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Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à Gad Elmaleh

Cher Gad Elmaleh,

Je suis très heureux de vous accueillir ce soir rue de Valois. Je vous le
dis avec beaucoup de sincérité. J’ai ouï dire que le terme « ministère »
est un code qu’un réalisateur a utilisé sur un tournage pour vous
permettre de retrouver une certaine gravité après un fou rire, aussi est-ce
sans excès d’esprit de sérieux, mais avec beaucoup de sincérité et
d’affection, que je vous accueille pour célébrer en vous l’un de nos
artistes les plus touchants, un comique irrésistible et un comédien de
grand talent.

Vous êtes né sous de bons auspices : votre prénom Gad, « joie » en
hébreu, vous prédisposait à relever dans votre entourage et dans les
situations les plus quotidiennes de votre enfance à Casablanca, les traits
propres à faire rire, les détails cocasses et les caractères atypiques dont
vous alliez nourrir vos spectacles. Votre père était mime, vous l’appeliez
M. Bouglione. A huit ans, vous montez sur scène avec lui et attrapez le
virus du spectacle.

Neuf ans plus tard, vous vous envolez pour le Canada, où vous travaillez
pour la radio, la télévision et le théâtre, avant d’entrer au Cours Florent à
Paris en 1992. A 25 ans seulement, vous écrivez un premier one man
show inspiré de vos débuts, Décalages, que vous montez au Palais des
Glaces. Le spectacle met notamment en scène les difficultés de ceux
dont la langue française n’est pas la langue natale, matière inépuisable
pour le langage singulier, spontané, burlesque, poétique et tordant qui
deviendra votre marque de fabrique.

En 1996, vous décrochez le premier rôle dans Salut Cousin de Merzak
Allouache. Vous multipliez ensuite les apparitions à l’écran, votre talent
s’exprimant aussi bien dans des comédies grand public, comme XXL en
1997, de Ariel Zeitoun, On fait comme on a dit de Philippe Bérenger,
Deuxième vie, de Patrick Braoudé, en 2000, et Les gens en maillot de
bain ne sont pas (forcément) superficiels d’Eric Assous, en 2001, que
dans des rôles dramatiques, comme dans L’Homme est une femme
comme les autres de Jean-Jacques Zilbermann en 1998, dans lequel
vous interprétez le cousin d’Antoine de Caunes ; ou encore la même
année dans le film jubilatoire, poétique, onirique et tragique, Train de vie,
de Radu Mihaileanu, emmené magistralement par Lionel Abelanski,
dans lequel vous jouez le Gitan fou Manzatou.

En 2000, vous connaissez un grand succès avec votre second
spectacle, La Vie normale, mis en scène par Isabelle Nanty, dans lequel
vous déployez une nouvelle fois une énergie rare, pour incarner une
galerie de personnages extraordinaires qui touchent profondément le
public.

Vous reprenez en 2001 le rôle de Dov, volage et jaloux, dans La Vérité
si je mens 2, incarné dans le premier opus par Vincent Elbaz, en
contribuant à l’un des plus grands succès français de cette année, qui
vous propulse sur le devant de la scène. Vous donnez ensuite la
réplique à Cécile de France dans A + Pollux de Luc Pagès.

Dans votre spectacle La Vie normale, apparaît un personnage, Chouchou,
travesti algérois rêveur et romantique de la Place Clichy, qui se prend
souvent les pieds dans les expressions françaises. Un « trésor unique »,
si riche, si attachant, que vous allez lui consacrer un long-métrage. En
2003, sort le film avec Alain Chabat, réalisé par votre complice de la
première heure, Merzak Allouache. Il fait un triomphe, la scène du dîner
en amoureux au restaurant, interrompu par la vibration apocalyptique du
portable d’Alain Chabat, et votre réplique « J’adore les sushis »,
deviennent cultes.

Mais les planches vous manquent et vous montez votre troisième one
man show, L’autre c’est moi, dans lequel vous chantez et dansez avec
une élasticité surprenante, vous jouez de la musique, et brossez une
galerie de portraits savoureux, du Blond, dont la classe et la décontraction
en toute occasion révèlent, par contraste, nos propres maladresses, au
videur de boîte de nuit, musclé, impressionnant, mais avec un cheveu sur
la langue, qui garde les portes du monde de la nuit, un monde surprenant,
peuplé d’individus étonnants, du timide à l’ivrogne, en passant par les
« australopithèques », êtres alcoolisés dont vous disséquez les moeurs et
le comportement, avec la précision d’un entomologiste et l’humour
d’un clown, dans une veine qui évoque celles de Buster Keaton et de
Charlie Chaplin.

Acteur et observateur, vous êtes à la fois le moqueur et le moqué, le
comédien et son public, comme lorsque, à la façon d’un Pierre Desproges
qui, à la fin de son spectacle, dictait leur article aux journalistes, vous
imaginez, sur scène, les commentaires et les réactions du public.

Vous brocardez avec beaucoup d’intelligence et de finesse nos manies,
nos absurdités quotidiennes, à l’image de ce vide-poches que vous
décrivez, qui orne la plupart de nos intérieurs, ce vide-poches qui contient
des pièces de meubles à monter soi-même, ces fameuses pièces qui
nous restent dans la main une fois qu’on pense avoir terminé de monter le
meuble, des piles usées, des clés qui ouvrent des boîtes depuis
longtemps à la poubelle et des boutons de rechange de costumes que l’on
ne met plus. Un concentré de contradictions universelles, de
schizophrénie ordinaire, dans lesquelles chacun se retrouve à un moment
ou à un autre de votre spectacle.

Vous avez été ovationné comme maître de cérémonie des César 2004 et
2005, que vous avez présentés avec ce mélange de distinction et
d’humour qui vous est propre et que le public plébiscite.

Vous êtes aujourd’hui au sommet et tournez avec les plus grands. A la fin
de l’année dernière, les spectateurs ont découvert votre duo de choc avec
Gérard Depardieu dans la comédie Olé ! de Florence Quentin. La
semaine prochaine, ils vous découvriront dans La Doublure, dans la peau
du fameux François Pignon, le pigeon récurrent des comédies de Francis
Veber, qui vous place ainsi dans la droite lignée de Jacques Brel, Pierre
Richard, Daniel Auteuil et Jacques Villeret. Plus qu’une consécration, un
adoubement pour vous, qui appeliez Francis Veber « le patron » avec vos
camarades du Cours Florent.

Quand les deux chouchous des Français se rencontrent, cela donne Hors
de prix, de Pierre Salvadori, dans lequel vous donnez la réplique à Audrey
Tautou, et qui sortira sur nos écrans à la fin de l’année.

En une décennie, votre travail assidu, votre charme, votre intelligence,
votre talent, votre justesse dans le verbe et dans le geste n’ont cessé
d’attirer les Français et vous êtes un acteur de tout premier plan. J’ai
entendu dire qu’apprenant que vous alliez être chevalier, vous aviez
réclamé un cheval. « Sans autodérision, je crois qu’on ne peut pas
survivre » avez-vous ajouté. Vous avez raison et c’est sans doute aussi ce
qui explique cet amour inconditionnel que vous portent les Français.

Cher Gad Elmaleh, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier
des Arts et des Lettres.

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