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Lancement de la semaine de la langue française et la remise du prix Raymond Devos à Pierre Palmade

Mesdames, Messieurs, chers Amis,

Nous sommes fort nombreux ce soir, et je m'en réjouis, pour fêter notre
langue, puisque nous célébrons aujourd’hui la Semaine de la langue
française, qui s'est ouverte vendredi dernier au Salon du livre ; nous
nous réunissons aussi pour célébrer le talent de Pierre Palmade, que le
prix Raymond-Devos de la langue française vient de distinguer ; et ces
deux célébrations conjuguées font de cette soirée une occasion
particulièrement festive, dont je voudrais souligner un instant la portée.

Avec cette onzième édition, la Semaine de la langue française s'inscrit
en effet dans le paysage à présent familier de nos célébrations, mais elle
a lieu cette année dans un contexte particulier, puisqu’elle a été invitée
en 2006 à donner le coup d'envoi de Francofffonies !, le festival
francophone en France, voulu par le président de la République et
officiellement inauguré par le président Abdou Diouf au Salon du livre,
jeudi soir dernier.

Selon ses propres termes, ce festival "réaffirmera avec
force l'actualité et la vitalité du projet francophone". Ainsi, de mars à
octobre, avec Francofffonies !, notre pays recevra près de 2 000 artistes
et créateurs, mais aussi intellectuels et scientifiques, venus des cinq
continents pour participer à quelque 400 manifestations. Quelle
meilleure illustration concrète du combat mené par la France et la
Francophonie pour le respect de la diversité culturelle ?

A l'orée de cette année francophone, qui sera si riche en manifestations
dans l'éventail complet des arts et des cultures, il était naturel de
célébrer d'abord notre langue : car elle est le lien fondateur, elle est le
ciment de cette myriade de pays, de peuples, de terres, de couleurs et
de climats qu'est la francophonie ; elle est ce "français en partage" qui
en définit ou en légitime l'existence elle-même. C'est également
pourquoi, en 2006, la Semaine de la langue française a choisi de mettre
en valeur les solidarités francophones.

C'est bien par la langue française, en effet, que ces solidarités
s'établissent. Par notre langue ; c'est-à-dire par une référence commune,
culturelle autant que linguistique, partagée par tous et portée par
chacun. L'État et les pouvoirs publics doivent certes veiller à son usage :
ils s'y emploient en garantissant un droit au français, et le cas échéant
en créant les conditions d’exercice de ce droit là où il pourrait paraître
menacé. C’est tout le sens de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, qu’à
titre exceptionnel, j’ai demandé aux Archives de France de bien vouloir
nous prêter ce soir, et que vous avez pu découvrir dans la salle d’à
côté : aujourd’hui comme en 1536, il s’agit de permettre à l’usager, au
citoyen – comme hier au justiciable – de recourir à « sa » langue, et non à
une langue d’emprunt.

Mais qui ne voit en même temps qu'une langue, c'est un destin commun ?

Que chacun doit avoir le souci de notre langue, et contribuer à la faire
vivre ? Car notre langue, c'est notre bien à tous, et nous avons tous notre
rôle à jouer – notre mot à dire – pour que le français continue, lui, de jouer
son rôle. Oui, le message porté par la Semaine, c’est que la langue, avant
d’être l’affaire de l’Etat, est d’abord la responsabilité du citoyen.

En donnant à notre amour de la langue un tour festif, la Semaine de la
langue française propose chaque année au public une guirlande de dix
mots, dont il s'empare pour jouer, pour créer ou pour s’instruire… Le
propos de la Semaine de la langue française n'est pas d'offrir au public un
événement tout préparé, mais à l'inverse de l'inviter à faire siens les dix
mots, à se les approprier comme francophone, comme citoyen, comme
acteur de la langue française.

D’efficaces relais d’opinion nous y ont aidé
cette année encore, et je voudrais remercier ici chaleureusement nos
partenaires, France 2, Le Figaro, Europe 1, la RATP, les dictionnaires
Larousse de nous avoir accompagné dans cette aventure. Grâce à leur
appui et au soutien de TV5, les amoureux de notre langue – non
seulement en France mais partout dans le monde – ont par centaines
multiplié les initiatives, les manifestations, les concours, les célébrations
autour de la langue française. Les mini-messages (c'est le terme officiel,
je n’aurais garde d'en employer un autre !) diffusés sur ces écrans autour
de moi témoignent ainsi de notre attachement à notre langue et de sa
modernité, sa vitalité, son inventivité…

Ces dix mots qui signent la Semaine de 2006, je voudrais à mon tour m'en
saisir : je les vois en effet illustrer un triple thème, définir trois caractères
intrinsèques de la francophonie elle-même. Je vois dans ces dix mots
l'exaltation du multiple, de la relation et du mouvement.

La relation, pour commencer par elle, trois mots de la Semaine
l'évoquent : TRESSER, ESCALE et HÔTE. Ils renvoient tous à l'image du
lien, des réseaux, des parentés qui nouent d'une communauté à l'autre
amitiés et solidarités. C'est l'image d'une Francophonie qui aide aux
contacts, aux rapprochements, aux échanges, aux intérêts communs. Ce
qu'illustre bien la force de l'ambiguïté du mot HÔTE, à la fois celui qui
reçoit et celui qui est reçu ; mais ce double sens révèle la vérité
supérieure d'une commune égalité, d'une égale dignité dans l'accueil, et la
contradiction apparente du mot se résout en une communauté de valeurs
et de paroles. La francophonie est une merveilleuse productrice de liens,
une source inépuisable d'échanges.

Cependant, et par un mouvement renversé, la Francophonie ne se veut
pas seulement une communauté de valeurs. Très profondément, et sans
doute plus et mieux que d'autres communautés internationales, la
Francophonie veut promouvoir la diversité, la variété, le multiple, sans
perdre pour autant sa référence à notre langue. C'est le beau mot
d'ACCENTS, au pluriel, qui exprime le mieux cette variété des manières
de parler, d'exprimer un point de vue, une différence, une origine…

Je convoquerai encore pour appuyer mon propos deux autres mots de la
Semaine : d'abord le KALÉIDOSCOPE, éclatement des formes et des
couleurs, infinie variété des figures, mais obtenus avec les mêmes éléments, à chaque fois combinés autrement ; variation autour des unités,
image d'une langue que se réapproprient tous les horizons et toutes les
expressions. Et puis les MASQUES, ce « mystère de l'être humain »,
comme l'a dit l’acteur et griot Sotigui Kouyaté, qui dissimule et dévoile en
même temps, et pour en revenir à la langue, permet de tout dire sans rien
laisser paraître…ce qui pourrait constituer une définition du théâtre.

Dans ces deux pôles opposés, l'unité d'une forme d'expression commune,
d'une part, et de l'autre l'éclatement de ses expressions et de ses emplois,
dans cette tension gît selon moi la vérité de la francophonie : une
contrainte incessante entre les racines et l'appel du large, entre
d’anciennes cultures et des créations qui, si exotiques qu'elles paraissent
à nos yeux, demeurent liées à nous par une langue commune, aux
références croisées. On trouve là une dialectique, un mouvement qui font
la vraie force de la Francophonie.

Dans la guirlande de la Semaine 2006, trois mots illustrent ce mouvement,
cette dynamique : SOIF, FLAMBLOYANT, OUTRE-CIEL… Ce sont
encore là des mots dont les éclats multiples renvoient tour à tour aux
beautés et aux défis de notre monde. Ainsi le mot SOIF. Dans un sens
positif, soif de connaître et d'échanger, désir de l'autre et image même de
l'élan de l'un vers l'autre. Mais bien entendu aussi, les problèmes de la
soif, de la désertification et de l'accès aux ressources d'eau, qui
commandent aujourd'hui le développement de bien des peuples du
monde, dont certains sont dans la Francophonie, et par voie de
conséquence nous ramènent à la nécessité d'une solidarité, économique,
médicale et scientifique autant que culturelle et linguistique.

Ce mouvement qui anime la Francophonie, je veux pourtant en retenir
qu'il est porteur d'espoir et de succès, en choisissant maintenant dans nos
dix mots FLAMBOYANT et OUTRE-CIEL. J'aime FLAMBOYANT, ce mot
qui resplendit autant comme adjectif, quand il qualifie l'éclat, la vivacité,
que comme substantif, quand il désigne l'arbre splendide et majestueux,
l'arbre aux fleurs rouges des latitudes tropicales. Et dans cet OUTRECIEL,
mot forgé par Léopold Sédar Senghor et qu'il nous a légué, je vois
un motif d'espoir pour la francophonie, un mot qui exprime une tension
positive vers l'avenir, un horizon, au-delà du ciel, de diversité et de
créativité autour de la solidarité d'une langue, notre langue, le français.

Des dix mots de la Semaine, il en reste encore un, qui introduit un sourire
dans notre sélection, et que je retenais pour ce moment… Et ce mot, c'est
BADINAGE… Un bien joli mot, qui me fournit une transition toute naturelle
pour en venir, chers Amis, cher Pierre Palmade, au prix Raymond-Devos
de la langue française qui vous est remis ce soir.

Je voudrais avant tout saluer, en notre nom à tous, Raymond Devos,
hélas alité en ce moment et qui ne peut donc assister à la remise du prix,
créé à son initiative et qui porte son nom… Il aura fallu la maladie pour
arrêter dans sa course cet athlète de la langue, des spectacles et de
l'humour. Nous formons tous des voeux pour qu'il se rétablisse au mieux
et au plus vite.

Mais Raymond Devos lui-même nous inviterait, j'en suis sûr, à revenir
aujourd'hui à des propos plus légers, plus en accord avec l'esprit de fête
qui est ce soir le nôtre.

Le BADINAGE, donc, c'est peut-être la quintessence de l'esprit français,
cette manière légère, frivole même parfois, d'exprimer les sujets, d'en
bannir le grave et le sérieux. Un mot qui vous définit assez bien, vous qui
vous inscrivez, cher Pierre Palmade, dans la longue lignée de cet esprit
français, celui qui fait de notre langue « la langue de Molière », et c'est
tout dire !

Comme tant d'autres de votre génération, vous avez suivi, vous, le natif
de Bordeaux, une tradition bien française du spectacle comique : celle qui
consiste à « monter à Paris » pour se produire dans les petites salles, s'y
faire repérer par les arbitres des élégances comiques, accéder au Petit
Théâtre de Bouvard ou à la Classe, puis, gravissant les échelons,
atteindre les sommets. Et dans votre cas, avec quelle éclatante aisance et
rapidité !

Cette plume vive et rythmée qui vous est propre, elle explique le succès
de vos propres spectacles, mais aussi ceux de tous les autres pour qui
vous écrivez : pour Guy Bedos, pour Jean-Marie Bigard, Muriel Robin,
Mimie Mathy ou Dominique Lavanant. A trente-huit ans, vous avez su
devenir une figure incontournable de la scène parisienne.

Car il y a un « style Palmade », celui qui vous campe un personnage en
trois répliques, qui joue des rythmes et des non-dits, qui excelle dans le
dialogue rapide et décalé. Mais, derrière une langue incisive et familière,
drôle et percutante, le "style Palmade" révèle une subtilité, une angoisse,
qui donnent à vos créations toute leur dimension et leur profondeur.

Par quoi nous revenons à l'essence du comique et à l'esprit français…

Car c'est d'abord cet esprit français, où la légèreté s'allie à la profondeur,
que veut récompenser le prix Raymond-Devos de la langue française. Et
aussi cette tradition qui réunit dans la même personne le bateleur et
l'auteur, celui qui se risque à l'écriture comme à la scène, tradition dont
vous êtes l'un des meilleurs représentants.

Sans révéler de secret d'État, cher Pierre Palmade, je crois que c'est
aujourd'hui même votre anniversaire ! Eh bien, la coïncidence est
heureuse ! En vous souhaitant bon anniversaire, je veux encourager
l'homme encore jeune que vous êtes à poursuivre une longue carrière
pleine de nouveaux et de nombreux succès. Mais je veux également
rendre hommage au chemin que vous avez parcouru, pour notre plus
grand plaisir, en vous remettant officiellement, cher Pierre Palmade, pour
2006, le prix Raymond-Devos de la langue française.

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