis
d’inscrire Fès sur cette liste universelle.

André Malraux dressait, avec
toute la force de son éloquence, un vibrant parallèle entre la « grandeur
spirituelle » des civilisations et des monuments qui en sont le
témoignage, entre les statues et ce qu’il appelait leur âme, en ajoutant :
« Il n’est qu’un acte sur lequel ne prévale ni la négligence des
constellations, ni le murmure éternel des fleurs : c’est l’acte par lequel
l’homme arrache quelque chose à la mort ». L’an dernier, la
communauté internationale a franchi une nouvelle étape fondatrice en
adoptant à la quai unanimité la convention internationale sur la diversité
culturelle dans le cadre de l’Unesco. Et je sais toute la part que le Maroc
a prise à cette réussite du dialogue des cultures.

Je suis heureux de
vous annoncer que le projet de loi de ratification de cette convention est
inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale française la semaine
prochaine. La diversité culturelle est une valeur essentielle dans le
monde d’aujourd’hui.

Puisque la diversité culturelle, c’est celle des expressions artistiques et
notamment celle des cinématographies du monde, j’évoquerai ici, dans
ce grand pays de cinéma, le chef d’oeuvre de Alejandro Gonzalez
Inarritu, Babel, qui vient de recevoir le prix de la mise en scène au 59e
Festival de Cannes.

Ce film a été tourné dans quatre pays différents,
Etats-Unis, Mexique, Japon et ici même, au Maroc. Il fait bien sûr
référence au fameux récit de la Genèse. Il illustre aussi de façon
exemplaire les enjeux, les risques et les défis d’une mondialisation qui,
ne passant pas par l’acceptation, la connaissance et le respect mutuels
des cultures et des identités des peuples, accroîtrait l’incommunicabilité
entre les populations. Il montre les dangers d’une circulation plus vaste
des hommes, mais qui ne se ferait qu’en cars climatisés, hermétiques,
posant un regard ouvert sur le monde, mais à travers l’écran des peurs
et des préjugés. Il expose les paradoxes d’une globalisation des
échanges commerciaux et financiers, des technologies et des moyens
de communication, qui se ferait sans les forces culturelles et spirituelles
qui ne sont pas le supplément d’âme, mais l’âme même de la
mondialisation.

Le fait religieux s’inscrit assurément au plus profond de l’histoire de
l’homme. Par-delà toutes les différences dans le temps ou dans
l’espace, comme l’a souligné le professeur Jean Delumeau, « l’homme
se définit avant tout comme un homo religiosus, qui s’interroge sur le
sens, la finitude, la mort ». Par la recherche d’absolu qu’elle véhicule, la
spiritualité est à l’origine de certaines des plus belles réalisations
humaines. Sur tous les continents, dans toutes les civilisations, c’est à
cette quête que l’on doit beaucoup des créations artistiques, musicales,
architecturales ou littéraires, parmi les plus fortes et les plus
marquantes.

Le dialogue interreligieux est certainement l’une des voies qui peut faire
aboutir notre "quête du sens" dans un monde souvent désenchanté et
assoiffé de spiritualité. Et ce monde, notre monde, est confronté à la
violence qui s’exerce parfois au nom des religions, trahissant le
message qui les a vu naître.

Au temps du brassage des populations, des cultures, des identités, où
nos sociétés sont confrontées à de nouveaux défis, soyons fiers de nos
racines spirituelles et culturelles, conscients des apports du fait religieux,
assumons sereinement la diversité, la polyphonie du monde, dans un
même souci commun d'enrichissement mutuel et de paix.

Les Français, tout comme les Marocains, et tous ceux qui ont la chance
de participer au Festival de Fès, manifestent leur attachement aux
patrimoines, aux racines, aux identités, mais aussi aux créations qui
participent à notre rayonnement culturel et spirituel, individuel et collectif.

Il me paraît particulièrement utile aujourd’hui de rappeler que notre
patrimoine n’est pas fait seulement de monuments et de pierres, de
notes et de rythmes. Il est aussi, et à Fès l’on peut dire certainement
avant tout, un héritage de valeurs que nous ont légué les siècles et que
nous avons le devoir de transmettre et d’enrichir à destination des
générations présentes et futures, pour forger un avenir, un projet, un
destin partagés, un bien commun, de part et d’autre des deux rives de la Méditerranée, comme l’harmonie, l’accord des sons d’un instrument, la
résonance des cordes, la succession des esthétiques, nous
rassemblent, ainsi que le disait Pythagore, « par la vertu de cet art qui
doit se percevoir par l’intelligence ».

Puissent vos débats d’aujourd’hui établir cette harmonie !

Je vous remercie.

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