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Remise des insignes d’Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Yvon Thiec

Cher Yvon Thiec,

Je suis très heureux de vous accueillir dans ces salons de la rue de
Valois, pour cet hommage placé sous le double signe de l’amour du
cinéma et de l’Europe. Vous êtes un défenseur ardent de la diversité
culturelle, de sa valeur intrinsèque, irréductible à une quelconque valeur
commerciale, irréductible à une logique de marché. Vous avez porté
haut et fort ce message dans les institutions européennes, afin que le
magnifique projet d’union des pays de l’Europe ne signifie pas la
dissolution, l’affadissement des cultures de chacun d’entre eux.

Oui, la construction européenne a besoin d’enthousiasme, d’énergie, de
ferveur, et elle a aussi besoin de vigilance. Votre enthousiasme de
citoyen européen, vous l’avez mis au service de la culture, conscient que
sa défense, malgré les progrès remarquables enregistrés jusqu’à
aujourd’hui, nécessite une mobilisation de chaque instant. À Bruxelles,
vous êtes aujourd’hui cette vigie des professionnels français de la
production, de la distribution, mais aussi des auteurs.

L’idée européenne vous a séduit très tôt. Adolescent, vous partiez
souvent en Allemagne dans le cadre d’échanges linguistiques. Vous y
avez notamment été le témoin de l’émotion qu’a suscitée en 1968
l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques. C’est à ce
moment là que vous avez pris conscience de votre appartenance à
l’Europe, cet ensemble divers au sein duquel nous sommes parvenus à
bâtir, non seulement une zone de prospérité économique, mais aussi
une paix durable.

Après vos études de droit en France, vous avez rejoint l’Institut
universitaire européen de Florence, à la Badia Fiesolana, abbaye du
XVe siècle, ancienne résidence des évêques de Fiesole, dressée, dit-on,
à l’endroit où Saint Romulus fut martyrisé. Vous obtenez un doctorat en
science politique, après vous être passionné pour les théories de
Gustave le Bon sur la psychologie, et l’irrationalisme des masses, sur
lesquelles vous avez publié plusieurs ouvrages. L’oeuvre majeure de ce
« prophète », comme vous l’avez écrit, La psychologie des foules, a été
publiée en 1895, date symbolique également pour votre autre grande
passion, le cinéma, puisque c’est aussi l’année de la fameuse première
projection des Frères Lumière au salon indien du Grand Café de Paris.

Fort de cette formation, vous avez rejoint le Parlement européen, où
vous avez conseillé le groupe libéral, d’abord sous la présidence de
Simone Veil, puis, par la suite, de Valéry Giscard d’Estaing. Votre
grande intuition politique et la connaissance profonde que vous avez
acquis des rouages et des enjeux de la construction européenne vous
font prendre conscience très tôt du rôle éminent que la culture doit y
jouer.

Les professionnels français du cinéma et de l’audiovisuel vous confient la
défense de leurs intérêts auprès des institutions européennes, et
particulièrement de la Commission. Vous créez alors Eurocinéma, une
association professionnelle qui représente les intérêts des producteurs de
l'Union Européenne pour tout ce qui touche directement ou indirectement
à la production cinématographique et télévisuelle.

Vous n’avez depuis cessé de vous battre pour que la création acquière
une place particulière, à l’écart des règles libérales prévalant pour la
plupart des secteurs économiques. Vous avez été l’un des tout premiers à
défendre la notion d’exception culturelle, concept fort qui a donné
naissance à l’exigence de diversité culturelle. Vous avez fait vôtre ce
précepte de Tzvetan Todorov, hérité de nos meilleurs philosophes du
XVIIIe siècle : « L’identité de l’Europe, et donc sa « volonté générale »,
pourra s’affirmer si l’on s’appuie sur les analyses faites à l’époque des
Lumières ; si, au lieu d’isoler telle qualité pour l’imputer à tous, on prend
pour base de l’unité le statut accordé à nos différences et les manières
d’en tirer profit. »

Depuis le Cycle de l’Uruguay, la plus vaste négociation commerciale de
tous les temps, qui a conduit à la création de l’Organisation Mondiale du
Commerce, par votre mobilisation de chaque instant, vous avez permis à
la culture d’obtenir toujours plus de garanties et de droits dans ce
nouveau monde qui se dessine. Si aujourd’hui, nous pouvons nous
féliciter d’avoir obtenu de la Commission européenne la validation des
aides d’État au cinéma et à l’audiovisuel, c’est grâce à des hommes
comme vous, qui font progresser, tous les jours, concrètement, la diversité
culturelle.

Aujourd’hui l’Europe prend un nouveau visage. Elle est plus soucieuse
que jamais des enjeux de la création et de la diffusion des oeuvres des
pays qui la forment. Ce progrès considérable de la culture en Europe
devra cependant faire l’objet d’une mobilisation constante dans les
années à venir. Je sais pouvoir compter sur votre force de persuasion, sur
votre talent, pour faire en sorte que la création puisse continuer à se
développer dans l’Union et que la diversité culturelle s’épanouisse dans le
monde.

Cher Yvon Thiec, au nom de la République, nous vous faisons chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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